Kitabı oku: «L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793», sayfa 7
La réussite de telles opérations dépend beaucoup, on le comprend, de la pureté du ciel, et il n’y a pas de pays peut-être où l’air soit en même temps plus tempéré et le ciel aussi clair qu’au cap de Bonne-Espérance, mais il s’en faut de beaucoup que le ciel le plus clair soit le plus propre aux observations. Cette pureté est due en effet au Cap à un vent du sud-est extrêmement violent et qui rend impossible toute observation précise avec les grands instruments; les astres paraissent confusément terminés et dans une agitation d’autant plus vive que la lunette grossit davantage: «On peut juger, dit Lacaille, quel doit être le déplaisir d’un astronome de voir couler tant de nuits d’un si beau ciel sans en pouvoir profiter.»
Lacaille tout entier à ses travaux n’avait pas le temps d’écrire de longues lettres à ses confrères. Sa correspondance avec l’Académie, fort intéressante cependant quoique très-laconique, révèle la rare et naïve bonté de cet homme éminent et réellement modeste. L’une de ses grandes préoccupations est de ne pas rendre son voyage trop onéreux au gouvernement qui en fait les frais: «J’ai toujours, écrit-il, ménagé la dépense depuis que je suis ici, et si je n’avais pas avec moi un ouvrier qui dépense plus que moi, quoique jamais mal à propos, je n’aurais pas dépensé cinquante piastres par-dessus ma pension.»
Non content d’avoir déterminé la position de près de dix mille étoiles et réuni en même temps des observations précieuses pour la parallaxe de la lune et des planètes, la longueur du pendule à seconde et les coordonnées géographiques de plusieurs points importants, Lacaille trouva le temps de mesurer un degré terrestre: «Je m’occupe, dit-il dans une lettre du 26 août 1752, de la mesure d’un degré terrestre. J’ai déjà fait, du 5 au 22 août, un voyage pour visiter les points de station où je dois observer et pour y placer les signaux nécessaires. Jamais pays ne fut plus propre à de pareilles opérations; des plaines très-étendues bordées de montagnes médiocrement hautes, nues et bien détachées les unes des autres, ne laissent d’embarras que dans le choix de la meilleure disposition; mais il ne faudrait pas être étranger dans ce pays-ci pour profiter de ces avantages; car comme il n’y a pas ici de routes réglées, ni d’auberges, que la partie du nord du Cap est toute sablonneuse et peu cultivée, il faut nécessairement se réfugier dans les habitations dispersées au loin dans la campagne et se contenter de la réception qu’on veut bien vous faire. Heureusement pour moi, M. Pesthier a la complaisance de me conduire partout, et comme il est connu et très-estimé dans le pays, je ne manque avec lui d’aucun secours.»
«On pourrait s’attendre, dit Lacaille dans le compte rendu de son voyage, que je fisse ici quelque description de ce fameux cap de Bonne-Espérance et que j’exposasse les mœurs des naturels du pays connus sous le nom de Hottentots, et que je parlasse des productions de la terre et des mers voisines; mais, outre qu’on peut juger que je n’ai eu guère de loisirs pour faire des recherches sur ce que je viens de dire, je dois avouer que mes connaissances sont trop bornées pour être en état de satisfaire les curieux et les physiciens sur cette partie de l’histoire naturelle. Ce qu’il y a encore de plus fâcheux, c’est que l’intérêt de la vérité m’oblige à déclarer que rien n’est moins exact que ce qu’on lit sur ce sujet dans un gros livre écrit en allemand par Pierre Kolbe et dont nous avons en français un extrait en trois volumes. Kolbe était un Prussien, envoyé au Cap par feu M. le baron de Kronick pour y faire toutes les observations possibles de physique, d’astronomie et d’histoire naturelle; il y séjourna sept années environ, mais tous ceux qui l’ont connu dans le pays assurent constamment qu’il ne s’est point occupé à remplir l’objet de sa mission, et que, quoi qu’il en dise, il n’a fait aucun voyage dans l’intérieur du pays.»
Malgré les travaux de Richer, de Cassini et de Picard et les observations plus récentes de Lacaille, la distance du soleil à la terre était encore incertaine. Un phénomène qui se renouvelle deux fois seulement dans un siècle et à huit années d’intervalle, le passage de Vénus sur le disque du soleil, était annoncé depuis plus d’un siècle pour l’année 1761, et les détails du phénomène soigneusement observés de différents points du globe devaient fournir, comme l’avait montré Halley, cette distance inconnue quoique tant de fois calculée. Sans proposer distinctement le détail d’une méthode hérissée de calculs, je chercherai seulement à mettre dans son jour le principe très-simple et l’esprit général de la théorie.
Les cercles divisés et les horloges sont les instruments habituels des astronomes qui dans leurs observations ne mesurent que des temps et des angles; mais une longueur ne peut se déterminer que par une autre longueur à laquelle, d’une manière plus ou moins directe, on parvient à la comparer. La raison en est évidente; quelle que soit une figure géométrique, il en existe une infinité d’autres qui lui sont semblables, dans lesquelles les longueurs homologues sont augmentées ou diminuées dans tel rapport que l’on voudra, sans qu’il y ait aucune différence dans les angles, dont la mesure seule ne peut par conséquent servir à distinguer ces deux figures semblables, si simples ou si compliquées qu’on les suppose. Tant que l’on n’aura pas mesuré une première ligne, les dimensions absolues resteront indéterminées. On a donc pu, par de simples mesures d’angles, trouver la forme de l’orbite décrite par la terre autour du soleil, la figure des ellipses dans lesquelles se meuvent Vénus, Mercure, Mars, Jupiter et Saturne, les rapports précis des axes de ces diverses courbes et les inclinaisons mutuelles de leurs plans; mais en connaissant ainsi les proportions exactes de l’univers, on en ignore cependant encore la véritable grandeur. Ce système, si bien connu dans ses détails comme dans son ensemble, pourrait être amplifié ou diminué; les planètes pourraient, sans que rien fût changé dans les apparences, rouler d’un mouvement tout semblable dans les orbites mille fois plus grandes ou mille fois plus petites. La distance de la terre au soleil est-elle de dix mille lieues ou de mille millions de lieues? Les travaux de Copernic et de Kepler sur la forme des orbites planétaires ne permettent pas de le décider mais ne laissent subsister que cette seule inconnue, en sorte que la détermination d’une seule distance entraînera celle de toutes les autres. Cette détermination présente malheureusement des difficultés considérables et exceptionnelles. La base qu’il faut nécessairement choisir à la surface de la terre ne peut pas en dépasser le diamètre; les lignes qui de ses extrémités vont se réunir au centre du soleil ou sur l’une quelconque des planètes, forment un angle de quelques secondes seulement, et la plus légère erreur peut évidemment renverser l’édifice qui repose sur un fondement aussi délicat. La méthode indirecte de Halley élude mieux qu’aucune autre cette grave difficulté. Lorsque Vénus se plaçant entre la terre et le soleil vient se projeter sur son disque, les astronomes prévenus longtemps à l’avance peuvent aisément observer dans leur lunette une tache noire qui, passant d’un bord à l’autre, accuse nettement pendant quelques heures la position des deux astres par rapport à la terre; mais si exacte qu’elle soit, une observation isolée ne fournit aucune conséquence. Les dimensions du système du monde pourraient être dix mille fois plus grandes ou dix mille fois moindres, sans que cela changeât une seule seconde de temps à la durée du passage ou une seule seconde d’angle à la longueur de la corde que parcourt la planète. L’astronome peut calculer cent ans d’avance, à une seconde près, si les méthodes sont assez perfectionnées, l’instant de l’entrée de Vénus et celui de la sortie, pour un observateur placé au centre de la terre; mais il lui est impossible de dire si, pour deux observateurs placés à Paris et au cap de Bonne-Espérance, les durées des passages diffèrent d’une minute ou de dix. Tout dépend du rapport inconnu du rayon de la terre à la distance du soleil, et c’est pour cela que la comparaison des deux observations permet de le calculer. La méthode fait connaître en outre les points du globe pour lesquels les différences plus nettement accusées doivent donner les plus grandes chances de succès; rien n’empêche d’ailleurs de contrôler par des observations multipliées le résultat toujours douteux d’une épreuve qu’il est impossible de recommencer.
Le 6 juin 1761 cinquante-cinq observateurs, répartis sur différents points du globe, purent observer le passage et en déterminer les circonstances.
Pingré en choisissant l’île Rodrigues pour station avait fait preuve de courage et de dévouement. «Nous sommes instruits, avaient dit les commissaires de l’Académie, que dans toute cette partie de l’Afrique l’air, à cause de ses intempéries pendant la saison des pluies, est très-dangereux pour les étrangers.» On pourrait croire que, pour éviter de tels dangers à un confrère, ils vont proposer un autre poste. Nullement: «La crainte du dérangement que la santé de M. Pingré pourrait éprouver «leur fait désirer seulement qu’il ait un compagnon capable de le suppléer au besoin.»
Pingré ne trouva à l’île Rodrigues aucun secours pour ses observations. Sans ouvriers pour construire un observatoire, il dut observer en plein air. Des mesures avaient été prises pour lui assurer des conditions plus favorables, mais la guerre qui régnait alors dans les deux hémisphères les avait déjouées en plaçant Pingré dans une position dont il se plaignit fort. Muni d’un passeport délivré par le gouvernement anglais qui enjoignait à tous les agents et officiers de respecter les astronomes français et de les aider au besoin, Pingré se croyait inviolable ainsi que le petit navire, nommé la Mignonne, qui l’avait conduit à l’île Rodrigues et qui l’y attendait; mais la veille précisément du jour fixé pour le départ on vit paraître un vaisseau anglais, sur lequel la Mignonne commença par lâcher une bordée. Le vaisseau, beaucoup mieux armé qu’on ne l’avait cru, s’approcha aussitôt et sans coup férir fit comprendre que la lutte était impossible. La Mignonne, déclarée de bonne prise, fut malgré les réclamations de Pingré conduite à Pondichéry. Par une détermination presque cruelle, dit-il, on le laissa à Rodrigues avec son aide, réduits tous deux au strict nécessaire. Chanoine régulier de Sainte-Geneviève, Pingré n’était habitué ni aux privations ni aux incommodités de la vie de voyageur, et il les supportait fort mal. «J’ai été entre autres, écrit-il à l’Académie en rendant compte de sa mésaventure, réduit à l’ignoble breuvage de l’eau,» et il demandait une réparation qu’il n’obtint pas.
Le Gentil avait choisi pour station Pondichéry où le phénomène s’accomplissait au zénith. Mais plus prudent que celui de la Mignonne, le capitaine qui le conduisait, trouvant les Anglais maîtres de la place, retourna bien vite à l’île de France. Le jour du passage Le Gentil était encore en mer; il vit le phénomène sans pouvoir l’observer. Un second passage devait avoir lieu en 1769; Le Gentil résolut de l’attendre. La physique du globe et l’astronomie l’occupèrent utilement pendant huit années, en lui laissant le loisir de se livrer à quelques entreprises commerciales dont le résultat fut heureux pour sa fortune.
En 1769 Pondichéry était rentré sous la domination française. Le 4 juin Le Gentil muni d’excellents instruments attendait le passage dans un observatoire solide et bien disposé qui semblait donner toute garantie d’exactitude; le temps des journées précédentes promettait une observation facile, la matinée était belle encore, mais tout à coup le vent s’éleva, et un nuage léger d’abord déroba à Le Gentil l’important spectacle qu’il attendait depuis huit ans et qu’aucun contemporain ne devait voir renaître. Lorsque le soleil perça les nuages, Vénus était sortie de son disque. L’entreprise était définitivement manquée: «Je ne pouvais, dit-il, revenir de mon étonnement, j’avais peine à me figurer que le passage de Vénus fût enfin passé. D’autres fois je pensais que quelque contre-temps pareil avait fait imaginer à Manès son système (ridicule à la vérité) des deux principes, en songeant au beau temps qu’il avait fait le matin; pendant près d’un mois encore après, on eût été tenté de penser que la matinée du 4 juin avait été faite exprès pour mortifier les observateurs placés le long de cette côte. Enfin, ajoute Le Gentil, je fus plus de quinze jours dans un abattement singulier, à n’avoir presque pas le courage de prendre la plume pour continuer mon journal, et elle me tomba plusieurs fois des mains lorsque le moment vint d’annoncer en France le sort de mon opération.»
Ce journal, qui devait être le seul résultat du voyage de Le Gentil n’est nullement à dédaigner. De nombreuses observations d’astronomie et de météorologie, la détermination exacte de plusieurs latitudes importantes, l’orientation vérifiée d’un grand nombre de monuments, un tableau très-simplement tracé des mœurs de l’Inde observées à loisir par un esprit sage et éclairé, remplissent deux volumes d’un grand intérêt, dont la publication occupa Le Gentil plusieurs années après son retour en France. L’histoire de l’astronomie indienne en fournit un des chapitres les plus curieux.
Le calcul des éclipses était un secret transmis et conservé dans la caste des brames; des jésuites autrefois l’avaient envoyé, disait-on, à de La Hire qui avait trouvé les calculs exacts en se disant trop âgé pour en examiner la théorie; mais Le Gentil qui raconte cette anecdote ne la tient pas pour vraie. Le Gentil questionnait sur ces méthodes les Indiens les plus instruits sans réussir à en obtenir communication. Un jour un brame, nommé Nana Mouton, vint le voir en lui faisant dire par un interprète qu’il pourrait satisfaire sa curiosité. Le Gentil l’ayant prié de calculer devant lui l’éclipse du mois de décembre 1768, l’Indien revint le lendemain avec un petit paquet de feuilles de palmier et un sac de coquillages; il s’assit par terre, et tout en maniant les coquillages avec une vitesse singulière, il consultait de temps en temps son petit livret; il obtint ainsi toutes les phases de l’éclipse en moins de trois quarts d’heure. Il les trouva assez justes pour redoubler chez Le Gentil le désir de connaître sa méthode. L’Indien consentit à la lui enseigner, en faisant espérer qu’avec des dispositions et beaucoup de travail, il pourrait, en quatre mois apprendre à calculer une éclipse de lune. Il fallait de plus s’engager au secret, car un Malabar indiscret, en abusant de la science qu’il lui avait enseignée, avait rendu Nana Mouton extrêmement prudent. Le Gentil promit ce qu’on voulut, et les leçons commencèrent. Tout alla bien pendant quelques jours, à cela près que ni le professeur ni l’interprète ne pouvaient donner l’explication d’aucun terme, et Le Gentil bientôt ne comprenait plus rien. On changea trois fois d’interprète, mais sans plus de succès; force eût été de renoncer à l’entreprise sans le secours d’un tamoul chrétien, ancien élève lui-même de Nana-Mouton, qui savait le français. Les progrès furent alors rapides, mais plus l’élève se montrait capable et désireux d’apprendre, plus le maître multipliait les difficultés. Le brame évidemment voulait retenir son secret. Il dictait patiemment les nombres, les repassait et les collationnait tant qu’on voulait, sans se rattacher à aucune doctrine et sans satisfaire aux questions que leur emploi faisait naître. Après un mois de patience Le Gentil le congédia en tenant sa mauvaise foi pour certaine, mais il avait pénétré le principe de la méthode, et aidé du tamoul qui la connaissait un peu, il parvint à s’en servir sans jamais la trouver commode. «Cette méthode, dit-il, m’a paru avoir son avantage; elle est bien plus prompte et plus expéditive que la nôtre, mais en même temps elle a un grand inconvénient; il n’y a pas moyen de revenir sur ses calculs, encore moins de les garder; on efface à mesure qu’on avance; si l’on s’est par malheur trompé dans le résultat, il faut recommencer sur de nouveaux frais, mais il est bien rare que les Indiens se trompent. Ils travaillent avec un calme singulier, un flegme et une tranquillité dont nous sommes incapables et qui les mettent à couvert des méprises que nous autres Européens ne manquerions pas de faire à leur place. Il paraît donc que nous devons les uns et les autres garder chacun notre méthode; il semble que la leur ait été faite uniquement pour eux.»
L’abbé Chappe lors du passage de 1761 s’était rendu en Sibérie à Tobolsk. Le récit de son voyage publié avec grand luxe remplit deux gros volumes in-4º, où la science n’a pas la plus grande part. «L’abbé Chappe, dit Catherine à Voltaire, a tout vu en Russie en courant la poste dans un traîneau bien fermé.» Le pauvre abbé qui n’avait rien vu en beau devait scandaliser les amis de Catherine, en leur fournissant de nombreux prétextes pour le quereller. «Il n’y a qu’une tête française, dit Grimm, à qui le ciel accorde de tout savoir sans apprendre, de tout voir sans regarder, de tout deviner sans être sorcier, de tout approfondir en courant la poste de Paris à Tobolsk et de tout trancher sans être Alexandre, fils de Philippe de Macédoine. Il serait difficile, ajoute-t-il, de réunir dans le même sujet au même degré, autant d’ignorance, de légèreté, de goût pour les puérilités les plus minutieuses et d’indifférence pour la vérité.»
Tout cela est injuste et dépasse le but; l’abbé académicien, un peu trop désireux, il est vrai, d’intéresser le lecteur et se vantant de connaître ce qu’il a entrevu, aborde tous les sujets au hasard et sans ordre avec plus de prétention que de compétence et de talent. On est surpris par exemple de le voir décrire minutieusement les divertissements auxquels il a pris part et les danses où il semble fier de s’être fait remarquer; mais la sincérité brutale des récits donne à d’autres pages de son livre un véritable intérêt, et sans prétendre y démêler le vrai d’avec le faux, on peut croire que Catherine, qui a pris la peine d’y répondre, y voyait plus d’un rayon incommode de la vérité. Rien toutefois ne trouve grâce devant Grimm dont l’aveuglement, complaisant ou sincère, l’emporte jusqu’à la moins vraisemblable calomnie. «L’Académie des sciences balance elle-même, dit-il, si elle doit ajouter foi à l’observation astronomique pour laquelle l’abbé Chappe a été envoyé en Sibérie; plusieurs de nos académiciens prétendent avoir de grands motifs de douter et de l’exactitude de l’observation et de la véracité de l’observateur. Ils supposent, avec assez de vraisemblance, en comparant ses résultats avec ceux des autres astronomes dispersés sur les différents points de la surface du globe, que le temps étant couvert à Tobolsk pendant tout le passage de Vénus, l’abbé Chappe n’a pas voulu perdre les frais de son voyage et a calculé dans son cabinet à peu près comment ce passage a dû avoir lieu en l’observant à Tobolsk, et a donné à l’Académie l’approximation de ses calculs pour le résultat de ses observations.»
Cette odieuse allégation n’a pas le moindre fondement, et l’Académie, qui n’éleva aucun doute sur la sincérité de l’abbé Chappe, lui confia huit ans après l’une des observations importantes du passage de 1769. Chappe fut envoyé par elle en Californie. Il ne devait pas revoir la France. Une maladie contagieuse envahit le village où il avait observé; tous ses compagnons furent frappés, et lorsqu’il tomba malade le dernier, aucun d’eux n’était en état de lui rendre les secours qu’ils avaient reçus de lui. Privé de médecins et sur les indications d’un livre, il prit deux purgatifs qui le soulagèrent; il se crut sauvé et voulut observer une éclipse de lune, mais il avait trop présumé de ses forces, et il mourut peu de jours après, victime sans doute de son dévouement à la science.
LES RAPPORTS
L’Académie ne prenait de décisions sur les principes de la science qu’à regret en quelque sorte et dans de rares occasions. La méthode infinitésimale par exemple et la théorie de l’attraction, adoptées par les uns et contredites par les autres, ne furent jamais jugées régulièrement par une sentence expresse; tant que ses membres partagés continuèrent à en disputer, l’Académie, sans se déclarer indifférente, demeura sagement indécise, et l’on pourrait seulement la blâmer de prolonger la prudence bien au delà des doutes qui l’ont fait naître.
On lit par exemple au procès-verbal du 22 août 1759: «L’hypothèse du père Berthier est tout à fait opposée à la philosophie newtonienne, presque universellement adoptée aujourd’hui; mais nous croyons que cette hypothèse peut se soutenir dans l’hypothèse du plein et des tourbillons; sous ce point de vue l’Académie, qui persiste à n’adopter aucun système, nous paraît pouvoir recevoir l’hommage que lui offre de son livre le père Berthier et permettre que cet ouvrage soit imprimé sous son privilége.»
Dix-sept ans plus tard l’Académie, toujours dans les mêmes principes, se refusant de nouveau à étudier les causes dans les effets, écarte obstinément la recherche des lois primordiales comme une chimère indigne d’encouragement. «Tout le reste de l’écrit de M. Dolomieu, dit le rapporteur d’une commission, est purement systématique, et l’Académie n’étant pas dans l’usage de prononcer sur les systèmes, nous passerons sous silence les raisonnements de l’auteur, quelque bien écrits qu’ils nous paraissent, parce que cela entraînerait dans de trop grandes discussions et que tous les raisonnements possibles dans l’art de traiter les mines ne valent pas un fait décrit avec clarté.
L’empressement des savants à lui soumettre leurs projets et leurs travaux, comme à la maîtresse de la science dans tout le royaume, transformait peu à peu l’Académie en une sorte de conseil réglé dont la confiance publique faisait l’autorité et la force. D’après ses règlements et suivant les desseins de son fondateur, l’Académie était tenue de prononcer sur le mérite des machines et sur les demandes de privilège; c’est par là que ses jugements prirent leur commencement, mais on lui soumit bien vite des découvertes, des inventions et des projets de toute sorte. Les commissaires désignés étaient exacts et diligents, dans les premières années surtout, à présenter en quelques paroles un rapport trop concis pour que nous ayons beaucoup à y apprendre, et qui, plus assuré dans le blâme que dans la louange, semble plus propre souvent à rebuter ou à irriter les inventeurs qu’à les enseigner et à les soutenir. Tels sont ceux-ci par exemple: «MM. Parent et Renau n’ont rien trouvé d’utile dans le livre qu’ils avaient à examiner et pour la théorie elle est pleine d’erreurs.»
«Nous avons examiné par ordre de l’Académie la manière que M. Besson lui a proposée pour relever un vaisseau submergé en lui attachant de tous côtés des tonneaux vides, ce qui, suivant la manière dont l’auteur l’emploie, nous a paru impraticable.»
Réaumur chargé d’examiner un taille-plumes mécanique le décrit minutieusement et ajoute: «Il pourra être un outil commode à la plupart des gens qui écrivent peu.» Le succès d’une autre invention lui paraît plus utile qu’assuré et là se borne son approbation.
On lit ailleurs au procès-verbal: «M. Lemonnier a parlé ainsi sur le mémoire de M. Desaussedats: L’auteur n’entend pas l’état de la question.»
Quelquefois plus sévère encore, le rapporteur engage l’Académie à refuser les communications nouvelles du même auteur. «Nous avons lu par ordre de l’Académie, dit une fois le chimiste Hellot, la lettre de M… Je crois qu’on fera bien de lui répondre qu’il est inutile qu’il écrive davantage à l’Académie ou à quelques académiciens; on ne doit pas établir de correspondance avec un homme sans lettres, sans principes et qui d’ailleurs est très-importun.»
Certaines questions, telles que la quadrature du cercle, après avoir été faussement résolues un trop grand nombre de fois, furent elles-mêmes rejetées du cercle des travaux académiques, en même temps que la recherche reconnue impossible du mouvement perpétuel. Ce problème de la quadrature du cercle se trouve placé en quelque sorte au seuil de la science comme un appât pour les débutants incapables de comprendre dans quel sens on le tient pour si difficile. D’après un bruit populaire qui n’est pas absolument oublié aujourd’hui, les gouvernements auraient promis pour sa solution des récompenses considérables, et un effort heureux après quelques mois d’étude aurait pu, suivant cette fausse opinion, procurer à la fois la gloire et la fortune. Un des inventeurs osa même assigner d’Alembert devant le Parlement, comme le frustrant, par son refus d’examiner sa solution, de la récompense de 150,000 livres, qu’il croyait obstinément promise et qu’il prétendait mériter.
L’Académie, sans être jamais négligente, se montrait souvent sévère et impatiente et non sans raison quelquefois. La plupart des inventions qu’on lui propose dans les premières années sont indignes d’un jugement sérieux et au-dessous de toute critique; c’est elle-même qui le déclare officiellement, en quelque sorte, dans la préface du premier volume du Recueil des savants étrangers publié en 1750.
«Dès les premiers temps de l’institution de l’Académie, dit le secrétaire Grandjean Fouchy, plusieurs savants tant étrangers que régnicoles s’empressèrent de prendre part à ses travaux en lui adressant des mémoires et des dissertations sur différents sujets. Nous ne pouvons dissimuler que, surtout dans les commencements, l’Académie n’ait eu plus souvent à louer la bonne volonté des auteurs d’un grand nombre de ces pièces que l’excellence de leurs ouvrages.»
Le nombre des mémoires présentés s’augmentait cependant tous les jours, et l’Académie a plus d’une fois l’occasion d’accorder judicieusement à des idées ingénieuses et utiles un précieux témoignage d’exactitude et de nouveauté; mais plus d’une fois aussi, il faut le dire, elle décourage par sa prudence et son incrédulité les inventeurs qu’il aurait fallu diriger ou mettre en lumière.
«Ceux qui se mêlent de donner des préceptes et des conseils, dit Descartes, se doivent estimer plus habiles que ceux auxquels il les donnent, et s’ils manquent en la moindre chose, ils en sont blâmables.» L’Académie le fut plus d’une fois.
On lit par exemple au procès-verbal du 21 juin 1704: «On a lu un écrit de M. Brunet qui propose des machines lithotritiques qui doivent, à la faveur d’une sonde dans laquelle elles seront comme pliées, entrer dans la vessie, là se déployer par des lamelles à ressort et articulées, prendre la pierre et la tenir ferme, après quoi une espèce de lance comprise dans la machine la brisera, ce qui la mettra en état de sortir par les urines comme du simple gravier. La composition et la difficulté du jeu de ces machines et le long temps que l’opération durerait ont fait rejeter cette idée par toute la compagnie.»
L’abbé Nollet, en rendant compte d’un mémoire sur les moyens de préserver les édifices de la foudre, a l’imprudence d’ajouter: «Ce mémoire nous paraît propre à dissiper, si tant est qu’elle subsiste encore, l’espérance que quelques personnes (c’est de Franklin qu’il s’agit) avaient conçue de préserver les édifices des funestes effets du tonnerre, en épuisant la matière fulminante de la nue et la détournant à leur gré par le moyen des conducteurs métalliques dressés en l’air et prolongés jusqu’à terre. Nous croyons qu’il mérite à tous égards d’être imprimé avec l’approbation de l’Académie.»
Les registres de l’Académie contiennent près de dix mille rapports aussi divers par la forme que par la nature et par l’importance des questions discutées et dont le détail serait infini. Nous avons dit et montré la sincérité un peu rude du plus grand nombre; l’indulgence de quelques autres prodigue parfois au contraire des louanges exagérées. Certains rapporteurs, entrant dans la pensée qu’ils devraient discuter et juger, acceptent toutes les assertions sans s’étendre à développer le détail des preuves pour les examiner et les peser; d’autres enfin, avec plus d’assurance et plus d’autorité, contrôlent et fortifient les raisonnements, vérifient et interprètent les faits et, les rattachant aux théories dont ils sont l’occasion ou la preuve, les illuminent de nouvelles clartés.
On aime surtout à retrouver l’accueil fait par l’Académie aux premiers essais des grands hommes qui font aujourd’hui sa gloire. Le 26 avril 1726, MM. Nicole et Pitot rendent compte du premier mémoire présenté par Clairaut à l’âge de douze ans. «Ces productions, disent-ils, qui auraient autrefois fait honneur aux plus habiles géomètres, deviennent encore aujourd’hui surprenantes lorsqu’on sait qu’elles sont l’ouvrage d’un jeune homme de douze ans et quelques mois, ce qui montre les progrès qu’on doit attendre de lui et combien il est estimable d’avoir acquis à cet âge tant de connaissances dans la géométrie et le calcul différentiel.»
«Il est bien rare, est-il dit deux ans plus tard dans un autre rapport, de voir un jeune homme de quatorze ans entendre les découvertes faites par MM. de l’Hopital, Wallis et Tchirnauss, et plus rare encore de voir le même jeune homme renchérir et ajouter de nouveau aux découvertes de ces grands géomètres.»
Fontenelle dans les mémoires de l’Académie exprime la même pensée avec plus d’élégance: «Autrefois, dit-il, de pareilles productions auraient fait honneur aux plus habiles géomètres; la louange aujourd’hui est à partager entre l’excellence des nouvelles méthodes et le génie singulier d’un enfant.»
Les premiers essais de d’Alembert sont quinze ans plus tard dignement loués et appréciés par Clairaut lui-même. Après avoir analysé avec bienveillance un mémoire dans lequel le jeune débutant rectifie une assertion inexacte du père Guinée, le rapporteur ajoute: «Ces remarques prouvent sa capacité, son exactitude et son amour pour la vérité.» En rendant compte quelques mois après d’un travail de plus grande portée mais imparfait encore, car d’Alembert s’est abstenu de le faire imprimer, Clairaut termine en disant: «Il serait trop long de le suivre dans toutes les considérations qu’il a faites sur cette matière; il suffit de dire qu’elles nous ont paru montrer bien de la science et de l’industrie dans l’auteur.»