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Kitabı oku: «Cinq semaines en ballon», sayfa 10

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XXIII. Colère de Joe. – La mort d’un juste.

Colère de Joe. – La mort d’un juste. – La veillée du corps. – Aridité. – L’ensevelissement. – Les blocs de quartz. – Hallucination de Joe. – Un lest précieux. – Relèvement des montagnes aurifères. – Commencement des désespoirs de Joe.


Une nuit magnifique s’étendait sur la terre. Le prêtre s’endormit dans une prostration paisible.

«Il n’en reviendra pas, dit Joe! Pauvre jeune homme! trente ans à peine!

– Il s’éteindra dans nos bras! dit le docteur avec désespoir. Sa respiration déjà si faible s’affaiblit encore, et je ne puis rien pour le sauver!

– Les infâmes gueux! s’écriait Joe, que ces subites colères prenaient de temps à autre. Et penser que ce digne prêtre a trouvé encore des paroles pour les plaindre, pour les excuser, pour leur pardonner!

– Le ciel lui fait une nuit bien belle, Joe, sa dernière nuit peut-être. Il souffrira peu désormais, et sa mort ne sera qu’un paisible sommeil.»

Le mourant prononça quelques paroles entrecoupées ; le docteur s’approcha ; la respiration du malade devenait embarrassée ; il demandait de l’air ; les rideaux furent entièrement retirés, et il aspira avec délices les souffles légers de cette nuit transparente ; les étoiles lui adressaient leur tremblante lumière, et la lune l’enveloppait dans le blanc linceul de ses rayons.

«Mes amis, dit-il d’une voix affaiblie, je m’en vais! Que le Dieu qui récompense vous conduise au port! qu’il vous paye pour moi ma dette de reconnaissance!

– Espérez encore, lui répondit Kennedy. Ce n’est qu’un affaiblissement passager. Vous ne mourrez pas! Peut-on mourir par cette belle nuit d’été.

– La mort est là, reprit le missionnaire, je le sais! Laissez-moi la regarder en face! La mort, commencement des choses éternelles, n’est que la fin des soucis terrestres. Mettez-moi à genoux, mes frères, je vous en prie!»

Kennedy le souleva ; ce fut pitié de voir ses membres sans forces se replier sous lui.

«Mon Dieu! mon Dieu! s’écria l’apôtre mourant, ayez pitié de moi!»

Sa figure resplendit. Loin de cette terre dont il n’avait jamais connu les joies, au milieu de cette nuit qui lui jetait ses plus douces clartés, sur le chemin de ce ciel vers lequel il s’élevait comme dans une assomption miraculeuse, il semblait déjà revivre de l’existence nouvelle.

Son dernier geste fut une bénédiction suprême à ses amis d’un jour. Et il retomba dans les bras de Kennedy, dont le visage se baignait de grosses larmes.

«Mort! dit le docteur en se penchant sur lui, mort!»

Et d’un commun accord les trois amis s’agenouillèrent pour prier en silence.

«Demain matin, reprit bientôt Fergusson, nous l’ensevelirons dans cette terre d’Afrique arrosée de son sang.»

Pendant le reste de la nuit, le corps fut veillé tour à tour par le docteur, Kennedy, Joe, et pas une parole ne troubla ce religieux silence ; chacun pleurait.

Le lendemain, le vent venait du sud, et le Victoria marchait assez lentement au-dessus d’un vaste plateau de montagnes ; là des cratères éteints, ici des ravins incultes ; pas une goutte d’eau sur ces crêtes desséchées ; des rocs amoncelés, des blocs erratiques, des marnières blanchâtres, tout dénotait une stérilité profonde.

Vers midi, le docteur, pour procéder à l’ensevelissement du corps, résolut de descendre dans un ravin, au milieu de roches plutoniques de formation primitive, les montagnes environnantes devaient l’abriter et lui permettre d’amener sa nacelle jusqu’au sol, car il n’existait aucun arbre qui pût lui offrir un point d’arrêt.

Mais, ainsi qu’il l’avait fait comprendre à Kennedy, par suite de sa perte de lest lors de l’enlèvement du prêtre, il ne pouvait descendre maintenant qu’à la condition de lâcher une quantité proportionnelle de gaz ; il ouvrit donc la soupape du ballon extérieur. L’hydrogène fusa, et le Victoria s’abaissa tranquillement vers le ravin.

Dès que la nacelle toucha à terre, le docteur ferma sa soupape ; Joe sauta sur le sol, tout en se retenant d’une main au bord extérieur, et de l’autre, il ramassa un certain nombre de pierres qui bientôt remplacèrent son propre poids ; alors il put employer ses deux mains, et il eut bientôt entassé dans la nacelle plus de cinq cents livres de pierres ; alors le docteur et Kennedy purent descendre à leur tour. Le Victoria se trouvait équilibré, et sa force ascensionnelle était impuissante à l’enlever.

D’ailleurs, il ne fallut pas employer une grande quantité de ces pierres, car les blocs ramassés par Joe étaient d’une pesanteur extrême, ce qui éveilla un instant l’attention de Fergusson. Le sol était parsemé de quartz et de roches porphyriteuses.

«Voilà une singulière découverte», se dit mentalement le docteur.

Pendant ce temps, Kennedy et Joe allèrent à quelques pas choisir un emplacement pour la fosse. Il faisait une chaleur extrême dans ce ravin encaissé comme une sorte de fournaise. Le soleil de midi y versait d’aplomb ses rayons brûlants.

Il fallut d’abord déblayer le terrain des fragments de roc qui l’encombraient ; puis une fosse fut creusée assez profondément pour que les animaux féroces ne pussent déterrer le cadavre.

Le corps du martyr y fut déposé avec respect.

La terre retomba sur ces dépouilles mortelles, et au-dessus de gros fragments de roches furent disposés comme un tombeau.

Le docteur cependant demeurait immobile et perdu dans ses réflexions. Il n’entendait pas l’appel de ses compagnons, il ne revenait pas avec eux chercher un abri contre la chaleur du jour.

«À quoi penses-tu donc, Samuel ? lui demanda Kennedy.

L’ensevelissement du missionnaire.

– À un contraste bizarre de la nature, à un singulier effet du hasard. Savez-vous dans quelle terre cet homme d’abnégation, ce pauvre de cœur a été enseveli ?

– Que veux-tu dire, Samuel ? demanda l’Écossais.

– Ce prêtre, qui avait fait vœu de pauvreté, repose maintenant dans une mine d’or!

– Une mine d’or! s’écrièrent Kennedy et Joe.

– Une mine d’or, répondit tranquillement le docteur. Ces blocs que vous foulez aux pieds comme des pierres sans valeur sont du minerai d’une grande pureté.

– Impossible! impossible! répéta Joe.

– Vous ne chercheriez pas longtemps dans ces fissures de schiste ardoisé sans rencontrer des pépites importantes.»

Joe se précipita comme un fou sur ces fragments épars. Kennedy n’était pas loin de l’imiter.

«Calme-toi, mon brave Joe, lui dit son maître.

– Monsieur, vous en parlez à votre aise.

– Comment! un philosophe de ta trempe…

– Eh! monsieur, il n’y a pas de philosophie qui tienne.

– Voyons! réfléchis un peu. À quoi nous servirait toute cette richesse ? nous ne pouvons pas l’emporter.

– Nous ne pouvons pas l’emporter! par exemple!

– C’est un peu lourd pour notre nacelle! J’hésitais même à te faire part de cette découverte, dans la crainte d’exciter tes regrets.

– Comment! dit Joe, abandonner ces trésors! Une fortune à nous! bien à nous! la laisser!

– Prends garde, mon ami. Est-ce que la fièvre de l’or te prendrait ? est-ce que ce mort, que tu viens d’ensevelir, ne t’a pas enseigné la vanité des choses humaines ?

– Tout cela est vrai, répondit Joe ; mais enfin, de l’or! Monsieur Kennedy, est-ce que vous ne m’aiderez pas à ramasser un peu de ces millions ?

– Qu’en ferions-nous, mon pauvre Joe ? dit le chasseur qui ne put s’empêcher de sourire. Nous ne sommes pas venus ici chercher la fortune, et nous ne devons pas la rapporter.

– C’est un peu lourd, les millions, reprit le docteur, et cela ne se met pas aisément dans la poche.

– Mais enfin, répondit Joe, poussé dans ses derniers retranchements, ne peut-on, au lieu de sable, emporter ce minerai pour lest ?

– Eh bien! j’y consens, dit Fergusson ; mais tu ne feras pas trop la grimace, quand nous jetterons quelques milliers de livres par-dessus le bord.

– Des milliers de livres! reprenait Joe, est-il possible que tout cela soit de l’or!

– Oui, mon ami ; c’est un réservoir où la nature a entassé ses trésors depuis des siècles ; il y a là de quoi enrichir des pays tout entiers! Une Australie et une Californie réunies au fond d’un désert!

– Et tout cela demeurera inutile!

– Peut-être! En tout cas, voici ce que je ferai pour te consoler.

– Ce sera difficile, répliqua Joe d’un air contrit.

– Écoute. Je vais prendre la situation exacte de ce placer, je te la donnerai, et, à ton retour en Angleterre, tu en feras part à tes concitoyens, si tu crois que tant d’or puisse faire leur bonheur.

– Allons, mon maître, je vois bien que vous avez raison ; je me résigne, puisqu’il n’y a pas moyen de faire autrement. Emplissons notre nacelle de ce précieux minerai. Ce qui restera à la fin du voyage sera toujours autant de gagné.»

Et Joe se mit à l’ouvrage ; il y allait de bon cœur ; il eut bientôt entassé près de mille livres de fragments de quartz, dans lequel l’or se trouve renfermé comme dans une gangue d’une grande dureté.

Le docteur le regardait faire en souriant ; pendant ce travail, il prit ses hauteurs, trouva pour le gisement de la tombe du missionnaire 22° 23’de longitude, et 4° 55’de latitude septentrionale.

Puis, jetant un dernier regard sur ce renflement du sol sous lequel reposait le corps du pauvre Français, il revint vers la nacelle.

Il eût voulu dresser une croix modeste et grossière sur ce tombeau abandonné au milieu des déserts de l’Afrique ; mais pas un arbre ne croissait aux environs.

«Dieu le reconnaîtra», dit-il.

Une préoccupation assez sérieuse se glissait aussi dans l’esprit de Fergusson ; il aurait donné beaucoup de cet or pour trouver un peu d’eau ; il voulait remplacer celle qu’il avait jetée avec la caisse pendant l’enlèvement du Nègre, mais c’était chose impossible dans ces terrains arides ; cela ne laissait pas de l’inquiéter ; obligé d’alimenter sans cesse son chalumeau, il commençait à se trouver à court pour les besoins de la soif ; il se promit donc de ne négliger aucune occasion de renouveler sa réserve.

De retour à la nacelle, il la trouva encombrée par les pierres de l’avide Joe ; il y monta sans rien dire, Kennedy prit sa place habituelle, et Joe les suivit tous deux, non sans jeter un regard de convoitise sur les trésors du ravin.

Le docteur alluma son chalumeau ; le serpentin s’échauffa, le courant d’hydrogène se fit au bout de quelques minutes, le gaz se dilata, mais le ballon ne bougea pas.

Joe le regardait faire avec inquiétude et ne disait mot.

«Joe», fit le docteur.

Joe ne répondit pas.

«Joe, m’entends-tu ?»

Joe fit signe qu’il entendait, mais qu’il ne voulait pas comprendre.

«Tu vas me faire le plaisir, reprit Fergusson, de jeter une certaine quantité de ce minerai à terre.

– Mais, monsieur, vous m’avez permis…

– Je t’ai permis de remplacer le lest, voilà tout.

– Cependant…

– Veux-tu donc que nous restions éternellement dans ce désert!»

Joe jeta un regard désespéré vers Kennedy ; mais le chasseur prit l’air d’un homme qui n’y pouvait rien.

«Eh bien, Joe ?

– Votre chalumeau ne fonctionne donc pas ? reprit l’entêté.

– Mon chalumeau est allumé, tu le vois bien! mais le ballon ne s’enlèvera que lorsque tu l’auras délesté un peu.»

Joe se gratta l’oreille, prit un fragment de quartz, le plus petit de tous, le pesa, le repesa, le fit sauter dans ses mains ; c’était un poids de trois ou quatre livres ; il le jeta.

Le Victoria ne bougea pas.

«Hein! fit-il, nous ne montons pas encore.

– Pas encore, répondit le docteur. Continue.»

Kennedy riait. Joe jeta encore une dizaine de livres. Le ballon demeurait toujours immobile. Joe pâlit.

«Mon pauvre garçon, dit Fergusson, Dick, toi et moi, nous pesons, si je ne me trompe, environ quatre cents livres ; il faut donc te débarrasser d’un poids au moins égal au nôtre, puisqu’il nous remplaçait.

– Quatre cents livres à jeter! s’écria Joe piteusement.

– Et quelque chose avec pour nous enlever. Allons, courage!»

Le digne garçon, poussant de profonds soupirs, se mit à délester le ballon. De temps en temps il s’arrêtait :

«Nous montons! disait-il.

– Nous ne montons pas, lui était-il invariablement répondu.

– Il remue, dit-il enfin.

– Va encore, répétait Fergusson.

– Il monte! j’en suis sûr.

– Va toujours», répliquait Kennedy.

Alors Joe, prenant un dernier bloc avec désespoir, le précipita en dehors de la nacelle. Le Victoria s’éleva d’une centaine de pieds, et, le chalumeau aidant, il dépassa bientôt les cimes environnantes.

«Maintenant, Joe, dit le docteur, il te reste encore une jolie fortune, si nous parvenons à garder cette provision jusqu’à la fin du voyage, et tu seras riche pour le reste de tes jours.»

Joe ne répondit rien et s’étendit moelleusement sur son lit de minerai.

«Vois, mon cher Dick, reprit le docteur, ce que peut la puissance de ce métal sur le meilleur garçon du monde. Que de passions, que d’avidités, que de crimes enfanterait la connaissance d’une pareille mine! Cela est attristant.»

Au soir, le Victoria s’était avancé de quatre-vingt-dix milles dans l’ouest ; il se trouvait alors en droite ligne à quatorze cents milles de Zanzibar.

XXIV. Le vent tombe. – Les approches du désert.

Le vent tombe. – Les approches du désert. – Le décompte de la provision d’eau. – Les nuits de l’équateur. – Inquiétudes de Samuel Fergusson. – La situation telle qu’elle est. – Énergiques réponses de Kennedy et de Joe. – Encore une nuit.


Le Victoria, accroché à un arbre solitaire et presque desséché, passa la nuit dans une tranquillité parfaite ; les voyageurs purent goûter un peu de ce sommeil dont ils avaient si grand besoin ; les émotions des journées précédentes leur avaient laissé de tristes souvenirs.

Vers le matin, le ciel reprit sa limpidité brillante et sa chaleur. Le ballon s’éleva dans les airs ; après plusieurs essais infructueux, il rencontra un courant, peu rapide d’ailleurs, qui le porta vers le nord-ouest.

«Nous n’avançons plus, dit le docteur ; si je ne me trompe, nous avons accompli la moitié de notre voyage à peu près en dix jours ; mais, au train dont nous marchons, il nous faudra des mois pour le terminer. Cela est d’autant plus fâcheux que nous sommes menacés de manquer d’eau.

– Mais nous en trouverons, répondit Dick ; il est impossible de ne pas rencontrer quelque rivière, quelque ruisseau, quelque étang, dans cette vaste étendue de pays.

– Je le désire.

– Ne serait-ce pas le chargement de Joe qui retarderait notre marche ?»

Kennedy parlait ainsi pour taquiner le brave garçon ; il le faisait d’autant plus volontiers, qu’il avait un instant éprouvé les hallucinations de Joe ; mais, n’en ayant rien fait paraître, il se posait en esprit fort ; le tout en riant, du reste.

Joe lui lança un coup d’œil piteux. Mais le docteur ne répondit pas. Il songeait, non sans de secrètes terreurs, aux vastes solitudes du Sahara ; là, des semaines se passant sans que les caravanes rencontrent un puits où se désaltérer. Aussi surveillait-il avec la plus soigneuse attention les moindres dépressions du sol.

Ces précautions et les derniers incidents avaient sensiblement modifié la disposition d’esprit des trois voyageurs ; ils parlaient moins ; ils s’absorbaient davantage dans leurs propres pensées.

Le digne Joe n’était plus le même depuis que ses regards avaient plongé dans cet océan d’or ; il se taisait ; il considérait avec avidité ces pierres entassées dans la nacelle sans valeur aujourd’hui, inestimables demain.

L’aspect de cette partie de l’Afrique était inquiétant d’ailleurs. Le désert se faisait peu à peu. Plus un village, pas même une réunion de quelques huttes. La végétation se retirait. À peine quelques plantes rabougries comme dans les terrains bruyéreux de l’Écosse, un commencement de sables blanchâtres et des pierres de feu, quelques lentisques et des buissons épineux. Au milieu de cette stérilité, la carcasse rudimentaire du globe apparaissant en arêtes de roches vives et tranchantes. Ces symptômes d’aridité donnaient à penser au docteur Fergusson.

Le commencement du désert.

Il ne semblait pas qu’une caravane eût jamais affronté cette contrée déserte ; elle aurait laissé des traces visibles de campement, les ossements blanchis de ses hommes ou de ses bêtes. Mais rien. Et l’on sentait que bientôt une immensité de sable s’emparerait de cette région désolée.

Cependant on ne pouvait reculer ; il fallait aller en avant ; le docteur ne demandait pas mieux ; il eut souhaité une tempête pour l’entraîner au-delà de ce pays. Et pas un nuage au ciel! À la fin de cette journée, le Victoria n’avait pas franchi trente milles.

Si l’eau n’eut pas manqué! Mais il en restait en tout trois gallons44! Fergusson mit de côté un gallon destiné à étancher la soif ardente qu’une chaleur de quatre-vingt-dix degrés45 rendait intolérable ; deux gallons restaient donc pour alimenter le chalumeau ; ils ne pouvaient produire que quatre cent quatre-vingts pieds cubes de gaz ; or le chalumeau en dépensait neuf pieds cubes par heure environ ; on ne pouvait donc plus marcher que pendant cinquante-quatre heures. Tout cela était rigoureusement mathématique.

«Cinquante-quatre heures! dit-il à ses compagnons. Or, comme je suis bien décidé à ne pas voyager la nuit, de peur de manquer un ruisseau, une source, une mare, c’est trois jours et demi de voyage qu’il nous reste, et pendant lesquels il faut trouver de l’eau à tout prix. J’ai cru devoir vous prévenir de cette situation grave, mes amis, car je ne réserve qu’un seul gallon pour notre soif, et nous devrons nous mettre à une ration sévère.

– Rationne-nous, répondit le chasseur ; mais il n’est pas encore temps de se désespérer ; nous avons trois jours devant nous, dis-tu ?

– Oui, mon cher Dick.

– Eh bien! comme nos regrets ne sauraient qu’y faire, dans trois jours il sera temps de prendre un parti ; jusque-là redoublons de vigilance.»

Au repas du soir, l’eau fut donc strictement mesurée ; la quantité d’eau-de-vie s’accrut dans les grogs ; mais il fallait se défier de cette liqueur plus propre à altérer qu’à rafraîchir.

La nacelle reposa pendant la nuit sur un immense plateau qui présentait une forte dépression. Sa hauteur était à peine de huit cents pieds au-dessus du niveau de la mer. Cette circonstance rendit quelque espoir au docteur ; elle lui rappela les présomptions des géographes sur l’existence d’une vaste étendue d’eau au centre de l’Afrique. Mais, si ce lac existait, il y fallait parvenir ; or, pas un changement ne se faisait dans le ciel immobile.

À la nuit paisible, à sa magnificence étoilée, succédèrent le jour immuable et les rayons ardents du soleil ; dès ses premières lueurs, la température devenait brûlante. À cinq heures du matin, le docteur donna le signal du départ, et pendant un temps assez long le Victoria demeura sans mouvement dans une atmosphère de plomb.

Le docteur aurait pu échapper à cette chaleur intense en s’élevant dans des zones supérieures ; mais il fallait dépenser une plus grande quantité d’eau, chose impossible alors. Il se contenta donc de maintenir son aérostat à cent pieds du sol ; là, un courant faible le poussait vers l’horizon occidental.

Le déjeuner se composa d’un peu de viande séchée et de pemmican. Vers midi, le Victoria avait à peine fait quelques milles.

«Nous ne pouvons aller plus vite, dit le docteur. Nous ne commandons pas, nous obéissons.

– Ah! mon cher Samuel, dit le chasseur, voilà une de ces occasions où un propulseur ne serait pas à dédaigner.

– Sans doute, Dick, en admettant toutefois qu’il ne dépensât pas d’eau pour se mettre en mouvement, car alors la situation serait exactement la même ; jusqu’ici, d’ailleurs, on n’a rien inventé qui fût praticable. Les ballons en sont encore au point où se trouvaient les navires avant l’invention de la vapeur. On a mis six mille ans à imaginer les aubes et les hélices ; nous avons donc le temps d’attendre.

– Maudite chaleur! fit Joe en essuyant son front ruisselant.

– Si nous avions de l’eau, cette chaleur nous rendrait quelque service, car elle dilate l’hydrogène de l’aérostat et nécessite une flamme moins forte dans le serpentin. Il est vrai que si nous n’étions pas à bout de liquide, nous n’aurions pas à l’économiser. Ah! maudit sauvage qui nous a coûté cette précieuse caisse!

– Tu ne regrettes pas ce que tu as fait, Samuel ?

– Non, Dick, puisque nous avons pu soustraire cet infortuné à une mort horrible. Mais les cent livres d’eau que nous avons jetées nous seraient bien utiles ; c’étaient encore douze ou treize jours de marche assurés, et de quoi traverser certainement ce désert.

– Nous avons fait au moins la moitié du voyage ? demanda Joe.

– Comme distance, oui ; comme durée, non, si le vent nous abandonne. Or il a une tendance à diminuer tout à fait.

– Allons, monsieur, reprit Joe, il ne faut pas nous plaindre ; nous nous en sommes assez bien tirés jusqu’ici, et, quoi que je fasse, il m’est impossible de me désespérer. Nous trouverons de l’eau, c’est moi qui vous le dis.»

Le sol, cependant, se déprimait de mille en mille ; les ondulations des montagnes aurifères venaient mourir sur la plaine ; c’étaient les derniers ressauts d’une nature épuisée. Les herbes éparses remplaçaient les beaux arbres de l’est ; quelques bandes d’une verdure altérée luttaient encore contre l’envahissement des sables ; les grandes roches tombées des sommets lointains, écrasées dans leur chute, s’éparpillaient en cailloux aigus, qui bientôt se feraient sable grossier, puis poussière impalpable.

«Voici l’Afrique, telle que tu te la représentais, Joe ; j’avais raison de te dire : Prends patience!

– Eh bien, monsieur, répliqua Joe, voilà qui est naturel, au moins! de la chaleur et du sable! il serait absurde de rechercher autre chose dans un pareil pays. Voyez-vous, ajouta-t-il en riant, moi je n’avais pas confiance dans vos forêts et vos prairies ; c’est un contresens! ce n’est pas la peine de venir si loin pour rencontrer la campagne d’Angleterre. Voici la première fois que je me crois en Afrique, et je ne suis pas fâché d’en goûter un peu.»

Vers le soir, le docteur constata que le Victoria n’avait pas gagné vingt milles pendant cette journée brûlante. Une obscurité chaude l’enveloppa dès que le soleil eut disparu derrière un horizon tracé avec la netteté d’une ligne droite.

Le lendemain était le 1er mai, un jeudi ; mais les jours se succédaient avec une monotonie désespérante ; le matin valait le matin qui l’avait précédé ; midi jetait à profusion ses mêmes rayons toujours inépuisables, et la nuit condensait dans son ombre cette chaleur éparse que le jour suivant devait léguer encore à la nuit suivante. Le vent, à peine sensible, devenait plutôt une expiration qu’un souffle, et l’on pouvait pressentir le moment où cette haleine s’éteindrait elle-même.

Le docteur réagissait contre la tristesse de cette situation ; il conservait le calme et le sang-froid d’un cœur aguerri. Sa lunette à la main, il interrogeait tous les points de l’horizon ; il voyait décroître insensiblement les dernières collines et s’effacer la dernière végétation ; devant lui s’étendait toute l’immensité du désert.

Le soleil disparaît derrière l’horizon.

La responsabilité qui pesait sur lui l’affectait beaucoup, bien qu’il n’en laissât rien paraître. Ces deux hommes, Dick et Joe, deux amis tous les deux, il les avait entraînés au loin, presque par la force de l’amitié ou du devoir. Avait-il bien agit ? N’était-ce pas tenter les voies défendues ? N’essayait-il pas dans ce voyage de franchir les limites de l’impossible ? Dieu n’avait-il pas réservé à des siècles plus reculés la connaissance de ce continent ingrat!

Toutes ces pensées, comme il arrive aux heures de découragement, se multiplièrent dans sa tête, et, par une irrésistible association d’idées, Samuel s’emportait au-delà de la logique et du raisonnement. Après avoir constaté ce qu’il n’eût pas dû faire, il se demandait ce qu’il fallait faire alors. Serait-il impossible de retourner sur ses pas ? N’existait-il pas des courants supérieurs qui le repousseraient vers des contrées moins arides. Sûr du pays passé, il ignorait le pays à venir ; aussi, sa conscience parlant haut, il résolut de s’expliquer franchement avec ses deux compagnons ; il leur exposa nettement la situation ; il leur montra ce qui avait été fait et ce qui restait à faire ; à la rigueur on pouvait revenir, le tenter du moins ; quelle était leur opinion ?

«Je n’ai d’autre opinion que celle de mon maître, répondit Joe. Ce qu’il souffrira, je puis le souffrir, et mieux que lui. Où il ira, j’irai.

– Et toi, Kennedy!

– Moi, mon cher Samuel, je ne suis pas homme à me désespérer ; personne n’ignorait moins que moi les périls de l’entreprise ; mais je n’ai plus voulu les voir du moment que tu les affrontais. Je suis donc à toi corps et âme. Dans la situation présente, mon avis est que nous devons persévérer, aller jusqu’au bout. Les dangers, d’ailleurs, me paraissent aussi grands pour revenir. Ainsi donc, en avant, tu peux compter sur nous.

– Merci, mes dignes amis, répondit le docteur véritablement ému. Je m’attendais à tant de dévouement ; mais il me fallait ces encourageantes paroles. Encore une fois, merci.»

Et ces trois hommes se serrèrent la main avec effusion.

«Écoutez-moi, reprit Fergusson. D’après mes relèvements, nous ne sommes pas à plus de trois cents milles du golfe de Guinée ; le désert ne peut donc s’étendre indéfiniment, puisque la côte est habitée et reconnue jusqu’à une certaine profondeur dans les terres. S’il le faut, nous nous dirigerons vers cette côte, et il est impossible que nous ne rencontrions pas quelque oasis, quelque puits où renouveler notre provision d’eau.

«Mais ce qui nous manque, c’est le vent, et, sans lui, nous sommes retenus en calme plat au milieu des airs.

– Attendons avec résignation», dit le chasseur.

Mais chacun à son tour interrogea vainement l’espace pendant cette interminable journée ; rien n’apparut qui pût faire naître une espérance. Les derniers mouvements du sol disparurent au soleil couchant, dont les rayons horizontaux s’allongèrent en longues lignes de feu sur cette plate immensité. C’était le désert.

Les voyageurs n’avaient pas franchi une distance de quinze milles, ayant dépensé, ainsi que le jour précédent, cent trente pieds cube de gaz pour alimenter le chalumeau, et deux pintes d’eau sur huit durent être sacrifiées à l’étanchement d’une soif ardente.

La nuit se passa tranquille, trop tranquille! Le docteur ne dormit pas.

44.Treize litres et demi environ.
45.50° centigrades.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
310 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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