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Kitabı oku: «Cinq semaines en ballon», sayfa 13

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XXIX. Symptômes de végétation. – Idée fantaisiste d’un auteur français.

Symptômes de végétation. – Idée fantaisiste d’un auteur français. – Pays magnifique. – Royaume d’Adamova. – Les explorations de Speke et Burton reliées à celles de Barth. – Les monts Atlantika. – Le fleuve Benoué. – La ville d’Yola. – Le Bagelé. – Le mont Mendif.


Depuis le moment de leur départ, les voyageurs marchèrent avec une grande rapidité ; il leur tardait de quitter ce désert qui avait failli leur être si funeste.

Vers neuf heures un quart du matin, quelques symptômes de végétation furent entrevus, herbes flottant sur cette mer de sable, et leur annonçant, comme à Christophe Colomb, la proximité de la terre ; des pousses vertes pointaient timidement entre des cailloux qui allaient eux-mêmes redevenir les rochers de cet Océan.

Des collines encore peu élevées ondulaient à l’horizon ; leur profil, estompé par la brume, se dessinait vaguement ; la monotonie disparaissait. Le docteur saluait avec joie cette contrée nouvelle, et, comme un marin en vigie, il était sur le point de s’écrier :

«Terre! terre!»

Une heure plus tard, le continent s’étalait sous ses yeux, d’un aspect encore sauvage, mais moins plat, moins nu, quelques arbres se profilaient sur le ciel gris.

«Nous sommes donc en pays civilisé ? dit le chasseur.

– Civilisé, monsieur Dick ? c’est une manière de parler ; on ne voit pas encore d’habitants.

– Ce ne sera pas long, répondit Fergusson, au train dont nous marchons.

– Est-ce que nous sommes toujours dans le pays des Nègres, monsieur Samuel ?

– Toujours, Joe, en attendant le pays des Arabes.

– Des Arabes, monsieur, de vrais Arabes, avec leurs chameaux ?

– Non, sans chameaux ; ces animaux sont rares, pour ne pas dire inconnus dans ces contrées ; il faut remonter quelques degrés au nord pour les rencontrer.

– C’est fâcheux.

– Et pourquoi, Joe ?

– Parce que, si le vent devenait contraire, ils pourraient nous servir.

– Comment ?

– Monsieur, c’est une idée qui me vient : on pourrait les atteler à la nacelle et se faire remorquer par eux. Qu’en dites-vous ?

– Mon pauvre Joe, cette idée, un autre l’a eue avant toi ; elle a été exploitée par un très spirituel auteur français51… dans un roman, il est vrai. Des voyageurs se font traîner en ballon par des chameaux ; arrive un lion qui dévore les chameaux, avale la remorque, et traîne à leur place ; ainsi de suite. Tu vois que tout ceci est de la haute fantaisie, et n’a rien de commun avec notre genre de locomotion.

Joe, un peu humilié à la pensée que son idée avait déjà servi, chercha quel animal aurait pu dévorer le lion ; mais il ne trouva pas et se remit à examiner le pays.

Un lac d’une moyenne étendue s’étendait sous ses regards, avec un amphithéâtre de collines qui n’avaient pas encore le droit de s’appeler des montagnes ; là, serpentaient des vallées nombreuses et fécondes, et leurs inextricables fouillis d’arbres les plus variés ; l’élaïs dominait cette masse, portant des feuilles de quinze pieds de longueur sur sa tige hérissée d’épines aiguës ; le bombax chargeait le vent à son passage du fin duvet de ses semences ; les parfums actifs du pendanus, ce «kenda» des Arabes, embaumaient les airs jusqu’à la zone que traversait le Victoria ; le papayer aux feuilles palmées, le sterculier qui produit la noix du Soudan, le baobab et les bananiers complétaient cette flore luxuriante des régions intertropicales.

«Le pays est superbe, dit le docteur.

– Voici les animaux, fit Joe ; les hommes ne sont pas loin.

– Ah! les magnifiques éléphants! s’écria Kennedy. Est-ce qu’il n’y aurait pas moyen de chasser un peu ?

– Et comment nous arrêter, mon cher Dick, avec un courant de cette violence ? Non, goûte un peu le supplice de Tantale! Tu te dédommageras plus tard.»

Il y avait de quoi, en effet, exciter l’imagination d’un chasseur ; le cœur de Dick bondissait dans sa poitrine, et ses doigts se crispaient sur la crosse de son Purdey.

La faune de ce pays en valait la flore. Le bœuf sauvage se vautrait dans une herbe épaisse sous laquelle il disparaissait tout entier ; des éléphants gris, noirs ou jaunes, de la plus grande taille, passaient comme une trombe au milieu des forêts, brisant, rongeant, saccageant, marquant leur passage par une dévastation ; sur le versant boisé des collines suintaient des cascades et des cours d’eau entraînés vers le nord ; là, les hippopotames se baignaient à grand bruit, et des lamantins de douze pieds de long, au corps pisciforme, s’étalaient sur les rives, en dressant vers le ciel leurs rondes mamelles gonflées de lait.

C’était toute une ménagerie rare dans une serre merveilleuse, où des oiseaux sans nombre et de mille couleurs chatoyaient à travers les plantes arborescentes.

À cette prodigalité de la nature, le docteur reconnut le superbe royaume d’Adamova.

«Nous empiétons, dit-il, sur les découvertes modernes ; j’ai repris la piste interrompue des voyageurs ; c’est une heureuse fatalité, mes amis ; nous allons pouvoir rattacher les travaux des capitaines Burton et Speke aux explorations du docteur Barth ; nous avons quitté des Anglais pour retrouver un Hambourgeois, et bientôt nous arriverons au point extrême atteint par ce savant audacieux.

– Il me semble, dit Kennedy, qu’entre ces deux explorations, il y a une vaste étendue de pays, si j’en juge par le chemin que nous avons fait.

– C’est facile à calculer ; prends la carte et vois quelle est la longitude de la pointe méridionale du lac Ukéréoué atteinte par Speke.

– Elle se trouve à peu près sur le trente-septième degré.

– Et la ville d’Yola, que nous relèverons ce soir, et à laquelle Barth parvint, comment est-elle située ?

– Sur le douzième degré de longitude environ.

– Cela fait donc vingt-cinq degrés ; à soixante milles chaque, soit quinze cents milles52.

– Un joli bout de promenade, fit Joe, pour les gens qui iraient à pied.

– Cela se fera cependant. Livingstone et Moffat montent toujours vers l’intérieur ; le Nyassa, qu’ils ont découvert, n’est pas très éloigné du lac Tanganayka, reconnu par Burton ; avant la fin du siècle, ces contrées immenses seront certainement explorées. Mais, ajouta le docteur en consultant sa boussole, je regrette que le vent nous porte tant à l’ouest ; j’aurais voulu remonter au nord.»

Après douze heures de marche, le Victoria se trouva sur les confins de la Nigritie. Les premiers habitants de cette terre, des Arabes Chouas, paissaient leurs troupeaux nomades. Les vastes sommets des monts Atlantika passaient par-dessus l’horizon, montagnes que nul pied européen n’a encore foulées, et dont l’altitude est estimée à treize cents toises environ. Leur pente occidentale détermine l’écoulement de toutes les eaux de cette partie de l’Afrique vers l’Océan ; ce sont les montagnes de la Lune de cette région.

Enfin, un vrai fleuve apparut aux yeux des voyageurs, et, aux immenses fourmilières qui l’avoisinaient, le docteur reconnut le Bénoué, l’un des grands affluents du Niger, celui que les Indigènes ont nommé la «Source des eaux».

«Ce fleuve, dit le docteur à ses compagnons, deviendra un jour la voie naturelle de communication avec l’intérieur de la Nigritie ; sous le commandement de l’un de nos braves capitaines, le steamboat La Pléiade l’a déjà remonté jusqu’à la ville d’Yola ; vous voyez que nous sommes en pays de connaissance.»

De nombreux esclaves s’occupaient des champs, cultivant le sorgho, sorte de millet qui forme la base de leur alimentation ; les plus stupides étonnements se succédaient au passage du Victoria, qui filait comme un météore. Le soir, il s’arrêtait à quarante milles d’Yola, et devant lui, mais au loin, se dressaient les deux cônes aigus du mont Mendif.

Le docteur fit jeter les ancres, et s’accrocha au sommet d’un arbre élevé ; mais un vent très dur ballottait le Victoria jusqu’à le coucher horizontalement, et rendait parfois la position de la nacelle extrêmement dangereuse. Fergusson ne ferma pas l’œil de la nuit, souvent il fut sur le point de couper le câble d’attache et de fuir devant la tourmente. Enfin la tempête se calma, et les oscillations de l’aérostat n’eurent plus rien d’inquiétant.

Le lendemain, le vent se montra plus modéré, mais il éloignait les voyageurs de la ville d’Yola, qui, nouvellement reconstruite par les Foullannes, excitait la curiosité de Fergusson ; néanmoins il fallut se résigner à s’élever dans le nord, et même un peu dans l’est.

Kennedy proposa de faire une halte dans ce pays de chasse ; Joe prétendait que le besoin de viande fraîche se faisait sentir ; mais les mœurs sauvages de ce pays, l’attitude de la population, quelques coups de fusil tirés dans la direction du Victoria, engagèrent le docteur à continuer son voyage. On traversait alors une contrée, théâtre de massacres et d’incendies, où les luttes guerrières sont incessantes, et dans lesquelles les sultans jouent leur royaume au milieu des plus atroces carnages.

Des villages nombreux, populeux, à longues cases, s’étendaient entre les grands pâturages, dont l’herbe épaisse était semée de fleurs violettes ; les huttes, semblables à de vastes ruches, s’abritaient derrière des palissades hérissées. Les versants sauvages des collines rappelaient les «glen» des hautes terres d’Écosse, et Kennedy en fit plusieurs fois la remarque.

En dépit de ses efforts, le docteur portait en plein dans le nord-est, vers le mont Mendif, qui disparaissait au milieu des nuages ; les hauts sommets de ces montagnes séparent le bassin du Niger du bassin du lac Tchad.

Bientôt apparut le Bagelé, avec ses dix-huit villages accrochés à ses flancs, comme toute une nichée d’enfants au sein de leur mère, magnifique spectacle pour des regards qui dominaient et saisissaient cet ensemble ; les ravins se montraient couverts de champs de riz et d’arachides.

Le cratère du mont Mendif.

À trois heures, le Victoria se trouvait en face du mont Mendif. On n’avait pu l’éviter, il fallut le franchir. Le docteur, au moyen d’une température qu’il accrut de cent quatre-vingts degrés53, donna au ballon une nouvelle force ascensionnelle de près de seize cents livres ; il s’éleva à plus de huit mille pieds. Ce fut la plus grande élévation obtenue pendant le voyage, et la température s’abaissa tellement que le docteur et ses compagnons durent recourir à leurs couvertures.

Fergusson eut hâte de descendre, car l’enveloppe de l’aérostat se tendait à rompre ; il eut le temps de constater cependant l’origine volcanique de la montagne, dont les cratères éteints ne sont plus que de profonds abîmes. De grandes agglomérations de fientes d’oiseaux donnaient aux flancs du Mendif l’apparence de roches calcaires, et il y avait là de quoi fumer les terres de tout le Royaume-Uni.

À cinq heures, le Victoria, abrité des vents du sud, longeait doucement les pentes de la montagne, et s’arrêtait dans une vaste clairière éloignée de toute habitation ; dès qu’il eut touché le sol, les précautions furent prises pour l’y retenir fortement, et Kennedy, son fusil à la main, s’élança dans la plaine inclinée ; il ne tarda pas à revenir avec une demi-douzaine de canards sauvages et une sorte de bécassine, que Joe accommoda de son mieux. Le repas fut agréable, et la nuit se passa dans un repos profond.

XXX. Mosfeia. – Le cheik. – Denham, Clapperton, Oudney.

Mosfeia. – Le cheik. – Denham, Clapperton, Oudney. – Vogel. – La capitale du Loggoum. – Toole. – Calme au-dessus du Kernak. – Le gouverneur et sa cour. – L’attaque. – Les pigeons incendiaires.


Le lendemain, 1er mai, le Victoria reprit sa course aventureuse ; les voyageurs avaient en lui la confiance d’un marin pour son navire.

D’ouragans terribles, de chaleurs tropicales, de départs dangereux, de descentes plus dangereuses encore, il s’était partout et toujours tiré avec bonheur. On peut dire que Fergusson le guidait d’un geste ; aussi, sans connaître le point d’arrivée, le docteur n’avait plus de craintes sur l’issue du voyage. Seulement, dans ce pays de barbares et de fanatiques, la prudence l’obligeait à prendre les plus sévères précautions ; il recommanda donc à ses compagnons d’avoir l’œil ouvert à tout venant et à toute heure.

Le vent les ramenait un peu plus au nord, et vers neuf heures, ils entrevirent la grande ville de Mosfeia, bâtie sur une éminence encaissée elle-même entre deux hautes montagnes ; elle était située dans une position inexpugnable ; une route étroite entre un marais et un bois y donnait seule accès.

En ce moment, un cheik, accompagné d’une escorte à cheval, revêtu de vêtements aux couleurs vives, précédé de joueurs de trompette et de coureurs qui écartaient les branches sur son passage, faisait son entrée dans la ville.

L’Afrique centrale 1.

L’Afrique centrale 2.

Le docteur descendit, afin de contempler ces indigènes de plus près ; mais, à mesure que le ballon grossissait à leurs yeux, les signes d’une profonde terreur se manifestèrent, et ils ne tardèrent pas à détaler de toute la vitesse de leurs jambes ou de celles de leurs chevaux.

Seul, le cheik ne bougea pas ; il prit son long mousquet, l’arma et attendit fièrement. Le docteur s’approcha à cent cinquante pieds à peine, et, de sa plus belle voix, il lui adressa le salut en arabe.

Mais, à ces paroles descendues du ciel, le cheik mit pied à terre, se prosterna sur la poussière du chemin, et le docteur ne put le distraire de son adoration.

«Il est impossible, dit-il, que ces gens-là ne nous prennent pas pour des êtres surnaturels, puisque, à l’arrivée des premiers Européens parmi eux, ils les crurent d’une race surhumaine. Et quand ce cheik parlera de cette rencontre, il ne manquera pas d’amplifier le fait avec toutes les ressources d’une imagination arabe. Jugez donc un peu de ce que les légendes feront de nous quelque jour.

– Ce sera peut-être fâcheux, répondit le chasseur ; au point de vue de la civilisation, il vaudrait mieux passer pour de simples hommes ; cela donnerait à ces Nègres une bien autre idée de la puissance européenne.

– D’accord, mon cher Dick ; mais que pouvons-nous y faire ? Tu expliquerais longuement aux savants du pays le mécanisme d’un aérostat, qu’ils ne sauraient te comprendre, et admettraient toujours là une intervention surnaturelle.

– Monsieur, demanda Joe, vous avez parlé des premiers Européens qui ont exploré ce pays ; quels sont-ils donc, s’il vous plaît ?

– Mon cher garçon, nous sommes précisément sur la route du major Denham ; c’est à Mosfeia même qu’il fut reçu par le sultan du Mandara ; il avait quitté le Bornou, il accompagnait le cheik dans une expédition contre les Fellatahs, il assista à l’attaque de la ville, qui résista bravement avec ses flèches aux balles arabes et mit en fuite les troupes du cheik ; tout cela n’était que prétexte à meurtres, à pillages, à razzias ; le major fut complètement dépouillé, mis à nu, et sans un cheval sous le ventre duquel il se glissa et qui lui permit de fuir les vainqueurs par son galop effréné, il ne fût jamais rentré dans Kouka, la capitale du Bornou.

– Mais quel était ce major Denham ?

– Un intrépide Anglais, qui de 1822 à 1824 commanda une expédition dans le Bornou en compagnie du capitaine Clapperton et du docteur Oudney. Ils partirent de Tripoli au mois de mars, parvinrent à Mourzouk, la capitale du Fezzan, et, suivant le chemin que plus tard devait prendre le docteur Barth pour revenir en Europe, ils arrivèrent le 16 février 1823 à Kouka, près du lac Tchad. Denham fit diverses explorations dans le Bornou, dans le Mandara, et aux rives orientales du lac ; pendant ce temps, le 15 décembre 1823, le capitaine Clapperton et le docteur Oudney s’enfonçaient dans le Soudan jusqu’à Sackatou, et Oudney mourait de fatigue et d’épuisement dans la ville de Murmur.

– Cette partie de l’Afrique, demanda Kennedy, a donc payé un large tribut de victimes à la science ?

– Oui, cette contrée est fatale! Nous marchons directement vers le royaume de Barghimi, que Vogel traversa en 1856 pour pénétrer dans le Wadaï, où il a disparu. Ce jeune homme, à vingt-trois ans, était envoyé pour coopérer aux travaux du docteur Barth ; ils se rencontrèrent tous deux le 1er décembre 1854 ; puis Vogel commença les explorations du pays ; vers 1856, il annonça dans ses dernières lettres son intention de reconnaître le royaume du Wadaï, dans lequel aucun Européen n’avait encore pénétré ; il paraît qu’il parvint jusqu’à Wara, la capitale, où il fut fait prisonnier suivant les uns, mis à mort suivant les autres, pour avoir tenté l’ascension d’une montagne sacrée des environs ; mais il ne faut pas admettre légèrement la mort des voyageurs, car cela dispense d’aller à leur recherche ; ainsi, que de fois la mort du docteur Barth n’a-t-elle pas été officiellement répandue, ce qui lui a causé souvent une légitime irritation! Il est donc fort possible que Vogel soit retenu prisonnier par le sultan du Wadaï, qui espère le rançonner. Le baron de Neimans se mettait en route pour le Wadaï, quand il mourut au Caire en 1855. Nous savons maintenant que M. de Heuglin, avec l’expédition envoyée de Leipzig, s’est lancé sur les traces de Vogel. Ainsi nous devrons être prochainement fixés sur le sort de ce jeune et intéressant voyageur54

Mosfeia avait depuis longtemps déjà disparu à l’horizon. Le Mandara développait sous les regards des voyageurs son étonnante fertilité avec les forêts d’acacias, de locustes aux fleurs rouges, et les plantes herbacées des champs de cotonniers et d’indigotiers ; le Shari, qui va se jeter quatre-vingts milles plus loin dans le Tchad, roulait son cours impétueux.

Le docteur le fit suivre à ses compagnons sur les cartes de Barth.

«Vous voyez, dit-il, que les travaux de ce savant sont d’une extrême précision ; nous nous dirigeons droit sur le district du Loggoum, et peut-être même sur Kernak, sa capitale. C’est là que mourut le pauvre Toole, à peine âgé de vingt-deux ans : c’était un jeune Anglais, enseigne au 80e régiment, qui avait depuis quelques semaines rejoint le major Denham en Afrique, et il ne tarda pas à y rencontrer la mort. Ah! l’on peut appeler justement cette immense contrée le cimetière des Européens!»

Quelques canots, longs de cinquante pieds, descendaient le cours du Shari ; le Victoria, à mille pieds de terre, attirait peu l’attention des indigènes ; mais le vent, qui jusque-là soufflait avec une certaine force, tendit à diminuer.

«Est-ce que nous allons encore être pris par un calme plat ? dit le docteur.

– Bon, mon maître! nous n’aurons toujours ni le manque d’eau ni le désert à craindre.

– Non, mais des populations plus redoutables encore.

– Voici, dit Joe, quelque chose qui ressemble à une ville.

– C’est Kernak. Les derniers souffles du vent nous y portent, et, si cela nous convient, nous pourrons en lever le plan exact.

– Ne nous rapprocherons-nous pas ? demanda Kennedy.

– Rien n’est plus facile, Dick ; nous sommes droit au-dessus de la ville ; permets-moi de tourner un peu le robinet du chalumeau, et nous ne tarderons pas à descendre.»

Le Victoria, une demi-heure après, se maintenait immobile à deux cents pieds du sol.

«Nous voici plus près de Kernak, dit le docteur, que ne le serait de Londres un homme juché dans la boule de Saint-Paul. Ainsi nous pouvons voir à notre aise.

– Quel est donc ce bruit de maillets que l’on entend de tous côtés ?»

Joe regarda attentivement, et vit que ce bruit était produit par les nombreux tisserands qui frappaient en plein air leurs toiles tendues sur de vastes troncs d’arbres.

La capitale du Loggoum se laissait saisir alors dans tout son ensemble, comme sur un plan déroulé ; c’était une véritable ville, avec des maisons alignées et des rues assez larges ; au milieu d’une vaste place se tenait un marché d’esclaves ; il y avait grande affluence de chalands, car les mandaraines, aux pieds et aux mains d’une extrême petitesse, sont fort recherchées et se placent avantageusement.

À la vue du Victoria, l’effet si souvent produit se reproduisit encore : d’abord des cris, puis une stupéfaction profonde ; les affaires furent abandonnées, les travaux suspendus, le bruit cessa. Les voyageurs demeuraient dans une immobilité parfaite et ne perdaient pas un détail de cette populeuse cité ; ils descendirent même à soixante pieds du sol.

Alors le gouverneur de Loggoum sortit de sa demeure, déployant son étendard vert, et accompagné de ses musiciens qui soufflaient à tout rompre, excepté leurs poumons, dans de rauques cornes de buffle. La foule se rassembla autour de lui. Le docteur Fergusson voulut se faire entendre ; il ne put y parvenir.

Cette population au front haut, aux cheveux bouclés, au nez presque aquilin, paraissait fière et intelligente ; mais la présence du Victoria la troublait singulièrement ; on voyait des cavaliers courir dans toutes les directions ; bientôt il devint évident que les troupes du gouverneur se rassemblaient pour combattre un ennemi si extraordinaire. Joe eut beau déployer des mouchoirs de toutes les couleurs, il n’obtint aucun résultat.

Le gouverneur de Loggoum.

Cependant le cheik, entouré de sa cour, réclama le silence et prononça un discours auquel le docteur ne put rien comprendre ; de l’arabe mêlé de baghirmi ; seulement il reconnut, à la langue universelle des gestes, une invitation expresse de s’en aller ; il n’eut pas mieux demandé, mais, faute de vent, cela devenait impossible. Son immobilité exaspéra le gouverneur, et ses courtisans se prirent à hurler pour obliger le monstre à s’enfuir.

C’étaient de singuliers personnages que ces courtisans, avec leurs cinq ou six chemises bariolées sur le corps ; ils avaient des ventres énormes, dont quelques-uns semblaient postiches. Le docteur étonna ses compagnons en leur apprenant que c’était la manière de faire sa cour au sultan. La rotondité de l’abdomen indiquait l’ambition des gens. Ces gros hommes gesticulaient et criaient, un d’entre eux surtout, qui devait être premier ministre, si son ampleur trouvait ici-bas sa récompense. La foule des Nègres unissait ses hurlements aux cris de la cour, répétant ses gesticulations à la manière des singes, ce qui produisait un mouvement unique et instantané de dix mille bras.

À ces moyens d’intimidation qui furent jugés insuffisants, s’en joignirent d’autres plus redoutables. Des soldats armés d’arcs et de flèches se rangèrent en ordre de bataille ; mais déjà le Victoria se gonflait et s’élevait tranquillement hors de leur portée. Le gouverneur, saisissant alors un mousquet, le dirigea vers le ballon. Mais Kennedy le surveillait, et, d’une balle de sa carabine, il brisa l’arme dans la main du cheik.

À ce coup inattendu, ce fut une déroute générale ; chacun rentra au plus vite dans sa case, et, pendant le reste du jour, la ville demeura absolument déserte.

La nuit vint. Le vent ne soufflait plus. Il fallut se résoudre à rester immobile à trois cents pieds du sol. Pas un feu ne brillait dans l’ombre ; il régnait un silence de mort. Le docteur redoubla de prudence ; ce calme pouvait cacher un piège.

Et Fergusson eut raison de veiller. Vers minuit, toute la ville parut comme embrasée ; des centaines de raies de feu se croisaient comme des fusées, formant un enchevêtrement de lignes de flamme.

«Voilà qui est singulier! fit le docteur.

– Mais, Dieu me pardonne! répliqua Kennedy, on dirait que l’incendie monte et s’approche de nous.»

En effet, au bruit de cris effroyables et des détonations des mousquets, cette masse de feu s’élevait vers le Victoria. Joe se prépara à jeter du lest. Fergusson ne tarda pas à avoir l’explication de ce phénomène.

Des milliers de pigeons, la queue garnie de matières combustibles, avaient été lancés contre le Victoria ; effrayés, ils montaient en traçant dans l’atmosphère leurs zigzags de feu. Kennedy se mit à faire une décharge de toutes ses armes au milieu de cette masse ; mais que pouvait-il contre une innombrable armée! Déjà les pigeons environnaient la nacelle et le ballon dont les parois, réfléchissant cette lumière, semblaient enveloppées dans un réseau de feu.

Le docteur n’hésita pas, et précipitant un fragment de quartz, il se tint hors des atteintes de ces oiseaux dangereux. Pendant deux heures, on les aperçut courant çà et là dans la nuit ; puis peu à peu leur nombre diminua, et ils s’éteignirent.

«Maintenant nous pouvons dormir tranquilles, dit le docteur.

– Pas mal imaginé pour des sauvages! fit Joe.

– Oui, ils emploient assez communément ces pigeons pour incendier les chaumes des villages ; mais cette fois, le village volait encore plus haut que leurs volatiles incendiaires!

– Décidément un ballon n’a pas d’ennemis à craindre, dit Kennedy.

– Si fait, répliqua le docteur.

– Lesquels, donc ?

– Les imprudents qu’il porte dans sa nacelle ; ainsi, mes amis, de la vigilance partout, de la vigilance toujours.»

51.M. Méry.
52.Six cent vingt-cinq lieues.
53.100° centigrades.
54.Depuis le départ du docteur, des lettres adressées d’El’Obeid par M. Munzinger, le nouveau chef de l’expédition, ne laissent malheureusement plus de doute sur la mort de Vogel.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
310 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain