Kitabı oku: «Histoire d'Henriette d'Angleterre», sayfa 3
Le pauvre comte de Guiche
Trousse ses quilles et son sac;
Il faudra bien qu'il déniche
De chez la nymphe Brissac.
Il a gâté son affaire
Pour n'avoir jamais su faire
Ce que fait, ce que défend
L'archevêque de Rouen62.
Ce fut le dernier roman de M. de Guiche. Il mourut à Creutznach, dans le Palatinat du Rhin, le 29 novembre 1673, à l'âge de trente-six ans.
«Il voulait maîtriser toujours et décider souverainement de tout, lorsqu'il convenoit uniquement d'écouter et d'être souple: ce qui lui attira une envie générale, et enfin une sorte d'éloignement de la part du Roi, qui lui tourna la tête et ensuite lui donna la mort, car il ne put tenir à nombre de dégoûts réitérés63.»
Voilà quel homme c'était et comment il aimait. Il est des choses secrètes et cachées par leur nature même. Je ne veux pas avoir l'air de savoir ce qu'on ne sait jamais, mais en vérité, les apparences, puisqu'il faut s'y tenir, sont favorables à Madame, et, en ce qui la concerne, le meilleur à croire est aussi le plus croyable.
Madame de La Fayette, il est vrai, donne à sourire quand elle dit que des entrevues périlleuses «se passoient à se moquer de Monsieur et à d'autres plaisanteries semblables64». Mais cet enfantillage est bien dans la nature de ce comte de Guiche si gâté par le respect humain et la vanité. Quand cet Amadis quittait sa cuirasse, il jouait comme un écolier et s'amusait de bon cœur aux espiègleries les plus enfantines. Et que dit ce terrible libelle qui fut imprimé en Hollande et empêcha Madame de dormir65? Il dit qu'au moment le plus critique de sa passion pour Madame, M. de Guiche, revenu d'exil, s'amusait, de concert avec elle, à mettre de l'encre dans les bénitiers pour que Monsieur se barbouillât la main et le visage. Madame de La Fayette avait l'esprit trop sérieux pour entrer dans ces gaietés, qui contrastent, il faut l'avouer, avec le galant et le tendre, mais sont tout à fait innocentes.
Puis conviendrait-il qu'on fût plus sévère que Bossuet? Et ne me permettra-t-on pas de prendre en cette occasion un peu de cette magnanime indulgence que tout ce grand XVIIe siècle, marquises et prélats, accordaient à d'élégantes faiblesses? N'est-on point tenté de dire avec l'Œnone de Racine:
Mortelle, subissez le sort d'une mortelle.
Je n'ai point, comme M. Feuillet, que vous allez connaître66, le cœur à dire des duretés. Encore disait-il les siennes à Madame, dans l'exercice de son ministère, quand elle était vivante et pouvait les entendre. Dès que nous rentrerons dans le temps présent nous ne relâcherons rien de la plus stricte morale; mais pourquoi froncer le sourcil quand il s'agit des dames du temps jadis? Ce qui est fait est fait.
Cette jeune princesse ne s'en fit pas moins un grand tort par ses étourderies, et ce que le public apprit de ses aventures avec M. de Guiche fut matière à calomnie. Ceci m'amène à compléter sur un point le récit de madame de La Fayette. Elle dit que toute cette affaire de Guiche fit un bruit fâcheux. Il y avait là-dessus une anecdote que Madame ne lui fit point écrire, non qu'elle l'eût oubliée, mais plutôt parce que le souvenir lui en était pénible et qu'elle voulait l'étouffer. C'était celui d'un manuscrit intitulé: Les Amours de Madame et du comte de Guiche, qui courait Paris et s'imprimait en Hollande. Elle chargea M. de Cosnac, évêque de Valence, d'en avertir Monsieur, pensant bien qu'il ne manquerait pas de gens pour le faire avec moins d'adresse ou de charité. En effet, l'évêque de Valence fut devancé. Mais Madame avait à cœur de faire disparaître l'édition. Cosnac la fit racheter par l'intermédiaire de Charles Patin, fils du célèbre médecin Guy Patin. Madame en était quitte pour la peur; du moins, elle croyait l'être, mais quelques exemplaires du libelle furent conservés et le texte reparut en 1754 sous le titre de La Princesse ou les amours de Madame dans l'Histoire amoureuse de Bussy-Rabutin67 qui n'en était pas l'auteur mais à qui sa mauvaise réputation le fit attribuer.
Ce petit ouvrage, dont vous avez lu plus haut quelques lignes, est d'un ton décent et fort poli. L'auteur connaissait assurément le comte de Guiche qu'il représente comme un personnage affecté et comme un amant nuageux. Il fait parler Montalais68 avec un grand air de vérité et donne à Madame une coquetterie naïve et facile, un goût d'aimer, une douceur fine qui ne vont point à l'encontre de ce qu'on sait mais qui vont bien au delà.
Nous avons d'autres témoins (si tant est qu'il y ait des témoins en ces sortes de choses). Madame de Motteville nous apprend que la Reine mère, «qui condamnoit la conduite apparente de Madame, la croyoit en effet pleine d'innocence.» Cette bonne dame de Motteville, sévère comme sa maîtresse pour les «jeunes erreurs», ne voyait du moins dans le passé de Madame «rien de criminel». Madame de La Fayette, aussi croyable et mieux avertie, fait entendre suffisamment que les galanteries de Madame restèrent dans l'innocence. Car, après les avoir racontées, elle rapporte cette parole d'Henriette, mourante et se sentant mourir, au duc d'Orléans son mari: «Je ne vous ai jamais manqué.»
Le marquis de Vardes était beaucoup plus dangereux que son ami le comte de Guiche. Vardes, fils de cette belle comtesse de Moret qu'aima Henri IV, n'était plus de la première jeunesse aux environs de 1663, ayant été nommé mestre de camp en 1646, mais il était encore et pour longtemps «l'homme de France le mieux fait et le plus aimable»: Cosnac le dit en propres termes. Puis il avait l'esprit naturellement agréable. La «merveille aux cheveux blonds», la mystique princesse de Conti l'écouta presque, elle qui n'avait pas écouté le Roi. La belle et sage duchesse de Roquelaure «lui accorda tout, mais seulement pour lui plaire», à ce qu'assure Conrart. La comtesse de Soissons devint folle de lui et ne put s'en lasser. Quand il se déclara à Madame, elle l'écouta avec trop d'indulgence. Elle en fit elle-même l'aveu. Elle avait, dit la comtesse de La Fayette, «une inclination plus naturelle pour lui que pour le comte de Guiche». Je le crois, certes, bien! C'était un merveilleux séducteur que ce Vardes et le grand sorcier des ruelles.
Pourtant elle ne lui permit pas de rompre avec la comtesse de Soissons et bientôt elle rompit avec lui, indignée de ses trahisons. Il lui en avait fait, et des plus noires. Cet homme était doué pour le mensonge d'une aptitude vraiment merveilleuse. L'Euphorbe de Corneille est la droiture même auprès de Vardes qui trahit son ami, ses maîtresses, son Roi, Madame et soi-même. Car il finit par être sa propre dupe et se fit chasser.
Pendant son exil de dix-neuf ans dans son petit gouvernement d'Aigues-Mortes, il fit les délices de la noblesse de Provence. A cinquante ans, il se fit aimer d'une jeune fille de vingt ans, mademoiselle de Toiras, qu'il désespéra par son inconstance. Madame de Sévigné l'admirait malgré elle. Quand Louvois, le sombre Louvois, passa en Provence, Vardes l'ensorcela comme les autres et par lui obtint son rappel. «Il arriva (à la Cour) avec une tête unique en son espèce et un vieux justaucorps à brevet69 comme on en portait en l'an 1663. Oui, il y a de cela vingt ans (c'est madame de Sévigné qui parle); cette mode ne se voyoit plus que dans les portraits de famille. Le roi lui-même ne put garder son sérieux, et se prit à rire en le voyant. «Ah! Sire, s'écria de Vardes, dont l'esprit étoit toujours de mode, quand on est assez misérable pour être éloigné de vous, on n'est pas seulement malheureux, on est ridicule.» Le roi fit appeler le Dauphin et le présenta à Vardes comme un jeune courtisan. Vardes le reconnut et le salua. Le roi lui dit en riant: «Vardes, voilà une sottise: vous savez bien qu'on ne salue personne devant moi.» M. de Vardes du même ton: «Sire, je ne sais plus rien, j'ai tout oublié; il faut que Votre Majesté me pardonne jusqu'à trente sottises. – Eh bien! je le veux, dit le Roi; reste à vingt-neuf.»… De Vardes, toujours de Vardes, c'est l'évangile du jour70.»
Il reprit rang, donna le ton, fit la mode, et mourut à soixante-dix ans, charmant. Ce n'est pas avec un homme comme Vardes qu'une femme peut sans danger «avoir l'air de demander le cœur».
VI. DE LA VIE DE MADAME A PARTIR DU PRINTEMPS DE MIL SIX CENT SOIXANTE CINQ, ÉPOQUE A LAQUELLE S'ARRÊTE LE RÉCIT DE MADAME DE LA FAYETTE
Le récit de la comtesse de La Fayette s'arrête court (nous l'avons dit) au printemps de 1665 sur la dernière entrevue du comte de Guiche et de la Princesse. On pourrait le regretter pour la gloire de Madame dont la pensée prenait dès lors plus de gravité, de sagesse et d'étendue; mais le cahier abandonné était si bien destiné à recevoir des récits de galanteries, qu'on conçoit qu'il ait été laissé précisément dans le temps où la vie de Madame ne fournissait plus de sujets de ce genre. Il était complet. Qu'après le départ du comte de Guiche, Monsieur, entré brusquement dans le cabinet de Madame, l'ait trouvée «ayant un petit portrait du duc de Luxembourg dans la main et une lettre de lui devant elle», comme le dit le libelliste71, c'est une aventure qui fit peu de bruit dans une Cour où tout se savait. Pour retourner le proverbe, à voir si peu de fumée, on ne peut croire qu'il y eut grand feu. Et, si Madame dansa en 1668 des contredanses avec son jeune neveu de la main gauche, le duc de Monmouth72, âgé alors de dix-neuf ans, il nous est impossible de voir en cela l'indice d'une intrigue. Monsieur, averti par le chevalier de Lorraine, se plaignit bien haut. Mais on récusera le juge et le témoin.
Au côté d'un mari sot, jaloux et tracassier, la vie d'Henriette fut frivole, sa vie, mais non son âme. Elle avait dans l'esprit plus d'étendue et de solidité que n'en feraient soupçonner les jolis riens et les dangereuses fantaisies de sa première jeunesse. Elle devinait les hommes avec une rare pénétration. Nous avons vu qu'elle reconnut fort bien le vrai fonds égoïste et médiocre de Louis XIV. Elle savait exactement que penser de «la fausse capacité73» de Villeroi. Elle savait placer sûrement sa confiance. Sa discrétion, attestée par Bossuet et par madame de La Fayette, la rendait propre aux affaires. Si elle y faillit une fois, à notre connaissance, en montrant à un homme sans foi, mais si séduisant, des lettres confidentielles du roi d'Angleterre, elle avait du moins alors l'excuse d'une extrême jeunesse et d'une grande inexpérience. Le premier aumônier de Monsieur, Daniel de Cosnac, évêque de Valence, la considère, dans ses Mémoires, comme une personne fidèle et très sûre.
L'évêque de Valence, ambitieux et honnête, avait le caractère de ces grands serviteurs des princes, de ces fiers domestiques dévoués à leur maître et hautains avec lui, gens qu'on vit à l'œuvre sous Henri IV et Louis XIII, et qui se faisaient rares depuis lors. Il s'obstina longtemps à faire de Monsieur un homme d'État. Par là, il déplut au Roi, qui n'aimait pas à voir son frère si bien conseillé, et il déplut à Monsieur dont il contrariait la paresse et les vices. Mais Henriette entrait dans les projets de ce politique en camail et elle le mettait dans la confidence de ses propres affaires. Elle ne put faire qu'il ne fût chassé par Monsieur et exilé dans son diocèse par le Roi, mais elle continua de correspondre avec lui. Une grande affaire l'occupait, le rétablissement du catholicisme en Angleterre. Elle prenait en main avec les deux rois cette vaste intrigue et elle comptait y employer l'évêque de Valence, pour qui elle avait déjà obtenu, sans le nommer, le chapeau de cardinal. Tout cela resta en projet et en imagination, mais Henriette, par le voyage de Douvres, prit une grande part à la diplomatie de son temps.
Louis XIV, voulant détacher Charles II de la triple-alliance, choisit pour médiatrice entre les deux rois de France et d'Angleterre la duchesse d'Orléans «lien naturel» de leur union74. Madame passa à Douvres et y rencontra comme par hasard Charles II son frère. Elle rapporta de ce voyage un traité secret qui servit de base à des négociations que l'éditeur du petit livre de madame de La Fayette n'a pas à suivre.
Au milieu de ces occupations, Madame souffrait beaucoup de l'humeur jalouse et tracassière de son mari. On dit même que le voyage de Douvres avait pour elle un autre intérêt que celui des deux couronnes et qu'elle poursuivait en le faisant un but secret et domestique qui ne fut point atteint, celui d'obtenir de son frère un asile à la cour d'Angleterre pour y vivre séparée de son mari. On trouvera, dans notre texte, entre crochets et en italiques, plusieurs fragments des Mémoires de mademoiselle de Montpensier qui, mis bout à bout, donnent une idée des chagrins qui gâtèrent les dernières années de la vie de Madame.
Mais on n'y trouvera rien qui se rapporte aux deux Bérénice, écrites, l'une et l'autre, en 1669. Madame de La Fayette, à supposer qu'elle eût terminé son histoire, n'y aurait peut-être pas parlé du tout de cette élégante espièglerie de Madame, qui imagina d'inspirer en même temps au vieux Corneille et à Racine l'idée de la même tragédie et qui s'y prit avec assez d'adresse pour que chacun des poëtes ignorât quel sujet traitait l'autre. Ce sujet était galant; il y fallait représenter Louis XIV sous le nom de Titus et Marie Mancini sous celui de Bérénice. Car c'est bien cela et cela seul qu'on peut voir dans l'invitus invitam dimisit. Et il est impossible au contraire d'y rien trouver qui rappelle les sentiments d'Henriette pour le Roi. On a reproché à Madame d'avoir fait courir au vieux Corneille une fâcheuse aventure et causé une mauvaise pièce. L'aventure fut fâcheuse en effet pour Corneille; quant aux défauts de sa pièce, ils ne peuvent être imputés au sujet. On a dit qu'il était trop galant, mais il n'y avait pas de sujets trop galants pour Corneille et les autres poëtes du Palais-Cardinal. Ceux-là ne séparaient point l'héroïque du tendre. D'ailleurs l'auteur vieilli de Cinna faisait depuis quelque temps de mauvaises pièces sans que Madame s'en mêlât. Attila est de 1667 et Pulchérie de 1672. La tragédie de Tite et Bérénice, venue dans l'intervalle, ne vaut ni plus ni moins. Madame ne devinait peut-être pas que la Bérénice de Corneille, démodée avant que de naître, attesterait le déclin d'un illustre vieillard, tandis que la Bérénice de Racine serait une élégie belle comme l'amour, noble comme la douleur et touchante comme la vie. Au contraire, si, caressée par les louanges délicates que le plus jeune et le mieux doué des deux poëtes lui avait données75, si, se rappelant les larmes qu'elle avait versées en écoutant Andromaque, elle désira que le duel76 préparé par sa ruse spirituelle se terminât à l'avantage de Racine, on ne la blâmera pas d'avoir mis ses souhaits du côté de la poésie la plus humaine, la plus touchante, la plus vraie et la plus belle. Je ne parle ici des deux Bérénice que pour rappeler que Madame avait l'esprit très cultivé. «On savoit, lui dit Racine, en 1667, dans l'épître dédicatoire d'Andromaque, on savoit que Votre Altesse Royale avoit daigné prendre soin de la conduite de ma tragédie.» Cela veut dire, non qu'elle aida véritablement le poëte, mais que, parfois, au milieu des divertissements, elle s'occupait de beaux vers et de hautes pensées. Bossuet nous apprend que, dans un âge un peu plus avancé, elle se plaisait aux livres d'histoire.
VII. DE LA MORT DE MADAME
Ce fut au retour de l'entrevue de Douvres que Madame mourut. On la crut victime d'un crime et l'indignation publique désigna les coupables. On nomma le chevalier de Lorraine et un homme de sa bande, d'Effiat. On sait que le chevalier de Lorraine, beau comme Maugiron, audacieux, fier, «un vrai Guizard», dit Saint-Simon, avait pris à la cour de Monsieur la place de Madame. Celle-ci supportait mal ces étranges rivalités. Le roi exila le chevalier de Lorraine; on dit que ce fut à la prière de Madame; elle s'en défendit; on devait la croire, car elle n'était pas menteuse, mais on ne la crut pas77, et le chevalier put emporter en exil la pensée intolérable qu'il était chassé par une femme. Il s'en alla dans cette Italie, considérée depuis les Borgia comme la terre classique des poisons; Monsieur, qui s'était évanoui comme une femme à la nouvelle qu'il perdait le chevalier, avait d'Effiat auprès de lui comme premier écuyer.
Il n'en fallait pas davantage pour faire naître le soupçon, vraisemblable malheureusement, d'un horrible drame domestique. Madame l'avait eu la première.
Voici quel était le véritable état des choses. Le 29 juin 1670, Madame écrivit à la Princesse palatine qui lui était désignée comme médiatrice entre le duc d'Orléans et elle. La Palatine, sœur de la reine de Pologne que nous avons vue recevoir M. de Guiche, était devenue, par l'effet de l'âge, fort respectable et de bon conseil. Mazarin avait raison de dire que le temps est un galant homme. Cette lettre nous apprend que Monsieur, de plus en plus aigri contre Madame, avait mis trois conditions à son raccommodement. Les deux premières étaient relatives au désir qu'il avait de se mettre en tiers dans les affaires de Madame et de Charles II et à la pension de son fils mort, laquelle il voulait toucher. La troisième, qui lui tenait seule au cœur, était le rappel du chevalier de Lorraine. Et vraiment Madame, qui craignait ce retour, n'était pas la personne qu'il fallait pour l'obtenir. Elle avait négocié du moins pour que le chevalier fût honorablement reçu en Angleterre. Sur les deux autres points elle avait obtenu à peu près ce que Monsieur demandait. Mais il ne voulait rien entendre qu'on ne lui eût rendu son chevalier. Il querellait, boudait, menaçait. Les choses étaient au pire. Henriette, les ayant exposées à la Princesse palatine, ajouta: «L'on ne me fera jamais rien faire à coups de bâton78.»
Cette lettre, comme j'ai dit, est datée du 29 juin 1670.
Le même jour, Madame, ayant bu un verre d'eau de chicorée, sentit tout à coup une grande douleur à l'estomac, se crut empoisonnée, le dit et ne cessa de le croire pendant les neuf heures qui lui restaient à vivre. Si elle n'en parla plus à la fin, ce fut par soumission à son confesseur, le dur M. Feuillet, et parce que, chrétienne ardente, elle reportait toutes ses pensées sur l'éternité dont elle se sentait proche. Mais ses soupçons, loin de finir avec elle, se répandirent dans toute la société, et la rumeur publique fut que le chevalier de Lorraine avait envoyé le poison et que d'Effiat avait mis ce poison dans l'eau de chicorée. Saint-Simon, qui n'a point en la cause l'autorité d'un témoin, puisqu'il naquit cinq ans après la mort de Madame, inséra dans ses Mémoires79 un récit très circonstancié de l'empoisonnement. Ce récit, qui présente en lui-même de graves difficultés80, ne dispense en aucune façon l'historien d'interroger les faits. Les relations de la mort de Madame sont fort nombreuses et suffisamment concordantes. On possède en outre deux procès-verbaux d'autopsie81.
A l'aide de ces documents, M. E. Littré, doublement préparé aux explorations de ce genre par ses connaissances médicales et par sa rigoureuse méthode de critique historique, a recherché si vraiment Madame avait été empoisonnée. La dissertation de ce savant, inspirée par une bonne foi parfaite et conduite avec le zèle d'un esprit curieux et sincère, aboutit à une négation formelle. On la trouvera dans le volume intitulé Médecine et Médecins82 et, comme les personnes les plus étrangères à l'érudition pourront se plaire à ces pages ornées de littérature et empreintes de cette sagesse affectueuse qui est le propre du vénérable vieillard qui les a écrites, notre désir serait d'y renvoyer simplement le lecteur; mais on est en droit de demander au plus récent éditeur de l'Histoire d'Henriette d'Angleterre un précis de l'état actuel de la science relativement à la question controversée de la mort de Madame; c'est pourquoi nous croyons devoir nous approprier les principaux arguments fournis par M. Littré. Le lecteur voudra bien tout d'abord lire attentivement la relation qu'il trouvera aux pages 123 et suivantes de ce volume; qu'il remarque ensuite:
1o Que l'eau de chicorée83 fut apprêtée par une femme sûre, madame Desbordes, cette première femme de chambre «qui était absolument à Madame».
2o Que madame Desbordes but de la même eau de chicorée et ne fut pas incommodée. (Madame de La Fayette dit bien qu'on lui en apporta un verre, mais il n'est pas croyable qu'elle ait bu avant la princesse, et on ne voit pas qu'elle ait bu après)84.
3o Que, si le poison n'était pas dans la bouteille, il n'était pas non plus dans le verre, car madame Desbordes n'aurait pas versé à boire à la Princesse dans un verre enduit sur les bords d'une substance inconnue ou contenant au fond quelque poudre.
4o Que Madame, ayant bu, se prit le côté et dit: «Ah! quel point de côté! ah! quel mal!» Il faudrait donc supposer un poison capable de causer instantanément une vive douleur à l'estomac sans procurer à la bouche et à la gorge une sensation appréciable; or il n'y a pas de poison semblable. Les alcalis et les acides concentrés brûlent la gorge; l'arsenic et le phosphore ne causent point une douleur immédiate. Quant aux poisons foudroyants, comme ceux de Locuste85, on n'en peut parler à propos d'une patiente qui subit neuf longues heures de torture.
Toutefois, ces preuves négatives ont, malgré leur force, un vice de nature. Elles sont insuffisantes par cela même qu'elles sont négatives. Ce n'est pas assez de dire comment Madame n'est pas morte; il faut dire, s'il se peut, comment elle est morte.
Si l'on interroge les médecins qui firent l'autopsie, ils répondent que Madame mourut «d'une trop grande effusion de bile», ce qui ne veut rien dire du tout. Mais quand ils disent qu'«il sortit du ventre une vapeur fétide» et qu'ils trouvèrent «l'épiploon tout mortifié et gangrené, les intestins tendant aussi à mortification et putréfaction», ils indiquent clairement les effets d'une inflammation du péritoine. Il est acquis, par cela seul, que Madame mourut d'une péritonite.
Recherchons maintenant la cause et la nature de cette atroce douleur au côté qui suivit immédiatement l'ingestion du verre d'eau de chicorée et qui se renouvela (il est utile de le rappeler) quand Madame prit de l'huile et du bouillon; et voyons quelle peut être la lésion qui, après quelques malaises indéterminés, se signale par une douleur d'estomac foudroyante, suivie d'une péritonite suraiguë.
M. Vallot ne peut nous répondre, mais Littré, fort des observations de la médecine moderne, n'hésite pas à diagnostiquer l'ulcère simple de l'estomac86, que le professeur Cruveilhier fut le premier à décrire et que les médecins de Madame ne purent reconnaître, puisqu'ils ne le connaissaient pas. Il est certain que depuis quelque temps Madame, après ses repas, souffrait de l'estomac. Le liquide qu'elle prit le 29 juin détermina la perforation de la paroi ulcérée. De là cette cruelle douleur au côté, puis la péritonite que nous avons constatée.
Les médecins qui ouvrirent le corps trouvèrent en effet que l'estomac était percé d'un petit trou; mais comme ils ne pouvaient s'expliquer l'origine pathologique de ce trou, ils s'imaginèrent qu'il avait été fait par mégarde pendant l'autopsie, «sur quoi, dit l'un d'eux, je fus le seul qui fis instance87». Cette illusion s'explique d'autant mieux que, dans cette lésion maintenant connue, le pertuis, ne présentant aucune induration sur ses bords parfaitement réguliers, semble artificiel. Jaccoud signale «la délimitation très nette de l'ulcère, l'absence d'inflammation et de suppuration périphérique88».
Ce n'est pas tout: les médecins trouvèrent dans le bas-ventre une matière «grasse comme de l'huile». C'en était en effet. C'était l'huile que Madame avait bue comme contre-poison, et qui s'était épanchée hors de l'estomac perforé.
En résumé: Avant le 29 juin, douleurs gastriques causées par l'ulcération. Le 29, déchirure de l'ulcération et péritonite suraiguë.
Tel est, fort abrégé, le système de M. Littré. Nous en avons reproduit les principales dispositions en y ajoutant quelques faits qui y entraient parfaitement. Mais ce système a été attaqué dans plusieurs de ses parties. Un érudit que la sagacité de son esprit a voué particulièrement à l'étude des points obscurs de l'histoire moderne, M. Jules Loiseleur, bibliothécaire de la ville d'Orléans, a inséré en 1872, dans le journal le Temps, trois articles consacrés à l'examen des mêmes faits89, et sa conclusion, comme celle du savant positiviste, est que Madame, succombant à des influences naturelles, est morte d'une péritonite. Mais M. Loiseleur n'admet pas avec M. Littré que cette affection ait été déterminée par une perforation intestinale. Il relève, tout d'abord, dans le récit de madame de La Fayette deux particularités que Littré a négligées, bien qu'elles aient pu avoir quelque effet sur la santé de la Princesse. Il s'agit d'un bain froid et d'une promenade de nuit.
En effet, le 27 juin, Madame, étant à Saint-Cloud, se baigna dans la rivière, malgré la défense du médecin; et elle se trouva fort mal de ce bain. Le lendemain, elle se promena au clair de lune jusqu'à minuit. C'est à ce bain et à cette promenade que M. Loiseleur est tenté de rapporter l'origine de la péritonite. Il est vrai que le froid peut déterminer cette affection. Mais Jaccoud nous enseigne que le cas est rare et que l'inflammation du péritoine procède presque toujours d'une lésion interne, telle que rupture ou perforation. En admettant même, avec M. Loiseleur, l'influence décisive d'un froid humide, on ne s'explique pas l'action foudroyante du verre de chicorée, et c'est pourtant là le point culminant de ce drame pathologique. La perforation, au contraire, rend de cette action un compte terriblement exact.
Consultons Jaccoud et il nous dira: «La péritonite par perforation éclate par une douleur extrêmement violente qui, localisée d'abord sur un point, s'étend bientôt à tout l'abdomen90.» Peut-on décrire plus précisément l'état de Madame?
Mais M. Loiseleur, qui sait s'informer en toutes choses, n'ignore pas que l'ulcère simple de l'estomac va rarement jusqu'à la perforation. Je trouve dans le maître qui me guide91 qu'elle n'a guère lieu qu'une fois sur sept ou huit cas, et qu'assez souvent des adhérences en empêchent l'effet foudroyant. Et c'est là pour M. Loiseleur une raison de douter, car, en bonne critique, plus un fait est extraordinaire, plus il a besoin de preuves pour être croyable. Mais cette perforation est d'une rareté relative: elle est rare par rapport à la lésion qui la produit et qui, par contre, est très fréquente. «Brinton, réunissant un très grand nombre de relevés, démontre qu'elle est rencontrée cinq fois sur cent autopsies. Elle est plus commune chez la femme que chez l'homme92.»
Il n'est donc bien extraordinaire ni qu'Henriette d'Angleterre en ait été atteinte, ni même qu'elle en ait été atteinte sous la forme la moins commune. Jusqu'ici la démonstration de Littré n'est pas beaucoup contrariée, ce nous semble. Mais M. Loiseleur va l'atteindre sur un point important et qui semblait décisif. En effet, vous avez vu tout à l'heure que, quand les médecins ouvrirent le corps, ils trouvèrent l'estomac percé d'un petit trou que Littré reconnaît pour être la lésion mortelle, mais qu'ils crurent avoir fait par mégarde pendant l'autopsie. «Sur quoi, dit l'un d'eux, je fus le seul qui fis instance.» Celui qui parla ainsi est un médecin anglais. Son témoignage sur ce point n'est pas unique. L'abbé Bourdelot, présent à l'autopsie, rapporte l'incident d'une tout autre manière:
«Il arriva, par mégarde, dit-il, lors de la dissection, que la pointe du ciseau fit une ouverture à la partie supérieure du ventricule, sur laquelle ouverture beaucoup de gens se récrièrent, demandant d'où elle venoit. Le chirurgien dit qu'il l'avoit faite par mégarde et M. Vallot dit avoir vu quand le coup avoit été donné93.»
S'il en est ainsi, si cette version dont Littré n'a pas tenu compte et que M. Loiseleur oppose à celle du chirurgien anglais, est des deux la véridique, il faut renoncer à voir et à toucher du doigt, comme nous faisions tout à l'heure, le pertuis, la perforation de l'ulcère, le petit passage que la mort s'est frayé dans le corps de la jeune femme.
Le chirurgien anglais est d'accord avec Bourdelot pour attribuer l'ouverture à un coup de ciseau donné par l'opérateur. Mais tandis que le chirurgien anglais dit qu'il fut seul à remarquer cette ouverture, Bourdelot déclare que «beaucoup de gens» demandèrent d'où elle venait. En cela, les deux témoins se contredisent étrangement; on ne peut admettre la version de l'un sans repousser celle de l'autre. Or, ce qui nous intéresse le plus c'est ce que Bourdelot seul nous apporte: je veux dire l'aveu de l'opérateur qui offensa le ventricule et le témoignage de M. Vallot qui le vit faire. Ce sont là, ce semble, deux dépositions irrécusables. Mais je me défie, pour ma part, de l'opérateur, de l'abbé Bourdelot et de M. Vallot lui-même, qu'on sait avoir été fort embarrassé dans toute cette affaire. Les médecins français tremblaient de trouver dans les entrailles de la Princesse les indices d'un crime dont le soupçon eût atteint la famille du roi. Ils craignaient même tout ce qui prêtait au doute, et, par cela seul, à la malveillance. Sachant que la moindre incertitude sur la cause de la mort ou l'état de cadavre serait interprétée par le public dans un sens qui les perdrait, ils avaient pour tout expliquer la raison de l'intérêt et le zèle de la peur. Or, dans l'impossibilité où ils étaient de rapporter à un type pathologique normal une lésion inconnue à tous et suspecte, peut-être, à quelques-uns, ils avaient grand avantage à expliquer par un accident d'autopsie cette plaie énigmatique. Et l'on comprend qu'ils crurent naturellement ce qu'ils désiraient croire. Les chirurgiens anglais, aussi ignorants qu'eux, acceptèrent leurs raisons faute d'en trouver de meilleures.
Cette considération me rend assez perplexe à l'endroit du coup de ciseaux. En somme, je crois que, malgré l'atteinte que lui porta la main exercée de M. Loiseleur, la construction médico-historique de M. Littré garde à peu près toute la solidité que comporte la double nature des matériaux qui y sont employés. Dans tous les cas, il est certain qu'Henriette d'Angleterre n'est pas morte empoisonnée.