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Kitabı oku: «Histoire d'Henriette d'Angleterre», sayfa 6

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TROISIÈME PARTIE

Le comte de Guiche n'avoit point suivi le Roi au voyage de Nantes. Avant qu'on partît pour y aller, Madame avoit appris de certains discours qu'il avoit tenus à Paris, et qui sembloient vouloir persuader au public que l'on ne se trompoit pas de le croire amoureux d'elle. Cela lui avoit déplu, d'autant plus que madame de Valentinois, qu'il avoit priée de parler à Madame en sa faveur, bien loin de le faire, lui avoit toujours dit que son frère ne pensoit pas à lever les yeux jusqu'à elle et qu'elle la prioit de ne point ajouter foi à tout ce que des gens qui voudroient s'entremettre pourroient lui dire de sa part. Ainsi Madame ne trouva qu'une vanité offensante pour elle dans les discours du comte de Guiche. Quoiqu'elle fût fort jeune et que son peu d'expérience augmentât les défauts qui suivent la jeunesse, elle résolut de prier le Roi d'ordonner au comte de Guiche de ne le point suivre à Nantes; mais la Reine mère avoit déjà prévenu cette prière; ainsi la sienne ne parut pas.

Madame de Valentinois partit, pendant le voyage de Nantes, pour aller à Monaco. Monsieur étoit toujours amoureux d'elle, c'est-à-dire autant qu'il pouvoit l'être. Elle étoit adorée dès son enfance par Peguilin, cadet de la maison de Lauzun182: la parenté qui étoit entre eux183 lui avoit donné une familiarité entière dans l'hôtel de Gramont; de sorte que, s'étant trouvés tous deux très-propres à avoir de violentes passions, rien n'étoit comparable à celle qu'ils avoient eue l'un pour l'autre. Elle avoit été mariée depuis un an, contre son gré, au prince de Monaco; mais, comme son mari n'étoit pas assez aimable pour lui faire rompre avec son amant, elle l'aimoit toujours passionnément. Ainsi elle le quittoit avec une douleur sensible; et lui, pour la voir encore, la suivoit déguisé, tantôt en marchand, tantôt en postillon, enfin de toutes les manières qui le pouvoient rendre méconnoissable à ceux qui étoient à elle. En partant, elle voulut engager Monsieur à ne point croire tout ce qu'on lui diroit de son frère au sujet de Madame et elle voulut qu'il lui promît qu'il ne le chasseroit point de la Cour. Monsieur, qui avoit déjà de la jalousie du comte de Guiche et qui ressentoit l'aigreur qu'on a pour ceux qu'on a fort aimés et dont l'on croit avoir sujet de se plaindre, ne parut pas disposé à accorder ce qu'elle lui demanda. Elle s'en fâcha, et ils se séparèrent mal.

La comtesse de Soissons, que le Roi avoit aimée et qui aimoit alors le marquis de Vardes, ne laissoit pas d'avoir beaucoup de chagrin: le grand attachement que le Roi prenoit pour La Vallière en étoit cause, et d'autant plus que cette jeune personne, se gouvernant entièrement par les sentimens du Roi, ne rendoit compte ni à Madame ni à la comtesse de Soissons des choses qui se passoient entre le Roi et elle. Ainsi la comtesse de Soissons, qui avoit toujours vu le Roi chercher les plaisirs chez elle, voyoit bien que cette galanterie l'en alloit éloigner. Cela ne la rendit pas favorable à La Vallière: elle s'en aperçut, et la jalousie qu'on a d'ordinaire de celles qui ont été aimées de ceux qui nous aiment se joignant au ressentiment des mauvais offices qu'elle lui rendoit, lui donna une haine fort vive pour la comtesse de Soissons.

Quoique le Roi désirât que La Vallière n'eût pas de confidente, il étoit impossible qu'une jeune personne d'une capacité médiocre pût contenir en elle-même une aussi grande affaire que celle d'être aimée du Roi. Madame avoit une fille appelée Montalais184.

C'étoit une personne qui avoit naturellement beaucoup d'esprit, mais un esprit d'intrigue et d'insinuation; et il s'en falloit beaucoup que les bons sens et la raison réglassent sa conduite. Elle n'avoit jamais vu de cour que celle de Madame douairière185, à Blois, dont elle avoit été fille d'honneur. Ce peu d'expérience du monde et beaucoup de galanterie la rendoient toute propre à devenir confidente. Elle l'avoit déjà été de La Vallière pendant qu'elle étoit à Blois, où un nommé Bragelonne186 en avoit été amoureux; il y avoit eu quelques lettres; madame de Saint-Remy187 s'en étoit aperçue, enfin ce n'étoit pas une chose qui eût été loin. Cependant le Roi en prit de grandes jalousies.

La Vallière trouvant donc, dans la même chambre où elle étoit, une fille à qui elle s'étoit déjà fiée, s'y fia encore entièrement; et, comme Montalais avoit beaucoup plus d'esprit qu'elle, elle y trouva un grand plaisir et un grand soulagement. Montalais ne se contenta pas de cette confidence de La Vallière, elle voulut encore avoir celle de Madame. Il lui parut que cette princesse n'avoit pas d'aversion pour le comte de Guiche; et lorsque le comte de Guiche revint à Fontainebleau après le voyage de Nantes, elle lui parla et le tourna de tant de côtés, qu'elle lui fit avouer qu'il étoit amoureux de Madame. Elle lui promit de le servir, et ne le fit que trop bien.

La Reine accoucha de monseigneur le Dauphin, le jour de la Toussaint 1661. Madame avoit passé tout le jour auprès d'elle; et, comme elle étoit grosse et fatiguée, elle se retira dans sa chambre, où personne ne la suivit, parce que tout le monde étoit encore chez la Reine. Montalais se mit à genoux devant Madame et commença à lui parler de la passion du comte de Guiche. Ces sortes de discours naturellement ne déplaisent pas assez aux jeunes personnes pour leur donner la force de les repousser; et de plus Madame avoit une timidité à parler qui fit que, moitié embarras, moitié condescendance, elle laissa prendre des espérances à Montalais. Dès le lendemain elle apporta à Madame une lettre du comte de Guiche; Madame ne voulut point la lire, Montalais l'ouvrit et la lut. Quelques jours après, Madame se trouva mal; elle revint à Paris en litière, et, comme elle y montoit, Montalais lui jeta un volume de lettres du comte de Guiche. Madame les lut pendant le chemin et avoua après à Montalais qu'elle les avoit lues. Enfin la jeunesse de Madame, l'agrément du comte de Guiche, mais surtout les soins de Montalais, engagèrent cette princesse dans une galanterie qui ne lui a donné que des chagrins considérables. Monsieur avoit toujours de la jalousie du comte de Guiche, qui néanmoins ne laissoit pas d'aller aux Tuileries, où Madame logeoit encore. Elle étoit considérablement malade. Il lui écrivoit trois ou quatre fois par jour. Madame ne lisoit pas ses lettres la plupart du temps et les laissoit toutes à Montalais, sans lui demander même ce qu'elle en faisoit. Montalais n'osoit les garder dans sa chambre; elle les remettoit entre les mains d'un amant qu'elle avoit alors, nommé Malicorne188. Le Roi étoit venu à Paris peu de temps après Madame; il voyoit toujours La Vallière chez elle; il y venoit le soir et l'alloit entretenir dans un cabinet. Toutes les portes à la vérité étoient ouvertes; mais on étoit plus éloigné d'y entrer que si elles avoient été fermées avec de l'airain. Il se lassa néanmoins de cette contrainte; et, quoique la Reine sa mère, pour qui il avoit encore de la crainte, le tourmentât incessamment sur La Vallière, elle feignit d'être malade, et il l'alla voir dans sa chambre.

La jeune Reine ne savoit point de qui le Roi étoit amoureux; elle devinoit pourtant bien qu'il l'étoit; et, ne sachant où placer sa jalousie, elle la mettoit sur Madame.

Le Roi se douta de la confiance que La Vallière prenoit en Montalais. L'esprit d'intrigue de cette fille lui déplaisoit: il défendit à La Vallière de lui parler. Elle lui obéissoit en public; mais Montalais passoit les nuits entières avec elle, et bien souvent le jour l'y trouvoit encore.

Madame, qui étoit malade et qui ne dormoit point, l'envoyoit quelquefois quérir, sous prétexte de lui venir lire quelque livre. Lorsqu'elle quittoit Madame, c'étoit pour aller écrire au comte de Guiche, à quoi elle ne manquoit pas trois fois par jour, et de plus à Malicorne, à qui elle rendoit compte de l'affaire de Madame et de celle de La Vallière. Elle avoit encore la confidence de mademoiselle de Tonnay-Charente, qui aimoit le marquis de Noirmoutier189 et qui souhaitoit fort de l'épouser. Une seule de ces confidences eût pu occuper une personne entière, et Montalais seule suffisoit à toutes.

Le comte de Guiche et elle se mirent dans l'esprit qu'il falloit qu'il vît Madame en particulier. Madame, qui avoit de la timidité pour parler sérieusement, n'en avoit point pour ces sortes de choses. Elle n'en voyoit point les conséquences; elle y trouvoit de la plaisanterie de roman. Montalais lui trouvoit des facilités qui ne pouvoient être imaginées par une autre. Le comte de Guiche, qui étoit jeune et hardi, ne trouvoit rien de plus beau que de tout hasarder; et Madame et lui, sans avoir de véritable passion l'un pour l'autre, s'exposèrent au plus grand danger où l'on se soit jamais exposé. Madame étoit malade, et environnée de toutes ces femmes qui ont accoutumé d'être auprès d'une personne de son rang, sans se fier à pas une. Elle faisoit entrer le comte de Guiche quelquefois en plein jour, déguisé en femme qui dit la bonne aventure, et il la disoit même aux femmes de Madame, qui le voyoient tous les jours et qui ne le reconnoissoient pas; d'autres fois par d'autres inventions, mais toujours avec beaucoup de hasards; et ces entrevues si périlleuses se passoient à se moquer de Monsieur et à d'autres plaisanteries semblables, enfin à des choses fort éloignées de la violente passion qui sembloit les faire entreprendre. Dans ce temps-là on dit un jour, dans un lieu où étoit le comte de Guiche avec Vardes, que Madame étoit plus mal qu'on ne pensoit et que les médecins croyoient qu'elle ne guériroit pas de sa maladie. Le comte de Guiche en parut fort troublé; Vardes l'emmena et lui aida à cacher son trouble. Le comte de Guiche lui avoua l'état où il étoit avec Madame et l'engagea dans sa confidence. Madame désapprouva fort ce qu'avoit fait le comte de Guiche; elle voulut l'obliger à rompre avec Vardes; il lui dit qu'il se battroit avec lui pour la satisfaire, mais qu'il ne pouvoit rompre avec son ami.

Montalais, qui vouloit donner un air d'importance à cette galanterie et qui croyoit qu'en mettant bien des gens dans cette confidence elle composeroit une intrigue qui gouverneroit l'État, voulut engager La Vallière dans les intérêts de Madame: elle lui conta tout ce qui se passoit au sujet du comte de Guiche et lui fit promettre qu'elle n'en diroit rien au Roi. En effet La Vallière, qui avoit mille fois promis au Roi de ne lui jamais rien cacher, garda à Montalais la fidélité qu'elle lui avoit promise.

Madame ne savoit point que La Vallière sût ses affaires, mais elle savoit celles de La Vallière par Montalais. Le public entrevoyoit quelque chose de la galanterie de Madame et du comte de Guiche. Le Roi en faisoit de petites questions à Madame; mais il étoit bien éloigné d'en savoir le fond. Je ne sais si ce fut sur ce sujet ou sur quelque autre qu'il tint de certains discours à La Vallière qui lui firent juger que le Roi savoit qu'elle lui faisoit finesse de quelque chose; elle se troubla et lui fit connoître qu'elle lui cachoit des choses considérables. Le Roi se mit dans une colère épouvantable; elle ne lui avoua point ce que c'étoit; le Roi se retira au désespoir contre elle. Ils étoient convenus plusieurs fois que, quelques brouilleries qu'ils eussent ensemble, ils ne s'endormiroient jamais sans se raccommoder et sans s'écrire. La nuit se passa sans qu'elle eût de nouvelles du Roi; et, se croyant perdue, la tête lui tourna. Elle sortit le matin des Tuileries et s'en alla comme une insensée dans un petit couvent obscur qui étoit à Chaillot.

Le matin on alla avertir le Roi qu'on ne savoit pas où étoit La Vallière. Le Roi, qui l'aimoit passionnément, fut extrêmement troublé; il vint aux Tuileries pour savoir de Madame où elle étoit; Madame n'en savoit rien et ne savoit pas même le sujet qui l'avoit fait partir.

Montalais étoit hors d'elle-même de ce qu'elle lui avoit seulement dit qu'elle étoit désespérée, parce qu'elle étoit perdue à cause d'elle.

Le Roi fit si bien qu'il sut où étoit La Vallière; il y alla à toute bride, lui quatrième; il la trouva dans le parloir du dehors de ce couvent; on ne l'avoit pas voulu recevoir au dedans. Elle étoit couchée à terre, éplorée et hors d'elle-même.

Le Roi demeura seul avec elle; et, dans une longue conversation, elle lui avoua tout ce qu'elle lui avoit caché. Cet aveu n'obtint pas son pardon. Le Roi lui dit seulement tout ce qu'il falloit dire pour l'obliger à revenir, et envoya chercher un carrosse pour la ramener.

Cependant il vint à Paris pour obliger Monsieur à la recevoir; il avoit déclaré tout haut qu'il étoit bien aise qu'elle fût hors de chez lui, et qu'il ne la reprendroit point. Le Roi entra par un petit degré aux Tuileries et alla dans un petit cabinet où il fit venir Madame, ne voulant pas se laisser voir, parce qu'il avoit pleuré. Là, il pria Madame de reprendre La Vallière et lui dit tout ce qu'il venoit d'apprendre d'elle et de ses affaires. Madame en fut étonnée, comme on se le peut imaginer; mais elle ne put rien nier. Elle promit au Roi de rompre avec le comte de Guiche et consentit à recevoir La Vallière.

Le Roi eut assez de peine à l'obtenir de Madame; mais il la pria tant, les larmes aux yeux, qu'enfin il en vint à bout. La Vallière revint dans sa chambre; mais elle fut longtemps à revenir dans l'esprit du Roi; il ne pouvoit se consoler qu'elle eût été capable de lui cacher quelque chose, et elle ne pouvoit supporter d'être moins bien avec lui; en sorte qu'elle eut pendant quelque temps l'esprit comme égaré.

Enfin le Roi lui pardonna, et Montalais fit si bien qu'elle entra dans la confidence du Roi. Il la questionna plusieurs fois sur l'affaire de Bragelonne, dont il savoit qu'elle avoit connoissance; et, comme Montalais savoit mieux mentir que La Vallière, il avoit l'esprit en repos lorsqu'elle lui avoit parlé. Il avoit néanmoins l'esprit extrêmement blessé sur la crainte qu'il n'eût pas été le premier que La Vallière eût aimé; il craignoit même qu'elle n'aimât encore Bragelonne.

Enfin il avoit toutes les inquiétudes et les délicatesses d'un homme bien amoureux; et il est certain qu'il l'étoit fort, quoique la règle qu'il a naturellement dans l'esprit, et la crainte qu'il avoit encore de la Reine sa mère, l'empêchassent de faire de certaines choses emportées que d'autres seroient capables de faire. Il est vrai aussi que le peu d'esprit de La Vallière empêchoit cette maîtresse du Roi de se servir des avantages et du crédit dont une si grande passion auroit fait profiter une autre; elle ne songeoit qu'à être aimée du Roi et à l'aimer; elle avoit beaucoup de jalousie de la comtesse de Soissons, chez qui le Roi alloit tous les jours, quoiqu'elle fît tous ses efforts pour l'en empêcher.

La comtesse de Soissons ne doutoit pas de la haine que La Vallière avoit pour elle; et, ennuyée de voir le Roi entre ses mains, le marquis de Vardes et elle résolurent de faire savoir à la Reine que le Roi en étoit amoureux. Ils crurent que la Reine, sachant cet amour et appuyée par la Reine mère, obligeroit Monsieur et Madame à chasser La Vallière des Tuileries, et que le Roi ne sachant où la mettre, la mettroit chez la comtesse de Soissons, qui par là s'en trouveroit la maîtresse; et ils espéroient encore que le chagrin que témoigneroit la Reine obligeroit le Roi à rompre avec La Vallière, et que, lorsqu'il l'auroit quittée, il s'attacheroit à quelque autre dont ils seroient peut-être les maîtres. Enfin ces chimères, ou d'autres pareilles, leur firent prendre la plus folle résolution et la plus hasardeuse qui ait jamais été prise. Ils écrivirent une lettre à la Reine, où ils l'instruisoient de tout ce qui se passoit. La comtesse de Soissons ramassa dans la chambre de la Reine un dessus de lettre du Roi son père190. Vardes confia ce secret au comte de Guiche, afin que, comme il savoit l'espagnol, il mît la lettre en cette langue: le comte de Guiche, par complaisance pour son ami et par haine pour La Vallière, entra fortement dans ce beau dessein.

Ils mirent la lettre en espagnol; ils la firent écrire par un homme qui s'en alloit en Flandre et qui ne devoit point revenir; ce même homme l'alla porter au Louvre à un huissier, pour la donner à la senora Molina191, première femme de chambre de la Reine, comme une lettre d'Espagne. La Molina trouva quelque chose d'extraordinaire à la manière dont cette lettre lui étoit venue; elle trouva de la différence dans la façon dont elle étoit pliée; enfin, par instinct plutôt que par raison, elle ouvrit cette lettre, et, après l'avoir lue, elle l'alla porter au Roi.

Quoique le comte de Guiche eût promis à Vardes de ne rien dire à Madame de cette lettre, il ne laissa pas de lui en parler; et Madame, malgré sa promesse, ne laissa pas de le dire à Montalais; mais ce ne fut de longtemps. Le Roi fut dans une colère qui ne se peut représenter; il parla à tous ceux qu'il crut pouvoir lui donner quelque connoissance de cette affaire, et même il s'adressa à Vardes, comme à un homme d'esprit et à qui il se fioit. Vardes fut assez embarrassé de la commission que le Roi lui donnoit; cependant il trouva le moyen de faire tomber le soupçon sur madame de Navailles192, et le Roi le crut si bien, que cela eut grande part aux disgrâces qui lui arrivèrent depuis.

Cependant Madame vouloit tenir la parole qu'elle avoit donnée au Roi de rompre avec le comte de Guiche, et Montalais s'étoit aussi engagée auprès du Roi de ne se plus mêler de ce commerce. Néanmoins, avant que de commencer cette rupture, elle avoit donné au comte de Guiche les moyens de voir Madame, pour trouver ensemble, disoit-elle, ceux de ne se plus voir. Ce n'est guère en présence que les gens qui s'aiment trouvent ces sortes d'expédiens; aussi cette conversation ne fit pas un grand effet, quoiqu'elle suspendît pour quelque temps le commerce de lettres. Montalais promit encore au Roi de ne plus servir le comte de Guiche, pourvu qu'il ne le chassât point de la Cour; et Madame demanda au Roi la même chose.

Vardes, qui étoit pour lors absolument dans la confidence de Madame, qui la voyoit fort aimable et pleine d'esprit, soit par un sentiment d'amour, soit par un sentiment d'ambition et d'intrigue, voulut être seul maître de son esprit, et résolut de faire éloigner le comte de Guiche. Il savoit ce que Madame avoit promis au Roi, mais il voyoit que toutes les promesses seroient mal observées.

Il alla trouver le maréchal de Gramont; il lui dit une partie des choses qui se passoient, il lui fit voir le péril où s'exposoit son fils, et lui conseilla de l'éloigner et de demander au Roi qu'il allât commander les troupes qui étoient alors à Nancy.

Le maréchal de Gramont, qui aimoit son fils passionnément, suivit les sentimens de Vardes, et demanda ce commandement au Roi. Et, comme c'étoit une chose avantageuse pour son fils, le Roi ne douta point que le comte de Guiche ne la souhaitât et la lui accorda.

Madame ne savoit rien de ce qui se passoit: Vardes ne lui avoit rien dit de ce qu'il avoit fait, non plus qu'au comte de Guiche, et on ne l'a su que depuis. Madame étoit allée loger au Palais-Royal, où elle avoit fait ses couches193: tout le monde la voyoit; et des femmes de la ville, peu instruites de l'intérêt qu'elle prenoit au comte de Guiche, dirent dans sa ruelle, comme une chose indifférente, qu'il avoit demandé le commandement des troupes de Lorraine et qu'il partoit dans peu de jours.

Madame fut extrêmement surprise de cette nouvelle. Le soir, le Roi la vint voir. Elle lui en parla, et il lui dit qu'il étoit véritable que le maréchal de Gramont lui avoit demandé ce commandement, comme une chose que son fils souhaitoit fort, et que le comte de Guiche l'en avoit remercié.

Madame se trouva fort offensée que le comte de Guiche eût pris sans sa participation le dessein de s'éloigner d'elle; elle le dit à Montalais et lui ordonna de le voir. Elle le vit, et le comte de Guiche, désespéré de s'en aller et de voir Madame mal satisfaite de lui, lui écrivit une lettre par laquelle il lui offrit de soutenir au Roi qu'il n'avoit point demandé l'emploi de Lorraine, et en même temps de le refuser.

Madame ne fut pas d'abord satisfaite de cette lettre. Le comte de Guiche, qui étoit fort emporté, dit qu'il ne partiroit point et qu'il alloit remettre le commandement au Roi. Vardes eut peur qu'il ne fût assez fou pour le faire; il ne vouloit pas le perdre, quoiqu'il voulût l'éloigner: il le laissa en garde à la comtesse de Soissons, qui entra dès ce jour dans cette confidence et vint trouver Madame pour qu'elle écrivît au comte de Guiche qu'elle vouloit qu'il partît. Elle fut touchée de tous les sentimens du comte de Guiche, où il y avoit en effet de la hauteur et de l'amour; elle fit ce que Vardes vouloit, et le comte de Guiche résolut de partir, à condition qu'il verroit Madame.

Montalais, qui se croyoit quitte de sa parole envers le Roi puisqu'il chassoit le comte de Guiche, se chargea de cette entrevue; et, Monsieur devant venir au Louvre, elle fit entrer le comte de Guiche, sur le midi, par un escalier dérobé et l'enferma dans un oratoire. Lorsque Madame eut dîné, elle fit semblant de vouloir dormir et passa dans une galerie où le comte de Guiche lui dit adieu. Comme ils y étoient ensemble, Monsieur revint; tout ce qu'on put faire fut de cacher le comte de Guiche dans une cheminée, où il demeura longtemps sans pouvoir sortir. Enfin Montalais l'en tira et crut avoir sauvé tous les périls de cette entrevue; mais elle se trompoit infiniment.

Une de ses compagnes, nommée Artigny194, dont la vie n'avoit pas été bien exemplaire, la haïssoit fort. Cette fille avoit été mise dans la chambre par madame de La Basinière195, autrefois Chemerault, à qui le temps n'avoit pas ôté l'esprit d'intrigue, et elle avoit grand pouvoir sur l'esprit de Monsieur. Cette fille, qui épioit Montalais et qui étoit jalouse de la faveur dont elle jouissoit auprès de Madame, soupçonna qu'elle menoit quelque intrigue. Elle le découvrit à madame de La Basinière, qui la fortifia dans le dessein et dans le moyen de la découvrir; elle lui joignit, pour espion, une appelée Merlot, et l'une et l'autre firent si bien qu'elles virent entrer le comte de Guiche dans l'appartement de Madame.

Madame de La Basinière en avertit la Reine mère par Artigny; et la Reine mère, par une conduite qui ne se peut pardonner à une personne de sa vertu et de sa bonté, voulut que madame de La Basinière en avertît Monsieur. Ainsi l'on dit à ce prince ce que l'on auroit caché à tout autre mari.

Il résolut, avec la Reine sa mère, de chasser Montalais, sans en avertir Madame ni même le Roi, de peur qu'il ne s'y opposât, parce qu'elle étoit alors fort bien avec lui, sans considérer que ce bruit alloit faire découvrir ce que peu de gens savoient. Ils résolurent seulement de chasser encore une autre fille de Madame, dont la conduite personnelle n'étoit pas trop bonne.

Ainsi, un matin, la maréchale Du Plessis196, par ordre de Monsieur, vint dire à ces deux filles que Monsieur leur ordonnoit de se retirer, et à l'heure même on les fit mettre dans un carrosse. Montalais dit à la maréchale Du Plessis qu'elle la conjuroit de lui faire rendre ses cassettes, parce que si Monsieur les voyoit Madame étoit perdue. La Maréchale en alla demander la permission à Monsieur, sans néanmoins lui en dire la cause. Monsieur, par une bonté incroyable en un homme jaloux, laissa emporter les cassettes, et la maréchale du Plessis ne songea point à s'en rendre maîtresse pour les rendre à Madame. Ainsi elles furent remises entre les mains de Montalais, qui se retira chez sa sœur, Françoise de Montalais, mariée à Jean de Bueil, comte de Sancerre et Marans. Quand Madame s'éveilla, Monsieur entra dans sa chambre et lui dit qu'il avoit fait chasser ses deux filles: elle en demeura fort étonnée, et il se retira sans lui en dire davantage. Un moment après, le Roi lui envoya dire qu'il n'avoit rien su de ce qu'on avoit fait, et qu'il la viendroit voir le plus tôt qu'il lui seroit possible.

Monsieur alla faire ses plaintes et conter ses douleurs à la reine d'Angleterre, qui logeoit alors au Palais-Royal. Elle vint trouver Madame et la gronda un peu, et lui dit tout ce que Monsieur savoit de certitude, afin qu'elle lui avouât la même chose et qu'elle ne lui en dît pas davantage.

Monsieur et Madame eurent un grand éclaircissement ensemble; Madame lui avoua qu'elle avoit vu le comte de Guiche, mais que c'étoit la première fois, et qu'il ne lui avoit écrit que trois ou quatre fois.

Monsieur trouva un si grand air d'autorité à se faire avouer par Madame les choses qu'il savoit déjà, qu'il lui en adoucit toute l'amertume; il l'embrassa et ne conserva que de légers chagrins. Ils auroient sans doute été plus violens à tout autre qu'à lui; mais il ne pensa point à se venger du comte de Guiche; et quoique l'éclat que cette affaire fit dans le monde semblât par honneur l'y devoir obliger, il n'en témoigna aucun ressentiment. Il tourna tous ses soins à empêcher que Madame n'eût de commerce avec Montalais; et, comme elle en avoit un très-grand avec La Vallière, il obtint du Roi que La Vallière n'en auroit plus. En effet elle en eut très-peu, et Montalais se mit dans un couvent.

Madame promit, comme on le peut juger, de rompre toutes sortes de liaisons avec le comte de Guiche, et le promit même au Roi; mais elle ne lui tint pas parole. Vardes demeura le confident, au hasard même d'être brouillé avec le Roi; mais, comme il avoit fait confidence au comte de Guiche de l'affaire d'Espagne, cela faisoit une telle liaison entre eux qu'ils ne pouvoient rompre sans folie. Il sut alors que Montalais étoit instruite de la lettre d'Espagne, et cela lui donnoit des égards pour elle dont le public ne pouvoit deviner la cause, outre qu'il étoit bien aise de se faire un mérite auprès de Madame de gouverner une personne qui avoit tant de part à ses affaires.

Montalais ne laissoit pas d'avoir quelque commerce avec La Vallière, et, de concert avec Vardes, elle lui écrivit deux grandes lettres, par lesquelles elle lui donnoit des avis pour sa conduite, et lui disoit tout ce qu'elle devoit dire au Roi. Le Roi en fut dans une colère étrange et envoya prendre Montalais par un exempt, avec ordre de la conduire à Fontevrault et de ne la laisser parler à personne. Elle fut si heureuse qu'elle sauva encore ses cassettes et les laissa entre les mains de Malicorne, qui étoit toujours son amant.

La Cour fut à Saint-Germain. Vardes avoit un grand commerce avec Madame; car celui qu'il avoit avec la comtesse de Soissons, qui n'avoit aucune beauté, ne le pouvoit détacher des charmes de Madame. Sitôt qu'on fut à Saint-Germain, la comtesse de Soissons, qui n'aspiroit qu'à ôter à la Vallière la place qu'elle occupoit, songea à engager le Roi avec la Mothe-Houdancourt197, fille de la Reine. Elle avoit déjà eu cette pensée avant que l'on partit de Paris; et peut-être même que l'espérance que le Roi viendroit à elle s'il quittoit La Vallière, étoit une des raisons qui l'avoient engagée à écrire la lettre d'Espagne. Elle persuada au Roi que cette fille avoit pour lui une passion extraordinaire; et le Roi, quoiqu'il aimât avec passion La Vallière, ne laissa pas d'entrer en commerce avec La Mothe, mais il engagea la comtesse de Soissons à n'en rien dire à Vardes; et en cette occasion la comtesse de Soissons préféra le Roi à son amant et lui tut ce commerce.

Le chevalier de Gramont198 étoit amoureux de La Mothe. Il démêla quelque chose de ce qui s'étoit passé, et épia le Roi avec tant de soin, qu'il découvrit que le Roi alloit dans la chambre des filles.

Madame de Navailles, qui étoit alors dame d'honneur, découvrit aussi ce commerce. Elle fit murer des portes et griller des fenêtres. La chose fut sue; le Roi chassa le chevalier de Gramont, qui fut plusieurs années sans avoir permission de revenir en France.

Vardes aperçut, par l'éclat de cette affaire, la finesse qui lui avoit été faite par la comtesse de Soissons, et en fut dans un désespoir si violent, que tous ses amis, qui l'avoient cru jusques alors incapable de passion, ne doutèrent pas qu'il n'en eût une très-vive pour elle. Ils pensèrent rompre ensemble; mais le comte de Soissons, qui ne soupçonnoit rien au-delà de l'amitié entre Vardes et sa femme, prit le soin de les raccommoder. La Vallière eut des jalousies et des désespoirs inconcevables; mais le Roi, qui étoit animé par la résistance de La Mothe, ne laissoit pas de la voir toujours. La Reine mère le détrompa de l'opinion qu'il avoit de la passion prétendue de cette fille; elle sut par quelqu'un cette intelligence, et que c'étoit le marquis d'Alluye199 et Fouilloux200, amis intimes de la comtesse de Soissons, qui faisoient les lettres que La Mothe écrivoit au Roi; et elle sut à point nommé qu'elle lui en devoit écrire une, qui avoit été concertée entre eux pour lui demander l'éloignement de La Vallière.

Elle en dit les propres termes au Roi, pour lui faire voir qu'il étoit dupé par la comtesse de Soissons; et le soir même, comme elle donna la lettre au Roi, y trouvant ce qu'on avoit dit, il brûla la lettre, rompit avec La Mothe, demanda pardon à La Vallière et lui avoua tout; en sorte que depuis ce temps-là La Vallière n'en eut aucune inquiétude; et La Mothe s'est piquée depuis d'avoir une passion pour le Roi, qui l'a rendue une vestale pour tous les autres hommes.

L'aventure de La Mothe fut ce qui se passa de plus considérable à Saint-Germain. Vardes paroissoit déjà amoureux de Madame, aux yeux de ceux qui les avoient bons; mais Monsieur n'en avoit aucune jalousie, et au contraire étoit fort aise que Madame eût de la confiance en lui.

La Reine mère n'en étoit pas de même: elle haïssoit Vardes et ne vouloit pas qu'il se rendît maître de l'esprit de Madame.

On revint à Paris. La Vallière étoit toujours au Palais-Royal; mais elle ne suivoit point Madame, et même elle ne la voyoit que rarement. Artigny, quoique ennemie de Montalais, prit sa place auprès de La Vallière: elle avoit toute sa confiance, et étoit tous les jours entre le Roi et elle.

Montalais supportoit impatiemment la prospérité de son ennemie et ne respiroit que les occasions de s'en venger et de venger en même temps Madame de l'insolence qu'Artigny avoit eue de découvrir ce qui la regardoit.

182.Antonin Nompar de Caumont, marquis de Puyguilhem, depuis duc de Lauzun, cadet de la maison de Caumont, et non de Lauzun, né en 1633, mort en 1723. Quand madame de La Fayette écrit Peguilin, elle figure la prononciation de Puyguilhem. De même Racine écrit dans une de ses lettres Chammelay le nom de la Champmeslé qu'il connaissait pourtant bien.
183.Par sa grand'mère qui était de Gramont.
184.Mademoiselle de Montalais, fille de Pierre de Montalais, seigneur de Chambellay, et de Renée Le Clerc de Sautré, sœur de madame de Marans. – Le texte de 1720 porte en titre: «Portrait de Montalais.»
185.Marguerite de Lorraine, veuve de Gaston, duc d'Orléans.
186.Intendant de la maison de Gaston d'Orléans.
187.Françoise Le Prévost, mariée successivement à messire Bernard Rosay, conseiller en la cour du Parlement de Paris, à Laurent de La Baume Le Blanc, chevalier, seigneur de La Vallière, dont elle eut Louise-Françoise, qui devint maîtresse de Louis XIV, et à M. de Saint-Remi, premier maître d'hôtel de Gaston d'Orléans. Voir page 46, lignes 14 et suivantes. – Bazin écrit, je ne sais pourquoi, «La Valière».
188.Germain Texier, comte de Hautefeuille, baron de Malicorne, gentilhomme ordinaire du Roi, conseiller d'État d'épée, marié, en 1665, à Catherine Marguerite de Courtarvel, fille du premier lit de Jacques de Saint-Remi, mort en 1694.
189.Louis-Alexandre de La Trémoille, né en 1642.
190.Philippe IV, roi d'Espagne.
191.Dona Maria Molina.
192.Suzanne de Baudean de Neuillan, femme de Philippe de Montault-Bénac, duc de Navailles, dame d'honneur de la Reine.
193.Le 27 mars 1662.
194.Claude-Marie du Gast d'Artigny épousa en 1666 Louis-Pierre-Scipion de Grimoard de Beauvoir de Montlaur, comte du Roure, cousin du duc de Créquy. «C'était, dit Saint-Simon, une intrigante de beaucoup d'esprit et que la faveur de mademoiselle de La Vallière avait accoutumée à beaucoup de hauteur. Elle se trouva mêlée dans beaucoup de choses avec la comtesse de Soissons, qui les firent chasser chacune de la Cour, puis avec la même dans les dépositions de la Voisin… Elle en fut quitte pour l'exil en Languedoc où elle a passé le reste de sa vie.»
195.Françoise de Barbezières Chemerault, mariée en 1645 à Macé Bertrand de la Basinière, baron de Vouvans et du Grand-Précigny, trésorier de l'Epargne.
196.Colombe Le Charron, femme de César, duc de Choiseul, maréchal du Plessis, première dame d'honneur de Madame.
197.Anne-Lucie de La Mothe-Houdancourt, nièce d'Antoine de La Mothe, marquis d'Houdancourt, maréchal de France.
198.Philibert, chevalier et plus tard comte de Gramont, le héros des Mémoires d'Hamilton, frère du maréchal Antoine III, duc de Gramont.
199.Paul d'Escoubleau, marquis d'Alluye et de Sourdis, gouverneur d'Orléans.
200.Bénigne de Meaux de Fouilloux, épousa Paul d'Escoubleau marquis d'Alluye, en 1667. «Amie intime de la comtesse de Soissons et des duchesses de Bouillon et Mazarin, [la marquise d'Alluye] passa sa vie dans les intrigues de la galanterie, et quand son âge l'en exclut pour elle-même, dans celles d'autrui… D'estime elle ne s'en étoit jamais mise en peine, sinon d'être sûre et secrète au dernier point; avec cela tout le monde l'aimoit, mais il n'alloit guère de femmes chez elle.» (Saint-Simon). Elle mourut en 1720, âgée de plus de quatre-vingts ans.