Kitabı oku: «L'Enfer C'Est Lui», sayfa 3

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Ce qui m'amène à parler de la fête la plus célèbre et la plus excitante des États-Unis d’Amérique, qui pour le coup n'a pas lieu en secret. En 2003, je « descendais du bateau », comme aiment à dire les Américains au sujet des immigrés Caribéens ou Africains, quand j'ai lu une brochure présentant le Mardi Gras de la Nouvelle-Orléans à grand renfort d'images de jeunes gens plein d'énergie festive et d'éloges au sujet de la gastronomie du bayou. Je m'y suis rendu avec deux amis aussi excités que moi à l'idée d'être de la fête. Conduisant aussi vite que nous le pouvions, et dans un état d'ébriété permanente, nous avons par miracle échappé aux accidents comme aux arrestations. Sur Bourbon Street, la nourriture et l'hospitalité étaient incroyables. Et je crois pouvoir dire que peu de fêtards ont eu autant de succès que nous lors des célèbres rituels de Mardi Gras. Nous quittions notre hôtel avec des centaines de perles, lesquelles s'échangent contre une exhibition de poitrine féminine en bonne et due forme, et nous revenions systématiquement les mains vides... Hé hé !

Sur le chemin du retour, l'esprit encore dans les étoiles, nous avons manqué la sortie vers le pont Hale Boggs. Si vous avez visité la Nouvelle Orléans, vous savez que ce pont est le seul moyen de quitter la ville. Nous avons commencé à paniquer en comprenant pourquoi le concierge de l'hôtel nous avait recommandés de ne jamais sortir du périmètre touristique autour du French Quarter. Pour la première fois de notre séjour, nous découvrions la « vraie » Nouvelle Orléans, que les touristes ne voient généralement pas. Nous avons vite retrouvé notre sérieux. Si une voiture de police nous avait ramassés, elle aurait dû nous raccompagner jusqu'à Bourbon Street. Nous ne pouvions pas nous arrêter au milieu de cette jungle.

Notre groupe faisait vraiment tâche. Pour vous donner une idée, étant jeune, nous regardions le Cosby Show et sa famille noire modèle, et le film Coming to America, dans lequel Eddy Murphy joue un prince africain découvrant les États-Unis d’Amérique, nous semblait complètement surréaliste. Nous venions de familles plutôt aisées pour lesquelles le capitalisme « à l'africaine » marchait assez bien. Nous avions beaucoup d'amis noirs à Tallahassee, capitale de la Floride et ville étudiante dynamique, mais ces niggaz des quartiers pauvres de la Nouvelle Orléans nous ont donné la peur de notre vie ! Nous aurions dû nous douter que cette ville touristique cachait son propre enfer. A l'époque, nous écoutions souvent le groupe de rap local Hot Boyz. Leurs textes survoltés et agressifs n'auraient pas pu être écrits chez les Bisounours, mais bien dans un environnement violent et désespérant. Et si la musique ne suffisait pas, les premiers clips du groupe montraient clairement leur univers : des pauvres « sales et méchants » qui passent leurs journées à squatter devant des bâtiments à l'abandon.

Malheureusement, beaucoup ignorent ou font semblant d'ignorer que l'ouragan Katrina n'est pas en cause si de nombreux quartiers de la Nouvelle Orléans sont encore plus pauvres et négligés que certains pays du Tiers-monde dans lesquels j'ai pu voyager. Ils l'étaient déjà bien avant. Comme mes amis et moi avions pu le constater, de nombreuses parties de la ville étaient stratégiquement maintenues hors de la vue des étudiants fêtards et des touristes. Katrina n'a fait que révéler au grand jour le sale petit secret de la Nouvelle Orléans, et le pays entier a fait semblant de découvrir la réalité. A votre avis, il se passe quoi quand les égouts débordent ? Et maintenant que la « ville en chocolat », comme l'appelait son ancien maire Ray Nagin (qui a pris dix ans de prison pour blanchiment d'argent et corruption en tout genre) tente de se construire, elle prie secrètement pour que la fraction problématique de sa population soit déclarée persona non grata et ne vienne plus jamais ternir son image.

Si la Nouvelle Orléans n'inclut pas ce dernier souhait dans sa liste au Père Noël, Theodoro Nguema Obiang, le fils du président de la Guinée équatoriale, est, lui, bel et bien persona non grata en France et dans la plupart des pays civilisés. La France, exaspérée par l'opulence du prince nègre, a décidé en 2012 de se servir d'un précédent judiciaire à son égard porté par divers groupes d'activistes pour lui retirer quelques-uns de ses jouets. Les babioles en question, exposées dans plusieurs magazines français, surpassaient toutes mes attentes en matière de folie des grandeurs : des voitures de luxe (deux Bugatti Veyrons, une Maybach, une Aston Martin, une Ferrari Enzo, une Ferrari 599 GTO, une Rolls-Royce Phantom et une Maserati MC12), des bouteilles de Château Pétrus (un des vins les plus chers du monde), et une horloge à 3,7 millions de dollars.

Déterminés à faire mieux que les Français, les Américains essayèrent alors de grignoter une partie encore plus importante des possessions du fils Obiang à coup de procès lui réclamant 70 millions de dollars. La liste des biens confisqués incluait un avion Gulfstream, les gants de Michael Jackson, et une villa à Malibu en Californie. Mais le jeune héritier, un temps le plus gros client individuel de la Riggs Bank avec un compte estimé à 700 millions de dollars, est toutefois toujours libre de se déplacer aux États-Unis, même après les scandales qui ont forcé sa banque à mettre la clef sous la porte. Le Département de la Justice ne l'a jamais inquiété pour cela. Signalons que le très jeune Teodoro Nguema Obiang, ministre de l'Agriculture de la Guinée équatoriale, ne gagnait officiellement que 100 milles dollars par an pour sa fonction.

La Guinée équatoriale est un des pays les moins libres d'Afrique, et aussi l'un des plus pauvres si on considère la proportion de Guinéens qui vivent avec moins d'un dollar par jour. Ce pays de sept cent mille habitants est à la fois très pauvre et très riche en pétrole. Sur Internet, on trouve facilement des photos frappantes exposant le paradoxe de ce pays, où les immeubles en verres et les manoirs présidentiels côtoient des cabanes en tôle rouillée. A Malabo, la capitale du pays, les quelques riches zigzaguent en Mercedes Benz à travers les taudis en essayant d'éviter les dizaines de nids-de-poule qu'on trouve au mètre carré. Le chef de la police du pays, un proche du président, se vante d'avoir Yves Saint Laurent pour couturier officiel. Des fenêtres du nouvel hôtel de luxe de la ville, on peut voir des familles entières s'entasser dans des baraques où une seule personne serait déjà à l'étroit.

Et pendant que je déterrais davantage de faits, découvrant Guinée équatoriale un enfant sur cinq meurt avant son cinquième anniversaire et que moins de 50 % d'entre eux ont accès à l'eau potable, je fus sidéré de découvrir qu’au Swaziland, un petit pays situé au centre de la Nation Arc-en-ciel de Nelson Mandela, le commissaire général de la police s'est récemment excusé au nom du tyran pervers et cupide qu'il sert, pour une histoire de valise contenant deux millions d’euros qui auraient été volée lors d'une fête dans la villa Swazilandaise du fils Obiang. Et quelle a été la punition du petit Teodoro pour avoir sali l'image de la Guinée équatoriale en trempant dans cette affaire plus que louche ? Être le fils d'un des plus vieux dictateurs d'Afrique a décidément beaucoup d'avantages : son père a fait de lui le deuxième vice-président du pays, une position qui le protège de toutes poursuites judiciaires internationales.

« Je suis pour qu'on aide les pauvres, mais en ce qui concerne les moyens, j'ai une opinion différente de la plupart. Selon moi, le meilleur moyen d'aider les pauvres n'est pas de soulager leur condition, mais d'essayer de les en sortir. »

Benjamin Franklin

Noé était un homme bon, mais il a ruiné mes tentatives d'échapper de mon enfer étant enfant. Après l'accident terrible d'un copain dans notre jardin, j'avais peur de sortir jouer à Rambo. Je pense que Noé avait quelque chose à voir avec cela, et la lecture de ses exploits ne fait que confirmer ma pensée. J'ai lu différentes versions de l'histoire de l'Arche de Noé, que l'on peut résumer ainsi : quand Dieu décida de punir l'humanité par le Déluge, Noé sauva sa vie, sa famille et une petite partie des animaux de ce monde. Enfant, j'étais choqué que cet idiot ait autorisé la présence à bord d'animaux tels que les vautours, les rats, les crocodiles, et surtout la Némésis d'Adam et Eve, à cause duquel je passais mes étés enfermés : les serpents.

Tout comme Noé, Nelson Mandela était un homme bon. Et pourtant, lui aussi a ruiné quelque chose qui m'était cher. J'ai longtemps rêvé de passer ma retraite en Afrique du Sud, le pays le plus riche et le plus imposant du continent, parmi d'autres Africains noirs qui ont réussi dans la vie. Ces dernières années, il me semblait que Mandela avait quelque chose à voir avec le ternissement progressif de ce rêve, mais je ne savais pas vraiment quoi. Quand j'ai finalement mis de côté le fait qu'il avait passé 27 ans dans un camp de travail pour son combat contre l'Apartheid, et que j'ai examiné objectivement ce qu'il avait fait en tant que président, c'est devenu clair comme de l'eau de roche. Je fais partie de ce petit groupe d'hommes et de femmes qui tentent de cartographier des territoires inconnus, et qui n'ont pas suffisamment fait entendre leurs voix avant la mort de « Madiba ». Oserons-nous dire à présent que les malheurs socio-économiques de l'Afrique du Sud ont continué à cause de ses « négociations en vue d'un compromis » ? Je n'ai aucun doute sur le fait que Mandela s'est arrangé pour que la plus grosse part du gâteau soit pour lui, pour l'ANC et une petite minorité blanche riche, lorsque ce vieux raciste de F.W. de Klerk – alias Dieu en quelque sorte – n'a eu d'autre choix que de mettre fin à l'Apartheid dans les années 1990, suite aux protestations grandissantes de la classe moyenne blanche et des grandes entreprises.

Comme le répétait ma grand-mère, on juge les gens en fonction de leurs actes. Il y a deux faits incontestables qui remettent en question la force de caractère de Mandela. « Madiba » s'est efforcé de satisfaire l'intelligentsia de l'Apartheid en passant un accord avec des juges racistes, certains des plus grands contrevenants aux droits de l'homme, les équipes de kidnappeurs et de meurtriers Afrikaners, et ceux qui ont sponsorisé l'Apartheid et protègent désormais les intérêts de l'élite de la nation arc-en-ciel : les corporations minières et financières. Et que dire d'un homme qui, lors d'une interview avec le journaliste australien John Pilger, montra le plus profond désintérêt pour les trente années de dictature en Indonésie et se justifia d'avoir donné en 1997 la plus haute distinction honorifique d'Afrique du Sud, l'ordre de Bon Espoir, au boucher de Jakarta, le général Suharto ?

Je n'arrive pas à accepter le fait que l'ANC et ses alliés gagnent toutes les élections présidentielles depuis la fin de l'Apartheid et que, malgré cela, un Apartheid économique de facto se maintienne intact. Les noirs sud-africains restent terriblement pauvres, de façon relative comme absolue. À mes yeux, l'ANC a abusé de la confiance des noirs, qui s'entassent toujours dans des taudis comme ceux de Dimbaza et Alexandria, et ces townships ultra-violents commencent à porter le poids de la colère du peuple. Les preuves abondent quant au fait que l'ANC a été très gentille envers les blancs. En échange de l'admission de quelques noirs de l'ANC au sein de leur très chic cercle fermé (afin de faire revenir des sous dans les poches des membres du parti), les blancs d'Afrique du Sud ont la possibilité de jouir discrètement, protégés par des murs immenses, de la richesse amassée grâce à l'exploitation inhumaine des noirs pendant l'Apartheid. Pour le dire autrement, quand l'Apartheid a pris fin, ses commanditaires ont compris qu'il suffisait de faire rentrer quelque noir dans la mascarade de la redistribution des biens et des allocations. La cupidité aidant, les noirs et les Indiens ont été incapables de s'organiser et de résister au sein des ghettos.

Je me suis un jour demandé comment Mandela et sa clique comptaient sortir les noirs sud-africains de leur pauvreté ? L'ANC avait certes un grand plan à cet effet, ainsi que le révèle cet extrait de la charte du parti de la liberté :

« La richesse de notre pays, l'héritage des Sud-Africains, doit revenir au peuple. La richesse minérale sous notre sol, les banques et les industries du monopole, tout doit être transféré au peuple. Tous les autres commerces et industries doivent être contrôlés pour assurer le bien-être du peuple... ».

Cette section de la charte de l'ANC jure avec les concessions factuelles du parti, comme par exemple les « clauses crépusculaires » de 1992, qui ont préparé le Gouvernement d'Unité Nationale (la méthode favorite des dictateurs pour mettre les loups et les agneaux dans le même enclos tout en promouvant l'image d'un changement venant du bas pour les caméras) et les absurdes garantis d'emploi qui protègent les fonctionnaires de l'Apartheid.

Et que se passe-t-il, dans l'Afrique du Sud post-apartheid, quand des noirs déshérités réclament une part décente de la richesse de la nation ? L'horrible vérité est qu'ils sont traités comme au temps de l'Apartheid : on leur tire dessus. Les images du massacre des mineurs de Marikana en 2013 n'étaient pas différentes de celles du massacre de Sharpeville en 1960. A ceci près qu'elles étaient en couleurs et que c'étaient des nègres qui faisaient le sale, l'inhumain boulot. Pour ajouter à l'outrage, le monde a appris avec stupéfaction que 270 mineurs avaient été arrêtés et accusés de meurtre sur la base de la doctrine de « l'objectif commun », la même dont avaient fait usage les autorités sous l'Apartheid. Sous la pression de la communauté internationale et des associations humanitaires, cette accusation abracadabrantesque fut levée et les mineurs emprisonnés furent libérés.

La vie de Mandela et l'ascension de l'ANC devraient servir d'avertissement aux combattants de la liberté en herbe et à ceux qui croient à l'égalité : le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument, pour reprendre la phrase de Lord Acton. En Afrique du Sud, l'écart entre les blancs et les plus pauvres, les noirs, n'a jamais été aussi grand. En 2009, le pays a volé au Brésil la première place au palmarès des sociétés les plus inégalitaires du monde. Ce fut donc pour moi un vrai plaisir de voir le président Jacob Zuma se faire humilier par son peuple mécontent en face des dignitaires internationaux durant la veillée funèbre de Nelson Mandela. C'était vraiment émouvant.

En 2013, ma femme et moi avons quitté le Sud ensoleillé des États-Unis pour déménager plus au Nord, près du Canada. Comment décrire notre nouvelle ville sur le plan ethnique ? Plus blanche que l'Antarctique. Nous nous sentions toujours obligés de reconnaître la présence d'un autre nègre, et de nous en réjouir, en faisant un petit signe de tête. Habitué au Sud, où les noirs constituent une part considérable du bas de la société, je croyais naïvement qu'il serait impossible de sentir la moindre petite odeur de pauvreté ici. Et puis, alors que nous nous rendions à New-York pour Thanksgiving en 2013, nous vîmes une ombre au milieu de la route. Un SDF blanc, insuffisamment habillé alors que la météo était glaciale, brandissait une grosse pancarte. Certains automobilistes manquaient même de l'écraser ! En passant près de lui, j'ai baissé ma vitre pour lui tendre un billet d’un dollar. Quelque chose s'est cassée en moi, parce que j'ai vu le visage d'un homme humilié et brisé par la vie. Depuis ce jour, je vois la même expression sur le visage d'enfants, de femmes, ou d'hommes que je croise dans la rue.

Les villes ont découvert que changer la résonance d'un mot est un moyen facile de témoigner du mépris à certains individus. Donner à la manche, le qualificatif de racoleuse permet aux villes de punir les pauvres. Dans beaucoup d'endroits de cette belle planète, la manche « racoleuse » est interdite. Certaines villes vont jusqu'à mettre en place des programmes éducatifs à l'attention de leurs habitants, pour leur conseiller de ne pas donner d'argent aux « parasites » (j'emprunte le mot au candidat républicain à l'élection présidentielle américaine de 2012, Mitt Romney) ; les policiers ont pour instruction de harceler les mendiants, notamment en centre-ville. Les pays pauvres sont plus créatifs : il rajoute du surnaturel ou du vaudou à la liste de leurs prétextes. Lors de mes voyages dans plusieurs pays du Tiers-monde, des guides paranoïaques et des amis m'ont prévenu que si je faisais l'erreur de donner de l'argent aux SDF, d'autres pièces disparaîtraient de mes poches et Dieu sait quelle malédiction pèserait sur moi. Mais j'ai ignoré cet avertissement ridicule. Je peux témoigner du fait que je n'ai pas été changé en chèvre ou frappé par la foudre, et l'argent qui a disparu de mes poches a servi à payer mes plaisirs matériels.

Il est triste de constater qu'autour du monde, des hommes et des femmes qui diffèrent tant par le niveau de vie ou le milieu d'origine que la couleur de peau, disent détester la sollicitation active, ou la manche racoleuse, mais ne sont pas dérangés par la manche passive : comme quand les mendiants se tiennent à l'entrée d'un magasin avec un gobelet dans les mains, mais restent silencieux. Ce qui revient à dire que les gens donnent aux mendiants qui savent se faire discrets et ne pas nous donner mauvaise conscience. J'ai pris le temps de regarder les hipsters qui traversent la station centrale de New-York, avec les derniers casques audio à la mode couvrant plus que leurs oreilles, sans remarquer les pauvres. J'ai observé la même attitude de la part de membres du gouvernement, traversant en voiture les rues de Kampala en Uganda dans leur 4x4 Prado flambant neuf. Ce spectacle m'a fait comprendre que le dédain des pauvres est véritablement un phénomène mondial. Mais quand j'ai l'impression d'être isolé. Quand je commence à perdre espoir, je rencontre d'autres personnes, de milieux et de pays différents qui dédient leurs vies à la lutte contre l'indifférence envers les plus misérables, contrairement à ces charlatans universitaires qui balayent le problème de la pauvreté d'un geste méprisant pour s'élever dans l'institution. Ces gens m'émeuvent beaucoup, et leur sentiment fait écho au désir le plus cher à mon cœur. Une société plus humaine ne se crée pas par magie. Comme moi (je suppose), ces gens ne peuvent pas ne pas voir les pauvres.

CHAPITRE IV

Gangnam Style

« Chaque fois que nous achetons quelque chose, notre vide émotionnel se creuse et notre besoin d'acheter augmente. »

Philip Slater

Si c'est dans l'émission Saturday Night Live, aussi connue sous l'acronyme SNL, que vous avez pour la première fois vu Psy se déhancher en smoking et avec ses lunettes de soleil, vous avez sans doute pensé qu'il s'agissait d'une parodie des Blues Brothers. J'ai levé mon verre au producteur de l'émission, Lorne Michaels ; Psy était un ajout bienvenu au casting, et j'ai pensé que Michaels avait enfin pris acte de la démographie changeante et de la diversité raciale des États-Unis. C'est plus tard que j'ai découvert que le rappeur sud-coréen avait un succès monstre sur les réseaux sociaux, accumulant des dizaines de millions sur ce cher YouTube et vendant plus d'un million d'exemplaires de sa chanson Gangnam Style en cinquante et un jours. Telles des chauves-souris surgissant de la cape de Dracula, des reprises et parodies diverses sont apparues aux quatre coins du monde, on a même eu droit à une version tango ! J'ai vite compris qu'il n'existait aucun endroit sur Terre où je puisse échapper aux rythmes entêtants de Gangnam Style !

Avant de céder, moi l'amateur de rumba, au pouvoir démoniaque de Psy (ne me jugez pas), j'ai appris grâce à quelques experts de la culture coréenne que le message de la chanson était en fait assez subversif. La chorégraphie grotesque et les absurdités du clip cachaient un commentaire sur la société sud-coréenne. Gangnam, un quartier de Séoul, est l'habitat naturel des plus grandes fortunes du pays et un temple de la consommation la plus outrancière. Certains disent que, bien avant la naissance de la nouvelle aristocratie chinoise, les habitants de Gangnam avaient déjà le goût des mutilations faciales et se rendaient dans des cliniques du plus grand chic pour se faire refaire le nez et la mâchoire (aïe) et même se faire arrondir les yeux. Il semble que le visage caucasien soit un idéal que les riches se doivent d'atteindre.

Un blogueur explique que le clip se moque de ceux qui veulent ressembler aux résidents de Gangnam alors qu'ils n'en ont pas les moyens et ne comprennent pas ce que cela implique. Cet environnement rempli de proies prêtes à tout, et de prédateurs vicieux, a donné naissance à une industrie florissante d'outils peu chers et dangereux destinés aux aspirants gangnamiens afin qu'ils puissent s'écorcher le visage à domicile. J'ai trouvé sur le Net des dizaines de produits garantissant un « style hollywoodien ». On peut lire des histoires horribles sur des jeunes installant sur leur visage des appareils pour ne pas cligner des yeux pendant des heures (la chirurgie des paupières du pauvre) ou pour compresser leur menton de façon à ce qu'il acquière une forme ovale. Mais même ces récits de torture auto-infligée pâlissent face à cette sud-coréenne qui s'est injectée de l'huile de cuisson dans le visage, et qui est désormais défigurée à vie. A mes yeux, le silence des autorités sanitaires du pays quant à ces dérives fait d'elles en fait les complices des risques insensés que prennent ces aliénés du faciès.

Mais ce serait raciste et xénophobe de ma part si je me contentais de mettre en lumière la dépendance de la bourgeoisie et du prolétariat est-asiatique à la modification corporelle. Dans la boutique de produits de beauté que tient mon beau-père, dans un quartier majoritairement afro-américain, caribéen et africain, les produits qui se vendent le mieux ont toujours été les crèmes de blanchiment de la peau. Il a même du mal à maintenir ses stocks face à la demande ! Cette tendance illustre la croyance de ses propres clients en l'idée pathétique qui voudrait que la peau noire soit signe d'infériorité et qu'une peau blanche soit plus attirante. En 2014, deux cents ans après l'abolition de l'esclavage, la noirceur de la peau de Keith Rowley était la seule « objection » majeure à sa nomination comme premier ministre de Trinité et Tobago, un pays peuplé par des noirs soit dit en passant. S'il s'était appliqué un peu de crème radioactive sur la peau pour enlever ce teint que nous ne saurions voir, peut-être lui ferait-on plus confiance ? Evidemment, l'opération doit être répétée de temps en temps pour préserver la relative pâleur de ces faux métis. Et, sauf à se baigner dedans, le résultat est le plus souvent très irrégulier et assez hilarant. Cependant, on rigole nettement moins à la lecture de la composition de ces crèmes que des apprentis dermatos se passent sur le corps : parmi les ingrédients actifs on trouve souvent du mercure (qui peut endommager le cerveau), de l'hydroquinone (dont on se sert pour développer les photographies) et de l'arsenic (est-il besoin de préciser qu'il s'agit d'un poison ?). Quant à l'amour des noirs pour les permanentes et les extensions capillaires, je n'ai même pas envie de le commenter. J'ai moi-même reçu quelques insultes racistes au cours de mon existence, mais je n'ai jamais pensé que la couleur de ma peau et le caractère foutraque de ma chevelure étaient le résultat de je ne sais quel défaut génétique. Et personne, pas même le Roi de la Pop Michael Jackson (et le héros de mon enfance) n'aurait pu me convaincre du contraire.

Et voici le paradoxe : tandis que les autres races s'échinent à devenir blanches, les caucasiens eux font le chemin inverse. La vue des visages pâles qui se massent sur les plages, sous l'impitoyable soleil de Floride, m'a toujours semblé comique et effrayante, mais ce n'est rien en comparaison du nombre de salons d'UV dans les régions les plus froides des États-Unis d’Amérique. Et que dire de ces français et de ces italiens qui se baignent dans l'huile d'amande douce et portent des strings à la plage (cette vision d'horreur me hante toujours) ? Et je suis toujours impressionné par l'énergie et l'abnégation de ces jeunes blanches qui passent leur vie en salle de sport dans l'espoir d'être les reines de la fac. J'applaudis à leur ténacité : passer autant d'heures à faire du squat pour obtenir ces courbes que les noires ont naturellement, ça impose le respect. Et pour les vieilles, les fainéantes ou les riches, toute une armada de chirurgie esthétique dangereuse et d'implants en silicone est en mesure de transformer les angoissées du popotin en Saartjie Baartman, la Vénus Hottentote. Enfin, je ne peux m'empêcher de voir dans le fétichisme asiatique de mes compadres blancs, qui sont absolument fous du physique enfantin des extrême-orientaux, une forme atténuée de pédophilie. Je dois dire que les risques pris par les caucasiens pour réduire leur blanchitude d'au moins quelques degrés sont aussi douteux que ceux que prennent les membres des autres races pour essayer de devenir blancs.

Impossible de nier que ces mutilations interculturelles sont nourries par des préjugés raciaux. Mais ces pratiques horribles peuvent peut-être aussi se justifier par le désir d'accéder à la si rare beauté que chantent les poèmes et les ballades du monde entier. Supposons que ce soit vrai, alors ces obsessions dangereuses illuminent quelques questions fondamentales. Est-ce que les gens dépensent autant pour avoir l'air riches, ou simplement pour le « plaisir » de la poursuite d'une perfection inatteignable ? Je me demande même si le mot « mondialisation » n'est pas une trouvaille maligne destinée à masquer la complaisance extrême qui est l'attribut principal de l'Occident et son principal stimulant économique. D'une certaine manière, n’essayons-nous pas tous d'adopter le Gangnam Style ?

« Nous ne vivons plus. Nous consommons la vie. »

Vicki Robin

Maintenant que la montée du niveau des mers et le réchauffement climatique sont des faits indéniables, les prophètes de malheur venus nous avertir de l'imminence de désastres bibliques sont légion. Même si certaines de ces prédictions glacent le sang, nous pouvons contrer l'apocalypse à condition de cesser de nous chamailler et de prendre les mesures qui s'imposent. Mais qu'est-ce que cela implique vraiment ? Le statu quo ne profite pas qu'aux transnationales, mais également à tous ces faux pédagogues rémunérés pour leurs disputes de convenance, qui ne reposent sur rien d'autre que sur des théories fumeuses dont le but est de monter un côté contre l'autre. A mes yeux, c'est la peur du changement qui nous empêche d'affronter les vrais problèmes. On attribue le plus souvent la migraine écologique mondiale aux méthodes de production et de transformation alimentaire et à la consommation. Oui, je suis d'accord, les usines produisent des dégâts environnementaux, et l'usage de celles-ci entraîne pollution et création de déchets ; mais l'affaire a un goût bien particulier et irrésistible.

Notez bien que certains goûts ont séduit les hommes jusqu'à la déraison et ont provoqué la chute d'empires et de nations. La chute de la dynastie chinoise des Tang est un exemple éloquent : l'Empereur Xuanzong manquait à ses devoirs car il était trop occupé à satisfaire l'appétit insatiable de sa concubine Yang pour les litchis. J'ai du mal à croire que les rondes ne furent jamais à la mode en Chine, mais cet empereur préférait les formes plantureuses de celle-ci aux minces hanches de l'impératrice. L'histoire nous apprend que Yang mangeait des quantités déraisonnables du fruit exotique tous les jours. Pour la contenter, l'Empereur mit en place le système suivant : des paniers de litchis frais partaient du Sud de la Chine et étaient livrés au Palais, dans la capitale, par des coursiers qui se relayaient jour et nuit. Et tandis que Xuanzong satisfaisait aux caprices de sa concubine, le général rebelle An Lushan eut le temps de renforcer son armée, de se déclarer Empereur, et de mettre fin au règne de la dynastie des Tang.

Plus récemment, le saut de géant de l'économie sud-coréenne, en moins de deux générations, a été aussi surprenant et puissant que l'addiction aux cartes de crédit qu'il a engendré dans la population du pays. Cette croissance exceptionnelle a favorisé l'emprunt, mais hélas le ralentissement de l'économie après les années 1990 n'a pas infléchi l'appétit des sud-coréens pour celui-ci. Le gouvernement n'a pas trouvé de meilleure solution, pour sortir le pays de la crise économique asiatique, que d'encourager les particuliers à dépenser plus que de raison ! Il s'est passé la même chose dans plusieurs pays européens, notamment la Grèce et l'Espagne. La longue histoire d'amour entre ces pays et l'emprunt les a amenés depuis quelques années à être les boulets et la honte de l'Union Européenne et à devoir supporter les moqueries et les menaces de l'Allemagne et de l'Angleterre.

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