Sadece LitRes`te okuyun

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Amitié amoureuse», sayfa 20

Yazı tipi:

CCXXX
Denise à Philippe

13 juillet.

Adieu à vous aussi. Mère part dans peu de jours pour Nimerck; si votre cure d'amour est finie avant ma cure d'eau, elle vous y recevra et vous m'y attendrez. Adieu. Hélène vous rend vos baisers.

Miss May prépare, en vraie Anglaise, et sur ma table qui bouge, les douze colis qu'elle tient à emporter à la main.

Adieu. Dear child, I love you.– Ah! vous n'êtes plus que cela: mon cher, cher enfant!

CCXXXI
Denise à Philippe

15 juillet.

Nous avons fait un bon voyage, moi tourmentée de vous et un peu triste, Hélène, heureuse de traverser des pays nouveaux; miss May ravie d'être en miouvemente; Marie-Anne était venue au-devant de nous à la gare de Clermont-Ferrand. Nous avons abandonné là nos compagnes de route et sommes parties immédiatement pour Fontana.

Le château des Danans est une grande maison Louis XVI Auvergnat, sans finesse, mais avec de belles lignes simples. Le parc est superbe; à plat d'un côté, en terrasse de l'autre, avec une dégringolade d'arbres centenaires sur un versant de colline jusqu'à un ravin au bas duquel coule un fou petit cours d'eau: la Tiretaine. A l'horizon, à gauche, le puy de Dôme; à droite, Royat, sa vieille église, les ruines de son château, et, tout au loin, les plaines immenses de la Limagne avec Clermont posé sur une petite montagne plate, sa cathédrale dominant tout et mise au milieu des maisons sur ce monticule comme sur un tabouret. Le lettré grand seigneur Paul Danans a été charmant pour nous; il s'est extasié sur la beauté de ma fille, ce qui me flatte toujours.

Il m'a conduite lui-même à ma chambre et m'a dit: «C'était celle qu'habitait notre chère Magda.» J'ai eu un frisson. Magda Leprince-Mirbel était une grande amie de Marie-Anne et la maîtresse du beau Philippe Montmaur qu'elle aima follement.

La vie est triste, mon ami; me voilà assise à la table où cette femme supérieure, entrevue dans le monde par moi alors qu'elle s'apprêtait à en sortir si tragiquement, et que j'y promenais triomphante mes jeunes débuts, venait s'accouder et penser, et écrire à son amant. Pauvre ombre de grande amoureuse, si vous errez par la chambre, que vous devez sourire de la fugitive flamme qui m'a un si court instant embrasée, puis s'est éteinte…

Cher grand, ne sentez-vous pas ainsi que moi? J'ai souvent l'impression que le temps nous presse de vivre: il groupe et hâte les événements de nos vies, comme s'il avait souci de nous tirer du charme tentateur déversé par les situations latentes. Cette coïncidence de notre rencontre au concert, ce duel, ces nouvelles explications entre nous, cette nouvelle séparation, voilà encore une étape franchie par notre amitié; nous voilà proches du dénouement, bien près d'avoir conquis le calme dans lequel nous vivrons désormais, après tous ces ressauts de nos cœurs. Nous avons épuisé toutes les sensations que comporte l'amitié amoureuse. Jouissons de ce repos et vivons décidément en honnêteté, en douceur, en beauté, tout comme les héros d'Ibsen.

Adieu; le premier coup de cloche du dîner sonne; il faut m'habiller. Marie-Anne m'a conseillé, si je veux séduire son mari, d'attacher quelque importance à cette toilette: «Montre un peu la peau blanche de ton cou Paul adore tant se croire à Londres.» Elle souriait, détachée de ces choses, elle, mais indulgente… Vous êtes nonchalant… il est Londonnien… «Chacun il a son faute…» comme déclare miss May dans son imagé jargon soi-disant français.

DENISE.

P. – S.– Je rouvre ma lettre avant de m'endormir. Donnez-moi de vos nouvelles; ce soir, après dîner, nous avons parlé de vous. Danans m'a inquiétée; je lui disais la nature de votre blessure, il s'est écrié: «Et on l'a tenu à la chambre si longtemps pour cela? Allons, ceux qui nous suivent sont décidément un peu douillets».

Vous ne l'êtes pas, je le sais… alors la folle du logis fait chevaucher de tristes rêves; vite un mot à votre princesse Extrême.

CCXXXII
Philippe à Denise

Mercredi 16 juillet.

Je réponds en hâte à votre lettre: calmez vos inquiétudes, amie aimée; je vais très bien; mais j'ai eu une complication à ma blessure deux jours après le duel. Je ne vous en avais rien dit afin de ne pas vous tourmenter; vous pourrez donner ces détails au grand romancier, s'il vous reparle de moi, pour qu'il me traite mieux: l'épée de Chevrignies m'a traversé la peau de la face interne de l'avant-bras et m'y a fait une plaie en séton de quelques centimètres; on m'a pansé, et, par prudence, j'ai gardé le bras en écharpe deux jours; on me donnait des bains locaux phéniqués; par horreur de cette odeur je n'aurais osé sortir ni me présenter chez personne. Le second jour, des frissons m'ont pris, tout le bras était douloureux et j'avais de la fièvre; Félizet a trouvé de la rougeur, du gonflement à la partie blessée; il a fallu débrider la plaie dans toute la profondeur, attouchement peu agréable. C'est cette recrudescence de mal que je vous ai cachée et qui m'a forcé de garder la chambre, le bras maintenu dans l'immobilité par une gouttière.

Voilà, ma chérie, toute l'histoire; notre grand chirurgien d'ami pourra vous la confirmer; voilà pourquoi je n'ai pas été vous baiser la main avant votre départ, voilà pourquoi Danans a tort de m'appeler douillet.

Cela me gêne bien de vous écrire de la main gauche: patientez pour mes réponses et écrivez-moi, vous, tout ce que vous faites et dites.

Baisers à Hélène, souvenirs aux Danans. Je suis triste. Soyez-moi tendre.

CCXXXIII
Denise à Philippe

17 juillet.

Et je n'ai rien deviné; et je n'ai pas senti que vous étiez plus malade: j'ai cru ce qu'on me disait, nul pressentiment ne m'a troublée… Vous êtes cruel de m'avoir laissée partir dans cette ignorance.

Vous êtes triste maintenant; qu'est-ce encore? J'ai une envie folle d'écrire à Félizet… ma foi, il pensera ce qu'il voudra: il est fin et bon; peut-être à cause de cela trouvera-t-il ma demande toute simple? Ce qui me retient d'écrire c'est la peur de vous contrarier et d'être grondée par le cher vieux pion.

Vous êtes triste? Hélas! s'il est vrai que «l'âme la plus éprouvée a le plus de pouvoir guérisseur sur l'autre», je dois donc vous guérir… mais de quel mal, mon Dieu? Ce mot triste me brûle les yeux en relisant votre lettre, et je sens, désespérée, que je ne puis rien pour vous. Je ne vous rends pas responsable de l'état où vous êtes, parce que je vous aime, j'en accuse le milieu où vous vivez. Je ne puis pas vous dire quel dégoût j'ai de ce monde inutile et chic, vide de pensées, improductif et joueur. Deux amis d'Aprilo, papillonnant hier au soir au Casino autour de Suzanne m'en ont donné la nausée. Ces jolis gars traînent leur existence à la manière des femmes de plaisir; au fond de tout cela j'ai bien peur qu'il n'y ait pas autre chose qu'une terrible paresse. Je souffre pour vous de vous voir continuer d'attendre qu'un dieu de la machine vienne vous tirer du cocon d'ennui où vous êtes… Ne ferez-vous donc jamais rien? Réfléchissez, trouvez quelque chose, vous serez moins triste, mon grand. Vous me boudez? Ah! fâchez-vous si vous voulez, mais «aimez-moi, voilà la loi et les prophètes».

CCXXIV
Denise à Philippe

19 juillet.

Je reçois avec joie tous les matins la dépêche bulletin de santé; mais que veut dire le: «suis triste, seul…», que contenait celle de ce matin. Triste, je le savais, mais seul?

N'allez-vous plus en Suisse avec l'objet aimé? Qu'est-il survenu dans votre vie? un pétale de rose, une plume d'oiseau, se sont mis en travers de votre chemin? Dites, afin d'être consolé…

Je viens d'avoir la visite de ma fille (je l'ai laissée ce matin à Royat pour déjeuner avec sa tante et ne la ramènerai à Fontana que ce soir, après un dîner que ma belle-mère offre aux Danans à son hôtel), avec Suzanne et Aprilo, tous les deux gais et gentils, confiés à la garde d'un petit cheval, d'une petite voiture et d'une petite fille: tite-Lène. Ils sont entrés par la grande avenue ainsi que trois radieux printemps. On a parlé de vous en buvant du vin d'Asti parfumé de muscat, pétillant comme du champagne. Hélène était divine me disant: «Je vous fais une visite, maman.» Elle en avait un orgueil de petite femme, de jouer avec moi à la dame.

Marie-Anne a mis des fleurs dans leurs mains et ils sont partis contents, gais, gentils, frais sous le soleil, par la route poudreuse.

Pourquoi Alice ne marie-t-elle pas ces enfants? le brave et sain cœur de Grégor Aprilo serait le salut de Suzanne, plus légère que fautive, en somme.

CCXXXV
Philippe à Denise

20 juillet.

Vous avez deviné, je ne pars pas pour la Suisse, mon infante m'a quitté, ne me trouvant pas assez rigolo pour devenir l'ordonnateur de ses menus-plaisirs. J'ai peur pour l'avenir de cet objet; dans la galanterie, il faut savoir s'ennuyer pour réussir… Mais laissons cet être inférieur en l'éternel oubli, et ne soyons plus que vous et moi dans l'univers.

Je m'apprête à prendre une formidable résolution et j'aurais bien aimé que mon amie fût là pour me guider et remonter mon courage.

Quel pauvre correspondant je fais! Quand je relis mes lettres avant de vous les envoyer, je suis toujours sur le point de les déchirer. Je n'ai jamais pu écrire correctement ni traduire exactement ma pensée du premier jet.

Si j'avais été écrivain j'aurais beaucoup raturé; vous devez vous en apercevoir et souvent me trouver obscur. Je regrette de n'avoir pas la bêtise nécessaire qui me donnerait un tranquille contentement de moi-même. D'un autre côté, je vous l'ai déjà dit, ça ne m'aurait pas dégoûté d'être un homme de génie; mais se sentir médiocre et impuissant et se le reprocher continuellement, quelle vie! c'est la mienne. Enfin mon cœur reste bon et vous l'avez; c'est pour cela que vous m'aimez un peu, je pense. Le tableau de Grégor, de Suzanne, de la petite fille, du petit cheval, de la petite voiture est idyllique. Je suis de votre avis: gai, gai, marions-les. Il sera toujours temps de voir après. Si vous étiez un peu adroite, vous devriez bâcler cette affaire-là.

Je baise vos mains. Mon bras va mieux.

CCXXXVI
Denise à Philippe

23 juillet.

J'ai tant de choses à vous dire que je ne sais par laquelle commencer: D'abord: vous. Il ne faut pas vous laisser envahir par ces désespérances; vous êtes en pleine force, en pleine jeunesse, et bien des jours passeront avant qu'il soit temps de dire avec Louis Bouilhet:

 
Mon rêve est mort sans espoir qu'il renaisse,
Le temps s'écoule et l'orgueil imposteur
Pousse au néant les jours de ma jeunesse
Comme un troupeau dont il fut le pasteur.
 

Mais non, cher, vous n'êtes pas un pauvre correspondant; cela serait-il, je vous aime comme vous êtes et puisque votre «cœur est bon» et que je «l'ai», je n'ai rien à demander de plus ni de mieux.

Je regrette de n'être pas auprès de vous quand vous souffrez et que vous vous plongez dans le marasme; ma bonne humeur vaillante est contagieuse et vous donnerait du courage. Mère, seule à Nimerck, me pleure à ce point de vue dans ses lettres. Je suis un remontant admirable, paraît-il. Ceci devrait constituer une situation lucrative dans le monde; alors je serais riche! Mais voilà, on ne s'est pas encore avisé de monnayer les sentiments gais; certaines demoiselles ont bien fait ça pour l'amour… je ne sais au juste pour quelle cause cela leur a établi dans le monde une incontestable mauvaise renommée.

Peut-être ont-elles falsifié l'admirable marchandise? ou bien, décidément, l'amour est-il un sentiment qui doit s'ingurgiter triste?

Prenez courage, mon désespéré de vous et des autres; ne m'en veuillez pas de plaisanter un peu vos grands petits chagrins; cela tient à ce qu'un heureux événement se prépare… Hier au soir, après le dîner, tandis que Suzette et Hélène dansaient au Casino, Grégor m'a offert le bras, et, dans les allées silencieuses du parc, il m'a dit le secret de son cœur et demandé de parler pour lui. Le brave garçon était ému, et moi bien touchée de sentir en lui tant d'amour pour ma nièce. Or, dès ce matin, j'ai eu un entretien avec Alice et Suzanne. Le chiffre de la fortune d'Aprilo, beaucoup plus élevé que n'avaient pensé ces dames, a décidé ma nièce à «courir les ambassades». La voilà bel et bien fiancée; j'en suis ravie. Demain, chez les Danans, nous les avons tous à dîner.

Tandis que je vous écris, Marie-Anne au cœur ingénieux en délicates attentions, transforme la salle à manger en bosquet de verdure au moyen de branches d'arbres coupées dans la forêt et parmi lesquelles les domestiques, les jardiniers, Marie-Anne, tite-Lène, et un jeune voisin de campagne, fils d'une amie des Danans, Claude Barjols, posent de ci, de là, des fleurs blanches.

L'effet est délicieux; Hélène, rose de plaisir, admire l'œuvre avec des enthousiasmes juvéniles; ils troublent un peu la bonne ordonnance de ma lettre, car je vous écris du petit salon donnant dans la salle, les portes grandes ouvertes. De temps en temps on m'interpelle et je suis obligée de crier mon admiration sans que mes interlocuteurs daignent arrêter une minute, pour m'entendre, le brouhaha de leur organisation savante et fleurie.

L'état de toute la maisonnée est un peu agité par cette grande nouvelle, et moi plus émue que je n'aurais cru des souvenirs qu'elle éveille en…

Cette fois, j'ai été arrêtée pour de bon par Marie-Anne.

Elle vint s'asseoir dans un fauteuil, me jetant un: «Eh bien?» si doucement impératif que j'ai laissé là ma plume.

Mon ami, comme cette femme est superbe dans ses quarante ans! la belle et noble allure! Elle défaisait lentement ses gants, et le bras et la main me sont apparus si purs de ligne… j'en étais émerveillée.

– Eh bien, Denise? voilà un recommencement… voilà la roue qui tourne, tout proche de nous, et engrène deux nouvelles existences; heur ou malheur, la destinée pour eux?.. Chi lo sa? et dire que, si broyées soyons-nous, personne n'aura le courage de crier à ce couple: Vous tentez l'impossible rêve, n'y ayez pas foi; et, afin de ne pas empoisonner vos jours de désillusion: «lasciate ogní speranza».

Elle s'était levée et marchait de long en large devant la table où j'étais accoudée; j'ai lu sur ses traits une émotion inaccoutumée… elle aussi se souvenait…

Marie-Anne me parut plus grande, plus belle dans les longs plis de sa robe de laine blanche; sa majestueuse stature évoquait en mon esprit une déesse sage et désenchantée:

– Oui, ni toi ni moi ne dirons à la jeune fille ce que nous avons souffert. A quoi servirait? Pourrions-nous lui donner une joie autre en remplacement du désir qui naît en elle? Alors, nous nous étourdissons pour l'étourdir, nous lui sourions pour qu'elle sourie; nos lèvres murmurent: «Va!» et nous la poussons doucement devant nous afin qu'elle ne voie pas nos yeux baignés de larmes et ne soupçonne pas les meurtrissures, qu'en route on nous a faites au cœur; nous devenons joyeuses, nous lui donnons des fêtes, nous lui cachons les amas de douleur que la vie entasse dans les âmes: va!.. si tu as l'âme tendre, tu seras la victime; si c'est lui, il sera victimé; mais soyez assurés, pauvres fiancés, que votre étoile, pas plus que les nôtres, n'ira par le monde sans défaillance de lumière!»

– Marie-Anne, tous les hommes n'ont pas l'esprit arrogant et ne nient pas en nous, gouailleurs, notre soif d'amour, de tendresse: tous n'apportent pas en mariage une âme sceptique, en cendre…

– Peut-être… d'ailleurs, ta nièce a la chance de les valoir, ces hommes. C'est une satisfaite d'elle, orgueilleuse, positive, impérieuse; elle est de la catégorie de celles qui nous vengent. Mais ton Hélène?

– Oh! Hélène est encore un baby!..

– Tu trouves? petite Nisette, tu es comme toutes les mères… tu couves la coque vide de l'œuf sans t'apercevoir que le poussin a ses ailes et qu'il vole… tiens, regarde…

Cher, madame Danans me montrait mon Hélène, étendue sur un rocking-chair. Claude Barjols (il a dix-sept ans), lentement la berçait; d'une gerbe qu'il tenait dans sa main, il laissait tomber une à une les fleurs sur Hélène et souriait en la regardant. Elle parlait; les réponses de Claude semblaient des dénégations, des défenses… mais elle prenait un petit air boudeur, fâché, et lui, humble, s'excusait. Oui, oui, il n'y avait pas là deux enfants, mais un jeune homme, une jeune fille… j'ai senti mon cœur défaillir… j'allais, fâchée – de quoi, mon Dieu? – appeler Hélène, quand Marie-Anne pressa ma main, disant: «Écoute…»

Alors, les mots arrivèrent jusqu'à nous, attentives:

– Pourquoi voulez-vous que je garde vos fleurs? Vous avez été bien trop vilain hier; vous aviez honte de me faire danser au Casino, oui, honte!

– Mais non, non, je vous jure, vous vous faites des idées…

– Oh! que non! et tout ça parce que j'ai l'air d'une petite fille avec mes robes courtes; mais l'année prochaine elles seront longues, je serai plus vieille et c'est moi qui ne danserai plus avec vous mais avec de vrais messieurs grands, et ce sera bien fait…

Il riait, le jeune garçon, et soigneux de l'enfant boudeuse il la berçait doucement, s'amusant à laisser naître en elle, à son profit à lui, quelques soucis de femme…

– Es-tu édifiée, Denise?.. elle est bien jolie, ta fille, et si suave!.. Mon mari, lui-même l'aime et la choie. La voyant courir l'autre soir sur la pelouse, pour la première fois il a manifesté ce regret: «Si j'avais été sûr d'avoir une fille semblable à cette petite, j'aurais aimé que vous eussiez un enfant.» Ah! j'ai été jalouse de toi à cette minute-là, Denise; jalouse de ce souhait tardif de paternité comme d'une infidélité. Ce n'est pas seulement en père que Paul aime tite-Lène; c'est pour cette fraîche féminité, cette coquetterie naissante, qui émanent d'elle. Elle possède un charme au-dessus de son âge, un tact, une finesse, une câlinerie…

– Oui, tant que vous voudrez, mais c'est inconscient; la croire capable de voir autre chose que des fleurs, dans ces fleurs qui tombent des mains de Claude sur sa jupe vague et flottante de fillette…

– Eh bien, tu vas voir.

Alors me prenant par le bras, elle s'avance sur le perron et, là:

– Hélène? s'écrie-t-elle.

– Ah! c'est vous, ma Mie-Anne?

La petite se lève, ramasse vite ses fleurs et accourt vers nous avec son compagnon, tout cela si franchement, si naïvement, que je ne pus me retenir de lui mettre un baiser au front.

– Vous m'avez appelée, Mie-Anne?

Et, en parlant, ma fille groupait artistement ses fleurs et en glissait une partie dans sa ceinture.

– Tu as là un joli bouquet. Veux-tu me le donner?

– Mie, j'aime mieux vous en cueillir un autre.

– Celui-là me plaît…

– Voyez, les fleurs en sont déjà presque fanées…

– Tu tiens donc tant à ce bouquet?

– Ma bonne amie, je vous en ferai un bien plus beau; celui-là, tenez, je vais en donner la moitié à petite mère (avec un regard vers Claude et devenant rouge en voyant l'air un peu vexé du gamin) parce que petite mère, c'est encore un peu moi… Mais pour vous je cours en chercher un beau, un plus beau ma mie!

Et la voilà se sauvant au bout de la pelouse. Ah! ce: «c'est encore un peu moi…» Marie-Anne souriait; moi, deux larmes perlaient à mes cils et je pensais: déjà!

– Tu vois? n'avais-je pas raison? elle aiguise son cœur et voit «autre chose que des fleurs en ces fleurs».

Ah! Philippe, j'en reste atterrée! penser qu'il y a quelques mois à peine je me sentais entraînée par cette folie d'amour sans songer que l'heure de mon Hélène était si proche!

Avec quel soin il va falloir m'occuper de son cœur et devenir la confidente de ses plus secrètes pensées! je veux être son amie: la tâche sera douce et facile… mais quelle décevance de l'armer pour la lutte sentimentale au lieu d'avoir à lui dire: crois, aime, espère! Quelle mère attentive a gardé pur le cœur de son fils et dirige en ce moment ce fils qui deviendra l'époux de ma fille?

Pourrai-je jamais, comme on a fait pour nous toutes, la livrer, sur de belles apparences, à un inconnu? Ah! tenez, je voudrais pouvoir ôter quinze ans de votre vie, vous dont je connais les qualités et les défauts, et commencer à vous élever à la brochette en vue de ma fille… Ne riez pas de cette folie; j'ai l'âme pleine de larmes…

Croyez-moi toujours et à travers tout, votre affectionnée.

CCXXXVII
Philippe à Denise

26 juillet.

Ma chère Denise, voyez dans cette lettre, sur laquelle j'attire votre attention d'une façon un peu solennelle, un engagement que je vais prendre; il pourra resserrer entre nous les liens d'amitié fondés sur notre estime réciproque, profonde; il transformera mon existence en lui donnant un but.

Depuis quelque temps déjà, j'avais le désir de vous entretenir d'un projet; je vais aujourd'hui vous le soumettre. Si je ne l'ai pas fait plus tôt, c'est par scrupule: je ne voulais pas vous influencer; mais dans ce désir d'élever votre gendre pour qu'il soit digne de votre fille, je vois comme un acquiescement anticipé à un vœu que j'ai vaguement formé moi-même. Je me fais de l'amitié, mon amie, d'une amitié comme la nôtre s'entend, une idée très haute. C'est un sentiment que je respecte beaucoup; il crée, à mon avis, des devoirs étroits. Un des premiers de ces devoirs est la confiance; si la pensée qui me guide vous est importune, je vous supplie de me le dire avec franchise; je promets de ne pas m'en froisser, il n'en sera plus question entre nous et c'est tout. Je m'explique: Vous vous rappelez sans doute combien nous avons trouvé Hélène belle le jour de sa première communion? Grande, élégante, diaphane dans ses voiles blancs, rayonnante d'une beauté de forme et d'âme vraiment idéales. Nous n'étions pas seuls à l'admirer. Votre mère avait eu la bonté d'inviter mon frère Jacques au dîner de famille. Lorsqu'il vit Hélène entrer au salon, drapée virginalement dans son voile, il eut, plus que nous tous, un éblouissement que j'ai surpris. A cette minute, son enthousiasme ne m'étonna pas. Mais depuis ce jour, plus souvent certes qu'il n'était besoin, il s'informait de notre chérie.

Or, le soir de mon duel, après la visite qu'il vous fit, il revint ayant gardé d'Hélène et d'une conversation qu'ils eurent tous les deux sur moi, une sorte de jalousie se traduisant par des boutades dans le genre de celle-ci: «Tu as de la chance… on t'aime dans cette famille… cette petite a eu pour toi des mots exquis; elle est délicieuse, cette gamine… si elle avait trois ans de plus, je me mettrais bien sur les rangs pour l'épouser.»

Ceci n'est rien, me direz-vous? Mon amie, ceci peut, si nous le voulons, devenir quelque chose. Je viens donc vous demander – non la main d'Hélène pour Jacques, ce qui serait grotesque – mais de consentir à ce que je dirige mon frère et veille sur lui, et entretienne en son esprit la pensée d'Hélène, en vue d'une union possible de nos deux enfants.

Bien entendu, ni eux ni personne au monde ne soupçonnera le but poursuivi par nous; avec art, nous les intéresserons l'un à l'autre. Jacques a vingt-deux ans; il y a dix ans de différence entre eux; la proportion est bonne. Mon dragon aura vingt-huit ans quand il pourra raisonnablement prétendre à la main d'Hélène. Si ce projet vous semble réalisable, j'en serai bien heureux.

Je m'en irai cet automne vivre à Luzy; je prendrai la direction de nos intérêts, jusqu'ici confiés à l'un de nos gros fermiers, sorte d'intendant ne manquant pas de nous exploiter pour ne pas faire mentir la tradition.

Vous savez notre état de fortune: quinze mille livres de rente chacun, dont une vingtaine en terre et les dix autres inscrits sur le Grand Livre. Je ne soupçonne pas la dot qu'aura Hélène et ne veux pas m'en inquiéter. Si nous amenons nos enfants à conserver leurs cœurs intacts, purs d'émois causés par d'autres, ils seront heureux entre tous et quelques mille livres de rente de plus ou de moins n'y feront rien.

Je prends vis-à-vis de moi-même, en m'attelant à la tâche de faire prospérer nos biens en vue de faciliter l'avenir de mon frère, une grave résolution. Je renonce à une vie facile dont je sens l'écœurement me gagner. J'ai réfléchi beaucoup avant de me décider à vous écrire cette détermination prise. C'est une épreuve que je veux tenter. J'espère y voir mon activité morale et intellectuelle s'y développer au lieu de se ralentir. Je penserai, je lirai, je travaillerai.

Il s'agit, pour moi, de rompre avec quinze ans de bêtise et de paresse, ce n'est pas là une petite affaire. Et puis, je serai définitivement fixé sur ce que je vaux. Ou je me relèverai, ou je me laisserai tomber doucement dans une matérialité béate et inactive; elle trouvera son contentement dans la vie large et facile que me fera la campagne.

Je serai soutenu par vous, n'est-ce pas, mon amie? et par ce but à atteindre: le bonheur de nos enfants.

Adieu; vous êtes la bonté et la grâce mêmes.

Je vous aime.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
01 ekim 2017
Hacim:
290 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre