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Kitabı oku: «Les français au pôle Nord», sayfa 4

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Le chien poussa un long hurlement de douleur, bientôt couvert par les jappements de ses congénères et se tint pour averti.

Après avoir ainsi parcouru avec une vélocité réellement vertigineuse un espace désigné préalablement, les traîneaux obliquèrent à gauche sur un simple mot, décrivirent un large cercle, et vinrent se ranger, de front, devant le starter, et dans un ordre aussi parfait qu'au départ.

Chose réellement prodigieuse, il n'y eut ni vainqueurs ni vaincus!

Aussi, d'Ambrieux ayant plus que jamais l'embarras du choix entre des bêtes également méritantes, prit le parti, ne voulant mécontenter aucun propriétaire, de leur acheter à chacun cinq chiens, pris au hasard dans chaque attelage.

Total, trente chiens payés sans marchander cinquante francs chacun et embarqués séance tenante, avec trois traîneaux, sur la Gallia.

Sans être aucunement dépaysés, les braves toutous, séduits d'ailleurs par une ample distribution de poisson sec, s'accommodèrent fort bien du petit local agencé à leur intention, par le charpentier sur le gaillard d'avant.

Et dès lors, Plume-au-Vent, qui adore les bêtes, ne les quitte plus d'un instant, s'improvise leur pourvoyeur et sollicite du capitaine le plaisir d'être préposé à leur garde.

«Mais, mon garçon, dit l'officier, tu vas te créer là un surcroît de besogne.

– Capitaine, je vous en prie! voyez, ils me connaissent déjà.

– Tu ne pourras même pas te faire comprendre d'eux… ils n'entendent que l'esquimau.

– Avant quinze jours je veux en avoir fait des chiens savants.

– Allons! comme tu voudras.

«Te voici, à dater d'aujourd'hui, capitaine des chiens.

– Merci de tout mon cœur! et je vous jure, foi de Parisien, que jamais bêtes n'auront été mieux soignées.»

Deux jours après, chaque homme recevait sa paire de bottes groenlandaises, les vivres supplémentaires pour l'usage des chiens étaient embarqués, et la Gallia, pilotée de nouveau par son lamaneur indigène, quittait Julianeshaab, malgré la persistance du froid.

L'escale avait duré dix jours, et l'on était alors au 23 mai.

En vain maître Igalliko avait insisté près du capitaine pour lui faire prolonger son séjour. Il alléguait, non sans apparence de raison, la subite reprise du froid qui allait entraver la marche de la goélette. Même en attendant une semaine encore, elle devancerait les navires baleiniers qui ne se montreraient pas avant la fin du mois.

D'Ambrieux fut inébranlable. Il voulait à tout prix faire de la route, arriver le premier là-bas, se frayer, coûte que coûte, un passage, au moins jusqu'à la Glace du Milieu; dût-il pour cela entamer sérieusement son combustible. Ne savait-il pas pouvoir s'approvisionner à la mine de lignite, découverte par la Discovery, et à celle trouvée plus loin encore par notre vaillant compatriote, le docteur Pavy, l'infortuné compagnon du lieutenant américain Greely.

Vingt-quatre heures seulement après l'appareillage, les événements semblèrent légitimer les appréhensions du pilote.

Du jour où la première glace flottante avait été signalée, la navigation, d'abord plus étrange que périlleuse, plus accidentée que difficile, devint tout à coup dangereuse à l'excès.

Les matelots, ceux du moins qui n'ont jamais fait les rudes campagnes à la baleine, s'aperçoivent brusquement qu'ils viennent de pénétrer dans un monde entièrement nouveau.

Glaces par l'avant et par l'arrière! glaces par tribord et par bâbord, glaces partout! C'est le règne du chaos!.. un mouvant chaos de glaces, un composé indescriptible d'objets sans formes, sans couleur, presque sans corps… une fantasmagorie de décors à chaque instant modifiés par les courants ou les pressions sous-marines, à travers laquelle s'avance, toute sombre, sous son panache de fumée, la Gallia, dont la présence, en pareil lieu, semble un défi audacieusement jeté à la prudence humaine.

Les blocs errants, sous l'irrésistible poussée du courant, s'approchent en tournoyant avec leur impassible lenteur de masses brutales, se heurtent, s'écrasent et s'éboulent avec des fracas qui se répercutent comme des tonnerres lointains et menacent à chaque instant d'écraser le petit navire, seule parcelle de matière intelligente, perdue au milieu de l'inénarrable tohu-bohu!

La Gallia navigue le plus souvent à travers un brouillard plus ou moins épais, que déchire parfois un coup de vent du Sud. Le soleil surgit alors avec des flamboiements qui font ruisseler des torrents de feu sur les millions de facettes et les font resplendir d'un éclat incomparable. Puis la féerique vision s'efface, les teintes s'estompent, les images pâlissent au milieu des impalpables vapeurs, et le merveilleux décor disparaît dans un anéantissement de spectre, laissant aux hommes éblouis le regret des splendeurs passées, avec l'idée du péril imminent.

Aussi, la vigilance est extrême sur le pont du navire. Tous ceux qui ne sont pas de quart à la machine se tiennent en permanence à leur poste respectif, brandissant de longs crocs avec lesquels ils repoussent les glaçons qui, à chaque instant, menacent l'avant.

En dépit d'efforts incessants et d'une attention qui ne se dément jamais, l'éperon heurte rudement un iceberg dont la base est cachée sous la vague et dont le sommet demeure invisible dans le brouillard.

Le navire frémit, s'arrête un moment et repart, sans autre inconvénient que de secouer un peu trop rudement les chronomètres. Car tout ce qui est, à bord, susceptible de détérioration, a été soigneusement saisi et arrimé, de façon à permettre, plus tard, à la Gallia, de remplir sa fonction de bélier.

Quant au capitaine, confiant dans la solidité de son bâtiment dont il éprouve à chaque instant la résistance, il conserve son impassibilité, et n'a qu'une seule idée en tête: faire de la route.

Encouragés par la présence de leur chef qui prêche vaillamment d'exemple, les matelots supportent sans fléchir les écrasantes fatigues de ce rude noviciat et trouvent encore moyen de plaisanter.

Jamais la gaîté gauloise ne se trouve à court, même dans les circonstances les plus difficiles; on pourrait dire qu'elle semble s'accroître avec elles.

«Bon! crie une voix joyeuse, celle du Parisien qui vient de quitter sa chaufferie, encore de la glace!

«Il y a donc des gens qui passent ici leur vie à en fabriquer!

«Ma parole! si c'est pas à leur faire payer patente!»

Le soleil luit, par hasard. On aperçoit l'ennemi arriver en colonnes serrées.

«Empoigne un croc, bavard, et pique-moi cet obélisque, dont la pointe menace la vergue…

«Tonnerre!..» interrompt le camarade, qui fait terriblement vibrer les R, et qu'à son accent on reconnaît pour un Basque.

C'est en effet le baleinier Michel Elimberri, élevé depuis le départ de Julianeshaab à la dignité de «pilote des glaces»; ce que les Anglais appellent: «icemaster».

Silencieux jusqu'à la taciturnité, le Basque, dont la vive intelligence n'avait pas eu jusqu'alors occasion de se produire, s'est tout à coup révélé au capitaine comme un homme absolument hors de pair pour tout ce qui a trait à la navigation dans les mers arctiques.

Il a longtemps pratiqué la pêche à la baleine, connaît parfaitement les parages au moins jusqu'au détroit de Smith et la baie de Melville, où il a hiverné deux fois. Son instruction technique est bien supérieure à celle de la moyenne des matelots, à ce point qu'il a été embarqué une fois en qualité de second sur un baleinier.

Le capitaine le jugea un soir, en l'entendant expliquer, à ses camarades, comment il comprenait l'expédition, et se convainquit de sa valeur après un entretien sommaire.

«L'obélisque! riposte Plume-au-Vent, toujours goguenard, tu me fais penser à Paris, ma ville, où de bons licheurs toujours altérés, font en ce moment les yeux doux à des carafes frappées!

«Et ici!.. oh!.. là! là!.. mince de frigorifique!

«Faut croire que nous sommes à l'entrepôt général du grand magasin des degrés au-dessous de zéro.

«Michel?

– Après? répond brièvement le Basque.

– Une idée! Si après la campagne nous frétions, avec nos parts, un joli bateau pour venir ici chercher de la glace et en vendre aux gens qui tirent la langue sous un Equateur quelconque?

– Enfoncée, l'idée!

– Ah! bah… ça se fait.

– Oui! En Amérique… Dans la baie d'Hudson… des vapeurs… on coupe la glace comme des pavés… à la scie… on l'emballe dans du feutre et de la sciure de bois et on la porte aux Antilles… au Mexique… à la Louisiane… à Cayenne…

– Ça doit coûter cher la livre, hein!

– Quatre sous!

– Pétard! Sont-y malins, ces Américains.

«Michel!

– Quoi encore?

– Toi qui la connais dans les coins, la chose des glaces, tu devrais bien m'expliquer…

– Pas le temps… faut ouvrir l'œil.

– C'est pas une raison pour clore le bec et fermer les oreilles.

«Ça m'empêche pas de turbiner, quand je parle, moi.

«Tiens, vois, ça s'éclaircit un peu… y a relâche… nous sommes dans un chenal d'eau libre.

– Je vois bien… mais, là-bas… par tribord… le floe

– Tu dis?..

– Floe… champ de glace marine… l'eau de mer gelée sur place… là!

«La goélette devra le contourner… impossible de passer.

– … Et là-bas… vois donc… à bâbord…

«Des collines, des dunes, des rochers de glace… ça s'étend à perte de vue.

«On dirait que ça rejoint le… le… floe, comme tu dis.

– C'est un pack.

«Glaces venues du Nord… mêlées par les courants et les tempêtes… entassées… superposées… gelées et réunies par le froid.

«Le soleil fera tout craquer… partira en morceaux… icebergs qui s'en iront en dérive…

– Tonnerre!.. y en a-t-y… mais y en a-t-y encore et toujours!

«Et avec ça un froid qui me coupe le nez… preuve que mon piton est d'un cramoisi!

– Thermomètre à 20° au-dessous de zéro.

– Mais alors, tout va geler ici, et je ne m'explique pas comment le navire flotte encore.

– Il y a le courant qui empêche l'eau de se prendre.

– Mais, plus loin?

– Nous trouverons le Pack du Milieu, la grande banquise formant barrière devant les eaux libres du Nord.

– Comment passerons-nous?

– Il y aura débâcle.»

Et profitant de la loquacité insolite de son camarade auquel l'état de la mer donne un peu de répit, le chauffeur se fait expliquer ce qu'il ignore, s'étonnant de la forme et de la consonnance des mots servant à désigner la glace sous ses différents aspects, cherchant en vain leur équivalent dans notre langue.

«Les étrangers… surtout les Anglais, sont venus les premiers, et ils ont donné aux choses des noms de chez eux.»

Et le Basque, poursuivant ainsi son entretien à bâtons rompus, continue ses définitions, dont le Parisien, ennuyé de ne pas savoir, se promet de tirer bon profit.

Plume-au-Vent apprend ainsi du baleinier, que le Pack du Milieu, ou comme il préfère l'appeler, la banquise, l'effroi des vaillants pêcheurs de cétacés, obstrue les détroits de Smith, de Jones et de Lancastre, même pendant l'été arctique, et qu'ils doivent, pour gagner l'espace libre des Eaux du Nord, contourner vers l'Est la terrible barrière afin de trouver le passage, trop heureux quand il n'est pas intercepté par la soudure de la banquise avec la glace des côtes qui, presque en tout temps, obstrue la baie de Melville.

Que de fatigues, de peines et de dangers, pour atteindre cette portion de mer ouverte qui ne s'étend guère au Sud du soixante-seizième parallèle, et doit souvent être cherchée plus haut! Etant donné surtout que le redoutable pack, appelé aussi: Glace du Milieu, s'étend du 76e au cercle polaire! soit un espace d'environ huit degrés, près de 900 kilomètres, à travers lequel il faut cheminer, Dieu sait comment!

Cet effroyable amas de glace n'est pas immobile comme le croyait le chauffeur. Bien au contraire. Toujours plus ou moins en mouvement, il semble obéir à une impulsion continuelle produite par les courants venus du Nord, comme d'ailleurs le prouvent certains faits indéniables. Notamment la dérive extraordinaire du Fox, le petit vapeur monté en 1857 par Mac-Clintock, parti à la recherche de l'expédition Franklin. Le Fox, soudé à la banquise par le travers du cap York, descendit avec les glaces pendant neuf mois et ne fut délivré que sous le cercle polaire.

Le Pack du Milieu, ou banquise, se forme donc, selon toute évidence, à l'extrême Nord, par l'agrégation des floes ou champs de glaces détachés, qui atteignent là-bas des hauteurs énormes, quarante et cinquante mètres, et viennent se souder à la barrière, après avoir notablement fondu en route, mais de façon à émerger encore de douze à quinze mètres et plus. Chaque floe qui constitue un des éléments de la banquise, a une configuration à peu près invariable. Il est profondément entaillé en plan horizontal au niveau des eaux, dont il subit continuellement l'action dissolvante, mais à une certaine profondeur il s'élargit énormément, de façon à posséder une base très considérable, et n'émerge jamais que du quart de sa hauteur totale.

Que l'on juge par là des dimensions d'un glaçon qui se dresse à quinze mètres seulement au-dessus du niveau de la mer!

Ainsi appelé par les circonstances à enfourcher son dada favori, le Basque devenait intarissable, peut-être pour la première fois.

Et le Parisien jubilait de cette condescendance, et enrichissait sa prodigieuse mémoire de faits à ce point intéressants, qu'il ne s'apercevait pas du givre collé à ses sourcils, et des glaçons formant stalactites à chacun des poils de sa barbe.

L'entretien se fût peut-être continué fort longtemps encore, s'il n'eût été brusquement interrompu par un cri bref du Basque, auquel succède une longue clameur d'étonnement, peut-être d'effroi.

V

Chute d'une montagne de glace. – Broyé ou submergé. – Un homme à la mer! – Héroïsme joyeux. – La récompense d'un brave. – Possessions danoises. – A travers la brume. – Dans le «Nid de Pie». – Regrets d'un pêcheur de baleines. – Toujours en avant! – Le comble de la misère humaine. – Près de pénétrer dans le cimetière des navires.

Malgré le froid intense, les matelots, tout chauds encore du soleil natal, trouvent que cette monotonie, parfois si éclatante et plus souvent lugubre, est relevée par le charme de la nouveauté.

Ils ont des étonnements naïfs, des admirations bruyantes, des métaphores audacieuses à l'aspect du tableau mouvant, si extraordinairement accidenté qui, bien que formé d'un seul élément, et n'affectant qu'une seule nuance, ne se ressemble jamais.

C'est au point que leur vigilance est parfois en défaut, tant ce féerique décor, sans cesse modifié, surexcite leur curiosité jusqu'à leur enlever l'appréhension du danger.

Du reste, ils n'ont pas eu le temps de se familiariser avec la configuration des icebergs ne montrant, comme on sait, au-dessus des eaux, que le quart de leur masse entière, et cachant sournoisement, sous les flots, une base très large, d'autant plus redoutable qu'on en ignore la forme et les dimensions.

Aussi, arrivera-t-il qu'un monticule errant, passant à une quinzaine de mètres, et regardé comme inoffensif, eu égard à son éloignement relatif, heurtera, par un de ses prolongements sous-marins, les œuvres vives du navire.

C'est ce qui se produit au moment où des cris violents interrompirent l'entretien du Basque et du Parisien.

Le chenal où s'avançait la Gallia rasait de près un immense glacier collé aux falaises de la côte, et le courant, assez rapide, en érodait profondément l'invisible piédestal.

Il y avait là des ébauches colossales d'une architecture fruste et tourmentée, où se confondaient, au milieu d'un pêle-mêle inouï, des piliers déjetés, des croupes de cathédrales, des tours balafrées de lézardes, des ogives rompues, des monolithes informes tombés on ne sait d'où, des pans ruinés, une cité de géants après un tremblement de terre.

Toutes ces masses, reliées entre elles par le froid, et solidaires comme si le meilleur ciment les unissait, éprouvaient, par cela même, des trépidations violentes, quand l'effort incessant des eaux, sapant leur base, en détachait un fragment.

Des craquements sonores, produits par le travail de désagrégation, retentissaient sans relâche, précédant, puis accompagnant la chute du bloc qui s'abîmait dans une pluie diamantée, puis soulevait une vague qui s'en allait mourir en clapotant sous les anfractuosités.

En raison de cette solidarité, l'ébranlement se répercutait sur la totalité du glacier, produisant des dégringolades incessantes, et un fracas rappelant celui d'un champ de bataille, mais avec une sonorité en quelque sorte exaspérée.

La goélette venait de s'écarter sur bâbord pour éviter l'approche d'un iceberg colossal, haut de plus de vingt mètres, taillé presque à pic, et dont la configuration bizarre rappelait celle d'un gigantesque bonnet de grenadier.

Le navire allait le laisser à trente mètres environ sur tribord, quand tout à coup un pan tout entier se détache de la falaise de glace, tombe dans le chenal, s'enfonce, disparaît, puis émerge, en soulevant une vague monstrueuse.

Celle-ci bondit et s'avance comme un mascaret, attaque le glaçon flottant, le fait osciller comme un fétu, et finalement le culbute sens dessus dessous.

Cette scène, longue à raconter, n'a pas duré plus de quinze secondes, et provoqua le cri d'angoisse échappé aux matelots.

Cependant, le navire n'eût couru aucun péril, sans la présence de l'iceberg malencontreusement placé par son travers.

Mais la fatalité permit que, au moment précis où il culbutait sous l'irrésistible poussée de la lame, la portion immergée heurtât, dans son mouvement de rotation, la coque…

La masse de bois gémit et semble près de se désarticuler. Les mâts oscillent, craquent jusque dans leur emplanture et menacent de venir en bas.

Un faux mouvement, une seconde d'hésitation, un de ces incidents qui déroutent les prévisions humaines, et c'en est fait!

La Gallia soulevée, puis brusquement jetée sur un de ses bords, va chavirer sur place.

Un frisson rapide secoue les plus braves qui se cramponnent machinalement au premier objet venu, et jettent sur leur chef un regard angoissé.

Le capitaine a vu et pressenti le danger.

Impassible au milieu du cataclysme d'où surgit une effroyable menace d'anéantissement, il s'écrie d'une voix qui domine le tonnerre des glaces et le rugissement des flots:

«Tiens bon, matelots!

«La barre à bâbord!.. toute!..»

Puis, il met la main sur le télégraphe de la machine, et commande:

«A toute vapeur!»

Pour la seconde fois l'organisme de bois et de métal frémit, et une poussée furieuse le projette d'arrière en avant.

Pendant un instant bien court et qui paraît affreusement long, chacun entend la fausse quille racler la glace, et l'hélice tourbillonner à vide.

Cela dure huit ou dix secondes à peine, mais quel moment terrible!

Et brusquement, la Gallia qui, chose à peine croyable, a glissé sur l'obstacle, comme sur le plan incliné d'un chantier, se trouve soulevée par l'arrière, pique de l'avant et menace de s'abîmer.

Par bonheur, l'iceberg est franchi au moment où la lame s'abat sur le gaillard d'avant.

En un clin d'œil le spardeck se trouve submergé. Les matelots, qui étreignent les haubans, les étais, et tout ce qui peut leur donner prise, enflent le dos sous cette formidable douche. Les chiens, par bonheur attachés solidement, poussent un hurlement lugubre.

La goélette, un moment alourdie, s'enfonce, puis se redresse à mesure que l'eau embarquée s'écoule par les dallots. Le pont est si parfaitement étanche que pas une goutte n'a pénétré dans l'intérieur.

La téméraire mais admirable manœuvre de son capitaine l'a sauvée!

«Pas de bobo! crie une voie joyeuse… la douche est seulement un peu fraîche…»

Mais un cri lugubre qui terrifie les plus braves interrompt soudain la plaisanterie de Plume-au-Vent.

«Un homme à la mer!

– Paraît qu'y en a un qu'en a pas eu assez, reprend l'enragé loustic en se dépouillant de sa veste fourrée.

«Il fait pourtant un peu frisquet, pour s'offrir un bain froid.

«L'animal est capable de me faire piger un rhume de cerveau.

– Stop!»

Pendant que la goélette marche encore sur son erre, un canot est armé.

La bouée de sauvetage a déjà été lancée à la mer.

A cinquante mètres, on aperçoit un homme qui se débat convulsivement, près d'être englouti.

«Mais il va y rester!..

«Y barbotte comme quelqu'un ne sachant pas nager, reprend le Parisien… un amateur, quoi!

«A moi de faire le terre-neuve!»

Et le voilà, sans plus tarder, debout sur la lisse, piquant, par principe, une tête superbe, sans paraître songer à ce froid atroce de 20°.

«Courage! Parisien… courage!..» crient les camarades, pendant que le vapeur s'éloigne encore, et avant que le canot ait glissé sur ses palans.

Et il va, l'intrépide sauveteur, filant comme un poisson sur les flots glacés, se dressant parfois jusqu'à mi-corps, pour chercher la place où se débat le malheureux.

Il l'aperçoit enfin, à une trentaine de mètres, n'ayant plus la force de se mouvoir, déjà raidi par le froid, et pouvant à peine râler un appel suprême.

«Au… secours!

– Mais il a manqué la bouée, grogne le Parisien.

«Croche donc la bouée!.. cachalot en détresse!

«Bon le v'là qui coule!»

En cinq ou six brasses Plume-au-Vent arrive au point où l'autre a disparu. Il plonge à deux reprises et reparaît enfin, nageant d'une main et hâlant de l'autre la fourrure dans laquelle s'agite faiblement le pauvre diable.

Par bonheur, la bouée a dérivé à portée de sa main.

Il s'y accroche, à bout de force et d'haleine, mais joyeux toujours, joyeux par caractère, et plus encore du devoir accompli.

«Et tu sais, faut pas faire des manières et essayer de me faire boire un coup… sinon, je recommence à taper, comme tout à l'heure, là-dessous, chez les phoques.»

Puis un éclat de rire s'échappe de ses lèvres violacées.

«Diable m'emporte! C'est Constant Guignard, dit-il en reconnaissant l'homme qu'il vient d'arracher à la mort.

«Guignard… le bien nommé… vrai!.. quelle guigne!..

«Ohé! du canot!.. ohé!.. par ici… s. v. p…! dépêchez-vous… je crois qu'on a oublié le robinet d'eau chaude.»

L'embarcation, qui volait sur les flots, arrive en ce moment.

Le Parisien, transi jusqu'aux moelles, claquant des dents, raide comme un glaçon, mais blaguant quand même, est hissé à bord en même temps que l'autre, cramponné à la bouée avec l'inconsciente énergie des noyés.

Le maître, Guénic, est à la barre.

«Tiens, petit, dit-il au sauveteur en lui tendant une vaste et chaude fourrure, entortille-toi là dedans.

– C'est pas de refus, maître, vu que… ça doit être un déplorable métier que celui de phoque dans ces parages.

– Et siffle-moi ça, continue le maître en lui offrant une bouteille pleine d'un liquide ambré.

«C'est du vrai lait de tigre, mon gars, de la pure essence de vitriol… ça te réchauffera.

«Et puis, tu sais, petit, ajoute le vieux marin d'une voix attendrie, t'es un matelot… un vrai… je m'y connais.»

Pendant ce temps, Constant Guignard, frictionné à tour de bras, ouvrait lentement des yeux atones et demeurait incapable de prononcer un mot.

«Allons, mon pauvre vieux, reprend le Parisien après une ample rasade, sirote aussi une bonne goutte.

«C'est souverain contre les pâmoisons…

«Ben oui! c'est nous… les copains… t'es pas noyé… rassure-toi donc… t'es pas encore à point pour faire un figurant à la Morgue.»

Cinq minutes après, la baleinière accostait la Gallia.

Pendant que le Parisien sautait allégrement sur le pont au milieu des matelots qui ne lui ménageaient pas leur sympathie, le docteur faisait transporter Guignard au poste des blessés, puis engageait le sauveteur à l'y accompagner.

«Pardon excuse, monsieur le docteur, mais, avec votre permission, dit-il, je vais aller me faire un brin rissoler devant mon fourneau de chauffe.

«Voyez-vous, après une bonne suée, il n'y paraîtra plus.

– Ma foi, mon garçon, c'est une idée.

«Cependant, venez me voir quand vous serez réchauffé.»

Le brave Parisien allait enfiler l'escalier de la machine, quand il se trouve en présence du capitaine qui le regarde de ses yeux tranquilles et lui tend la main.

Confus de cet honneur et certes bien plus intimidé qu'au moment où il se précipitait dans les flots, Plume-au-Vent met respectueusement sa main dans celle de son chef et demeure bouche béante, interloqué.

«Farin, mon brave, dit le capitaine de sa voix chaude et sympathique, au nom de l'équipage et du mien, merci!..»

Et le chauffeur, de plus en plus troublé, ne trouvant pas un mot à répondre, mais tout fier de ce témoignage d'estime, porte la main à son bonnet, salue militairement et disparaît dans l'écoutille.

«Que ne puis-je entreprendre avec de tels hommes! dit à part lui le capitaine en se rendant lui-même à l'infirmerie.

«Oh! j'arriverai là-bas!.. je le sens… je le veux.»

La goélette avait repris sa marche à travers le chenal où les obstacles semblaient s'accumuler à plaisir. Mais du moins l'incident qui faillit dès le début anéantir l'expédition, ou tout au moins porter le deuil dans l'équipage, eut cela de bon que chacun redoubla de vigilance.

Et certes, jamais on n'en a plus besoin en remontant le cercle polaire qui semble fuir devant l'étrave de la Gallia.

Le passage toujours obstrué par les glaces flottantes se maintenait libre, c'est-à-dire, que sa surface ne gelait pas. Du reste, la température, tout en restant assez basse, était moins rigoureuse depuis que le soleil ne disparaissait presque plus à l'horizon. La série des interminables journées arctiques allait commencer. Tout faisait prévoir une prochaine désagrégation du colossal amas de glaçons contre lequel on allait bientôt se heurter.

Depuis longtemps on avait dépassé le fiord d'Arsuth, où se trouve la fameuse mine de cryolithe, nommée Iviktutk. Puis, Friedricshaab, Fiskernaes et enfin Godthaab, la seconde ville de l'inspectorat du Sud. Une triste bourgade plus froide, plus désolée que Julianeshaab. Le 65° était franchi, mais aussi quelles fatigues écrasantes, pour un résultat aussi modeste!

L'implacable brume persistait toujours et s'interposait obstinément devant le soleil, qui, pendant trois mois, allait rayonner sur le désert de glaces.

Et toujours la lutte sans trêve contre les écueils mouvants, aperçus vaguement à travers l'énervante opacité du brouillard! Les manœuvres incessantes qui courbaturaient l'équipage, les arrêts interminables, les retours précipités, la vapeur instantanément renversée, tout cela pour arriver à s'élever de quelques minutes!

Cependant cette brume, en dépit de son opacité, couvre la mer d'une couche très mince, à ce point que les matelots de vigie dans le gréement, se trouvent en plein soleil 4.

Là-haut, d'incomparables jeux de lumière sur les sommets des icebergs et des falaises, en bas, une houle de vapeurs humides, tourbillonnant comme un suaire de gaze, et se résolvant en gouttelettes qui recouvrent d'un enduit de givre les hommes et les choses.

Grâce à cette particularité, le capitaine, toujours alerte comme un gabier, put prendre des hauteurs astronomiques en se hissant dans le tonneau fixé au sommet du grand mât et auquel les baleiniers donnent le nom de nid-de-pie.

C'est ainsi que, le 30 mai, son observation lui donna la certitude que le cercle polaire était enfin franchi.

Il y eut à bord une petite fête remplaçant la cérémonie classique et démodée du passage de la ligne, un bon repas, double ration de vin et de spiritueux et quelques chansons joyeuses où Plume-au-Vent déploya ses talents de virtuose.

Puis le soleil, après la vue duquel on soupirait depuis longtemps, apparut enfin, et pour ne plus disparaître de trois mois.

Les oiseaux, invisibles jusqu'alors, se montrent en essaims innombrables, jacassant à tue-tête, familiers d'ailleurs, au point de venir tourbillonner à travers le gréement du navire. Mouettes, damiers, pétrels, eiders, guillemots, zigzaguent et s'ébattent en pleine lumière, piquent des têtes au milieu des eaux vertes, vont s'éplucher sur les blocs errants, et repartent pour recommencer, indéfiniment.

Les monstres marins, sortis de l'hivernale torpeur, éveillés par cette incandescence qui les met en belle humeur, folâtrent lourdement dans les eaux libres. On voit des troupeaux entiers de phoques se vautrer avec délices sur quelque fragment bien horizontal d'icefield en dérive, et venir plonger curieusement jusque sous l'étrave du navire.

Une ourse même se montra, flanquée de ses deux oursons, humant de loin les émanations parties du vapeur, inquiète du branle-bas occasionné par sa présence.

Le docteur Gélin, grand chasseur, parlait même de lui envoyer une balle express, alléguant la saveur exquise d'un jambon d'ours, fût-il polaire.

Mais le capitaine lui fit observer en souriant que le gibier se trouvait au moins à mille mètres, et que la balle de sa bonne carabine Dougall serait inévitablement perdue.

«Damnée réfraction! dit le docteur en reconnaissant qu'il est victime d'une illusion d'optique très fréquente là-bas.

«Je m'y laisse pourtant prendre comme un conscrit.

– Baleine par l'avant! s'écrie le maître d'équipage dont les yeux luisants aperçoivent une colonne de vapeur chassée par l'évent d'un cétacé.

– Une baleine! riposte une voix bien connue.

«Plus que ça de goujon!

– Ris tant que tu voudras, failli Pantinois, n'empêche que ça me chavire, de ne pas seulement pouvoir lui loger quinze pouces de harpon entre les côtes.

– Voyons, maître Guénic, il y a temps pour tout.

«Que diable feriez-vous d'une pareille sardine?

«Son huile!.. demandez-voir à notre camarade, Monsieur Dumas, dit Tartarin, ce qu'il en pense pour la cuisine.

«Y aurait donc ses baleines qui pourraient vous tenter…

«Est-ce que vous voudriez vous mettre marchand de parapluies?

– Gamin, va! dit le maître, incapable de tenir son sérieux.

– C'est p't-ête pour offrir à madame votre épouse une garniture pour son corset.

– Oui!.. oui!.. tu trouves toujours autant de trous que de chevilles, toi.

«Mais si t'avais évu celui de pratiquer la grande pêche, tu verrais voir, comme ça vous emballe un homme, de capturer un gibier de ce gabarit!»

Mais la Gallia n'avait pas de temps à perdre, quelques pressantes que fussent les occasions.

Oiseaux, plantigrades et cétacés ne furent point inquiétés.

Le surlendemain, à huit heures du matin, par trois degrés au-dessous de zéro, on se trouvait en vue de l'île Disco, dont la pointe est par 69° 11′ de latitude Nord.

C'est le chef-lieu de l'inspectorat septentrional du Groenland et le lieu de résidence du second «colonibestyrere» qui séjourne à Godhawn, situé au Nord de la baie du même nom, défendu contre la haute mer par un immense éperon granitique dont le prolongement s'étend fort loin.

4.C'est du reste un fait observé fréquemment sur les paquebots faisant la traversée d'Amérique. Par le travers de Terre-Neuve, les mâts sortent à moitié du brouillard, pendant que la partie inférieure du navire demeure invisible.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2017
Hacim:
490 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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