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Kitabı oku: «Les français au pôle Nord», sayfa 8

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IX

Plaie ancienne. – Le projectile. – Emotion du capitaine en reconnaissant une balle de fusil Mauser. – Fantaisie gastronomique. – Ingestion d'un gilet de flanelle. – Marque en caractères allemands. – Départ précipité. – Difficiles manœuvres. – Fatigues surhumaines. – Les docks provisoires. – Les gaietés d'un équipage courbaturé. – Venise est le pays des glaces. – Dans le canal de Kennedy. – Un pavillon flotte sur Fort-Conger!

Malgré l'état d'épuisement dans lequel se trouve l'ours polaire, le capitaine fait prendre les précautions exigées par la plus élémentaire prudence.

En un clin d'œil, hommes, chiens, véhicules sont hissés à bord.

L'ours, presque agonisant, se traîne avec des difficultés infinies. A chaque pas il tombe lourdement, grogne, se relève à demi pour s'abattre encore. Poussé par une faim atroce, il tourne vers le navire sa tête busquée, idiotement féroce, et fait claquer ses dents.

Il s'approche néanmoins, jusqu'à ce qu'une balle explosible envoyée par le docteur, qui veut prendre sa revanche de l'autre fois, lui fracasse le crâne.

La fuite des chiens, la retraite de l'équipage, l'exécution du perturbateur, tout cela n'a pas duré dix minutes.

Comme l'ours a été foudroyé, chacun redescend sur la glace, pour le voir de près, et tirer, s'il y a lieu, parti de sa dépouille.

Chose facile à constater tout d'abord, c'est son épouvantable maigreur. Il n'a littéralement que la peau et les os qui font de lamentables saillies à travers la fourrure.

«Docteur, veuillez donc, je vous prie, examiner sa blessure, et me dire à quoi vous l'attribuez,» dit le capitaine tout pensif.

La cuisse droite est le siège d'une tuméfaction intense qui occupe l'articulation de la hanche, et se traduit par une grosse protubérance. Au milieu de cette protubérance, un trou rond, du diamètre du petit doigt, d'où suinte un pus fétide collé aux longs poils jaune paille.

«C'est, à n'en pas douter, une plaie d'arme à feu, répond le docteur sans la moindre hésitation.

– Ancienne?

– Datant au plus de huit jours.

– La balle est-elle sortie?

– Pas que je sache, car je ne trouve point de contre-ouverture.

«Etant donné la direction latérale du coup de feu, je doute qu'elle soit ressortie par le trou d'entrée.

– Vous pouvez l'extraire, n'est-ce pas?

– Rien de plus facile.»

Dédaignant les instruments professionnels, ou les jugeant trop fragiles pour une telle opération, le docteur s'arme d'un couteau de matelot, désarticule d'une main exercée la cuisse, trouve le trajet fistuleux du projectile, le débride et rencontre, engagée au niveau des reins, dont l'un a été broyé, une balle très longue, de petit calibre, qu'il présente au capitaine.

Celui-ci l'examine attentivement, et pâlit.

«C'est bien!.. merci, docteur, dit-il d'une voix qui cependant n'indique pas trace d'émotion.

«Je sais… ce que je voulais savoir.»

Intrigué, mais connaissant trop bien ses devoirs pour interroger son chef, le docteur, machinalement, se met en devoir d'ouvrir l'estomac de la bête; et tout en coupant la peau, les muscles et les cartilages, monologue:

«Vrai!.. si je me laissais attendrir par la maigreur phénoménale de ce pirate arctique, je serais capable de le plaindre.

«En voilà un qui a dû faire carême!

«Mais rengainons notre pitié.

«Le coquin ne vaut pas mieux que les lions, les tigres, les jaguars et autres bandits ejusdem farinæ

«On croirait volontiers que le bain perpétuel d'eau à zéro dans lequel il barbote, et les glaçons lui servant de litière aient dû rafraîchir son sang.

«Erreur! Monsieur se complaît au carnage, comme le tigre dont il a les approches sournoises et les appétits insatiables.

«Il lui faut des hécatombes de phoques, de veaux marins et de rennes sauvages… et quand il a assassiné dix fois, vingt fois sa suffisance, monsieur gaspille!..

«Tenez, capitaine, est-ce outillé pour le massacre!

«Voyez-moi ces crocs longs de quatre pouces, et ces griffes qui dépassent la bonne mesure de dix centimètres.

«Avec cela, nageant comme un requin, au point d'agripper, en plongeant, les phoques eux-mêmes…

«Et grimpeur à damer le pion à la panthère dont il possède la souplesse et l'agilité féline.

«Il faut le voir quand il escalade, on ne sait comment, des glaciers à pic pour dévaliser les nids des guillemots dont il gobe les œufs avec une sensualité gloutonne!

«Rudement armé, le gredin, pour le «struggle for life», avec sa fourrure imperméable, son blindage de graisse, sa vigueur de bison, ses ongles et ses dents.

«Sans quoi, la race en serait depuis longtemps anéantie.

«Où diable pareille énergie vitale va-t-elle se nicher!

– Celui-ci, docteur, a dû pourtant subir de rudes privations, à en juger par sa maigreur qui ne saurait être imputée, je crois, à sa seule blessure.

– Oh! capitaine, tout n'est pas roses, dans le métier d'ours polaire.

«S'il y a des jours de bombance, il y a aussi des semaines où le menu fait défaut.

«Quelque «struggle-for-lifeur» qu'on soit, on n'en est pas moins assujetti à de dures privations.

«Très souvent le gibier brille par son absence, après l'hiver, alors qu'au sortir de l'engourdissement annuel on aurait besoin d'un ordinaire soigné pour se refaire.

«Dans ce cas on vit de faim… on mange ce qu'on trouve… des carcasses dédaignées autrefois, des herbes marines, de la terre… des épaves de toute sorte, parfois les plus incohérentes.

«Il me souvient, entre autres, avoir trouvé, aux pêcheries d'Islande, un ours qui avait absorbé un soulier de matelot.

«Quant à celui-ci… je doute que son estomac ne renferme…

«Tiens!..

«Mais c'est un faux affamé… il avait mangé…»

Le docteur qui, pendant sa pittoresque monographie de l'ours blanc avait interrompu sa dissection, vient de fendre la poche stomacale.

Il retire, du bout des doigts, une chose informe, triturée, enroulée sur elle-même, une sorte de loque assez consistante et dont il est d'abord impossible de préciser la nature.

On dirait de l'étoffe.

Très intrigué, le docteur avise une flaque d'eau produite par la fonte des neiges et remplissant une petite dépression du terrain glacé.

Il déplie la loque, la met tremper, la lave soigneusement et part d'un fou rire.

«Quand je vous disais, capitaine, que la panse de ces mécréants est le réceptacle des substances les plus baroques, je ne croyais pas avoir en main la preuve de mon affirmation.

– Qu'y a-t-il, mon cher docteur?

– Capitaine, je vous le donne en mille.

– J'aime mieux jeter ma langue aux… ours, répond l'officier intrigué.

– Eh bien! vous allez avoir un nouveau témoignage de l'éclectisme professé par eux en matière d'alimentation.

«Examinez plutôt ce gilet de flanelle que je viens d'extraire, et par devant témoins, de l'appareil digestif du sire.

– Un gilet de flanelle! s'écrie le capitaine abasourdi.

– En très mauvais état, sans doute, mais avec ses boutons, et si je ne me trompe, une marque en fil rouge, très visible… tenez… là!..

«Quelque rebut abandonné par un baleinier.»

Le capitaine examine attentivement le tissu, constate la présence de deux lettres brodées au petit point et dit au docteur:

«Veuillez couper cette marque et me la donner.

«Maintenant, rentrons à bord.

«J'appareille aussitôt la machine en pression.»

Le docteur abandonne le haillon près du cadavre de l'ours, et suit l'officier qui regarde en marchant les initiales et hoche la tête.

«Tenez, dit-il au moment de se hisser par les tire-veilles, je préfère vous confier la vérité, car vous ne devez rien comprendre à ce brusque départ, quand j'avais manifesté l'intention de séjourner ici quarante-huit heures.

– Mais, capitaine, je ne vois guère en quoi la présence de cette loque puisse vous…

– M'émouvoir!.. dites le mot, et vous n'exagérerez pas.

– Vous!.. un homme comme vous!

– Parce que j'ai voué ma vie à une entreprise glorieuse…

– Je ne comprends plus quelle corrélation… entre l'incident qui nous occupe, et le but grandiose poursuivi par vous.

– Docteur, savez-vous l'allemand?

– Peu, mais mal!.. je le confesse à ma honte.

– Assez pour le lire, cependant.

– Sans doute.

– Voyez ces deux lettres.

– Tiens!.. des caractères gothiques…

«Un F et un S majuscules…

– Parfaitement.

«Et vous pouvez ajouter, des capitales allemandes

«Vous entendez bien: allemandes!

– C'est indubitable.

«Mais, qu'est-ce que cela prouve?

– Et la balle, retirée par vous du flanc de l'ours?

– Une balle… quelconque.

– Une balle de fusil Mauser, docteur!

«Une balle allemande!

– Ah! diable… il y aurait donc des Teutons dans le voisinage?

– Un ours nous arrive blessé d'un coup de feu.

«La plaie remonte à huit jours selon vous… Le projectile qui l'a produite a été tiré par une arme prussienne, au moment où l'ours, mourant de faim, rôdait autour d'un campement.

«L'animal a saisi ce qu'il a pu trouver, un gilet de laine, et l'a englouti avec sa voracité d'affamé…

«Sur le gilet, nous trouvons des lettres allemandes.

«Calculez le chemin qu'a pu faire depuis ce temps l'animal grièvement blessé…

«Maintenant, concluez!

– Diable!

– Eh bien! voilà pourquoi cet appareillage précipité qui ressemble à une fuite…

– Oh!.. à une fuite… en avant!

– Je l'entends bien ainsi.

«Tenez!.. je n'ose pas aller jusqu'au fond de ma pensée.

«Pensez donc, s'il était là!.. lui!

«Si, contre toute prévision, il m'avait devancé par je ne sais quel artifice diabolique…»

Une heure après, la Gallia quittait l'abri protecteur de Port-Foulque et s'élançait intrépidement à travers la mouvante armée des glaces désarticulées par l'ouragan.

On n'aperçoit plus l'eau dissimulée sous les fragments de toute grosseur. Il semble que le navire glisse sur un fleuve charriant des pierres.

A chaque instant l'éperon d'acier fracasse les blocs errants. On ne compte plus les heurts qui produisent un roulement continu. Ou plutôt nul ne s'en préoccupe. Qu'importe! après tout, puisqu'on va de l'avant.

De Port-Foulque au cap Sabine, situé sur la rive occidentale du détroit de Smith, on compte un demi-degré environ. Cette traversée de cinquante-cinq kilomètres exige vingt heures. Un succès, pourtant, car la mer est mauvaise. C'est le 13 juin. La goélette côtoye l'île de Pim, à jamais célèbre dans les annales arctiques par le navrant épilogue de la mission Greely. Là fut le camp Clay où succombèrent, après une effroyable agonie, les Affamés du Pôle Nord, dont M. W. de Fonvielle a raconté les tortures.

Le 14, pour se tenir à l'abri des glaces qui suivent le courant, la Gallia pénètre dans la baie de Buchanan, contourne l'île Bache, et perd des heures à chercher une faille où se glisser. Quelques milles à peine sont parcourus. En six heures il faut creuser deux docks à cinq cents mètres l'un de l'autre, pour laisser passer deux icebergs qui écraseraient la Gallia comme une noisette.

Voici en quoi consiste cette opération. Le chenal mesure, supposons, cinquante mètres de largeur. A droite et à gauche, des glaces épaisses de trois ou quatre mètres. Un iceberg s'avance lentement. S'il est moins large que le chenal, la goélette peut continuer sa route en se rangeant près de la rive. S'il est d'égale dimension, il obstrue le passage tout entier. Comme il vient droit sur la goélette on ne peut ni ne doit rétrograder, on entame rapidement à la scie, à la hache et à la mine, la glace bordant le chenal. On pratique dans son épaisseur une cavité assez vaste pour permettre à la coque du vaisseau de s'y loger. Bref, un dock, un bassin analogue aux formes à radoub, dans lequel le navire attend le passage de l'iceberg.

Le 15, dix kilomètres! et l'équipage courbaturé est satisfait, quelque minime que soit ce résultat.

Le 16, le petit détroit de Hayes est franchi, et la goélette se trouve en vue de la partie méridionale de la terre de Grinnel. Des collines encapuchonnées de neige apparaissent au loin. Le rivage très abrupt se compose de grès fauves aperçus vaguement à travers les craquelures des glaces qui les recouvrent.

La journée entière est employée à la recherche d'un chenal. La route suivie douze ans avant par sir Georges Nares est totalement obstruée.

C'est là, en effet, le propre de cette navigation, d'être modifiée sans cesse, non seulement d'année en année, mais souvent de mois en mois, par le dégel, les courants, les marées ou les tempêtes qui bouleversent la région de fond en comble.

Impossible, par conséquent, de suivre la voie tracée antérieurement et relevée sur la carte par de consciencieux explorateurs.

Aussi, que de marches et de contremarches! Que de retours désespérants après une rapide envolée qui vient se briser à un cul-de-sac! Que de virages sur place, que de charges à fond sur la maudite glace qui parfois vole en éclats, et plus souvent résiste au choc de l'éperon! Que d'allées et venues de bête en cage à la recherche d'un trou pour s'insinuer!

Le chenal enfin trouvé – une vraie gorge d'enfer – la présence d'icebergs, venus on ne sait d'où, nécessite encore la désespérante improvisation des docks dans la glace fixe.

Le 17, après des labeurs écrasants, des périls inouïs et la menace perpétuelle d'être bloqué, la Gallia contourne la petite baie d'Allman, double le cap Hawks, formant la pointe Sud-Est de la baie de Dobbin.

Le capitaine, qui vient de parcourir la relation de sir Georges Nares, constate, comme le marin anglais, que la hauteur du promontoire est réellement de quatre cent vingt-sept mètres. Mais, malgré toute sa bonne volonté, il ne peut, en aucune façon, partager l'opinion de son devancier, quand celui-ci compare la lugubre pointe en vue au rocher de Gibraltar.

On croirait volontiers que ces fatigues excessives et sans cesse renaissantes affecteraient le moral de l'équipage.

Ce serait une erreur. Jamais gens n'ont été plus gais et n'ont témoigné plus d'entrain. Chacun nargue la courbature, s'ingénie à trouver un mot drôle pour caractériser la situation, ou applique une comparaison baroque à tel ou tel site, à tel ou tel incident.

On mange de bon appétit, comme il convient à des hommes qui ne marchandent pas leur peine. On ingurgite avec délices la double ration offerte chaque jour par le cambusier. On rit comme de bons Français dont la proverbiale gaîté ne désarme jamais et l'on chante à tout propos.

Plume-au-Vent, l'ancien virtuose de café-concert, se montre intarissable, à la grande joie de ses compagnons qui n'arrivent jamais à épuiser son répertoire.

Chaque fois qu'il n'est pas de quart à la machine, le petit chauffeur grimpe sur le pont, se mêle aux matelots, prend vaillamment sa part de leurs travaux – ce qu'il appelle turbiner pour son agrément – et les égaye par ses refrains ou par ses farces.

Toujours un peu mystificateur, mais mystificateur bon enfant, il monte aux plus naïfs d'invraisemblables scies dont tout le monde rit, celui qui en est l'objet prenant le premier la chose du bon côté.

Il a cessé pourtant de plaisanter Mossieu Dumas dit Tartarin, du jour où celui-ci est venu à son aide, quand il faisait si piteuse mine sur le traîneau. De même pour Constant Guignard, depuis qu'il l'a repêché.

Mais il a trouvé deux nouveaux plastrons dans Courapied dit Marche-à-Terre, et Nick dit Bigorneau, son collègue de la chaufferie.

Un échantillon de ses farces, très inoffensives, mais parfois bien amusantes, comme on va le voir.

La Gallia flotte, par hasard, sur un petit lac d'eau libre. La vue s'étend au loin sur la plaine hérissée de glaces dont les pointes scintillent sous un soleil aveuglant.

«Ouf! s'écrie le Parisien flanqué de Nick et de Courapied; en place repos!

«Paraît qu'on joue: Relâche, ou repos des banquises.

– C'est encore de la grande-opéra? demande Courapied qui adore la musique.

– Parbleu!

– Et de Paris?.. dans quel théâtre!

– Dans tous les théâtres!

«Toutes fois t'et quand que tu vois collée à la porte une affiche avec ce mot: Relâche, ça veut dire qu'on joue la fameuse pièce intitulée: Relâche ou repos des banquettes

– Mais tu viens de dire: banquises!

– C'est que, vois-tu, ici, les banquettes, c'est censément les banquises.

– Comprends pas, et toi, Nick?

– Moi, si! répond imperturbablement Nick.

– La preuve, continue le Parisien, c'est qu'y en a tant et tant, qu'on se croirait à Venise.

– Venise, interrompt Courapied; mais je me faisais l'idée que c'était un pays chaud, situé en Algère, ou à Constantinople, ou bien dans les Amériques… sais pas au juste.

– Venise, mon vieux colon, v'là ce que c'est.

Puis il se met à chanter, d'une voix très agréable, ma foi, et d'une étendue remarquable:

 
Ah! que Venise est belle
Et ses accents joyeux;
Son palais étincelle
Le soir de mille feux…
 

«Ça, Parisien, c'est tapé! s'écrie Nick.

«La suite… la suite…

– Oui, c'est tapé, riposte Courapied, têtu comme un Breton, quoique Normand.

«Mais ça dit toujours pas ous qu'est Venise.

– Voyons, continue le Parisien, avec une bonhomie narquoise, où sommes-nous, ici?

– Dans le plein pays des glaces, nom de d'là?

– Juste!

«Eh bien! mon vieux lapin, nous sommes à Venise, puisque Venise est positivement le pays des glaces

L'intermède est brusquement coupé par l'apparition d'un iceberg qui se montre en vue du cap Louis-Napoléon. La goélette recule, une fois n'est pas coutume, pour s'abriter derrière les collines de grès rouge, hautes de trois cent cinquante mètres, qui bordent la côte.

L'iceberg, un colosse, dérive lentement et vient s'arrêter au milieu de la baie de Dobbin, bouchant hermétiquement le passage suivi deux heures auparavant par la Gallia.

Le 18, le cap John-Barrow est doublé, puis le cap Norton-Shaw, qui forme la pointe méridionale de la baie de Scoresby.

La Gallia franchit le quatre-vingtième parallèle!

Elle oblique aussitôt vers l'Est pour contourner la baie de Scoresby encombrée d'un chaos de glaces qui attendent la débâcle de juillet.

Le 19, elle passe en vue du cap Collinson, puis de la baie de Richardson, et embouque résolument le canal de Kennedy.

Ce canal, qui continue le détroit de Smith, le relie, au Nord, au bassin de Hall, au niveau de la baie de Lady-Franklin, mesure environ cent kilomètres de longueur, et seulement trente à quarante mètres de largeur. Il apparaît aux yeux ravis des matelots, comme étant à peu près libre, du moins dans sa partie centrale.

Malgré l'exiguïté du canal, d'Ambrieux ne s'étonne point de cette absence de glaces fixes. Le fait, constaté jadis par Morton, le steward du docteur Kane, puis par le capitaine Nares, et plus récemment par le lieutenant Greely, s'explique aisément. Le canal de Kennedy, relativement étroit, faisant communiquer deux bassins d'une vaste étendue, est traversé par un courant très fort, où les mouvements des marées possèdent une grande intensité. On conçoit dès lors que ces mouvements de la masse totale des eaux suffisent à empêcher la glace de se prendre, sauf bien entendu aux périodes hivernales où le froid atteint −50°.

Aussi, la traversée du canal est-elle un jeu, en comparaison des difficultés terribles surmontées antérieurement par la Gallia.

A l'encontre de ses devanciers, le capitaine, jusqu'alors, n'a pas jugé à propos d'opérer, de loin en loin, sur la côte, des dépôts de vivres.

Ces dépôts, espacés sur la route probable du retour, sont destinés à subvenir aux besoins des explorateurs, au cas où, forcés d'abandonner leur navire, ils tentent, suprême ressource, de revenir à pied, sur les glaces, jusqu'aux établissements danois.

Ils sont enfouis profondément dans le sol et recouverts de glace de façon à échapper aux ours polaires. Mais on les surmonte généralement d'un cairn ou signal de pierres amoncelées régulièrement, pour bien en reconnaître l'emplacement.

Le capitaine de la Gallia, négligeant cette sage prévoyance, est-il si absolument certain de l'avenir, à moins toutefois qu'il ne veuille tenter un tour de force qui ferait reculer les plus audacieux et revenir par une autre voie?

C'est ce que l'avenir pourra seul révéler.

Le 20 juin, la goélette, voguant librement sur le canal, reconnaît au passage les étapes de Greely, alors qu'ayant abandonné son hivernage de Fort-Conger, il ralliait Camp-Clay.

C'est d'abord le cap Léopold-de-Bush, puis la baie de Karl-Ritter où s'abrita la chaloupe à vapeur Lady-Greely. Puis le cap Craycroft, que doubla la petite flottille de canots remorquée par la chaloupe.

Le 21, on est en vue du cap Baird, à l'extrémité du fiord Archer, qui forme la rive méridionale de la baie Lady-Franklin.

En face, on aperçoit la baie de la Discovery, ainsi nommée en souvenir de l'hivernage du second bâtiment de sir Georges Nares, puis la péninsule du Soleil, surmontée de pics neigeux, hauts de huit cents mètres, puis l'île Bellot, qui émerge, toute blanche, à une hauteur prodigieuse.

Au fond du havre se trouve, par 81° 44′ de latitude Nord, et 64° 45′ Ouest de Greenwich, invisible encore à pareille distance, la construction en bois élevée par les Américains, avec des madriers apportés de leur pays, et à laquelle Greely donna le nom de Fort-Conger.

D'Ambrieux fait stopper au cap Baird, descend avec quatre hommes et recherche le cairn dans lequel Greely plaça une carte des régions explorées par le lieutenant Lockwood et le docteur Pavy, ainsi que le récit abrégé de leurs travaux.

Le signal de pierres est aussitôt découvert à une faible distance de la côte. Les documents, en très bon état, ne paraissent pas avoir été touchés depuis le mois d'août 1883.

Le capitaine, avant de les replacer dans leur enveloppe, ajoute sa carte, avec cette seule mention au crayon: «marin français» et la date: 21 juin 1887.

Il reconnaît ensuite la configuration de la baie, constate que, par un hasard exceptionnel, le chenal Ouest, situé entre la péninsule du Soleil et l'île Bellot se trouve libre, et soudain, l'idée de visiter Fort-Conger traverse son esprit.

L'excellente carte de sir Georges Nares sous les yeux, il fait forcer la vapeur, traverse en quelques heures la baie de Lady-Franklin, alors que le Proteus, portant la mission Greely, avait mis sept jours à aborder!

La nature hyperboréenne ménage de ces surprises à l'explorateur.

Bientôt, apparaît fort distinctement, à la lorgnette, le massif bâtiment, tout noir de goudron.

Et comme jadis, quand le docteur lui remit la balle du fusil Mauser extraite du flanc de l'ours, l'intrépide marin pâlit.

Il vient d'apercevoir, flottant au-dessus de Fort-Conger, un pavillon!

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Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2017
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