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A fond de cale

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CHAPITRE XI

Marée montante

Ce serait un mensonge de laisser croire que je contemplais ce spectacle avec confiance; bien au contraire, j'étais rempli de frayeur. Si j'avais eu le temps d'achever mon cairn, et surtout le moyen de lui donner plus de solidité, mes appréhensions auraient été moins vives. Je n'avais pas d'inquiétude à l'égard du poteau; depuis que j'étais au monde, je lui avais vu braver la tempête; mais mon tas de pierres serait-il assez fort pour résister aux vagues? Quant à sa hauteur, il ne s'en fallait que de trente centimètres qu'il atteignît la ligne blanche. C'était peu de chose, et il m'était indifférent d'avoir les jambes dans l'eau. Toutefois, cette ligne était-elle bien exacte? Elle indiquait la hauteur des marées ordinaires, mais seulement quand la mer était calme; et la brise était alors assez forte pour soulever les vagues à plus de cinquante centimètres. S'il en était ainsi, les deux tiers de mon corps seraient submergés, sans compter la crête des lames qui lanceraient leur écume au-dessus de ma tête. Supposez maintenant que la brise continuât à fraîchir, supposez une tempête, même un simple coup de vent, à quoi me servirait mon tas de pierres? J'avais vu plus d'une fois, quand la mer était furieuse, ses lames fouetter l'écueil, et s'élancer au-dessus du signal à une hauteur de plusieurs mètres.

J'étais perdu sans retour si le vent devenait plus fort.

Il est vrai que toutes les chances étaient en ma faveur. Nous étions au mois de mai; le ciel avait été admirable pendant la matinée; mais il y a des tempêtes, même dans les plus beaux jours, et le temps, qui paraît doux et calme sur la grève, est souvent orageux en pleine mer. Du reste, il n'était pas nécessaire qu'il y eût un ouragan; une brise un peu fraîche suffirait à m'emporter du monceau de pierres qui me servaient de point d'appui.

Et quand même le temps fût resté beau, la solidité de mon cairn m'inspirait peu de confiance. J'en avais jeté les pierres au hasard; elles s'étaient amoncelées comme elles me tombaient des mains, et je les avais senties s'ébranler au moment où j'y avait mis les pieds. Que deviendrais-je si elles étaient entraînées par le courant, ou dispersées par les vagues?

Cette cruelle appréhension venait augmenter mes angoisses et me causait de cruelles tortures. Je jetais vers la baie des regards avides, pensant que peut-être un bateau venait à mon secours; mais, là comme ailleurs, je ne rencontrais qu'une amère déception.

J'avais conservé ma première attitude, et me pressais contre le poteau, que je serrais dans mes bras comme j'aurais fait d'un ami. À vrai dire, c'était le seul qui me restât; sans lui je n'aurais pas pu élever mon tas de pierres; et en supposant que j'eusse réussi dans cette entreprise, il m'aurait été impossible de me maintenir sur mon étroite plate-forme, si je n'avais pas eu le poteau pour soutien.

À peine osais-je faire un mouvement; j'avais peur qu'en bougeant l'un de mes pieds, la secousse ne fût assez forte pour faire écrouler mes pierres, que je n'aurais pas pu rétablir. L'eau qui entourait la base était maintenant plus haute que moi, et j'y aurais été forcément à la nage.

Bien que tout mon corps fut immobile, je tournais souvent la tête pour interroger l'espace, tantôt à droite, tantôt à gauche, fouillant du regard tous les points de l'horizon, et recommençant toujours, sans rien voir qui répondît à mon attente. Puis, mes yeux rencontraient les flots, que j'avais oubliés, en cherchant dans le lointain, et se fixaient sur les vagues énormes qui, revenues de leur course vagabonde, se brisaient contre l'écueil en roulant vers la plage. Elles paraissaient furieuses, et grondaient en passant comme pour se plaindre de ma témérité. Qui étais-je, moi, faible enfant, pour m'établir ainsi dans leur propre domaine.

Leur voix rugit plus fort; il me sembla qu'elles me parlaient, je fus saisi de vertige, et dans ma défaillance, je crus que j'allais disparaître au fond de l'abîme.

Les vagues s'élevaient toujours; elles atteignirent les derniers galets, couvrirent mes pieds, montèrent plus haut, toujours plus haut, me frappèrent les genoux… Ô mon Dieu! quand cesseront-elles de monter?

Pas encore. Elles m'arrivèrent à la ceinture, elles me baignèrent les épaules, leur écume me fouetta le visage, m'entra dans la bouche, dans les yeux, dans les oreilles; je fus à demi étouffé, à demi noyé. Ô père miséricordieux!

La marée avait maintenant toute sa hauteur, et menaçait à chaque minute de m'engloutir; mais, avec la ténacité que l'instinct de la vie donne au moment suprême, je me cramponnai plus que jamais au poteau, et peut-être aurais-je pu m'y maintenir jusqu'au matin, sans un accident qui vint aggraver le péril.

Le jour avait disparu, et, comme si la nuit eût donné le signal de ma destruction, le vent redoubla, les nuages se heurtèrent avec fureur, la pluie tomba par torrents, les vagues se soulevèrent avec une nouvelle puissance et faillirent m'entraîner.

Mon effroi était à son comble; je ne pouvais plus tenir contre les lames.

À demi entraîné par les flots, j'avais perdu pied tout à fait. Je voulus reprendre ma place sur le tas de pierres, ce qui était indispensable. Afin d'y parvenir, je me soulevai à l'aide de mes bras, et je cherchais du bout de mon soulier à me replacer sur le cairn, lorsqu'une vague détacha mes jambes du poteau. Quand elle eut passé, après m'avoir soutenu horizontalement, je cherchai de nouveau ma pile; j'en touchai les galets; mais au moment où j'y posais les pieds, je la sentis crouler sous moi comme si elle avait fondu tout à coup; et, ne pouvant plus me soutenir, je suivis dans les flots mon support dont les débris s'y étaient éparpillés.

CHAPITRE XII

Le poteau

Il était bien heureux pour moi que j'eusse appris à nager, surtout que j'eusse profité des leçons de mon ami Blou; c'était le seul talent qui put m'être utile en pareille circonstance; car, sans lui, je périssais aussitôt. Je me trouvai soudain au milieu des quartiers de roche qui couvraient tout l'écueil, et si je n'avais pas été bon plongeur, il est probable que cette chute au fond de l'eau aurait causé ma mort.

Mais au lieu d'y rester, je reparus à la surface comme eût fait un canard; puis, m'élevant avec la vague, je regardai autour de moi pour découvrir mon poteau. Il était moins facile de l'apercevoir que vous ne l'imaginez; l'eau m'aveuglait, en me fouettant la figure; et, comme un chien de Terre-Neuve qui cherche quelque chose dans une rivière, je fus obligé de faire deux ou trois tours avant de rien distinguer dans l'ombre, car vous savez qu'il faisait nuit.

À la fin cependant mes yeux rencontrèrent ce mât de secours. Sans le savoir, je m'en étais éloigné de plus de vingt mètres; et si j'avais laissé faire le vent et la marée, ils m'auraient emporté en dix minutes assez loin du récif pour qu'il me fût ensuite impossible d'y revenir.

Dès que je l'eus aperçu, j'allai droit au poteau; non pas que je vis clairement à quoi il pourrait me servir; l'instinct seul me dirigeait vers lui. Comme tous les malheureux qui, au moment de se noyer, se rattachent à un brin de paille, je me portais, dans mon trouble, vers la seule chose qui fût à ma portée, espérant sans doute que j'y trouverais mon salut. Je n'avais plus ma raison, et cependant, quand j'approchai du poteau, l'idée subite qu'il me serait inutile vint frapper mon esprit et raviver mes angoisses.

Je pouvais bien franchir les cinq ou six mètres qui me séparaient de la futaille, mais non pas gagner le faîte de cette dernière. Je l'avais essayé plusieurs fois, à un moment où la fatigue n'avait pas réduit mes forces; et, malgré le désespoir qui soutenait ma vigueur, j'étais sûr de ne point y réussir.

Pourtant si j'avais pu m'installer sur le bout du tonneau, j'étais sauvé, je n'avais plus rien à craindre; la surface en était assez large pour me permettre d'y rester, même pendant la tempête. Ce n'est pas tout encore; on m'aurait aperçu du rivage, et la fin de l'aventure n'avait plus rien de tragique.

Mais à quoi bon ces pensées? Je n'avais pas même l'intention de tenter cette escalade; une seule idée me préoccupait: c'était de savoir par quel moyen je pourrais m'attacher à la pièce de bois de manière à ne pas en descendre, comme je l'avais fait jusqu'ici, au bout de quelques instants.

J'atteignis enfin mon but, et non sans peine; car je nageais contre le vent, la marée et la pluie. C'est avec transport que je lançai mes bras autour de mon poteau, de ce vieil ami auquel je devais l'existence; et il me sembla que j'étais sauvé. Pendant quelques minutes, mon corps flotta sur l'eau, grâce à l'appui que j'avais retrouvé; et si les flots avaient été paisibles, il est probable que je me serais maintenu dans cette position jusqu'à la marée descendante. Malheureusement, la mer était loin d'être calme. Elle s'apaisa, il est vrai, pendant quelques minutes; je repris haleine; mais ce moment de répit fut bien court; le vent ne tarda pas à recouvrer toute sa violence, et les vagues, plus furieuses qu'elles n'avaient encore été, m'enlevaient jusqu'au bord inférieur de la barrique, me laissaient retomber tout à coup en se dérobant sous moi, et, me reprenant en travers, me forçaient à nager autour de mon support, comme un acrobate qui fait la roue, en se tenant perpendiculairement à une perche qui lui sert de pivot.

Je soutins ce premier choc avec succès; mais je ne me fis pas illusion; l'assaut recommencerait avant peu, et je savais trop bien quel serait le résultat d'une pareille lutte.

Comment résister à cette force toute-puissante? comment ne pas être arraché du poteau qui était mon seul appui? Si j'avais eu seulement une corde! mais le plus petit bout de ficelle était aussi loin de ma portée que le bateau de Henry, ou le fauteuil de mon oncle. Au même instant, comme si un bon génie m'eût soufflé cette idée à l'oreille, je songeai, non pas à une corde, mais à ce qui pouvait la remplacer. Oui, la chose était claire et l'inspiration excellente.

 

«Qu'est-ce que c'est?» demandez-vous avec impatience. Attendez, je vais vous le dire.

Je portais, ainsi que tous les enfants d'une humble condition, une espèce de vareuse en grosse étoffe à côtes excessivement solide. C'était autrefois mon habit de tous les jours; mais depuis la mort de ma mère, je le mettais le dimanche tout aussi bien que dans la semaine. Pourtant ne déprécions pas ma veste. Depuis lors, j'ai toujours été bien mis, j'ai porté le drap le plus fin d'Angleterre, et toute la garde-robe que j'ai jamais possédée est loin d'être aussi haut dans mon estime que ma vareuse de grosse étoffe à côtes. C'est elle, je puis le dire, qui m'a sauvé la vie.

Elle avait heureusement une belle rangée de boutons, solidement attachés; non pas de ces petits brimborions de corne, de plomb ou d'os comme vous en avez aujourd'hui, mais de gros boutons en fer, aussi grands, aussi épais qu'un shilling, et dont la résistance était à toute épreuve.

Il n'était pas moins heureux que j'eusse repris mes habits. Vous vous rappelez qu'avant de me mettre à la nage pour rejoindre le canot, j'avais jeté bas veste et culotte; mais à mon retour, le vent devenu plus frais, m'avait obligé de me revêtir, et je m'en félicitais; sans cela, ma veste aurait été perdue, et alors…

«Mais que vouliez-vous en faire? dira-t-on. Pensiez-vous à la déchirer, à vous servir de ses lambeaux en guise de corde?» Pas du tout: il m'aurait été bien difficile d'exécuter ce projet. En supposant que j'aie pu déchirer ma vareuse, comment en aurais-je assemblé les morceaux! Je n'avais qu'une main de libre, et la mer était si mauvaise qu'elle ne m'aurait pas permis d'accomplir cette longue opération. D'ailleurs, il m'aurait été impossible de me dépouiller de ma veste, dont l'étoffe adhérait à ma peau comme si on l'y eût collée. Je ne pensai pas un instant à la défaire; je me contentai de l'ouvrir, de me serrer contre le poteau, d'y enfermer celui-ci, et de la reboutonner complétement.

Par bonheur, on avait prévu que je grossirais, et ma vareuse était assez ample pour contenir deux personnes comme la mienne. Je me souviens d'en avoir été peu satisfait la première fois que je l'endossai, ne me doutant pas du service qu'elle me rendrait plus tard.

Quand elle fut boutonnée, j'eus un moment de répit; c'était le premier depuis bien longtemps. Je n'avais plus à craindre d'être arraché du poteau; je faisais partie de lui-même aussi bien que la futaille dont il était couronné, mieux encore; et je ne pouvais être emporté par les vagues que si, auparavant, elles le descellaient d'entre les rocs.

Il est certain que s'il m'avait suffi de tenir ferme au poteau pour être hors de péril, j'avais lieu de me réjouir; mais, hélas! je ne tardai pas à comprendre que tout danger n'était pas fini pour moi. Une lame énorme vint se briser sur le récif et me passa par-dessus la tête; je voulus me hisser plus haut, pour éviter les autres, impossible; j'étais trop bien fixé pour changer de place, et le résultat de ces immersions successives était facile à prévoir: je serais bientôt suffoqué, je lâcherais prise et je glisserais jusqu'en bas du poteau, où ma mort était certaine.

CHAPITRE XIII

Suspension

Malgré cela, j'avais conservé toute ma présence d'esprit, et je cherchai un nouveau moyen de me maintenir au-dessus des vagues. Il m'était facile de déboutonner ma vareuse, de grimper au haut du mât, et de refermer mon habit comme je l'avais fait d'abord. Mais la grosseur du poteau n'était pas uniforme, elle était moindre vers son extrémité qu'à la base, et je serais bientôt redescendu au point où je me trouvais alors. Si j'avais eu un couteau pour y faire une entaille, ou seulement un clou pour y accrocher ma vareuse! Hélas! je n'avais ni l'un ni l'autre. Et cependant je me trompais, j'en eus bientôt la preuve: à l'endroit où la barrique posait sur le poteau, celui-ci formait brusquement une espèce de fiche qui traversait la futaille; il en résultait une sorte de mortaise, laissant un vide assez léger, il est vrai, entre elle et son couronnement vide qui pouvait me permettre d'y suspendre ma veste, et me donner ainsi le moyen de ne pas glisser le long du poteau.

Que cela dût réussir ou non, il fallait essayer; ce n'était pas l'heure de se montrer difficile en matière d'expédients, et je n'hésitai pas une seconde à tenter l'ascension.

Je parvins facilement à mon but, j'y trouvai l'échancrure dont j'avais gardé le souvenir; mais impossible d'y engager ma vareuse; et redescendu à l'endroit que je venais de quitter, j'eus de nouveau à subir la douche amère qui devait finir par me noyer.

Mon insuccès était facile à comprendre: je n'avais pas tiré assez haut le collet de ma veste, et ma tête avait empêché qu'il n'atteignît l'endroit où je voulais l'assujettir.

Me voilà regrimpant avec une nouvelle idée; j'espérais, cette fois, pouvoir fixer quelque chose à l'entaille du poteau, et parvenir à m'y suspendre.

Qu'est-ce que cela pouvait être? Le hasard voulait que j'eusse pour bretelles deux bonnes courroies de buffle, et non pas de la drogue que vendent pour cet usage les marchands d'aujourd'hui. Sans perdre de temps, soutenu par ma vareuse, je détachai lesdites bretelles, et prenant bien garde de les laisser tomber, je les nouai toutes deux ensemble, ayant grand soin d'y employer le moins possible de ma courroie, dont chaque centimètre était d'une valeur inappréciable.

Lorsque j'eus réuni mes deux lanières, je fis à l'une des extrémités de ma bande de cuir une boucle dont le poteau remplissait l'intérieur; cette opération terminée, je poussai mon nœud coulant jusqu'à la mortaise, et je tirai sur la courroie. Il ne me restait plus qu'à introduire l'autre bout dans l'une des boutonnières de ma veste, et à l'y attacher solidement. J'y parvins après quelques minutes. Ce n'avait pas été sans peine; mais peu importe, puisque j'avais réussi; pesant alors sur ma lanière pour en essayer la force, elle m'inspira tant de confiance, que je lâchai le poteau complétement, et me trouvai suspendu sans que rien eût craqué, ni bretelles ni vareuse.

Je ne sais plus si dans l'état où je me trouvais alors, je fus frappé de ce que ma position avait de bizarre. Il est probable que je ne songeai pas à en rire, mais je me rappelle très-bien le sentiment de sécurité qui remplaça ma frayeur dès que le succès eut couronné ce dernier effort. Le vent pouvait souffler avec violence, la mer déferler avec rage, peu m'importait leur fureur, elle ne m'enlèverait pas de la place que j'avais enfin conquise.

Je trouvais certainement la position fort mauvaise; mes jambes étaient si fatiguées que de temps en temps elles se détachaient du poteau, et je reprenais mon attitude de pendu, ce qui n'était pas moins dangereux que désagréable. Aussi, dès que je fus délivré de toute inquiétude cherchai-je le moyen de m'installer un peu plus commodément. Je n'en trouvai pas d'autre que de déchirer mon pantalon jusqu'aux genoux, de prendre les lanières qui résultaient de cette déchirure, et de les nouer fortement, après les avoir passées plusieurs fois autour du poteau; j'eus alors une espèce de siége, et c'est de la sorte qu'à moitié assis, à moitié suspendu, je passai le reste de la nuit.

Enfin la marée se retira; vous supposez sans doute qu'en voyant les galets à découvert, je m'empressai de descendre de mon perchoir; vous vous trompez, je n'en fis rien; les rochers ne m'inspiraient pas de confiance, et je craignais en abandonnant mon poste d'être obligé d'y revenir. D'ailleurs c'était le moyen d'être aperçu de la côte; il était probable qu'en me voyant, à la place que j'occupais, on devinerait ma détresse, et qu'on m'enverrait du secours.

Il vint me trouver lui-même sans qu'on l'y envoyât. À peine l'aurore avait-elle rougi l'horizon que je vis poindre un bateau qui, du rivage, se dirigeait vers l'écueil, en nageant à toute vitesse. Quand il fut à portée de mes yeux, je reconnus le rameur qui le conduisait vers moi; c'était mon ami Blou, ainsi que je l'avais deviné.

Je ne vous peindrai pas les transports de Henry quand, approchant de l'écueil, il me vit sain et sauf, Il riait et pleurait à la fois; il levait ses rames, les agitait dans l'air, en poussant des cris joyeux, et en m'adressant de bonnes paroles. Je ne vous dirai pas avec quelle sollicitude il me détacha du poteau, avec quelle attention il me porta dans sa barque. Puis, quand je lui eus tout raconté, quand il sut la perte de son canot, au lieu d'être fâché contre moi, ainsi que je m'y attendais, il répondit en riant que c'était un petit malheur, qu'il était bien content qu'il n'en fut pas arrivé d'autre: et jamais un mot de reproche ne lui est venu aux lèvres à propos de son batelet.

CHAPITRE XIV

En partance pour le Pérou

Même cette aventure où j'avais dû mille fois mourir ne me servit pas de leçon; je crois au contraire qu'elle augmenta mon amour pour la vie maritime, en me faisant connaître l'espèce d'enivrement qui accompagne le danger. Bientôt un désir excessif de traverser la mer, de voir des pays lointains s'empara de mon esprit; je ne pouvais plus jeter les yeux sur la baie sans aspirer vers des régions inconnues qui passaient dans mes rêves.

Avec quel sentiment d'envie je suivais du regard les navires dont les voiles blanches disparaissaient à l'horizon; avec quel empressement j'aurais accepté la plus rude besogne pour qu'on tolérât ma présence à bord!

Peut-être n'aurais-je pas soupiré aussi ardemment après l'heure du départ si j'avais été plus heureux, c'est-à-dire si j'avais eu mon père et ma mère. Mais mon vieil oncle, taciturne et bourru, me portait peu d'intérêt, et nulle affection réelle ne m'attachait au logis. De plus, il me fallait travailler dans les champs, faire l'ouvrage de la ferme, et la vie agricole me déplaisait par-dessus tout.

L'ennui que m'inspirait ce genre d'occupations ne fit qu'attiser mes désirs. Je ne pensais qu'aux endroits merveilleux qui sont décrits dans les livres, et dont les marins, qui revenaient au village, m'avaient fait des récits encore plus miraculeux. Ils me parlaient de tigres, de lions, d'éléphants, de crocodiles, de singes aussi grands que des hommes; de serpents aussi longs que des tables; et les aventures qu'ils avaient eues avec ces êtres surprenants, me faisaient souhaiter plus que jamais d'aller voir de mes propres yeux ces animaux étranges, de les poursuivre, de les capturer ainsi que l'avaient fait les matelots que j'écoutais avec enthousiasme. Bref, il me devint presque impossible de supporter la vie monotone que nous menions à la ferme, et que je croyais particulière à notre pays, car suivant les marins qui nous visitaient quelquefois toutes les autres parties du globe étaient remplies d'animaux curieux, de scènes étranges, d'aventures plus extraordinaires les unes que les autres.

Un jeune homme, qui n'était allé qu'à l'île de Man, je me le rappelle comme si c'était hier, racontait des épisodes si remarquables de son séjour parmi les nègres et les boas constricteurs, que je ne rêvais plus que d'assister aux chasses mirobolantes qui s'étaient passées sous ses yeux. Il faut vous dire que, pour certains motifs, on m'avait poussé assez loin en écriture et en calcul, mais que je ne savais pas un mot de géographie, étude qui était fort négligée dans notre école; voilà pourquoi j'ignorais où était située l'île de Man, cette contrée mystérieuse que j'étais bien résolu de visiter à la première occasion.

Malgré ce que cette entreprise avait pour moi d'aventureux, je caressais l'espérance de l'exécuter un jour. Il arrivait parfois des cas exceptionnels où un schooner sortait du port de notre village pour se rendre à cette île renommée; et il était possible que j'eusse la chance de me faire admettre à bord. Dans tous les cas j'étais décidé à tenter l'aventure; je me mettrais en bons termes avec les matelots du schooner, je les intéresserais en ma faveur, enfin j'obtiendrais qu'ils me prissent avec eux.

Tandis que je guettais avec impatience cette occasion désirée, un incident imprévu changea tous mes projets, et fit sortir de ma tête le schooner, l'île de Man, ses nègres et ses boas.

À peu près à cinq milles de notre village, il y avait, en descendant la côte, une ville importante, un vrai port de mer où abordaient de grands vaisseaux, des trois-mâts qui allaient dans toutes les parties du monde, et qui chargeaient d'énormes cargaisons.

Il arriva qu'un jour, par hasard, mon oncle me fit accompagner l'un des domestiques de la ferme qui allait mener du foin à la ville; j'étais envoyé pour tenir le cheval pendant que mon compagnon s'occuperait de la vente du foin. Or, il se trouva que la charrette fut conduite sur l'un des quais où les navires faisaient leur chargement: quelle belle occasion pour moi de contempler ces grands vaisseaux, d'admirer leur fine mâture, et l'élégance de leurs agrès!

 

Un surtout, qui était en face de moi, attira mon attention d'une manière toute spéciale; il était plus grand que ceux qui l'environnaient, et ses mâts élancés dominaient tous ceux du port. Mais ce n'était ni la grandeur, ni les heureuses proportions de ce navire qui fixaient mes regards sur lui. Ce qui le rendait si intéressant à mes yeux, c'est qu'il allait partir, ainsi que vous l'apprenait l'inscription suivante, placée dans l'endroit le plus visible du gréement:

L'inca
met à la voile demain
pour le Pérou

Mou cœur battait bruyamment dans ma poitrine, comme si j'avais été en face d'un horrible danger; pourtant je ne craignais rien; c'était l'irruption des pensées tumultueuses qui se pressaient dans mon cerveau, tandis que mes yeux restaient fixés sur cette dernière partie de l'annonce;

Demain, pour le Pérou

Toutes mes idées, rapides comme l'éclair, surgissaient de cette réflexion que j'avais faite tout d'abord: si j'allais au Pérou?

Et pourquoi pas?

Il y avait à cela bien des obstacles; le domestique de mon oncle était responsable de ma personne, il devait me ramener à la ferme; et c'eût été folie que de lui demander la permission de m'embarquer.

Il fallait ensuite que le patron du navire y consentît. Je n'étais pas assez simple pour ignorer qu'un voyage au Pérou devait être une chose coûteuse, et que même un enfant de mon âge ne serait pas emmené gratis.

Comme je n'avais pas d'argent, la difficulté de payer mon passage était insurmontable, et je cherchai par quel moyen je pourrais m'en dispenser.

Mes réflexions, ai-je dit tout à l'heure, se succédaient avec rapidité; bientôt les obstacles de tout genre, soit de la part du domestique, soit du côté de la somme que je ne possédais pas, furent effacés de mon esprit, et j'eus la confiance, presque la certitude de partir avec ce beau vaisseau.

Quant à savoir dans quelle partie du monde était situé le Pérou, je l'ignorais aussi complétement que si j'avais été dans la lune; peut-être davantage; car les habitants de ce satellite peuvent y jeter un coup d'œil, par les nuits transparentes, quand leur globe est tourné vers cette partie de la terre; mais je le répète je n'avais qu'un peu de lecture, d'écriture et de calcul, et pas un atome de science géographique.

Toutefois les marins susmentionnés m'avaient dit maintes choses du Pérou; je savais, grâce à eux, que c'était un pays très-chaud, très-loin de notre village, où l'on trouvait des mines d'or, d'une richesse merveilleuse, des serpents, des nègres et des palmiers; précisément tout ce que je désirais voir. J'allais donc partir le lendemain pour ce pays enchanté, et partir à bord de l'Inca.

La chose était résolue; mais comment faire pour la mettre à exécution, pour obtenir un passage gratuit, et pour échapper à la tutelle de mon ami John, le conducteur de la charrette? La première de ces difficultés, qui vous paraît peut-être la plus grande, était celle qui m'embarrassait le moins. J'avais souvent entendu parler d'enfants qui avaient quitté la maison paternelle, et s'étaient embarqués avec la permission du patron, qui les avait pris en qualité de mousses, et plus tard comme matelots. Cela me paraissait tout simple; j'étais persuadé qu'en allant à bord pour y offrir ses services on devait être bien accueilli, dès l'instant qu'on avait la taille voulue, et qu'on montrait de la bonne volonté.

Mais étais-je assez grand pour qu'on m'acceptât sur un brick? J'étais bien fait, bien musclé, bien pris dans ma petite taille; mais enfin j'étais petit, plus petit qu'on ne l'est à mon âge. On m'en avait raillé plus d'une fois, et je craignais que cela ne devînt un obstacle à mon engagement sur l'Inca.

Toutefois c'était à l'égard de John que mes appréhensions étaient les plus sérieuses. Ma première pensée avait été de prendre la fuite, et de le laisser partir sans moi. En y réfléchissant j'abandonnai ce projet; le lendemain matin John serait revenu avec les gens de la ferme, peut-être accompagné de mon oncle, pour se mettre en quête de moi; ils arriveraient probablement avant que le navire mît à la voile, le crieur public s'en irait, à son de cloche proclamer ma disparition, comme celle d'un chien perdu, on me chercherait dans toute la ville, on fouillerait peut-être le navire où je me serais réfugié, on me prendrait au collet, je serais ramené au logis, et fouetté d'importance. Je connaissais assez les dispositions de mon oncle à cet égard pour prédire avec certitude le dénoûment de l'aventure. Non, non, ce serait un mauvais expédient que de laisser partir John et sa charrette sans moi.

Toutes mes réflexions me confirmaient dans cette pensée; il fallait donc chercher un autre moyen, et voici à quoi je m'arrêtai: je reviendrais avec le domestique, et c'est de la maison même que je partirais le lendemain.

Bref, les affaires de John terminées, je montai avec lui dans la charrette, et nous trottâmes vers le village, en causant de différentes choses, mais non pas de ce qui me préoccupait.