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Les enfants des bois

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CHAPITRE VII
DE L'EAU! DE L'EAU!

La petite caravane s'avança tranquillement, mais non sans bruit. On entendait incessamment retentir la voix de Swartboy et les claquements de son fouet colossal, qui produisaient au loin l'effet d'une décharge de mousqueterie. Hendrik criait à tue-tête, et Hans, d'ordinaire si calme, était dans la nécessité de vociférer pour maintenir le troupeau dans la bonne voie.

Par intervalles, les deux garçons, mis brusquement en réquisition, aidaient Swartboy à guider son attelage rétif, qui aurait pu s'écarter de la route. Hans et Hendrik galopaient en avant, remettaient la tête des bœufs dans le droit chemin et faisaient jouer sur leurs flancs le redoutable jambok.

Le jambok, auquel le plus mutin des animaux de trait se soumet, est un fouet élastique, de près de six pieds de long, qui va en s'amincissant régulièrement depuis le manche jusqu'à la pointe; il est en peau de rhinocéros ou d'hippopotame.

Toutes les fois que les bœufs qui traînaient la charrette se comportaient mal, et que Swartboy ne pouvait les atteindre avec son voorslag ou fouet de cocher, Hendrik les chatouillait avec son rude et flexible jambok, et les contraignait à rentrer dans le devoir.

D'ordinaire, dans l'Afrique méridionale, les attelages de bœufs ont un conducteur; mais ceux du porte-drapeau avaient été habitués à s'en passer depuis que les domestiques hottentots s'étaient enfuis. Swartboy avait souvent parcouru plusieurs milles avec son long fouet pour unique auxiliaire; mais après le passage des criquets émigrants, la terre avait un aspect si étrange, que les bœufs étaient en proie à une vague terreur. D'ailleurs les sentiers qu'ils auraient pu suivre n'avaient plus le moindre jalon. La superficie du sol était la même partout. Von Bloom, qui possédait à merveille la configuration du pays, pouvait à peine s'y reconnaître et n'avait pour guide que le soleil.

Hendrik surtout s'occupait de diriger les bœufs, laissant à son jeune frère Hans le soin de conduire les bestiaux, ce qui était moins difficile. La peur réunissait les pauvres bêtes qui marchaient ensemble, sans dévier, n'ayant point d'herbage qui les attirât à droite ou à gauche.

Von Bloom allait devant pour conduire la caravane. Ni lui ni ses fils n'avaient fait de changement à leur costume, qui était celui de tous les jours. Le porte-drapeau avait, comme la plupart des boors du Cap, un chapeau blanc de feutre à larges bords, un gilet de peau de faon, une grande veste de drap vert garnie sur les côtés de larges poches, et des culottes de cuir, qu'on appelle dans le pays carkers. Il était chaussé de feldt-schoenen ou souliers de campagne, en cuir brut. Sur sa selle était étendu un kaross ou fourrure de léopard; il portait sur l'épaule un roer, lourd fusil de gros calibre d'environ six pieds de long, avec une platine à la mode antique. C'est l'arme en laquelle le boor met toute sa confiance. Un Américain des frontières serait disposé à en rire à première vue; mais, s'il connaissait la colonie du Cap, il changerait promptement d'opinion. La carabine de petit calibre employée dans les bois d'Amérique, et dont la balle n'est guère plus grosse qu'un pois, serait presque inutile contre le gros gibier des contrées que nous parcourons; mais, quelle que soit la différence des armes, il y a d'adroits chasseurs dans les karoos d'Afrique, aussi bien que dans les forêts ou les prairies américaines.

Sous le bras gauche du porte-drapeau se courbait une immense poudrière, qui ne pouvait provenir que de la tête d'un bœuf africain. C'était une corne de bœuf des Bechuanas; mais on aurait pu en tirer une semblable de la plupart des comtés du Cap. Quand elle était pleine, elle ne comptait pas moins de six livres de poudre!

Von Bloom avait une carnassière de peau de léopard sous le bras droit, un couteau de chasse à la ceinture, et une grosse pipe d'écume passée dans le galon de son chapeau.

Le costume, les armes, l'équipement de Hans et de Hendrik étaient à peu près identiques. Leurs larges culottes étaient faites de peau de mouton tannée; ils portaient également des vestes de drap vert, des chapeaux blancs à larges bords, et des feldt-schoenen ou souliers de campagne.

Hans avait un léger fusil de chasse: Hendrik était armé d'un yager, forte carabine, excellente pour le gros gibier. Il en était fier, s'en servait avec adresse, et enfonçait un clou avec une balle à une centaine de pas de distance. C'était le tireur par excellence de la compagnie.

Chacun des enfants avait une gibecière remplie de balles et une grosse poire à poudre en forme de croissant. Les selles de leurs chevaux étaient ornées de kaross; seulement ces fourrures étaient l'une d'antilope et l'autre de chacal, tandis que le kaross de leur père était une peau de léopard de premier choix.

Le petit Jan était aussi revêtu d'un chapeau blanc, d'une veste, d'amples culottes et de feldt-schoenen. Malgré sa petite taille, c'était le portrait exact de son père sous le rapport du costume, un type de boor en abrégé.

Gertrude avait un corsage piqué et brodé à la mode hollandaise, une jupe de laine bleue. Ses cheveux blonds étaient cachés sous un chapeau de paille garni de rubans.

Totty avait la tête nue, et elle était habillée très-simplement d'une toile grossière de fabrication domestique.

Quant à Swartboy, il n'avait pour vêtement qu'une chemise rayée et de vieilles culottes de cuir, sans compter le kaross en peau de mouton posé auprès de lui.

Pendant une marche de vingt milles, les voyageurs ne trouvèrent ni eau ni fourrage. Le soleil avait un éclat dont ils se seraient passés volontiers, car la chaleur était aussi forte qu'entre les tropiques. Ils l'auraient difficilement supportée sans la brise qui souffla toute la journée. Malheureusement elle leur venait droit dans la figure, et une épaisse poussière s'élevait du sol qu'avaient remué les sauterelles avec leurs millions de pieds. Des nuages enveloppaient la petite caravane, augmentaient les difficultés de la marche, couvraient les vêtements, emplissaient la bouche ou rougissaient les yeux des infortunés émigrants.

Ce n'était pas tout: longtemps avant la nuit, ils eurent à souffrir du manque d'eau. Pressé de quitter le kraal désolé, Von Bloom n'avait pas songé à mettre dans la charrette une provision d'eau. C'était une impardonnable négligence dans une contrée comme le sud de l'Afrique, où les sources sont rares et les ruisseaux souvent taris. Comme il se repentit quand il sentit les tourments de la soif et entendit les cris de ses enfants, qui demandaient de l'eau en gémissant!..

Von Bloom ne se plaignait pas: il s'accusait comme d'un crime d'une irréflexion qui causait tant de souffrances. Du moins s'il eût pu les calmer! mais il ne connaissait pas de source plus proche que celle dont nous avons parlé, et il était impossible d'y arriver avant le lendemain.

Les bœufs ont le pas lent: on était parti tard, et il fallait s'attendre à n'être guère qu'à moitié chemin quand le soleil se coucherait. Pour trouver de l'eau, on aurait dû marcher toute la nuit; mais comment le faire avec des animaux exténués et privés d'aliments? Le malheureux Von Bloom pensait qu'il aurait pu ramasser assez de locustes pour en nourrir ces bestiaux; mais il était trop tard, et il ne pouvait que s'adresser de stériles reproches.

La voix et le long fouet du Bosjesman étaient impuissants. L'attelage se traînait péniblement: les bêtes, depuis la veille, n'avaient mangé que les sauterelles qui étaient tombées dans leur étable. Von Bloom prit le parti de faire halte. En l'absence de toute route tracée, il avait besoin du jour pour ne pas s'égarer, et d'ailleurs il eût été dangereux de voyager à l'heure où le voleur nocturne de l'Afrique, le lion, sort de sa tanière.

Ce fut une demi-heure avant le coucher du soleil que Von Bloom résolut de s'arrêter. Toutefois il poussa un peu plus loin, dans l'espoir de trouver de l'herbe. Il était à vingt milles de son point de départ, et le pays portait toujours les traces des ravages des sauterelles. Les buissons étaient dépouillés de leurs feuilles et de leur écorce; la plaine avait perdu toute végétation.

Le porte-drapeau eut l'idée qu'il suivait exactement la route par laquelle les insectes dévastateurs étaient arrivés. C'était sciemment qu'il se dirigeait vers l'ouest; mais il avait présumé que l'armée des sauterelles était primitivement partie du nord, et rien ne justifiait son opinion. Si elle était venue de l'ouest, on risquait de voyager pendant des jours entiers sans rencontrer une touffe de gazon.

Ces pensées troublèrent le fermier; il examina la plaine avec anxiété.

Swartboy observait de son côté: ses yeux perçants, familiarisés avec le désert, découvrirent à un mille de distance un peu de verdure et de feuillage. Il l'annonça par un cri de joie. Le courage de la caravane se ranima, et les bœufs, comme s'ils eussent compris ce dont il s'agissait, reprirent une plus vive allure.

Le Bosjesman ne s'était pas trompé; mais le pâturage qu'il avait signalé ne consistait qu'en quelques maigres tiges éparses sur un terrain rougeâtre. Il y en avait juste assez pour faire éprouver aux bestiaux le supplice de Tantale: mais nulle part on ne voyait de quoi fournir une bouchée à un bœuf. L'aspect de cette végétation était toutefois rassurant: il prouvait qu'on avait franchi les limites du pays dévasté, et l'on pouvait concevoir l'espérance d'arriver promptement à un pâturage plus digne de ce nom.

Cette espérance ne se réalisa pas. La plaine qui s'étendait devant les voyageurs, comme celle qu'ils venaient de parcourir, était stérile et sauvage; mais c'était au manque d'eau, et non au passage des sauterelles, qu'était due son aridité.

Le soleil était déjà au-dessous de l'horizon. On n'avait pas le temps de chercher un pâturage, et la caravane s'arrêta.

 

Dans l'endroit où elle fit halte poussaient des arbustes en assez grand nombre pour fournir les matériaux de deux kraals, l'un pour les bœufs et les chevaux, l'autre pour les moutons et les chèvres; mais après tant de fatigues et de tribulations, quel voyageur aurait eu la force de couper les branches et de les assembler? C'était une besogne assez pénible que de tuer un mouton pour le souper, de ramasser du bois et d'allumer du feu. On ne fit point de kraal. Les chevaux furent attachés autour de la charrette, et les bœufs, les moutons et les chèvres abandonnés à eux-mêmes. Comme rien ne pouvait les tenter dans les environs, Von Bloom espéra que, las d'une longue route, ils ne s'écarteraient pas du campement, dont on entretint le feu toute la nuit.

CHAPITRE VIII
CE QUE DEVIENT LE TROUPEAU

Hélas! ils s'en écartèrent!

Au jour naissant, quand les voyageurs se réveillèrent, tout le bétail avait disparu. Il ne restait que la vache laitière, que Totty avait liée le soir à un buisson après avoir achevé de la traire. Bœufs, vaches, moutons et chèvres s'étaient dispersés.

Hendrik, Hans, leur père et Swartboy montèrent à cheval et firent des perquisitions. On retrouva les moutons et les chèvres dans les taillis du voisinage; mais il fut constaté que les autres bêtes avaient pris la fuite.

On suivit leurs traces; elles étaient retournées sur leurs pas, et il était hors de doute qu'elles s'étaient dirigées vers le kraal abandonné. Elles étaient parties à une heure peu avancée de la nuit, et avaient marché rapidement, comme le prouvait la disposition de leurs empreintes. Probablement elles étaient déjà arrivées à destination.

Triste découverte! Il ne fallait point songer à les rejoindre avec des chevaux affamés et mourant de soif; et pourtant, sans bœufs de trait, comment conduire la charrette jusqu'à la source?

La situation était embarrassante; ce fut Hans qui suggéra une solution.

– Si nous attelions les cinq chevaux à la charrette?

– Mais, dit Hendrik, nous laisserions donc nos bestiaux derrière nous? Si nous ne les rattrapons pas ils vont se perdre.

– Nous les poursuivrons plus tard, répondit Hans. L'essentiel est d'atteindre la source, où nous ferons reposer nos chevaux. Nous irons ensuite chercher les bœufs pendant ce temps-là: ils seront tous rendus au kraal où ils sont sûrs de trouver au moins de l'eau, ce qui leur permettra de vivre jusqu'à notre arrivée.

Le projet de Hans était seul praticable, et l'on se mit en devoir de l'exécuter. De vieux harnais, qui faisaient heureusement partie du contenu de la charrette, en furent tirés et raccommodés tant bien que mal. Les chevaux furent disposés en arbalète. Swartboy remonta sur son siège, et, à la satisfaction générale, la lourde voiture marcha comme si elle eût conservé son premier attelage.

Gertrude et le petit Jan restèrent dans la charrette; mais Von Bloom et ses deux aînés la suivirent à pied, tant pour ne pas accroître la charge que pour chasser les troupeaux en avant. Tous souffraient de la soif, et en auraient souffert davantage sans la précieuse bête qui trottait derrière la charrette, la vieille Graaf qui avait fourni déjà plusieurs pintes de lait.

Les chevaux se comportèrent à merveille, quoique leur harnais fût incomplet; on aurait dit qu'ils devinaient que leur bon maître était dans l'embarras et qu'ils avaient résolu de l'en tirer. Peut-être aussi sentaient-ils l'eau qui était devant eux. En effet, au bout de quelques heures ils arrivèrent auprès d'une source fraîche et cristalline qui arrosait une jolie vallée couverte d'une verdoyante pelouse.

Chacun but avec avidité. Les animaux furent lâchés dans la prairie; on alluma du feu pour faire cuire un quartier de mouton, et les voyageurs dînèrent de bon appétit. Le porte-drapeau, assis sur un des coffres de la voiture, fuma tranquillement sa grande pipe d'écume. Il aurait oublié toutes ses peines sans l'absence de ses bestiaux. Il se trouvait au milieu d'une oasis où ne manquait ni l'herbe, ni le bois, ni l'eau et qui pouvait aisément sustenter plusieurs centaines de têtes de bétail. C'était un lieu favorable à l'établissement d'une ferme; mais il était indispensable de la peupler, et par conséquent de reconquérir les troupeaux perdus, richesse féconde dont on pouvait espérer le développement. A l'exception de douze bœufs et deux taureaux de Bechuana à longues cornes, il se composait de jeunes vaches de races excellentes, et dont la postérité devait infailliblement se multiplier. Avant de les retrouver, Von Bloom ne pouvait jouir d'une tranquillité sans mélange. Il avait pris sa pipe pour se distraire pendant que les chevaux paissaient; mais aussitôt qu'ils furent reposés il les fit seller, confia au jeune Hans la garde du camp et partit pour son ancien kraal avec Hendrik et Swartboy.

Ils chevauchèrent d'un pas rapide, déterminés à marcher toute la nuit; à l'endroit de la route où commençait le désert, ils mirent pied à terre et laissèrent leurs montures brouter le maigre gazon. Ils n'avaient pas oublié de remplir leurs gourdes et avaient emporté quelques tranches de mouton rôti. Après une heure de halte ils poursuivirent leur route jusqu'à la place où les bœufs les avaient abandonnés. La nuit était venue, mais la clarté de la lune leur permit d'apercevoir les ornières creusées par les roues de la charrette. Par intervalles, Von Bloom priait Swartboy d'inspecter le terrain. Le Bosjesman descendait de cheval, se penchait, examinait les pas des bestiaux, et répondait invariablement qu'ils avaient dû retourner à leur ancienne demeure. Von Bloom était donc sûr de les y retrouver; mais seraient-ils encore vivants? C'était douteux. Ils avaient de l'eau en abondance, mais pas de nourriture; n'était-il pas probable qu'ils avaient succombé à la faim.

Le jour pointait lorsque Von Bloom arriva en vue de sa demeure. Elle était méconnaissable; l'invasion des sauterelles en avait altéré l'aspect; mais ce qui achevait de la dénaturer, c'était une rangée d'objets noirs placés sur le bord du toit et sur les parapets du kraal.

– Qu'est-ce que c'est que cela? demanda Von Bloom dans une sorte de soliloque, mais assez haut pour être entendu par ses compagnons.

– Ce sont des oiseaux, répondit Swartboy.

– Des vautours! s'écria Von Bloom, que font-ils là? Leur présence n'annonce rien de bon.

La caravane s'avança, le soleil se levait, les vautours se réveillaient, battaient des ailes, et s'abattaient sur différents points autour de la maison.

– Il y a par là quelque charogne, murmura tristement Von Bloom.

C'était malheureusement vrai. Sur le sol gisaient une vingtaine de carcasses mutilées, restes d'animaux dont les longues cornes recourbées indiquaient suffisamment l'espèce.

Von Bloom reconnut ses bestiaux. Tous avaient péri, près des clôtures ou dans la plaine voisine. Mais comment? Ils n'avaient pu mourir de faim si vite; ils n'avaient pu mourir de soif, car la source bouillonnait près de la place que couvraient leurs membres épars et mutilés. Les vautours ne pouvaient les avoir tués…

Quel était donc ce mystère?

Il fut promptement expliqué, et Von Bloom n'eut pas le temps de se poser des questions. Partout se distinguaient des traces de lions, d'hyènes et de chacals, qui s'étaient rassemblés en grand nombre autour de la ferme abandonnée. La rareté du gibier, produite par le passage des sauterelles et par la dévastation des plantes dont il se nourrissait, avait affamé les bêtes féroces, qui s'étaient jetées avec fureur sur le bétail.

Mais où étaient-elles?

La lumière du matin, la vue de la maison peut-être, les avait écartées. Pourtant l'empreinte de leurs pas était fraîche encore. Elles ne devaient pas s'être éloignées, et comptaient sans doute revenir la nuit suivante.

Von Bloom éprouvait le désir de se venger des animaux qui avaient consommé sa ruine; en d'autres circonstances, il les aurait attendus pour en faire justice; mais dans l'état actuel des choses, c'eût été aussi imprudent qu'inutile. Les chevaux avaient à peine assez de force pour franchir, pendant la nuit prochaine, la distance qui les séparait du camp. Aussi, sans entrer dans la demeure qu'ils avaient délaissée, le porte-drapeau, Hendrik et le Bosjesman remplirent leurs gourdes à la source, baignèrent leurs montures fatiguées, et quittèrent tristement le kraal.

CHAPITRE IX
LE LION

A peine les voyageurs avaient-ils fait cent pas, qu'ils s'arrêtèrent brusquement par un mouvement simultané, à l'aspect d'un lion couché sur la plaine, au milieu de la route même par laquelle ils étaient venus!

Ils se demandèrent comment ils ne l'avaient pas vu auparavant.

Le lion était tapi derrière un buisson dont les branches, entièrement dépouillées de feuilles, ne cachaient qu'à demi sa robe d'un jaune éclatant. La vérité était qu'au moment où les trois cavaliers avaient passé, le lion se repaissait au milieu des cadavres des bestiaux.

Troublé dans son repas, il s'était glissé le long des murs et avait couru à l'arrière afin d'éviter une rencontre. Un lion raisonne aussi bien qu'un homme, quoique ce ne soit pas au même degré. En voyant venir à lui les voyageurs, il avait calculé qu'ils continueraient leur route et ne reviendraient point sur leurs pas. Un homme ignorant les événements que nous venons de raconter aurait fait sans doute un raisonnement analogue. Quiconque a observé les animaux, tels que les chiens, les daims, les lièvres et même les oiseaux, a dû remarquer que dans un cas semblable, ils semblent toujours croire que celui qui les inquiète se portera en avant, et que leur manœuvre est celle du lion.

On a généralement des idées fausses sur le courage de cet animal. Quelques naturalistes de mauvaise humeur lui ont contesté la seule noble qualité qui lui avait été longtemps attribuée, et l'ont accusé ouvertement de couardise. D'autres, au contraire, assurent qu'il ne craint personne, qu'il ne recule jamais, et le douent en outre de vertus nombreuses. Les deux opinions s'appuient non pas sur des théories, mais sur des faits bien constatés. Comment les concilier? toutes deux ne peuvent être également fondées, et pourtant toutes deux ont un côté vrai. Il y a des lions lâches et des lions courageux, et si l'espace ne nous manquait, nous pourrions en fournir des preuves surabondantes. Nous nous bornerons, mes chers lecteurs, à faire une comparaison. Savez-vous une espèce dont tous les individus aient évidemment le même caractère? Pensez aux chiens de votre connaissance; sont-ils semblables? n'en voyez-vous pas de nobles, de fidèles, de généreux, tandis que d'autres sont de misérables roquets?

Il en est de même des lions.

Diverses causes influent sur la bravoure et la férocité du lion: son âge, l'heure du jour, la saison de l'année, l'état de son estomac, mais surtout le genre de chasseurs que fréquente la région qu'il habite.

Cette dernière assertion n'aura rien d'étrange pour ceux-là qui croient comme moi à l'intelligence des animaux. Il est naturel que le lion apprenne vite quels adversaires il a devant lui, et qu'il éprouve plus ou moins de crainte, selon les circonstances. J'ai remarqué ailleurs que l'alligator du Mississipi poursuivait autrefois les hommes, mais qu'il ne les attaque plus désormais. La carabine du chasseur l'a dompté. Il respecte la vie du blanc, et pourtant dans l'Amérique du Sud les individus de sa race mangent les Indiens par vingtaines.

Les lions du Cap sont devenus timides dans les districts où ils ont été harcelés par les boors armés de redoutables carabines. Au delà des frontières, ils bravent l'homme impunément. La mince flèche du Bosjesman et la lance du Bechuana ne leur inspirent aucune terreur.

Le lion qui se présentait à nos aventuriers était-il naturellement brave? voilà ce qu'on ne pouvait encore savoir. Son énorme crinière noire donnait lieu de croire qu'il était dangereux, car les lions à crinière jaune passent pour inférieurs en audace et en férocité à ceux dont les épaules sont couvertes de poils plus foncés. Au reste, cette distinction n'a jamais été positivement établie. La crinière du lion ne brunit que lorsqu'il est avancé en âge, et quand il est jeune, il est exposé à être confondu avec un individu de la variété dont les poils restent jaunes.

Von Bloom ne chercha pas à éclaircir si l'animal était brave ou bon; il était évidemment rassasié, incapable de méditer une attaque, et disposé à vivre en paix avec les voyageurs, pourvu que ceux-ci consentissent à faire un détour. Mais le porte-drapeau n'en avait nullement l'intention. Son sang hollandais était échauffé. Il tenait à faire justice d'un des maraudeurs qui avaient dévoré ses bestiaux, et quand même la bête eût été la plus terrible de sa race, il n'aurait pas reculé.

 

Il ordonna à Hendrik et à Swartboy de ne pas bouger, et s'avança résolument à environ cinquante pas du lion; là il mit pied à terre, passa son bras dans la bride et planta en terre la longue baguette de son roer, derrière laquelle il s'agenouilla.

On pensera sans doute qu'il eût mieux fait de rester en selle, afin de pouvoir fuir après avoir lâché son coup. A la vérité il aurait été plus en sûreté, mais il aurait perdu ses chances de succès. Il n'est jamais facile de viser juste à cheval, et cela est impossible lorsque le but est un lion, car le coursier le mieux dressé ne saurait en ce cas conserver le sang-froid nécessaire. Von Bloom ne voulait point tirer au hasard. Il posa le canon de son fusil sur l'extrémité de la baguette et prit tranquillement son point de mire.

Pendant ce temps, le lion n'avait pas changé de place. Le buisson s'interposait entre lui et le chasseur, mais il ne pouvait se croire suffisamment caché. On distinguait à travers les branches épineuses ses flancs jaunâtres et son museau rouge du sang des bœufs. Les grognements sourds et les faibles mouvements de sa queue attestaient qu'il voyait l'ennemi, mais conformément aux habitudes des animaux de son espèce, il attendait qu'on approchât.

Von Bloom ajusta longtemps, dans la crainte que sa balle ne fût écartée par quelque branche. Le coup partit, et le lion fit un bond de plusieurs pieds. Il avait été touché au flanc et se levait furieux en montrant ses dents formidables. Sa crinière hérissée augmentait sa taille et le faisait paraître aussi grand qu'un taureau. En quelques secondes il eut franchi la distance qui le séparait du lieu où s'était posté le chasseur; mais celui-ci ne l'avait pas attendu. Il avait sauté sur son cheval pour rejoindre ses compagnons.

Tous trois durent songer à fuir au galop. Hendrik et son père coururent d'un côté, tandis que Swartboy se dirigea d'un autre. Le lion, qui se trouvait au centre, s'arrêta indécis, comme s'il se fût demandé lequel des trois il devait poursuivre. Son aspect était terrible en ce moment. Il avait la crinière hérissée et battait ses flancs de sa longue queue. Sa bouche ouverte laissait voir des dents acérées, dont la blancheur contrastait avec la rougeur du sang qui empourprait ses babines. Il poussait d'affreux rugissements; mais aucun de ses adversaires ne se laissa troubler par l'épouvante. Hendrik fit feu de sa carabine, tendis que Swartboy décochait une flèche qui s'enfonça dans la cuisse de l'animal. La balle d'Hendrik dut porter également, car le lion, qui avait montré jusqu'alors une ferme résolution, parut saisi d'une terreur panique. Il laissa retomber sa queue au niveau de son épine dorsale, baissa la tête, et s'achemina vers la porte du kraal.