Kitabı oku: «Chevalier, Héritier, Prince », sayfa 2
CHAPITRE DEUX
Dès le moment où Berin pénétra dans les tunnels, il ressentit l'excitation, l'énergie fébrile palpable dans l'air. Suivant Anka et accompagné par Sartes, il se fraya un chemin sous terre, passant devant des gardes qui hochèrent respectueusement la tête et devant des rebelles qui se hâtaient dans toutes les directions. Il passa par la Porte du Gardien et sentit l'évolution qu'avait suivi la Rébellion.
A présent, les rebelles semblaient avoir une chance de s'en sortir.
“Par ici”, dit Anka en faisant signe à un guetteur. “Les autres nous attendent.”
Ils parcoururent des couloirs de pierre nue qui avaient l'air d'avoir toujours existé. Les Ruines de Delos, loin sous terre. Berin passa une main sur la pierre lisse en admirant ces ruines comme seul un forgeron pouvait le faire et s'émerveilla de leur longévité et des compétences de leurs constructeurs. Elles dataient peut-être même de l'époque où les Anciens vivaient encore, dans un passé trop lointain pour que quiconque puisse s'en souvenir.
Et cela le fit douloureusement penser à la fille qu'il avait perdue.
Ceres.
Quand ils passèrent devant une ouverture, Berin fut arraché à cette pensée par le choc des marteaux sur le métal, par la chaleur soudaine des feux de forge. Il vit une dizaine d'hommes travailler dur pour tenter de produire des plastrons et des épées courtes. Cela lui rappela son ancienne forge ainsi que l'époque où sa famille n'était pas encore en lambeaux.
Sartes semblait fasciné, lui aussi.
“Tu vas bien ?” demanda Berin.
Sartes hocha la tête.
“Moi aussi, elle me manque”, répondit Berin en mettant une main sur l'épaule de son fils. Il savait qu'il pensait à Ceres, qui passait toujours du temps à la forge.
“Elle nous manque à tous”, ajouta Anka.
L'espace d'un instant, ils restèrent là tous les trois. Berin savait qu'ils comprenaient tous à quel point Ceres avait compté pour eux.
Il entendit soupirer Anka.
“Tout ce que nous pouvons faire, c'est continuer à nous battre”, ajouta-t-elle, “et continuer à forger des armes. Nous avons besoin de vous, Berin.”
Il essaya de se concentrer.
“Font-ils tout ce que je leur ai dit ?” demanda-t-il. “Chauffent-ils assez le métal avant de le tremper ? Sinon, il ne durcira pas.”
Anka sourit.
“Vous pourrez le vérifier vous-même après la réunion.”
Berin hocha la tête. Au moins, il allait pouvoir être de quelque utilité.
***
Sartes marchait à côté de son père et suivait Anka alors qu'ils poursuivaient leur route au-delà de la forge et s'enfonçaient plus loin dans les tunnels. Il y avait plus de gens dans ces tunnels qu'il n'aurait pu le croire. Des hommes et des femmes rassemblaient des ravitaillements, s'entraînaient avec des armes, arpentaient les salles. Parmi eux, Sartes reconnut plusieurs ex-appelés, maintenant arrachés aux griffes de l'armée.
Ils atteignirent finalement un espace caverneux décoré de socles en pierre qui avaient peut-être soutenu des statues dans le passé. A la lumière vacillante des bougies, Sartes vit les chefs de la rébellion qui les attendaient. Hannah, qui s'était opposée à l'attaque, avait maintenant l'air aussi heureuse que si elle l'avait proposée. Oreth, qui était maintenant un des adjoints principaux d'Anka, appuyait son corps maigre contre le mur avec un sourire de contentement. Sartes repéra la grande silhouette de l'ex-docker Edrin à la limite de la lumière des bougies alors que les bijoux de Yeralt brillaient dans cette même lumière et que le fils du marchand avait presque l'air hors de propos parmi les autres qui riaient et plaisantaient entre eux.
Ils se turent quand Anka et les deux hommes approchèrent. A présent, Sartes voyait la différence. Avant, ils avaient presque écouté Anka à contrecœur. Maintenant que l'embuscade avait réussi, ils accueillaient l'arrivée d'Anka avec respect. Sartes trouvait même qu'elle avait plus l'air d'un chef, marchait plus droit qu'avant, semblait avoir plus confiance en elle-même.
“Anka, Anka, Anka !” commença Oreth. Les autres ne tardèrent pas à l'imiter comme les rebelles l'avaient fait après la bataille.
Entendant le nom du chef des rebelles résonner dans la salle, Sartes se joignit à eux. Il ne s'arrêta que lorsqu'Anka demanda le silence d'un geste.
“Nous nous sommes bien débrouillés”, dit Anka avec un sourire qui lui était propre. Depuis la bataille, c'était une des premières fois que Sartes l'avait vue sourire. Juste après, elle avait été trop occupée à s'efforcer d'organiser le retrait de leurs morts et de leurs blessés du cimetière en toute sécurité. Elle avait le talent de s'occuper de tout dans le détail et ce talent avait fait prospérer la rébellion.
“Bien débrouillés ?” demanda Edrin. “On les a écrasés.”
Sartes entendit l'homme frapper du poing contre sa paume pour mettre l'accent sur le fait.
“Nous les avons détruits”, convint Yeralt, “grâce à tes qualités de commandant.”
Anka secoua la tête. “Nous les avons battus ensemble. Nous les avons battus parce que nous avons tous joué notre rôle et parce que Sartes nous a apporté les plans.”
Sartes se sentit poussé en avant par son père. Il n'avait pas prévu ça.
“Anka a raison”, dit Oreth. “Nous devons des remerciements à Sartes. Il nous a apporté les plans et c'est lui qui a persuadé les appelés de ne pas se battre. C'est grâce à lui que la rébellion a grossi ses rangs.”
“Cela dit, ce sont des appelés à moitié entraînés”, dit Hannah, “pas de vrais soldats.”
Sartes tourna la tête vers elle. Elle s'était rapidement opposée à ce qu'il intervienne tout court. Il ne l'aimait pas mais, dans la rébellion, ce n'était pas l'essentiel. Ils faisaient tous partie d'une chose qui les dépassait.
“Nous les avons battus”, dit Anka. “Nous avons remporté une bataille mais nous n'avons pas vaincu l'Empire. Nous avons encore beaucoup à faire.”
“Et ils ont encore beaucoup de soldats”, dit Yeralt. “Si la guerre se prolongeait, cela pourrait nous coûter cher à nous tous.”
“Tu comptes tes sous, maintenant ?” répliqua Oreth. “Ce n'est pas un investissement. Tu ne peux pas voir les bilans avant de choisir ou non de t'impliquer.”
Sartes entendit son agacement. Quand il avait rejoint les rebelles, il s'était attendu à ce qu'ils forment une entité vaste et unie qui ne penserait qu'à son besoin de renverser l'Empire. Il avait découvert que, de beaucoup de façons, ils n'étaient que des êtres humains avec leurs propres espoirs, rêves, souhaits et besoins. Cela ne faisait que rendre plus impressionnant le fait qu'Anka ait trouvé le moyen de maintenir leur cohésion après la mort de Rexus.
“C'est l'investissement le plus grand qui soit”, dit Yeralt. “Nous apportons tout ce que nous avons. Nous risquons notre vie en espérant que les choses vont s'améliorer. Je cours autant de risques que vous autres en cas d'échec.”
“Nous n'échouerons pas”, dit Edrin. “Nous les avons battus une fois. Nous les rebattrons. Nous savons où et quand ils vont attaquer. Nous pourrons leur tendre un piège à chaque fois.”
“Nous pourrons faire mieux que ça”, dit Hannah. “Comme nous avons montré à ces gens que nous pouvions les battre, pourquoi ne pas aller leur reprendre des choses ?”
“A quoi pensais-tu ?” demanda Anka. Sartes voyait qu'elle envisageait cette possibilité.
“A reprendre les villages un par un”, dit Hannah. “A nous débarrasser des soldats de l'Empire qui s'y trouvent avant que Lucious ne puisse s'en approcher. Si nous montrons aux gens ce qu'ils peuvent faire, Lucious aura une mauvaise surprise quand ils se révolteront contre lui.”
“Et quand Lucious et ses hommes les tueront pour s'être révoltés ?” demanda Oreth. “Il se passera quoi ?”
“Alors, ça montrera simplement que c'est un monstre”, insista Hannah.
“Ou les gens comprendront que nous ne pouvons pas les protéger.”
Sartes regarda autour de lui, surpris qu'ils prennent cette idée au sérieux.
“Nous pourrions stationner des soldats dans les villages pour qu'ils ne tombent pas aux mains de l'Empire”, proposa Yeralt. “Nous avons des appelés de notre côté, maintenant.”
“Ils ne tiendraient pas longtemps contre l'armée si elle venait les chercher”, répliqua Oreth. “Ils mourraient avec les villageois.”
Sartes savait qu'il avait raison. Les appelés n'avait pas bénéficié du même entraînement que les soldats les plus forts de l'armée. Pire encore, ils avaient tellement souffert aux mains de l'armée que la plupart d'entre eux seraient probablement terrifiés.
Il vit Anka demander le silence. Cette fois-ci, il mit un peu plus longtemps à venir.
“Oreth a raison”, dit-elle.
“Évidemment, c'est lui que tu soutiens”, répliqua Hannah.
“Je le soutiens parce qu'il a raison”, dit Anka. “Nous ne pouvons pas simplement entrer dans les villages, leur dire qu'ils sont libres et espérer que tout se passera bien. Même avec les appelés, nous n'avons pas assez de combattants. Si nous nous rassemblons à un seul endroit, nous donnerons à l'Empire l'occasion de nous écraser. Si nous allons dans tous les villages, ils nous captureront l'un après l'autre.”
“Si on peut persuader assez de villages de se soulever et si je persuade mon père d'embaucher des mercenaires …” proposa Yeralt. Sartes remarqua qu'il ne finissait pas sa phrase. Le fils du marchand n'avait pas vraiment de réponse.
“Alors quoi ?” demanda Anka. “Nous aurons assez de soldats ? Si c'était aussi simple, nous aurions renversé l'Empire il y a des années.”
“Nous avons maintenant de meilleures armes grâce à Berin”, souligna Edrin. “Nous connaissons leurs plans grâce à Sartes. Nous avons l'avantage ! Dis-lui, Berin. Parle-lui des épées que tu as forgées.”
Sartes se tourna vers son père, qui haussa les épaules.
“Il est vrai que j'ai fait de bonnes épées et que les autres compagnons en ont fait beaucoup de passables. Il est vrai que certains d'entre vous vont maintenant avoir des armures, ce qui vaut toujours mieux que se faire faucher par l'ennemi. Cependant, écoutez bien : ce n'est pas seulement une histoire d'épées. Ce qui compte le plus, c'est la main qui manie l'épée. Une armée, c'est comme une épée. Vous pouvez la faire aussi grande que vous le voulez mais, si l'acier qui la constitue est de mauvaise qualité, elle se brisera dès que vous la testerez.”
Si les autres avaient passé plus de temps à fabriquer des armes, ils auraient peut-être perçu tout le sérieux que son père mettait dans ses paroles, mais Sartes voyait qu'ils n'étaient pas convaincus.
“Que pouvons-nous faire d'autre ?” demanda Edrin. “Nous n’allons pas renoncer à l'avantage que nous avons gagné en restant inactifs et en attendant que ça se passe. Je dis qu'il faut se mettre à dresser une liste de villages à libérer. A moins que vous n'ayez une meilleure idée, Anka ?”
“Moi, j'en ai une”, dit Sartes.
Il s'exprimait d'une voix plus calme qu'il n'aurait cru. Il s'avança, le cœur battant la chamade, surpris d'avoir pris la parole. Il n'était que trop conscient d'être bien plus jeune que tous les gens présents en ce lieu. Il avait joué son rôle dans la bataille, il avait même tué un homme, mais il y avait encore en lui quelque chose qui lui disait qu'il n'aurait pas dû prendre la parole à cette réunion.
“Donc, c'est d'accord”, commença à dire Hannah. “Nous —”
“J'ai dit que j'avais une meilleure idée”, dit Sartes et, cette fois, sa voix porta.
Les autres se tournèrent vers lui.
“Laissez parler mon fils”, dit son père. “Vous avez dit vous-mêmes qu'il vous a aidé à remporter une victoire. Peut-être pourra-t-il vous aider à survivre, maintenant.”
“Quelle est ton idée, Sartes ?” demanda Anka.
Ils le regardaient tous. Sartes se força à élever la voix. Il pensa à la façon dont Ceres aurait parlé mais aussi à la confiance qu'Anka lui avait déjà témoignée.
“Nous ne pouvons pas aller aux villages”, dit Sartes. “C'est ce qu'ils veulent que nous fassions. De plus, nous ne pouvons plus nous fier aux cartes que j'ai apportées parce que, même s'ils ne se sont pas encore rendus compte que nous connaissions leurs mouvements, ils ne tarderont pas à le faire. Ils essaient de nous attirer à découvert.”
“Nous savons tout cela”, dit Yeralt. “Je croyais que tu avais dit que tu avais un plan.”
Sartes ne se laissa pas impressionner.
“Et s'il existait un moyen de frapper l'Empire là où ils ne s'y attendent pas et d'obtenir le soutien de combattants endurcis par-dessus le marché ? Et si on pouvait convaincre le peuple de se soulever avec une victoire symbolique qui dépasserait la simple protection d'un village ?”
“A quoi pensais-tu ?” demanda Anka.
“A libérer les seigneurs de guerre du Stade”, dit Sartes.
Un long silence stupéfait s'ensuivit. Les autres le regardèrent fixement. Il vit le doute sur leur visage et comprit qu'il fallait qu'il continue à argumenter.
“Réfléchissez”, dit-il. “Presque tous les seigneurs de guerre sont des esclaves. Les nobles les jettent dans l'arène pour qu'ils y meurent comme des poupées. La plupart d'entre eux seraient reconnaissants qu'on leur donne une chance de fuir et ils seraient meilleurs combattants que n'importe quel soldat.”
“C'est absurde”, dit Hannah. “Attaquer le cœur de la cité comme ça. Il y aurait des gardes partout.”
“L'idée me plaît”, dit Anka.
Les autres la regardèrent et Sartes ressentit une profonde gratitude pour son soutien.
“Ils ne s'y attendraient pas”, ajouta-t-elle.
Le silence se fit à nouveau dans la salle.
“Nous n'aurions pas besoin de mercenaires”, ajouta finalement Yeralt en se frottant le menton.
“La population se soulèverait”, ajouta Edrin.
“Il faudrait le faire pendant les Tueries”, fit remarquer Oreth. “Ainsi, tous les seigneurs de guerre seraient à un seul endroit et le peuple assisterait à notre intervention.”
“Les prochaines Tueries n'auront lieu qu'au festival de la Lune Rouge”, dit son père. “C'est dans six semaines. En six semaines, je peux faire beaucoup d'armes.”
Cette fois-ci, Hannah se tut, peut-être parce qu'elle sentait que la majorité était d'accord avec Sartes.
“C'est d'accord, dans ce cas ?” demanda Anka. “On libère les seigneurs de guerre pendant le festival de la Lune Rouge ?”
Un par un, Sartes vit les autres hocher la tête. Même Hannah finit par le faire. Il sentit son père lui poser une main sur l'épaule. L'approbation qu'il vit dans ses yeux comptait plus que tout pour lui.
Il pria simplement pour qu'ils ne meurent pas tous à cause de son plan.
CHAPITRE TROIS
Ceres rêvait et, dans ses rêves, elle voyait s'affronter des armées. Elle se voyait en train de combattre à leur tête, vêtue d'une armure qui brillait au soleil. Elle se voyait en train de diriger une grande nation, de mener une guerre qui allait décider de la destinée même de l'humanité.
Pourtant, dans tout cela, elle se voyait aussi en train de plisser les yeux, de rechercher sa mère. Elle tendit le bras vers une épée et, quand elle baissa les yeux, elle constata qu'elle n'était pas encore là.
Ceres se réveilla en sursaut. Il faisait nuit et la mer, éclairée par le clair de lune, s'étendait devant elle jusqu'à l'infini. Dansant sur l'eau dans son petit navire, elle ne vit aucune trace de terre. Seules les étoiles la convainquaient qu'elle faisait encore suivre le bon cap à sa petite embarcation.
Des constellations familières brillaient au-dessus. Il y avait la Queue du Dragon, qui se situait bas dans le ciel, sous la lune. Il y avait l’Œil de l'Ancêtre, formé autour d'une des étoiles les plus brillantes que l'on voie dans toute l'obscurité. Le navire que les gens de la forêt avaient à moitié construit et à moitié fait pousser semblait ne jamais dévier du cap que Ceres avait choisi, même quand il fallait qu'elle se repose ou qu'elle mange.
A tribord, Ceres vit des lumières dans l'eau. Des méduses lumineuses passèrent à côté d'elle, flottant comme des nuages sous-marins. Ceres vit la silhouette plus rapide d'un poisson en forme de fléchette se faufiler dans le banc de poissons en sautant sur des méduses à chaque passage et en partant vite avant que les tentacules des autres ne puissent le toucher. Ceres les regarda jusqu'à ce qu'ils disparaissent dans les profondeurs.
Elle mangea un morceau des fruits sucrés et succulents dont les insulaires avaient rempli son bateau. Quand elle était partie, il lui avait semblé qu'elle en aurait assez pour des semaines. Maintenant, il ne lui semblait plus en avoir tant que ça. Elle se mit à penser au chef du peuple de la forêt, qui était d'une beauté si étrange et asymétrique à cause de sa malédiction qui rendait certaines parties de sa peau vert mousse ou rudes comme l'écorce. Était-il revenu sur l'île, jouait-il son étrange musique, pensait-il à elle ?
Autour de Ceres, la brume commença à s'élever de l'eau et s'épaissit en réfléchissant des fragments du clair de lune tout en l'empêchant de voir le ciel nocturne au-dessus d'elle. La brume tourbillonna et se déplaça autour du bateau. Des tentacules de brouillard avançaient comme des doigts. Ceres pensait à Eoin et cela semblait inexorablement la faire penser à Thanos. Thanos, qui avait été tué sur les plages de Haylon avant que Ceres ait pu lui dire qu'elle n'avait pas vraiment pensé les paroles violentes qu'elle avait prononcées quand il était parti. Seule dans son bateau, Ceres ne pouvait oublier à quel point il lui manquait. L'amour qu'elle avait ressenti pour lui lui semblait être un fil qui la ramenait vers Delos, alors même que Thanos ne s'y trouvait plus.
Penser à Thanos la faisait souffrir. Ces souvenirs lui semblaient être une blessure ouverte qui risquait de ne jamais se refermer. Il y avait beaucoup de choses qu'il fallait qu'elle fasse mais aucune d'elles ne lui ramènerait Thanos. Il y avait beaucoup de choses qu'elle aurait dit s'il avait été là, mais il n'y était pas. Il n'y avait que le vide de la brume.
La brume continuait à s'enrouler autour du bateau et, à présent, Ceres voyait des morceaux de roc émerger de l'eau. Certains étaient des morceaux tranchants de basalte noir mais d'autres avaient les couleurs de l'arc-en-ciel, comme si on avait décoré les eaux bleues et tumultueuses de l'océan avec des pierres précieuses géantes. Certains portaient des marques tourbillonnantes et en spirale et Ceres ne savait pas vraiment si ces marques étaient naturelles ou si la main d'un artiste disparu depuis longtemps les avait sculptées.
Est-ce que sa mère était quelque part au-delà de ces rocs ?
Cette pensée fit frissonner Ceres d'excitation et s'éleva en elle comme la brume qui tourbillonnait autour du bateau. Elle allait voir sa mère. Sa vraie mère, pas celle qui l'avait toujours détestée et qui l'avait vendue aux esclavagistes à la première occasion. Ceres ne savait pas à quoi cette femme allait ressembler mais la simple possibilité de le découvrir la remplissait d'excitation alors qu'elle faisait longer les rocs au petit bateau.
De forts courants tiraient sur son bateau, menaçant de lui arracher le gouvernail de la main. Ceres se dit que, si elle n'avait pas eu la force que lui donnaient ses pouvoirs, elle n'aurait probablement pas pu tenir le coup. Elle tira le gouvernail vers le côté et son petit bateau réagit avec ce qui était presque la grâce d'un être vivant, passant si près d'un des rocs que Ceres aurait pu le toucher.
Elle continua à évoluer entre les rocs et, à chacun qu'elle passait, elle se mettait à penser qu'elle se rapprochait toujours plus de sa mère. Quelle sorte de femme serait-elle ? Dans ses visions, elle avait été impossible à distinguer mais Ceres pouvait imaginer et espérer. Peut-être serait-elle douce, gentille et tendre, tout ce que sa mère de substitution de Delos n'avait jamais été.
Qu'est-ce que sa mère penserait d'elle ? Ceres fut prise au dépourvu par cette question pendant qu'elle faisait traverser la brume au bateau. Elle ne savait pas ce qui l'attendait. Peut-être sa mère allait-elle la regarder et ne voir en elle qu'une personne qui avait échoué au Stade, qui n'avait été qu'une esclave de l'Empire, qui avait perdu la personne qu'elle aimait le plus. Et si sa mère la rejetait ? Et si elle était dure, ou cruelle, ou sans merci ?
Ou peut-être, seulement peut-être, serait-elle fière de sa fille.
Ceres sortit de la brume si brusquement qu'on aurait dit qu'un rideau venait d'être levé. Maintenant, la mer était calme, débarrassée des rocs acérés qui en avaient émergé auparavant. Ceres constata immédiatement qu'il y avait quelque chose de différent. D'une façon ou d'une autre, la lumière de la lune semblait avoir plus d'éclat et, autour d'elle, des nébuleuses tournaient en formant des taches de couleur dans la nuit. Même les étoiles semblaient changées. A présent, Ceres ne retrouvait plus les constellations familières qui s'y étaient trouvées auparavant. Une comète laissa une traînée en traversant l'horizon. Elle était rouge feu, de plusieurs teintes de jaune et d'autres couleurs sans équivalence ici-bas.
Chose encore plus étrange, Ceres sentit les pouvoirs qui l'habitaient pulser comme s'ils répondaient à l'endroit où elle se trouvait. Elles lui donnèrent l'impression de s'étendre en elle, de s'ouvrir et de lui permettre de vivre ce nouvel endroit de cent façons qu'elle n'avait jamais encore imaginées.
Ceres vit une forme s'élever de l'eau, un cou long et serpentin se dresser avant de replonger sous les vagues en éclaboussant le bateau. La créature refit une brève apparition et Ceres eut l'impression que quelque chose d'immense longeait le bateau en nageant dans l'eau puis s'éloignait. Des créatures à forme d'oiseau voletèrent dans le clair de lune et ce fut seulement quand ils s'approchèrent que Ceres vit que c'étaient des phalènes argentés plus gros que sa tête.
Ceres sentit soudain ses yeux s'alourdir de sommeil. Elle attacha le gouvernail, s'allongea puis laissa le sommeil s'emparer d'elle.
***
Ceres se réveilla en entendant crier des oiseaux. Elle se redressa, cligna des yeux dans la lumière du soleil et vit que ce n'étaient finalement pas des oiseaux. Deux créatures avec un corps de grand chat la survolaient de leurs ailes d'aigle et l'appelaient, leur bec de rapace grand ouvert. Cependant, elles ne semblaient pas vouloir se rapprocher d'elle et se contentèrent de tourner autour du bateau avant de s'éloigner.
Ceres les regarda et, parce qu'elle les regardait, elle vit le minuscule grain de poussière formé par l'île vers laquelle ils se dirigeaient à l'horizon. Aussi rapidement que possible, Ceres releva la petite voile et essaya d'attraper le vent qui soufflait sur le bateau pour avancer vers l'île.
Le grain de poussière grandit et, quand Ceres se rapprocha, ce qui ressemblait à d'autres rocs s'éleva de l'océan mais ce n'étaient pas les mêmes que ceux qu'elle avait rencontrés dans la brume. Ceux-là étaient des artefacts carrés sculptés dans le marbre aux couleurs d'arc-en-ciel. Certains d'entre eux ressemblaient à des flèches de grands bâtiments depuis longtemps enfouis sous les vagues.
La moitié d'une arche dépassait à la surface. Elle était si grande que Ceres ne pouvait imaginer ce qui aurait pu passer dessous. Elle regarda par-dessus bord et l'eau était si claire qu'elle arrivait à distinguer le fond marin au-dessous. Le fond était proche et Ceres y voyait les débris de bâtiments très anciens. Ils étaient si proches que Ceres aurait pu les rejoindre à la nage rien qu'en retenant son souffle. Cependant, elle n'en fit rien, aussi bien à cause des choses qu'elle avait déjà vues dans l'eau qu'à cause de ce qui se trouvait devant elle.
Elle l'avait trouvée. L'île où elle recevrait les réponses qu'il lui fallait, où elle s'instruirait sur ses pouvoirs.
Où elle finirait par retrouver sa mère.