Kitabı oku: «L'Anneau des Dragons», sayfa 3

Yazı tipi:

CHAPITRE CINQ

Maître Grey baignait dans la lumière de l'aube. En d’autres circonstances, la chaleur du jour qui se levait se serait avérée agréable, mais aujourd’hui elle bouleversait ses plans. La magie consistait à équilibrer les forces de l’univers, le moindre changement pouvait perturber cet équilibre. L'aube ressemblait à une rafale de vent incontrôlable qui secouerait les frontières de son esprit, l’assaillant de toutes parts.

"Encore… quelques… minutes…," marmotta Grey les dents serrées. Il était le pivot autour duquel s’actionnaient et se mouvaient les leviers de l’univers, l’axe de la roue, le point fixe en son centre.

Mais il ne demeurait pas immobile. Il tremblait sous l'effort depuis le commencement, sa robe était trempée de sueur alors qu'il luttait pour maintenir la connexion, continuer d’être le catalyseur de toute cette magie.

Le sortilège devenait de plus en plus difficile à contenir, le faisceau bien établi des premiers instants se désintégrait et se déchaînait à mesure que les forces s'enchevêtraient de telle ou telle manière. Le sortilège d'un novice se serait déjà effondré derechef, comme cela avait été le cas pour les semblables de Devin qui tentèrent de façonner le métal de météorite. Un mage expérimenté pourrait tenir un certain temps mais Maître Grey s'attelait à la tâche depuis des heures, s'adaptant au moindre changement, pour mieux les englober dans un ensemble.

Arriverait tôt ou tard le moment où il ne tiendrait plus, Maître Grey devait faire un choix. Essayer de tenir plus longtemps et ainsi repousser ses limites, mais la pression finirait par briser le sortilège, et lui avec.

Et puis… il serait trop épuisé pour s'enfuir, trop vidé pour riposter lorsque les troupes du Roi Ravin arriveraient. Que se passerait-il s'il tombait entre leurs mains ? Maître Grey n'était pas assez orgueilleux pour croire qu'il ne livrerait aucun secret aux mains des tortionnaires de Ravin, qu'il ne les aiderait pas sous la torture.

Il ne pouvait pas laisser faire. D'autres évènement se produiraient, il avait encore une mission à accomplir, faute de quoi les Trois Royaumes seraient en danger, et le mal serait pire que l'armée du Roi Ravin.

Il jeta un dernier coup d'œil à la cité baignée par la clarté de l'aurore, inutile d'être sorcier pour se rendre compte de la progression de l'armée du Royaume du Sud. Elle s'était désormais infiltrée dans les bas quartiers de la cité et s'étendrait bientôt jusqu'au château. Il contempla l'eau mugissante en furie qui s'écoulait dans les canaux de la cité. Grey pensait à tous ceux déjà morts, aux futures victimes. Il osait espérer que ses actes en avaient sauvé un certain nombre. Ils essaieraient peut-être d'atténuer le décompte des morts à venir.

Il mit fin au sortilège.

Il eut l'impression de lâcher les rênes d'un étalon prêt à charger, la puissance décuplée explosa dans un grondement de tonnerre qui retentit sur Royalsport, alors même que la fureur de l'eau en contrebas s'apaisait peu à peu. Le niveau des ruisseaux baissa, l'eau reprit son cours vers la mer après avoir été si longtemps accumulée et retenue. Les niveaux baissèrent, Maître Grey comprit bientôt que les troupes de Ravin seraient en mesure de traverser, rien ne pourrait les arrêter une fois réunies.

Il devait s'en aller.

Il prit le contenu du coffre qu'il gardait toujours fermé dans ses appartements. Il demeura devant, y puisa son pouvoir, espérant avoir encore suffisamment de force. Maître Grey comprenait mieux les arts divinatoires que quiconque en ce bas monde. Ce qu'il fit ensuite relevait de la magie pure et simple. Il s'empara de ce pouvoir qu'il modela de sorte qu'une brume emplit la pièce, jusqu'à assombrir les murs. Maître Grey déambulait dans le brouillard à tâtons, en plaçant précautionneusement chacun de ses pas.

La brume commença à s'élever une fois parvenue au donjon, s'échappa par les fenêtres avant de se dissiper sous l'effet du soleil. L'effet fut de courte durée, les brumes s'étaient évanouies et Maître Grey avec.

*

Vars s'enfuit par les tunnels menant au château aussi vite qu'un animal traqué, trébuchant et se relevant, oublieux de ses genoux meurtris par la dureté de la pierre. Tout ce qui comptait était s'enfuir, s'éloigner.

Il était tout poussiéreux et souillé par la saleté qui régnait dans le tunnel, ses vêtements royaux déchirés là où il était tombé, ses cheveux noirs tout sales, ses traits maculés de poussière. Le tunnel était étroit selon les sections, Vars était heureux de ne pas être aussi grand ou robuste que son frère Rodry, lui serait resté se battre et n'aurait pas sa place ici.

Il avançait, galvanisé par cette peur qui lui donnait des ailes, à une vitesse dont il n'aurait jamais cru ses jambes capables en temps normal. Il savait que le Roi Ravin le tuerait pour accéder au trône, afin qu'il comprenne qu'il avait conquis le royaume, et éliminerait un rival par la même occasion. Vars se maudit d'éprouver tant de peur, même si cette peur s'avérait en fin de compte une bénédiction, puisqu'elle lui permettait de s'échapper et ainsi, survivre. Chaque pas était un pas de plus en lieu sûr mais il abandonnait également son devoir, fuyant tout ce pour quoi il avait travaillé si dur.

Son père ne se serait pas défilé ; son frère non plus. Tous deux se seraient bien évidemment fait tuer. Vars avait fait son possible en tant que roi, il avait envoyé ses troupes contrer la menace du Royaume du Sud. Qu'aurait-il pu faire de plus ?

Vars aperçut un rai de lumière devant lui et tomba sur une grille fixée de l'intérieur par des boulons tout rouillés. Vars tira dessus de toutes ses forces, il regrettait ne pas avoir passé plus de temps à s'entraîner comme Rodry le lui avait toujours conseillé. Le métal lui entaillait les mains mais il continua de tirer jusqu'à ce que le métal cède en grinçant, il chuta lourdement tandis que la grille s'ouvrait grand.

Vars se releva et se hissa à la lumière du jour qui se levait, avant d'aspirer une grande goulée d'air.

Il se leva et regarda autour de lui, cherchant à comprendre où il se trouvait. Quelque part dans le quartier des divertissements, pensa-t-il, il reconnut la Maison des Soupirs drapée de soieries qui surplombait le reste.

C'était toujours mieux qu'être au château, mais il devait tout de même quitter la ville.

Vars parcourut les rues tête baissée, s'embusquant sous des porches à chaque fois qu'il entendait des soldats arriver. Il les vit marcher au pas, arpenter les rues comme en pays conquis, sans oublier de faire usage de leur force purement militaire. Un roturier qui se trouvait sur leur chemin voulut faire demi-tour et s'enfuir ; ils l'abattirent sans hésiter.

Vars déglutit péniblement, sachant qu'il subirait le même sort s'ils le repéraient mais ils passèrent heureusement devant lui sans le voir, il poursuivit en direction de la périphérie. Le flot rugissant du courant s'était tari, Vars traversa un lit boueux en restant baissé et longea les murs.

Il savait qu'il ne pourrait pas franchir les portes mais d'autres moyens d'entrer et sortir de la cité existaient. Il les utilisait parfois pour rencontrer des femmes, Lyril notamment. Vars se demandait ce qui était arrivé à cette femme noble qui aurait tant voulu l'épouser depuis qu'il l'avait répudiée. Elle se cachait probablement dans une maison quelconque ; ou essayait de séduire un officier du Sud. Elle avait toujours été douée pour assurer sa survie.

Mais déjà Vars apercevait les murailles, la petite boutique d'un gantier se nichait tout contre. Il regarda de part et d'autre de la rue, s'assurant qu'il n'y ait pas de soldats en vue, et partit comme une flèche afin de se mettre à couvert dans la boutique.

Il se glissa derrière, jusqu'à atteindre une brèche dans le mur couverte de planches de bois. Elle était utilisée depuis longtemps par les contrebandiers, et Vars n'était que trop heureux de passer outre et en faire bon usage lorsqu'il devait aller et venir discrètement. En échange, bien évidemment, du petit "cadeau" traditionnel. Ce serait sa planche de salut. Tout ce qui lui restait à faire était traverser, trouver une monture de l'autre côté et chevaucher en toute sécurité en pleine campagne. Il se cacherait jusqu'à ce qu'il trouve le moyen de recouvrer un semblant de pouvoir.

Vars se baissa et se fraya un passage dans la brèche, se déplaçant rapidement pour ne pas être vu. Il poussa le cache de l'autre côté ; il avait réussi ! Il était sauvé !

Des mains rudes s’emparèrent de lui, le traînèrent hors de la brèche à l'air libre. On le jeta au sol, Vars aperçut à côté de lui une demi-douzaine de cadavres entassés là où ils avaient été jetés. Il fit une culbute et contempla les visages de deux soldats du Roi Ravin, la terreur s’empara de lui en réalisant qu'ils étaient manifestement ici pour parer à cette faiblesse et tuer tous ceux qui essaieraient de s'échapper.

En pareil moment, Rodry ou Erin se seraient probablement battus. Lenore serait sans doute morte dignement, Greave en déclamant des vers poignants dont on parlerait des siècles durant. Vars n'était pas de ceux-là. Il fit la seule chose qui lui traversa l’esprit alors qu'une épée s'élevait sur lui : lever les mains en signe de reddition.

"Je suis le Roi Vars du Royaume du Nord. Et cent fois plus utile au Roi Ravin vivant que mort !"

CHAPITRE SIX

Greave se précipita vers le port qui s'étendait au-delà de la cité d'Astare, ses cheveux noirs ébouriffés par le vent du large, ses traits presque féminins désormais endurcis par une barbe brune, ses vêtements souillés par le voyage et la violence. Il tenta de contenir le chagrin du manque qu'il ressentait en regardant alentour à chacun de ses pas, essayant de trouver un navire qui le conduirait en lieu sûr alors même que la cité plus haut résonnait des clameurs des envahisseurs.

Il semblerait que les candidats fassent défaut. Les navires du Royaume du Sud montaient la garde autour de vaisseaux plus imposants afin que nul ne s’échappe, tandis que les petites embarcations s'éloignaient en ordre dispersé sur l'océan. Autant dire qu'il n'en restait plus guère, leurs capitaines tentaient leur chance en mer plutôt qu’attendre que les hommes du Roi Ravin leur tombent dessus. Greave ne pouvait pas leur en vouloir. Peut-être… aurait-il dû tout simplement monter à bord du bateau sur lequel il avait renvoyé Aurelle, et régler tout ceci ultérieurement.

Non. Le cœur de Greave se brisait de douleur à la simple évocation d’Aurelle. Il croyait qu’elle l'avait accompagné dans son périple parce qu'elle l'aimait, comme lui l’aimait alors. Greave s'était si profondément entiché d’elle qu'il n'avait pas vu immédiatement à qui il avait à faire : une espionne mandatée pour l'empêcher de trouver le remède secret contre la maladie de l’homme de pierre, même si pour cela il fallait le tuer. Peu importe qu'elle l'ait aidé en fin de compte ; sa trahison… s’avérait bien trop douloureuse pour tirer un trait dessus.

Greave porta sa main sur sa tunique, là où il avait caché la page déchirée comportant les notes de Hillard, le parchemin étant en lieu sûr alors que le reste de la bibliothèque souterraine d'Astare avait brûlé de la main-même d'Aurelle. S'il réussissait à gagner un abri, il lui suffirait de trouver les ingrédients nécessaires …

Mais Greave ne voyait aucun bateau en mesure de le conduire en lieu sûr. Il y en avait bien mais définitivement trop grands pour qu'un seul homme puisse les manœuvrer, même s'il n’était pas ignare en termes de navigation. Pis encore, des soldats cheminaient le long de la falaise menant aux quais, s’y dispersaient, se déplaçant comme s'ils cherchaient quelque chose.

Greave s’efforçait de garder son calme. Il n’était pas concerné. Les hommes lancés à ses trousses et celles d’Aurelle dans la grande bibliothèque étaient morts, tués de la main d’Aurelle ou piégés par l’incendie allumé en partant. Greave ressentait du chagrin à l’idée d'avoir participé à la destruction d’un lieu emblématique, un puits de savoir, mais il ne pouvait désormais plus faire machine arrière.

Il se fraya un passage jusqu'au dernier ponton en bois, espérant trouver au moins un capitaine susceptible de l'aider. Mais personne, aucun bateau à voler, aucune possibilité de tester ses rares compétences nautiques en termes de marées. Ne se trouvaient là que des piles de provisions, dans l’attente de bateaux qui accosteraient prochainement, peut-être abandonnées par ceux qui s'étaient enfuis : des barils de goudron, des caisses de biscuits, du poisson séché et salé.

Greave fit volte-face pour retourner sur les quais, déterminé à se fondre dans la masse et trouver un moyen de quitter Astare, mais il vit les soldats venus sur les quais discuter avec les rares habitants qui y étaient restés. Des doigts pointaient dans sa direction.

"Non," dit Greave. "Je ne suis pas recherché."

C’était pourtant bel et bien le cas. Un homme avait peut-être réussi à s'échapper de la bibliothèque en feu, quelqu'un les avait peut-être repérés dans la rue, lui et Aurelle, et les avait reconnus. Quoi qu'il en soit, Greave courait un terrible danger… et Aurelle n'était plus là pour le protéger.

Greave rit amèrement, il souhaitait sa présence alors qu'elle lui avait fait tant de mal, simplement parce qu'elle savait manier un couteau. Le philosophe Serecus n'avait-il pas écrit que l'amour importait moins que les choses de la vie ? Et Yerrat, que mieux valait avoir un ennemi d'envergure à ses côtés contre un adversaire des plus insignifiant que des amis faisant preuve de lâcheté ? Greave songea qu'il avait dû rater un épisode.

Souhaiter la présence d'Aurelle ne servait plus à rien désormais, envolé le souvenir de sa peau douce, ou plus simplement parce qu'elle était capable de tuer un homme en un clin d'œil, d'après Greave. Elle était partie, son passage avait été payé, le capitaine avait juré qu'il ne ferait pas demi-tour. Greave devrait se débrouiller seul. Il commença par descendre du ponton sur lequel il se trouvait.

Il n’était pas suffisamment rapide, trop pris dans ses pensées au sujet d'Aurelle pour agir avec la célérité requise. Même ici, elle lui faisait du mal. Les soldats qui le cherchaient se trouvaient désormais au bout du quai, l’uniforme de l'un d'entre eux portait des marques de brûlure, il avait dû échapper à l'incendie de la bibliothèque.

"Vous êtes fait comme un rat, Prince Greave !" s'écria l'homme. "Oh, nous savons qui vous êtes, nous savons déjà que vous allez souffrir pour avoir essayé de nous faire brûler vif avant de vous livrer au Roi Ravin, vous regretterez d'avoir quitté Royalsport !"

Greave se mit à reculer sur les quais, les soldats avançaient d’un pas tranquille, l’allure d’hommes sachant pertinemment que leur proie n'avait nulle part où aller. Seul hic, la situation semblait leur donner raison. Greave réfléchit à tout ce qu'il avait lu sur la tactique et la stratégie des grands commandants, à tous les jeux de stratégie auxquels il avait joué et qui, à en croire les livres, aidaient un général à savoir commander. Ses lectures ne semblaient pas contenir la réponse à une situation similaire, à savoir un homme totalement ignare au maniement de l'épée, face à une vingtaine hommes, sans aucune échappatoire.

Qu’aurait fait Aurelle ? L'idée surgit à l’esprit de Greave de façon brusque et inattendue, il était tenté de la refouler, penser à sa chevelure rousse et ses yeux d’un vert profond le faisait trop souffrir. Il ne devait pas penser à ça pour le moment. Il avait besoin de la femme impitoyable qui se cachait sous ces traits, celle qui avait incendié la grande bibliothèque d'Astare afin qu'ils puissent…

Voilà tout.

Greave continua de reculer jusqu'à atteindre le niveau des barils de goudron. Il en fit basculer un au prix d’un gros effort, le contenu se déversa sur le quai. Il s’empara de la pierre à feu à sa ceinture et vit les yeux des soldats s’écarquiller.

"Ne faites pas ça," dit le premier. "Vous mourriez."

"A vrai dire," déclara Greave, "étant donné la direction du vent et le combustible s’écoulant loin de moi, j’ai de bonnes chances de survivre. Quant à vous…"

Des étincelles jaillirent du silex et tombèrent sur le goudron. Le combustible rugit en guise de réponse, Greave dû se jeter en arrière à l’autre bout du quai lorsque le brasier éclata. Quelques secondes suffirent pour que le quai prenne des allures de torche. Les soldats qui ne purent s’enfuir assez vite tombèrent en hurlant, essayant d'éteindre le brasier qui les dévorait.

Le feu se propagea le long du quai, s’étendit à la majeure partie des barils de goudron. Greave sentit comme un vrombissement alors que tout explosait sous l'effet de la chaleur, de hautes flammes s'élevèrent. Le quai se mit à osciller tandis que ses lattes se fendaient sous l’effet de la poussée, Greave conserva à grand peine son équilibre.

La chaleur du feu était intense, semblable au rugissement d'une forge un jour d'été. Il dévorait les cargaisons entreposées le long du quai avec l'avidité que seul le feu possédait, Greave se remémora tout ce qu'il avait lu sur les propriétés des flammes, sur les théories des lettrés, à savoir que ces phénomènes d’aspiration pouvaient se produire par l’action conjuguée d’un combustible au contact d’étincelles. Rien de tout cela n’était suffisant pour expliquer la propagation exponentielle du feu sur le port d'Astare, qui s’étendaient maintenant en direction des autres quais, se répandait à une vitesse folle, Greave vit des soldats pris au piège.

Le feu sur le quai ne faiblissait pas, les poutres se désolidariseraient au fur et à mesure que les flammes rongeaient la poix et la corde qui les retenaient. Greave songea un bref instant à ce plan hasardeux qui s’était avéré au final le plus réfléchi, avant de tomber dans l’eau glaciale.

Une pluie de longerons et madriers s’abattit dans l'eau autour de Greave, il pouvait se faire assommer à tout moment, mais ce ne fut heureusement pas le cas. Greave retint sa respiration, tentant d’oublier la crainte qu’il avait des bêtes marines embusquées. Il avait vu de ses propres yeux à quel point les créatures des profondeurs pouvaient s’avérer dangereuses, et ne pouvait qu'espérer que nulle créature ne peuple la proximité des quais. La chaleur des flammes était palpable même sous l’eau, il apercevait la lumière tremblotante du feu qui semblait s'étendre pour dévaster le monde.

Greave refit surface alors que ses poumons menaçaient d’exploser.

Le port était devenu un enfer, Greave ne voyait plus que des flammes, même les grands navires à quai durent manœuvrer et partir au large pour éviter les dégâts. L'un d'eux ne fut pas assez rapide, Greave vit le feu lécher et dévorer son gréement comme une chandelle, les voiles enflammées se consumaient. Il regarda autour de lui, essayant de trouver comment sortir de cet enfer.

Une section entière du quai avait atterri sur l'eau tel un radeau, un carré de planches de bois environ deux fois plus longues qu'un homme. Des barils abandonnés flottaient tout autour. Greave nagea vers eux, réfléchissant, essayant de déterminer la quantité dont il aurait besoin. Lentement, avec mille précautions, il les fit passer sous la portion de quai détruite, les attacha avec la corde existante.

La manœuvre nécessita de longues minutes, mais personne ne s'occupait de Greave. Lorsqu'il fut certain d'avoir fait tout ce qui était en son pouvoir, il grimpa sur le radeau de fortune, s'empara d'un bout de bois qui ferait usage de rame. Le radeau tangua mais tint bon, Greave se mit à pagayer et quitta le port. Il ignorait jusqu'où il irait comme ça, ni comment il maîtriserait l'embarcation dès lors que les courants l'emmèneraient vers le large mais c'était toujours mieux que demeurer sur place. Il détenait la méthode pour fabriquer le remède, ne restait plus qu'à se procurer les ingrédients.

Greave quitta la cité d'Astare en proie aux flammes, le cœur malgré tout rempli d'espoir.

CHAPITRE SEPT

"Ramenez-moi !" insistait Aurelle auprès du capitaine du petit bateau qui l'emmenait loin d'Astare. "Je vous en prie, je ne peux pas laisser Greave seul. Il mourra."

Sans succès, comme ses autres suppliques d'ailleurs. Le capitaine était un grand bonhomme au visage imperturbable, fermé, mais voilà qu'il souriait.

"Il mourra parce que vous n'êtes pas là pour le protéger ?"

L'équipage autour d'Aurelle se mit à rire, ce qui ne fit qu'accentuer la douleur et la honte qui la terrassaient. Elle savait bien sûr ce qu'ils avaient en tête en la voyant, chose qu'elle avait projeté avec le plus grand soin depuis sa rencontre avec Greave. Ses cheveux roux défaits n'étaient certes plus tressés en une élégante coiffure élaborée, mais ils remarquèrent malgré tout ses riches vêtements, l'élégance de ses traits, la finesse de son visage, une femme, tout simplement. Ils en déduisaient certainement qu'elle était une faible femme sans défense.

Elle s'éloigna de lui, essayant de trouver un moyen de parvenir à ses fins, de rejoindre Greave, simplement lui expliquer les choses. Tout se passerait bien si seulement elle pouvait lui prouver… lui prouver qu'elle l'aimait.

Elle s'agrippa au bastingage, essaya de voir comment rejoindre Greave à la nage, mais ils étaient trop loin désormais, et de toute façon, les grands navires du Royaume du Sud l'arrêteraient probablement chemin faisant.

Elle devait trouver un autre moyen, ceux appris à la Maison des Soupirs lui seraient certainement secourables.

Elle regardait comment manœuvrait le bateau, essayait de comprendre comment provoquer un incident. Elle observait une demi-douzaine d'hommes se déplacer de concert pour essayer de le manœuvrer sans à-coups, mais n'avait aucun moyen de faire demi-tour sans leur aide. Et après ?

Elle attendit un instant que le capitaine descende sur le pont inférieur avant de se glisser derrière lui et le suive, essayait de réfléchir comment faire. Jusqu'où irait-elle pour retrouver Greave ? Ou plutôt, jusqu'où n'irait-elle pas ?

"Seriez-vous en train d'essayer de me faire faire demi-tour ?" demanda le capitaine en s'approchant.

"Oui. Je dois retourner auprès de mon prince. Je suis prête à tout pour le rejoindre. Tout."

Elle s'approcha du capitaine.

"Vous croyez que je vais marcher dans votre combine ?"

Aurelle sortit un couteau qu'elle pressa prestement sur la gorge du capitaine.

"Ramenez-moi immédiatement."

"Si vous me tuez, mes hommes vous tueront," dit le capitaine. Le pire, c'est que c'était probablement vrai. Si elle avait disposé d'endroits pour se cacher, Aurelle aurait pu éliminer tous les hommes à bord mais elle aurait dû se battre contre six hommes dans l'espace restreint du navire. Même un Chevalier d'Argent aurait probablement échoué et elle n'était pas chevalier. Mieux valait poignarder dans le dos que se battre ouvertement.

Qu'elle parvienne à les tuer tous ne lui laisserait aucune chance de faire demi-tour. Aurelle ne pourrait pas ramener le navire à bon port seule.

"Pourquoi ne pas faire demi-tour ?"

Le capitaine haussa les épaules. "Je suis fidèle à la couronne, et loyal dès lors que j'ai été rétribué. Le Prince Greave m'a payé pour vous emmener jusqu'à Royalsport, et c'est ce que je vais faire."

"Mais il va mourir. Nous devons le sauver. Je… je l'aime."

"Mes hommes n'ont probablement pas entendu votre discussion avec le prince, moi, si. Je sais qui vous êtes. Je sais quel genre de femme vous êtes, madame, et je n'ai pas de temps à perdre dans cette supercherie. Je vais vous ramener, et estimez-vous heureuse que nous ne vous tranchions pas la gorge et ne vous jetions par-dessus bord pour avoir trahi le prince."

Il remonta sur le pont, Aurelle mit un moment avant d'être capable de le suivre, visiblement pétrifiée par son échec retentissant. Elle était tellement persuadée de trouver un moyen de faire faire demi-tour à ce bateau, convaincue qu'elle trouverait un moyen de manipuler son monde pour parvenir à ses fins. Elle se retrouvait coincée et remonta sur le pont en soupirant.

Elle aperçut de là les quais d'Astare en feu.

"Non !" s'écria Aurelle en contemplant les bateaux en flammes, le ponton le plus proche était en feu. Elle vit une silhouette solitaire à l'extrémité d'un des quais incendiés, le vit s'effondrer sous ses pieds, le feu brûlait tout sur son passage. "Non, par pitié, non."

Aurelle regarda le capitaine mettre les voiles et s'éloigner d'Astare au plus vite. Il n'y avait aucune chance qu'il fasse demi-tour désormais, aucune chance de précipiter son navire dans les flammes et risquer de le voir brûler, contrevenant ainsi aux ordres exprès de Greave.

Aurelle sentit son cœur se briser alors qu'elle s'accrochait au bastingage du bateau de pêche. Elle savait qu'elle aimait plus Greave qu'elle ne l'aurait dû, plus que de raison ou ce qu'il était permis, et pourtant… perdre quelqu'un qu'on aimait plus que tout au monde était indubitablement douloureux. Aurelle supposait que c'était le cas du moins ; elle n'avait jamais aimé quelqu'un de la sorte.

A la Maison des Soupirs, Aurelle s'était toujours enorgueillie de ne jamais se laisser envahir par l'émotion. Elle avait vu la façon dont les individus essayaient d'utiliser leurs semblables, elle se considérait comme honnête dans ses actes et agissait avec son cœur, même si d'autres essayaient de créer des besoins ou des sentiments stupides qui se dressaient par la suite en travers du chemin. Elle avait été choisie pour espionner et agir dans l'ombre, Aurelle trouvait ça facile. Elle n'avait pas l'impression d'être trahie sans amour en retour.

Mais elle avait désormais l'impression d'avoir trahi sur toute la ligne. Trahi Greave en l'espionnant en premier lieu, trahi ce qu'elle était censée représenter en osant tomber amoureuse de lui. Aurelle ne savait que faire.

Elle regarda le port en flammes et sentit son cœur faire de même, se consumer, de sorte qu'il n'en resterait bientôt que des cendres. Aurelle imaginait que ce genre de dégâts contrecarrerait l'invasion du Royaume du Sud, mais n'était en rien matière à consolation. Quoiqu'il advienne, la bataille d'Astare était terminée ; la ville était entre leurs mains.

Le pire étant que ses commanditaires seraient probablement ravis de la tournure des évènements. Elle imaginait le sourire du Duc Viris lorsqu'elle lui annoncerait que la bibliothèque contenant le remède contre la maladie de l'homme de pierre avait brûlé, que le prince à sa recherche avait péri, emportant avec lui la page des ingrédients.

Même si elle essayait de lui dire qu'elle n'était en rien responsable, le duc imaginerait probablement qu'elle avait simplement usé de prudence, et se montrerait plus que satisfait de la façon dont avaient tourné les choses. Aurelle imaginait déjà comment il célèbrerait l'évènement, un homme tel que lui ne la verrait jamais autrement que comme une courtisane, quel que soit le mal qu'elle se donne.

Meredith… Aurelle savait que la patronne de la Maison des Soupirs agissait toujours afin de préserver l'équilibre du royaume et de la Maison, qu'elle veillait toujours à protéger les hommes et femmes à son service. Aurelle ne pouvait lui reprocher d'avoir accepté l'argent du duc, sachant que la Maison des Soupirs serait récompensée si Aurelle réussissait.

Elle en voulait cependant au Duc Viris et son fils. Il croyait probablement Aurelle stupide, et n'avait pu percer son plan à jour. Le désir de déstabiliser la famille royale tout en poussant Finnal au plus haut était flagrant, quand on savait ce qui se tramait. Que des hommes tels que lui le croient était au moins une des raisons de la renommée de la Maison des Soupirs.

Greave ne … Greave n’avait pas pensé de la sorte, et cette seule pensée suffit à accabler Aurelle de douleur. Il était le seul à l’avoir jamais aimée pour ce qu'elle était, et non pour ce qu'elle faisait. Le seul à l’avoir jamais aimée, et il était mort.

Aurelle se tenait là, complètement démunie tandis qu'Astare s’éloignait peu à peu. Elle ne savait plus que faire maintenant, ni où aller, une fois rendue à Royalsport. Elle ne voulait pas se contenter de dire au Duc Viris qu'il avait réussi, que tous ses plans se concrétisaient.

Elle fit ce qu'elle voulait faire, un acte stupide et dangereux, qui lui causerait probablement plus d'ennuis qu'elle l’imaginait si elle survivait. Si elle revenait et prétendait avoir effectué sa mission parfaitement, elle serait grassement rétribuée, serait probablement même en mesure d’accéder à une position influente.

Aurelle ne voulait rien de tout cela. Elle ne supportait pas l'idée d'un monde sans Greave à ses côtés, mais songer à un monde dans lequel Finnal remportait le pouvoir tandis que le duc Viris ricanait dans son coin lui faisait l’effet d’ongles lacérant sa peau. Elle ne le supporterait pas… alors pourquoi n'y remédiait-elle pas ?

Ce qu'elle envisageait de faire ne ramènerait pas Greave. Ne réparerait aucun dégât qu'elle avait contribué à causer, ne rétablirait pas l’ordre des choses, mais contribuerait peut-être à rendre le monde meilleur.

Elle les tuerait tous les deux.

Ücretsiz ön izlemeyi tamamladınız.

₺145,85
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
04 ocak 2021
Hacim:
242 s. 4 illüstrasyon
ISBN:
9781094344256
İndirme biçimi:
Metin, ses formatı mevcut
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin PDF
Ortalama puan 4,6, 37 oylamaya göre
Metin PDF
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 5, 2 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 4,8, 6 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 4,8, 6 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 5, 2 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre