Kitabı oku: «Un Baiser pour des Reines », sayfa 3

Yazı tipi:

CHAPITRE QUATRE

Alors que le vent marin lui courait sur le visage, Kate se sentait vraiment libre pour la première fois de sa vie. Elle voyait Ashton approcher à l'horizon et cela lui rappelait la vie qu'elle y avait vécue si longtemps en tant qu'Oubliée mais ces souvenirs ne la dominaient plus et la colère qui les accompagnait lui semblait plutôt être une douleur confuse qu'une sensation récente.

Elle sentit Lord Cranston approcher avant qu'il ne l'ait rejointe. C'était une partie des pouvoirs qui lui étaient revenus, ses pouvoirs, pas une chose que Siobhan ou sa fontaine lui avaient donnée.

“Nous attaquerons à l'aube, monseigneur”, dit-elle en se retournant.

Lord Cranston sourit en apprenant la nouvelle. “C'est une heure traditionnelle pour ce type d'activité. Cela dit, Kate, vous n'êtes plus obligée de m'appeler comme ça. C'est nous qui avons juré de vous servir, votre altesse.”

Votre altesse. Kate soupçonnait qu'elle ne s'habituerait jamais à ce qu'on l'appelle comme ça. Ce serait encore plus dur à accepter de la part de l'homme qui avait été un des premiers à lui donner une place dans le monde.

“Et vous n'avez vraiment pas besoin de m'appeler comme ça”, répliqua Kate.

Lord Cranston lui fit une révérence étonnamment élégante de courtisan. “C'est ce que vous êtes maintenant mais d'accord, Kate. Ferons-nous comme si nous étions de retour au camp, où je t'enseignais la stratégie ?”

“J'imagine qu'il me reste encore beaucoup à apprendre”, dit Kate. Elle ne pensait pas avoir appris la moitié de ce que Lord Cranston aurait pu lui enseigner pendant qu'elle avait servi dans sa compagnie.

“Oh, sans nul doute”, dit Lord Cranston. “Donc, faisons cours. Dis-moi, dans l'histoire d'Ashton, comment la ville a-t-elle été prise ?”

Kate réfléchit. Ce n'était pas une chose qu'ils avaient abordée en cours jusque là.

“Je ne sais pas”, admit-elle.

“Cela s'est fait par trahison”, dit Lord Cranston en comptant sur ses doigts. “Cela s'est fait en conquérant le reste du royaume, de telle sorte qu'il n'était plus utile de résister. Dans un passé lointain, cela s'est fait par magie.”

“Et par la force ?” demanda Kate.

Lord Cranston secoua la tête. “Cela dit, l'artillerie pourrait changer la donne.”

“Ma sœur a un plan”, dit Kate.

“Et il a l'air bon”, dit Lord Cranston, “mais qu'arrive-t-il aux plans pendant les batailles ?”

Kate savait au moins ça. “Ils échouent.” Elle haussa les épaules. “Dans ce cas, c'est bien que nous ayons la meilleure des compagnies libres pour boucher les trous.”

“Et c'est bien que j'aie la fille qui peut invoquer la brume et se déplacer trop vite pour qu'un homme puisse la suivre”, répondit Lord Cranston.

Kate hésita une seconde ou deux de trop avant de répondre.

“Qu'y a-t-il ?” demanda Lord Cranston.

“Je me suis séparée de la sorcière qui m'a donné ce pouvoir”, dit-elle. “Je … je ne sais pas combien il m'en reste. Je sais encore lire dans les pensées mais la vitesse et la force ont disparu. Je suppose que c'est aussi le cas de ce genre de magie.”

Elle en connaissait encore la théorie, la sentait encore en elle mais il lui semblait que les chemins qui y menaient avaient été brûlés quand elle avait perdu la connexion avec la fontaine de Siobhan. Il semblait que toutes les choses aient leur prix et celui-là en était un qu'elle acceptait de payer.

Du moins, si cela ne les tuait pas tous.

Lord Cranston hocha la tête. “Je vois. Sais-tu encore te servir d'une épée ?”

“Je n'en suis … pas sûre”, admit Kate. C'était une chose qu'elle avait apprise avec Siobhan, après tout, mais les souvenirs de son entraînement étaient encore là, encore frais. Elle avait acquis ce qu'elle savait après “avoir été tuée” un nombre incroyable de fois par des esprits.

“Dans ce cas, je crois que nous devrions le vérifier avant de nous battre pour de bon, n'est-ce pas ?” suggéra Lord Cranston. Il recula, fit un salut formel de duelliste sans quitter Kate des yeux et tira son épée en faisant siffler le métal.

“Avec de vraies épées ?” dit Kate. “Et si je ne la contrôle pas ? Et si —”

“La vie regorge de 'et si'”, dit Lord Cranston, “et la guerre encore plus. Je ne veux pas te tester avec une épée d'entraînement pour voir tes compétences te faire défaut en situation vraiment risquée.”

Cela semblait quand même être une manière dangereuse de tester ses compétences. Elle ne voulait pas blesser Lord Cranston par accident.

“Tire ton épée, Kate”, dit-il.

A contrecœur, elle le fit et le pommeau du sabre lui épousa parfaitement la main. Il restait des traces des runes que Siobhan avait gravées dans la lame mais elles étaient à peine lisibles, maintenant, sauf en pleine lumière. Kate se mit en position.

Lord Cranston attaqua tout de suite avec toutes les compétences et toute la violence d'un homme plus jeune. Kate para tout juste le coup.

“Je vous l'ai dit”, dit-elle. “Je n'ai plus la force ni la rapidité que j'avais.”

“Dans ce cas, tu dois essayer de trouver un moyen de compenser”, dit Lord Cranston, qui envoya immédiatement un autre coup vers sa tête. “La guerre n'est pas honnête. La guerre ne se soucie pas de ta faiblesse. Tout ce qui l'intéresse, c'est de voir si tu gagnes ou pas.”

Kate céda du terrain, coupa un angle pour éviter de se faire acculer contre le bastingage du navire. Elle para et para encore en essayant de se protéger contre l'assaut.

“Pourquoi te retiens-tu ?” demanda Lord Cranston. “Tu peux encore anticiper toutes les attaques, n'est-ce pas ? Tu connais encore tous les mouvements que l'on peut faire avec une épée, n'est-ce pas ? Si je fais la feinte de Rensburg, tu sais que la réponse est …”

Il fit une double feinte complexe. Automatiquement, Kate lui bloqua son épée à mi-chemin.

“Tu vois que tu le sais !” dit sèchement Lord Cranston. “Maintenant bats-toi, bon sang !”

Il attaqua avec une telle férocité que Kate ne put que se défendre avec toutes ses compétences. Elle lut dans ses pensées du mieux qu'elle put, vit les lueurs vacillantes des mouvements qui arrivaient, la structure des attaques. Même si son corps était moins rapide qu'avant, il savait encore ce qu'il fallait faire, positionnait l'épée où il le fallait, battait et parait, dégageait et forçait.

Kate prit l'épée de Lord Cranston et ressentit de très légères faiblesses dans la force avec laquelle il la présentait. Elle contourna le lien, força plus qu'avant et l'épée de Lord Cranston tomba bruyamment sur le pont du navire. L'épée de Kate se précipita vers la gorge de Lord Cranston … et elle réussit à l'arrêter à un millimètre de sa peau.

Il lui sourit. “C'est bien, Kate. Excellent. Tu vois, tu n'as pas besoin des ruses de cette sorcière. C'est toi qui as appris ça et c'est toi qui vas tailler l’ennemi en pièces.”

Alors, il serra la main à Kate, joignit leurs poignets et Kate eut la surprise d'entendre des applaudissements retentir d'une partie plus basse du navire. Elle se retourna et vit que d'autres membres de la compagnie la regardaient se battre avec Lord Cranston comme s'ils étaient des acteurs censés les divertir. Will était là lui aussi et il avait l'air aussi soulagé qu'heureux. Kate dévala les marches qui menaient au poste du commande pour aller le rejoindre et, quand elle l’atteignit, elle l’embrassa.

Bien sûr, cela donna naissance à des acclamations d'une autre sorte et Kate recula, toute rouge.

“Ça suffit, bande de fainéants”, cria Lord Cranston. “Si vous avez le temps de lorgner, vous avez le temps de travailler !”

Les hommes qui se tenaient autour d'eux gémirent et repartirent se préparer à la bataille. Cependant, ce moment d'exception était passé et Kate ne voulait pas prendre le risque d'embrasser encore Will de peur que certains hommes ne les regardent encore.

“Je me suis vraiment inquiété pour toi”, dit Will en désignant de la tête l'endroit où se tenait Lord Cranston. “Quand vous étiez en train de vous battre, on aurait dit qu'il essayait vraiment de te tuer.”

“C'était ce dont j'avais besoin”, dit Kate en haussant les épaules. Elle n'était pas sûre de pouvoir l'expliquer à Will. Il avait rejoint la compagnie de Lord Cranston mais il semblait toujours avoir envie de repartir travailler dans la forge de son père. Il avait rejoint la compagnie pour voir du pays, pour pouvoir voyager.

Pour Kate, c'était différent. Si elle n'allait pas vers le danger, elle avait l'impression de pas vraiment être vivante. Elle pensait ne pouvoir affronter la violence du monde que si elle se jetait dans la mêlée. Lord Cranston l'avait compris et il l'avait forcée à se retrancher dans l'espace où elle avait vraiment pu se mettre à l'épreuve.

“Quand même”, dit Will, “je pensais qu'il y aurait du sang sur le pont avant la fin du combat.”

“Mais il n'y en pas eu”, dit Kate. Elle le serra dans ses bras, tout simplement parce qu'elle le voulait. Elle aurait souhaité que le bateau leur offre assez d'intimité pour aller plus loin. “C'est ce qui compte.”

“Tu as été étonnante, là-bas”, admit Will. “Nous pourrions peut-être nous passer d'attaquer demain et n'envoyer que toi pour que tu les tues tous un par un.”

Kate sourit à cette idée. “Je crois que ça pourrait devenir un peu fatigant après les quelques premiers. Et toi, voudrais-tu rater l'action ?”

Elle vit Will détourner le regard.

“Qu'est-ce qui se passe ?” demanda-t-elle en résistant à son envie de lire dans les pensées de Will pour trouver immédiatement réponse à sa question.

“Honnêtement ? J'ai peur”, dit-il. “On a beau se battre souvent, ça ne me semble jamais plus facile qu'avant. J'ai peur pour moi, pour mes amis, peur que mes parents ne soient pris dans la tourmente … et j'ai peur pour toi.”

“Je crois que nous venons de constater que tu n'avais pas besoin de t'inquiéter pour moi”, dit Kate.

“Tu es la meilleure à l'épée que je connaisse”, reconnut Will, “mais je m'inquiète quand même. Et s'il y a une épée que tu ne vois pas ? Et si tu reçois une balle de mousquet perdue ? La guerre, c'est le chaos.”

Effectivement mais c'était en partie ce que Kate aimait chez elle. Quand elle se retrouvait au cœur d'une bataille, cela avait pour elle un sens que le reste du monde ne lui apportait pas toujours. Cependant, elle garda cette idée pour elle.

“Tout ira bien”, dit-elle seulement. “Tout se passera bien pour moi. Tu seras avec l'artillerie, pas au cœur des charges. De plus, comme Sophia ne permettrait jamais que ses soldats cambriolent ou attaquent la population, tes parents ne courront aucun risque. Tout ira bien.”

“Fais attention à toi”, dit Will. “Il y a tant de choses que je voudrais avoir le temps de te dire et de faire avec toi et —”

“Nous aurons le temps de faire tout ça”, promit Kate. “Maintenant, tu devrais y aller. Tu sais que Lord Cranston n'aime pas que je t'empêche trop longtemps de faire ton devoir.”

Will hocha la tête, sembla avoir encore envie de l'embrasser mais se retint de le faire. C'était une autre chose qui devrait attendre jusqu'à la fin de la bataille. Kate le regarda partir puis utilisa ce qui restait de son talent pour capter les pensées et les sentiments des soldats présents aux alentours.

Elle sentit leurs peurs et leurs inquiétudes. Tous ces hommes savaient que la violence éclaterait à l'aube et ils se demandaient pour la plupart s'ils sortiraient de ce chaos en un seul morceau. Certains pensaient à des amis, d'autres à leur famille. Quelques-uns allaient de possibilité en possibilité comme si penser au danger à l'avance pouvait les en protéger.

Kate était impatiente que la bataille commence. A la guerre, le monde avait plus ou moins du sens.

“Demain, je tuerai les gens qui ont fait souffrir ma famille”, promit-elle. “Je les massacrerai et je saisirai le trône pour Sophia.”

Demain, ils iraient à Ashton et reprendraient tout ce qui était censé leur appartenir.

CHAPITRE CINQ

Droit debout au sommet des marches du temple de la Déesse Masquée, Rupert attendait le commencement des funérailles de sa mère en regardant le coucher du soleil. Ces teintes de rouge qui s'étendaient à l'horizon ne lui rappelaient que trop le sang qu'il avait versé. Il n'aurait pas dû s'en préoccuper. Il était plus fort que ça, il valait mieux que ça. Pourtant, à chaque fois qu'il regardait ses mains, cela lui rappelait comment le sang de sa mère les avait tachées et chaque moment de silence lui rappelait ses halètements quand il avait l'avait poignardée.

“Toi !” dit Rupert en désignant un des augures et des prêtres de rang inférieur qui encombraient l'entrée. “Que présage ce coucher du soleil ?”

“Du sang, votre altesse. Un coucher du soleil comme celui-là annonce du sang.”

Rupert faillit avancer afin de frapper l'homme pour son insolence mais Angelica était là et elle le retint. Elle lui effleura la peau de la main, promettant ainsi des plaisirs futurs que Rupert aurait préférés présents.

“Ignorez-le”, dit-elle. “Il ne sait rien. Personne ne sait rien que vous ne sachiez vous-même.”

“Il dit du sang”, gémit Rupert. Le sang de sa mère. La douleur de cette idée le traversa. Il avait perdu sa mère et son chagrin le surprenait quasiment. Il avait cru qu'il ne ressentirait que du soulagement quand elle mourrait, ou peut-être de la joie que le trône soit finalement à lui. Au lieu de ça … Rupert se sentait en morceaux, vide et coupable comme il ne s'était jamais senti auparavant.

“Bien sûr qu'il a dit du sang”, répondit Angelica. “Il y aura une bataille demain. N'importe quel imbécile verrait du sang dans un coucher du soleil quand des navires ennemis sont ancrés au large.”

“Ce ne serait pas la première fois”, dit Rupert. Il montra un autre homme du doigt, un augure qui semblait être en train d'utiliser un mécanisme d'horlogerie complexe pour griffonner des calculs sur un bout de parchemin. “Toi, dis-moi comment la bataille se déroulera demain !”

L'homme leva les yeux, l'air effrayé. “Les signes ne sont pas bons pour le royaume, votre majesté. Les engrenages —”

Cette fois-ci, Rupert frappa et envoya l'homme à terre d'un coup de botte. Si Angelica n'avait pas été là pour le retenir, il aurait pu continuer à lui donner des coups de pied jusqu'à le réduire à un tas d'os brisés.

“Pensez à l'impression que cela donnerait si vous faisiez ça aux funérailles”, dit Angelica.

Au moins, cela permit de retenir Rupert. “Je ne comprends pas pourquoi les prêtres autoriseront des gens comme ça à s'installer sur les marches de leur temple. Je croyais qu'ils tuaient les sorcières.”

“Cela indique peut-être que ces gens-là n'ont aucun talent”, suggéra Angelica, “et que vous ne devriez pas les écouter.”

“Peut-être”, dit Rupert, mais il y en avait eu d'autres. Il semblait que tout le monde ait son opinion sur la bataille à venir. Au palais, il y avait eu bien assez d'augures, aussi bien des authentiques que de simples nobles qui aimaient faire des prévisions en regardant le soleil se coucher ou les oiseaux voler.

Cependant, pour l'instant, ces funérailles, les funérailles de sa mère, étaient la seule chose qui comptait.

Pourtant, il semblait que certains ne le comprennent pas. “Votre altesse, votre altesse !”

Rupert virevolta vers l'homme qui arrivait en courant, vêtu d'un uniforme de soldat. L'homme se prosterna.

“Pour s'adresser correctement à un roi, on dit ‘votre majesté’ !” répliqua Rupert.

“Pardonnez-moi, votre majesté”, dit l'homme, qui se releva alors, “mais j'ai un message urgent !”

“Qu'est-ce qui se passe ?” demanda Rupert. “Ne vois-tu pas que j'assiste aux funérailles de ma mère ?”

“Pardonnez-moi, votre … majesté”, dit l'homme, qui ne se corrigea que juste à temps, “mais nos généraux demandent votre présence.”

Bien sûr. Maintenant, ces imbéciles qui n'avaient pas su comment vaincre la Nouvelle Armée voulaient s'attirer ses faveurs en montrant combien d'idées ils avaient pour affronter la menace qui venait de se présenter.

“Je viendrai, ou pas, après les funérailles”, dit Rupert.

“Ils m'ont dit d'attirer votre attention sur l'importance de la menace”, dit l'homme comme si ces paroles pouvaient d'une façon ou d'une autre pousser Rupert à agir, sinon même à obéir.

“C'est moi qui déciderai de son importance”, dit Rupert. A ce moment-là, rien ne lui semblait avoir plus d'importance que les funérailles qui allaient commencer. Pour ce qu'il en avait à faire, Ashton pouvait partir en flammes; lui, il enterrerait sa mère.

“Oui, votre majesté, mais —”

Rupert coupa la parole à l'homme d'un regard. “Les généraux veulent faire comme si tout devait avoir lieu maintenant”, dit-il, “comme s'il ne pouvait y avoir de plan sans moi, comme s'ils avaient besoin de moi pour défendre la ville. J'ai une réponse pour eux : faites votre travail.”

“Votre majesté ?” dit le messager sur un ton qui donna envie à Rupert de le frapper.

“Fais ton travail, soldat”, dit-il. “Ces hommes prétendent qu'ils sont nos meilleurs généraux et ils ne peuvent pas organiser la défense d'une ville ? Dis-leur que je les rejoindrai quand je serai prêt. Entre temps, qu'ils s'en occupent. Maintenant, pars avant que je ne perde patience.”

L'homme hésita un moment puis se prosterna à nouveau. “Oui, votre majesté.”

Il partit précipitamment. Rupert le regarda s'en aller puis se retourna vers Angelica.

“Tu es bien silencieuse”, dit-il. Elle avait une expression parfaitement neutre. “Toi non plus, tu ne veux pas que j'enterre ma mère ?”

Angelica posa une main sur son bras. “Je crois que, s'il faut que vous le fassiez, vous devez le faire mais que nous ne pouvons pas non plus négliger les dangers qui se présentent.”

“Quels dangers ?” demanda Rupert. “Nous avons des généraux, non ?”

“Des généraux d'une dizaine de forces différentes qu'on a rassemblées pour former une armée”, signala Angelica. “Si personne ne vient fixer de stratégie générale, ils ne parviendront jamais à se mettre d'accord. Notre flotte est trop proche de la ville, nos murailles sont plus des antiquités que des défenses et notre ennemi est dangereux.”

“Fais attention”, l'avertit Rupert. Son chagrin se refermait sur lui comme un poing et la seule réaction qu'il connaissait était la colère.

Angelica avança et l'embrassa. “Je suis seulement prudente, mon amour, mon roi. Nous prendrons le temps de faire tout cela mais il va bientôt falloir que vous dirigiez ces généraux afin d'avoir encore un royaume à gouverner.”

“Qu'il brûle”, dit Rupert sans réfléchir. “Qu'ils brûlent tous.”

“Même si vous le pensez maintenant”, dit Angelica, “bientôt, vous aurez besoin d'eux. De plus, ils pourraient bien essayer de vous prendre le pouvoir.”

“Me prendre ma couronne ?” dit Rupert. “C'est moi, le roi !”

“Vous êtes l'héritier”, dit Angelica, “et nous vous avons constitué un soutien dans l'Assemblée des Nobles mais ce soutien risque de disparaître si vous ne faites pas attention. Les généraux que vous ignorez se demanderont si l'un d'eux ne devrait pas gouverner à votre place. Les nobles se demanderont s'il est bon d'avoir un roi qui accorde plus d'importance à son chagrin qu'à leur sécurité.”

“Et toi, Angelica ?” demanda Rupert. “Qu'en penses-tu ? Es-tu loyale ?”

Il toucha presque machinalement le manche d'un couteau pour bénéficier du réconfort de sa présence. Angelica posa une main sur la sienne.

“Je crois que j'ai choisi ma place”, dit-elle, “et elle est à vos côtés. J'ai envoyé quelqu'un s'occuper de la menace que représente la flotte. Si une mort peut nous ralentir, elle pourra aussi facilement les ralentir eux aussi. Après, nous pourrons faire tout ce qu'il faudra faire ensemble.”

“Ensemble”, dit Rupert en prenant la main à Angelica.

“Êtes-vous prêt ?” lui demanda Angelica.

Rupert hocha la tête bien que la douleur qui le rongeait soit trop grande pour que l'on puisse jamais la maîtriser. Il ne serait jamais prêt à laisser partir sa mère.

Ils entrèrent dans le temple ensemble. L'endroit avait été décoré pour des funérailles d'état avec une hâte presque choquante. L'espace intérieur était recouvert de draperies sombres et luxueuses sur lesquelles on voyait parfois le cimier royal. Les bancs du temple étaient tous occupés par des personnes en deuil. Tous les nobles d'Ashton et des environs étaient venus, imités par des marchands, des soldats et des membres du clergé entre autres. Rupert avait fait le nécessaire pour cela.

“Ils sont tous ici”, dit-il en regardant autour de lui.

“Tous ceux qui ont pu venir”, répondit Angelica.

“Ceux qui ne sont pas venus sont des traîtres”, répondit sèchement Rupert. “Je les ferai mettre à mort.”

“Bien sûr”, dit Angelica, “mais après l'invasion.”

Il trouvait étrange d'avoir trouvé une personne qui accepte aussi facilement toutes les choses qu'il fallait faire. A sa façon, elle était aussi impitoyable que lui, et, en plus, elle était belle et intelligente. De toute façon, elle était aussi là pour ça. Elle se tenait à côté de Rupert et, grâce à elle, même le noir des funérailles avait l'air superbe. Elle soutint Rupert quand il traversa le temple pour aller à l'endroit où le cercueil de sa mère attendait l'enterrement coiffé de sa couronne.

Alors qu'ils avançaient, un chœur commença à chanter un requiem pendant qu'une grande prêtresse psalmodiait ses prières à la déesse. Rien de tout cela ne pouvait être original parce qu'il n'y avait pas eu le temps d'innover. Cependant, quand tout serait fini, Rupert embaucherait un compositeur, ferait élever des statues à sa mère. Il —

“Nous y sommes, Rupert”, dit Angelica en l'emmenant à son siège dans la première rangée. Bien que le bâtiment soit bondé, il y avait bien assez d'espace là. Les gardes qui se tenaient à cet endroit avaient peut-être joué leur rôle.

“Nous sommes réunis pour témoigner de la disparition d'une grande figure de notre royaume”, psalmodia la grande prêtresse pendant que Rupert s'installait. “La Reine Douairière Mary de la Maison de Flamberg est partie derrière le masque de la mort, dans les bras de la déesse qui l'attendait. Nous pleurons sa disparition.”

Rupert la pleurait et le chagrin montait en lui pendant que la prêtresse expliquait quel grand souverain sa mère avait été et l'importance du rôle qu'elle avait joué en unifiant le royaume. La vieille prêtresse donna un long sermon sur les vertus des textes sacrés que sa mère avait incarnées puis des hommes et des femmes commencèrent à venir parler de sa grandeur, de sa bonté et de son humilité.

“On dirait qu'ils parlent de quelqu'un d'autre”, murmura Rupert à Angelica.

“C'est la sorte de choses qu'on s'attend à ce qu'ils disent à des funérailles”, répondit-elle.

Rupert secoua la tête. “Non, ça ne va pas. Ça ne va pas.”

Il se leva et alla au fond du temple sans se soucier du fait qu'un seigneur était encore occupé à débiter une longue eulogie sur sa seule rencontre avec la Douairière. L'homme recula quand Rupert approcha et se tut.

“Ce que vous dites tous, c'est n'importe quoi”, dit Rupert d'une voix qui portait facilement. “Vous parlez de ma mère sans la connaître ! Vous dites qu'elle était bonne, gentille et généreuse ? Elle n'était rien de tout ça ! Elle était dure. Elle était impitoyable. Elle pouvait être cruelle.” Il désigna le public d'un revers de la main. “Parmi vous, y a-t-il ne serait-ce qu'une personne qu'elle n'a pas fait souffrir ? Elle m'a fait souffrir bien assez souvent. Elle m'a traité comme si je méritais tout juste d'être son fils.”

Il entendit des murmures courir dans le public. Qu'ils murmurent. Il était leur roi, maintenant. Ce qu'ils pensaient ne comptait pas.

“Pourtant, elle était forte”, dit Rupert. “C'est grâce à elle que vous avez un pays, grâce à elle que les traîtres ont été chassés de ce pays et que leur magie a été éradiquée.”

Une idée lui vint.

“Je serai aussi fort qu'elle. Je ferai ce qu'il faudra faire.”

A grands pas, il alla au cercueil et en souleva la couronne. Il pensa à ce qu'Angelica avait dit sur l'Assemblée des Nobles, comme si Rupert avait besoin de leur permission. Il prit la couronne et se la posa sur la tête sans tenir compte des exclamations des membres de l'assistance.

“Nous enterrerons ma mère comme la personne qu'elle était”, dit Rupert, “sans écouter vos mensonges ! Je suis votre roi et je vous l'ordonne !”

Alors, Angelica se leva, alla vite le rejoindre et lui prit la main. “Rupert, est-ce que ça va ?”

“Je vais bien”, répliqua-t-il. Une autre idée lui vint subitement et il regarda la foule. “Vous connaissez tous Milady d’Angelica”, dit Rupert. “Eh bien, j'ai une annonce à vous faire. Ce soir, je la prendrai comme épouse. Votre présence à tous est requise. Tous ceux qui ne viendront pas seront pendus.”

Cette fois-ci, il n'y aucune exclamation. Peut-être les gens ne pouvaient-ils plus être choqués parce qu'ils avaient dépassé le stade du choc. Rupert avança jusqu'au cercueil.

“Voilà, Mère”, dit-il. “J'ai votre couronne. Je vais me marier et, demain, je vais sauver votre royaume. Est-ce assez pour vous ? Hein ?”

Une partie de Rupert s'attendait à une sorte de réponse, de signe. Il n'y eut rien, rien que le silence de la foule qui l'observait et la culpabilité profonde qui, d'une façon ou d'une autre, le taraudait encore.

Ücretsiz ön izlemeyi tamamladınız.