Kitabı oku: «Une Cour de Voleurs », sayfa 4
CHAPITRE SIX
Elles sortirent Sophia manu militari, la tirèrent alors qu'elle marchait de sa propre volonté. Elle était trop engourdie pour faire autre chose, trop faible pour même penser à se battre. Les sœurs la livraient selon les ordres de son nouveau maître. Elles auraient aussi bien pu l'emballer comme un nouveau chapeau ou une pièce de bœuf.
Quand Sophia vit le chariot, elle essaya de se débattre, mais en vain. C'était un gros véhicule tape-à-l’œil, peint comme le chariot d'un cirque ou d'une troupe d'acteurs. Cela dit, les barreaux qui s'y trouvaient déclaraient ce que c'était : le chariot-prison d'un esclavagiste.
Les sœurs y traînèrent Sophia et ouvrirent de gros verrous situés à l'arrière et auxquels on ne pouvait pas accéder de l'intérieur.
“Une pécheresse comme toi mérite de se retrouver dans un endroit comme celui-là”, dit une des sœurs.
L'autre sœur rit. “Tu la trouves déjà pécheresse ? Attends une année ou deux que tous les hommes aient payé pour se servir d'elle.”
Quand les sœurs ouvrirent brusquement la porte, Sophia aperçut brièvement des silhouettes recroquevillées. Des yeux effrayés se levèrent vers elle et elle vit une demi-douzaine d'autres filles blotties sur le bois dur. Alors, les sœurs la poussèrent à l'intérieur et la firent tomber parmi les autres filles sans qu'elle ait la place de se redresser.
La porte claqua bruyamment, métal contre métal. Le bruit des verrous fut pire, car il proclamait que Sophia était prisonnière et sans ressources dans ce monde de rouille et de fer.
Les autres filles se reculèrent quand elle essaya de trouver de la place. Grâce à son talent, Sophia entendit leur peur. Elles craignaient que Sophia soit quand même violente comme la fille aux yeux noirs assise dans le coin l'avait été, ou qu'elle crie jusqu'à ce que Maître Karg les batte toutes comme cela était arrivé à la fille qui avait des bleus autour de la bouche.
“Je ne vais pas vous faire de mal”, dit Sophia. “Je m'appelle Sophia.”
Des choses qui était peut-être des noms lui furent murmurées dans la pénombre du chariot-prison, trop bas pour que Sophia en entende, à quelques rares exceptions près. Son talent lui permit d'entendre le reste mais, à ce moment-là, elle était trop prisonnière de sa propre misère pour s'en soucier vraiment.
La veille, les choses avaient été si différentes. Elle avait été heureuse. Elle avait été confortablement installée au palais et elle préparait son mariage au lieu d'être enfermée dans une cage. Elle avait été entourée de servantes et d'aides, pas de filles effrayées. Elle avait eu de belles robes, pas des haillons, et elle avait été en sécurité au lieu de ressentir la douleur d'une correction qui s'éternisait.
Elle avait eu la perspective de passer la vie avec Sebastian, pas d'être utilisée par une succession d'hommes.
Elle n'y pouvait rien. Maintenant, elle ne pouvait que rester assise là et regarder par les interstices entre les barreaux pendant que Maître Karg sortait de l'orphelinat avec un sourire satisfait. D'un pas nonchalant, il rejoignit le chariot puis se hissa dans le siège du conducteur avec un grognement d'effort. Sophia entendit claquer un fouet et elle se crispa instinctivement après tout ce que la sœur O’Venn lui avait fait, son corps s'attendant à souffrir alors que le chariot commençait à avancer.
Il roula lentement dans les rues d'Ashton, les roues en bois déstabilisées par les trous entre les pavés. Sophia voyait passer les maisons à peine aussi vite qu'un piéton, car le chariot n'était pas pressé d'arriver à destination. D'une certaine façon, cela aurait pu être une bonne chose mais, dans ces circonstances, cela ressemblait seulement à une façon de prolonger sa misère, de les narguer, elle et les autres, parce qu'elles ne pouvaient pas s'évader du chariot.
Sophia voyait les gens marcher, laisser passer le chariot seulement pour éviter de se faire écraser pour d'autres grands chariots. Quelques-uns jetaient un coup d’œil au véhicule mais ne disaient rien. Ils ne faisaient certainement rien pour l'arrêter ou pour aider les filles qui se trouvaient à l'intérieur. Pour que ce genre de situation ait l'air normal, quelle sorte de ville Ashton pouvait-elle bien être ?
Un gros boulanger s'interrompit pour les regarder passer. Un couple se retira loin des ornières creusées par les pneus. Les mères serraient leurs enfants contre elles ou ces derniers accouraient pour regarder à l'intérieur parce que leurs amis les avaient défiés de le faire. Des hommes regardaient à l'intérieur d'un air pensif, comme s'ils se demandaient s'ils pourraient se permettre une des filles qui s'y trouvaient. Sophia se força à les regarder avec fureur, les défia de croiser le regard avec elle.
Elle aurait voulu que Sebastian soit là. Dans cette ville, personne d'autre ne l'aiderait, mais elle savait que, même après tout ce qui s'était passé, Sebastian ouvrirait brusquement les portes et la ferait sortir, ou du moins, elle l'espérait. Elle avait vu la gêne sur son visage quand il avait découvert qui Sophia était. Peut-être détournerait-il aussi le regard en faisant semblant de ne pas la voir.
Sophia espérait que non parce qu'elle voyait en partie ce qui les attendait, elle et les autres, ce qui l'attendait dans l'esprit de Maître Karg comme un crapaud. Il prévoyait d'aller chercher d'autres filles puis d'aller à un navire qui les emmènerait au-delà de la mer, dans sa ville ne naissance, où il y avait un bordel qui présentait des filles “exotiques” de ce type. Il avait toujours besoin de nouvelles filles parce que les hommes de là-bas payaient cher pour pouvoir faire ce qu'ils voulaient avec les nouvelles arrivantes.
Rien qu'à y penser, Sophia en avait la nausée, même si cela était peut-être aussi provoqué par le roulement constant du chariot. Est-ce que les sœurs savaient à qui elles l'avaient vendue ? Elle connaissait la réponse à cette question : bien sûr qu'elles le savaient. Elles avaient plaisanté sur le sujet et sur le fait que Sophia ne serait plus jamais libre parce qu'elle ne pourrait jamais rembourser la dette qu'elles lui avait imposée.
Cela voulait dire qu'elle serait toute sa vie une esclave sous un autre nom, forcée de faire tout ce que son gros maître parfumé voudrait jusqu'à ce qu'elle ne vaille plus rien pour lui. Ce jour-là, il la laisserait peut-être partir mais seulement parce que c'était plus facile de la laisser mourir de faim que de la garder. Sophia voulait croire qu'elle se suiciderait avant que cela ne lui arrive mais, en vérité, elle obéirait probablement. N'avait-elle pas obéi pendant les années où les sœurs l'avaient maltraitée ?
Le chariot s'arrêta bruyamment mais Sophia n'eut pas la bêtise de croire qu'ils avaient atteint une destination finale de quelque sorte que ce soit. En fait, ils s'étaient arrêtés devant la boutique d'un chapelier et Maître Karg y était entré sans même jeter un coup d’œil à ses filles.
Sophia bondit en avant et essaya de trouver un moyen d'atteindre les verrous qui se trouvaient de l'autre côté des barreaux. Elle tendit le bras par l'un des interstices des flancs du chariot mais il était tout simplement impossible d'atteindre la serrure depuis là où elle était.
“Ne fais pas ça”, dit la fille à la bouche pleine de plaies. “Il te battra s'il te surprend.”
“Il nous battra toutes”, dit une autre.
Sophia se recula mais seulement parce qu'elle voyait que ça ne marcherait pas. Il était inutile de se faire battre sans que ça ait un effet. Il valait mieux qu'elle attende son heure et …
Et quoi ? Sophia avait vu ce qui les attendait dans les pensées de Maître Karg. Elle aurait probablement pu le deviner même sans ressentir la peur qui lui nouait l'estomac. Le chariot de l'esclavagiste n'était pas la pire des choses qui pouvait leur arriver et il fallait que Sophia trouve le moyen de s'enfuir avant que la situation n'empire.
Cela dit, comment ? Sophia n'avait pas de réponse à cette question.
Il y avait d'autres questions auxquelles elle n'avait pas non plus de réponse. Comment les sœurs l'avaient-elles retrouvée en ville alors qu'elle avait réussi à échapper aux chasseurs avant cela ? Comment avaient-elles su quoi chercher ? Plus Sophia y réfléchissait, plus elle était convaincue que quelqu'un avait dû envoyer aux chasseurs des nouvelles de son départ.
Quelqu'un l'avait trahie et cette idée la faisait encore plus souffrir que tous les coups qu'elle avait reçus.
Maître Karg revint en traînant une femme derrière lui. Celle-là avait quelques années de plus que Sophia et on aurait dit qu'elle était déjà liée par contrat synallagmatique depuis quelque temps.
“Je vous en prie”, supplia-t-elle pendant que l'esclavagiste la traînait. “Vous ne pouvez pas faire ça ! Dans quelques mois, j'aurais fini de rembourser mon contrat synallagmatique !”
“Mais tant que tu ne l'as pas payé en totalité, ton maître peut encore le revendre”, dit Maître Karg. Alors, comme après réflexion, il frappa la femme. Personne ne s'interposa pour l'en empêcher. Les gens se contentèrent de regarder.
Ou alors, l'épouse de ton maître peut revendre ce contrat si elle devient jalouse de toi.
Sophia entendit clairement cette pensée et, à ce moment-là, elle comprit l'horreur de la situation grâce à un mélange des pensées de Karg et de la femme. Elle s'appelait Mellis et elle s'était bien débrouillée dans la profession pour laquelle elle avait été liée par contrat synallagmatique. Elle avait été sur le point de regagner sa liberté mais l'épouse du chapelier avait été sûre que son mari allait la quitter pour aller vivre avec la femme liée par contrat synallagmatique dès que cette dernière aurait remboursé sa dette.
Donc, elle l'avait vendue à un homme qui ferait en sorte qu'elle quitte Ashton pour toujours.
C'était une destinée terrible mais cela rappelait aussi à Sophia qu'elle n'était pas la seule à avoir eu une vie difficile. Elle avait été extrêmement absorbée par ce qui s'était passé entre elle et Sebastian à la cour mais, en vérité, toutes les occupantes du chariot avaient probablement leur triste histoire à raconter. Aucune d'elles ne pouvait avoir choisi d'être là.
Et maintenant, aucune d'elles ne pourrait décider de quoi que ce soit dans sa vie.
“Entre”, dit sèchement Maître Karg en jetant la femme au milieu des autres. Dès le moment où la porte s'ouvrit, Sophia essaya de s'avancer mais la porte lui fut brusquement refermée au visage avant qu'elle n'ait pu s'en rapprocher. “On a beaucoup de route à faire.”
Dans les pensées de Karg, Sophia perçut une trace d'itinéraire. Ils allaient se rendre çà et là en ville, récupérer des servantes dont on ne voulait plus et des apprenties qui avaient réussi à mettre leur maître en colère. Ils quitteraient la ville pour se rendre dans les villages des alentours et iraient jusqu'à la ville de Hearth, dans le nord, où un autre orphelinat les attendait. Après cela, il y aurait pour eux un navire amarré au bord du Firemarsh.
C'était un itinéraire qui allait durer au moins deux ou trois jours et Sophia était certaine que les conditions de voyage seraient affreuses. Déjà, le soleil matinal transformait le chariot en lieu de chaleur, de sueur et de désespoir. Quand le soleil atteindrait le zénith, Sophia pensait qu'elle n'arriverait même plus à réfléchir.
“A l'aide !” cria Mellis aux gens de la rue. Elle était visiblement plus courageuse que Sophia. “Vous ne voyez pas ce qui se passe ? Toi, Benna, tu me connais. Fais quelque chose !”
Les gens de la rue continuaient à passer et Sophia voyait que c'était inutile de les appeler à l'aide. Personne ne se souciait d'elles ou, s'ils s'en souciaient, personne n'avait l'impression de pouvoir vraiment faire quoi que ce soit. Ces personnes n'allaient pas enfreindre la loi pour sauver quelques filles liées par contrat synallagmatique qui n'avaient rien de différent de toutes les autres qui avaient été vendues et emmenées hors de la ville au cours des années. Quelques-unes de ces personnes avaient probablement des domestiques ou des apprenties liés par contrat synallagmatique. Il ne suffirait pas de les appeler à l'aide.
Cela dit, Sophia avait une idée qui pourrait peut-être marcher.
“Je sais que vous ne voulez pas intervenir”, cria-t-elle, “mais si vous transmettez un message au Prince Sebastian et si vous lui dites que Sophia est ici, je suis sûre qu'il vous remerciera pour —”
“Assez !” cria le Maître Karg en frappant les barreaux du manche de son fouet de cocher. Cependant, Sophia savait ce qui l'attendait si elle se taisait et elle ne pouvait tout simplement pas l'accepter. Elle s'aperçut que les gens de la rue de cette ville n'étaient peut-être pas ceux auxquels il fallait s'adresser.
“Et vous ?” cria Sophia à Karg. “Vous pourriez m'emmener à Sebastian. Vous ne faites ça que pour l'argent, n'est-ce pas ? Dans ce cas, le prince pourrait facilement vous donner de l'argent pour me racheter et vous auriez le remerciement d'un prince du royaume. Il y a deux jours, il me voulait comme fiancée. Il paierait pour me libérer.”
Elle vit les pensées de Maître Karg pendant qu'il y réfléchissait. Cela lui permit de se reculer à temps quand le manche du fouet frappa à nouveau les barreaux.
“Je pense plutôt qu'il te prendrait sans me verser un seul centime”, dit l'esclavagiste. “A supposer qu'il ait envie de te récupérer. Non, tu me rapporteras de l'argent de la façon la plus sûre. Beaucoup d'hommes auront envie de toi, ma fille. Quand on s'arrêtera, j'essaierai peut-être moi-même.”
Le pire, c'était que Sophia voyait qu'il parlait sérieusement. Pendant que le chariot redémarrait lourdement en direction de la périphérie de la cité, il y pensait vraiment. A l'arrière du chariot, Sophia arrivait tout juste à ne pas penser au moment où cela arriverait. Elle se blottit avec les autres et elle les sentit soulagées de savoir que ce serait Sophia, pas elles, que le gros homme choisirait ce soir.
Kate, supplia-t-elle pour ce qui sembla être la centième fois. Je t'en supplie, j'ai besoin de ton aide.
Comme toutes les autres fois, son message ne reçut aucune réponse. Il s'éloigna dans l'obscurité du monde et Sophia n'eut aucun moyen de savoir s'il avait même atteint la cible qu'elle lui avait attribué. Elle était toute seule et c'était terrifiant parce que, sans aide, Sophia pensait qu'elle ne pourrait rien faire pour empêcher toutes les choses qui allaient arriver ensuite.
CHAPITRE SEPT
Kate s'entraîna jusqu'à ne plus être sûre de pouvoir mourir une fois de plus. Elle s'entraîna avec des épées et des bâtons, tira avec des arcs et lança des poignards. Elle courut et elle sauta, se cacha et tua depuis sa cachette. Tout ce temps-là, elle pensait au cercle d'arbres et à l'épée qui se trouvait en son cœur.
Elle sentait encore la douleur de ses blessures. Siobhan avait pansé les égratignures causées par les plantes épineuses et le trou plus profond avec des herbes médicinales pour l'aider à guérir, mais ces remèdes n'empêchaient pas les blessures de faire souffrir Kate à chaque pas.
“Il faut que tu apprennes à ignorer la douleur”, dit Siobhan. “Rien ne doit te distraire de tes objectifs.”
“Je connais la douleur”, dit Kate. La Maison des Oubliés lui avait au moins appris cela. Certaines fois, cet endroit avait eu l'air incapable de lui apprendre quoi que ce soit d'autre.
“Dans ce cas, il faut que tu apprennes à l'utiliser”, dit Siobhan. “Tu n'auras jamais les pouvoirs de mon espèce mais, si tu peux toucher un esprit, tu peux le distraire, tu peux le calmer.”
Alors, Siobhan invoqua des formes fantomatiques d'animaux : des ours et des chats sauvages tachetés, des loups et des faucons. Ces animaux frappèrent Kate à une vitesse inhumaine avec des griffes aussi redoutables que des épées. De plus, grâce à leurs sens, ces animaux pouvaient retrouver Kate même quand elle se cachait. La seule façon de les chasser, de se cacher, de les engourdir pour qu'elles s’endorment était de parasiter leurs pensées.
Évidemment, Siobhan ne le lui enseigna pas avec patience. Elle se contenta de la regarder se faire tuer à plusieurs reprises jusqu'à ce que Kate acquière les compétences dont elle avait besoin.
Cela dit, Kate apprenait réellement. Lentement, avec la douleur constante de l'échec, elle apprenait les compétences dont elle avait besoin de la même façon qu'elle avait appris à se cacher et à se battre. Elle apprenait à repousser les faucons avec des éclats de pensée et à interrompre sa pensée de façon si rigoureuse que les loups avaient l'impression qu'elle était une chose inanimée. Elle apprenait même à apaiser les ours en les berçant jusqu'à ce qu'ils s'endorment avec l'équivalent mental d'une berceuse.
Tout au long de ce processus, Siobhan la regardait. Elle restait assise sur des branches à côté de son apprentie ou elle la suivait pendant qu'elle courait. Même si elle n'avait jamais l'air de se déplacer à la vitesse de Kate, elle était toujours là quand Kate avait terminé et sortait de derrière les arbres ou des recoins ombrageux des buissons.
“Voudrais-tu réessayer le cercle ?” demanda Siobhan alors que le soleil montait dans le ciel.
Kate fronça les sourcils à cette idée. Elle voulait le faire plus que tout autre chose mais elle sentait aussi la peur qui venait avec. La peur de ce qui pourrait arriver. La peur de souffrir encore.
“Tu crois que je suis prête ?” demanda Kate.
Siobhan ouvrit les mains. “Qui pourrait le dire ?” répliqua-t-elle. “Est-ce que tu crois que tu es prête ? Dans le cercle, on trouve ce qu'on apporte. Quand tu y seras, ne l'oublie pas.”
A un moment ou à un autre, une décision avait été prise sans que Kate s'en soit même rendu compte. Il semblait qu'elle allait réessayer le cercle. Rien qu'à y penser, ses blessures à moitié guéries la faisaient souffrir. Cependant, elle marcha quand même dans la forêt à côté de Siobhan en essayant de se concentrer.
“Toutes les peurs que tu ressens te ralentissent”, dit Siobhan. “Tu es sur une route de violence et, pour y marcher, tu ne dois regarder ni à gauche ni à droite. Tu ne dois pas hésiter, que ce soit par peur, par douleur ou par faiblesse. Il y a ceux qui passent des années immobiles à s'unir aux éléments ou qui se tuent à chercher le mot parfait pour influencer les autres. Sur ton chemin à toi, il faut agir.”
Elles atteignirent le bord du cercle et Kate le regarda. Il était presque vide et ne contenait que l'épée mais Kate savait que cela pouvait changer très vite. Elle traversa les plantes épineuses en rampant. Maintenant qu'elle se glissait entre les plantes et se glissait silencieusement dans le cercle, elle ne les dérangeait plus. Elle se glissa dans le cercle avec toute la discrétion qu'elle avait apprise.
Quand Kate arriva à destination, l'autre version d'elle-même était là. Elle l'attendait l'épée à la main, les yeux fixés sur Kate.
“T'imaginais-tu que tu allais simplement pouvoir t'introduire ici par la ruse et prendre l'épée ?” demanda son double. “Craignais-tu de m'affronter à nouveau, petite fille ?”
Kate avança, sa propre arme prête à frapper. Elle ne dit rien parce que, la dernière fois, parler ne lui avait rien rapporté de bon. De toute façon, elle n'était pas bonne à ça. Sophia se débrouillait mieux qu'elle avec sa langue. Si elle avait été là, elle aurait probablement déjà convaincu la deuxième version d'elle-même de lui donner l'épée.
“Tu t'imagines que le mutisme va te profiter ?” demanda son double. “Est-ce qu'il te rend moins faible ? Moins inutile ?”
Kate frappa en haut et en bas avec son arme sans s'arrêter de la faire bouger.
“Tu t'es entraînée”, dit son double en parant. Elle répliqua et Kate réussit à dévier le coup. “Ça ne suffira pas.”
Elle continua à attaquer et Kate céda du terrain. Elle était obligée de le faire parce que l'autre version d'elle-même était à nouveau tout aussi rapide, tout aussi forte.
“Peu importe combien de temps tu t'entraînes ou si tu deviens plus rapide”, dit son adversaire. “J'aurai tous les mêmes avantages et aucune des faiblesses. Je ne serai pas une petite fille effrayée qui fuit devant la douleur.”
Elle envoya un coup à Kate et Kate réussit tout juste à l'esquiver en partie. L'épée lui taillada une ligne de feu le long des côtes. Kate recula en trébuchant, envoyant un coup large de son épée d'entraînement pour essayer de repousser l'autre version d'elle-même.
“Juste une créature effrayée et faible”, dit son double. “Quel effet cela te fait-il de savoir que tu vas mourir ?”
Kate se força à sourire. “A toi de me le dire.”
Elle continua à attaquer en ignorant la peur et la voix qui lui disait qu'elle n'était pas assez bonne.
“Tu essaies juste de cacher ce que tu es”, dit son double. Pourtant, maintenant, le ton de sa voix semblait avoir moins d'assurance. Quant à ses parades, elles ne venaient plus aussi vite qu'avant.
“Tu penses que j'ai peur ?” demanda Kate. “Tu penses que j'ai mal ? Je vais te montrer ce que ces mots signifient vraiment.”
Alors, elle rassembla toute la douleur qu'elle avait ressentie dans la Maison des Oubliés, toute la peur qu'elle avait ressentie quand elle s'était retrouvée seule à la rue. Elle prit la souffrance de ne pas avoir sa sœur avec elle et la perte de ses parents, le fait qu'elle avait dû quitter Will. Kate prit cette douleur et la comprima pour en faire un boulet de canon d'angoisse puis elle la lança vers son double.
L'autre version d'elle-même recula en titubant et en se tenant la tête. A ce moment, Kate frappa. Comme son épée d'entraînement était seulement en bois, elle n'essaya pas de l'enfoncer dans le cœur de son double ou d'ouvrir une des grandes veines de sa jambe. En fait, elle fit un mouvement brusque vers l'avant en visant la gorge de la pointe de l'épée et le bois frappa sa cible et envoya son double à terre.
“Je ne suis pas faible”, dit Kate en frappant à nouveau. “J'ai survécu !”
L'épée que Will et Thomas avaient forgée tomba de la main de son adversaire. Kate la ramassa et en testa le poids. Son double était allongé là. Elle essayait de prendre l'épée de bois, implorant du regard la pitié de Kate.
Kate la transperça avec l'épée et elle disparut.
Pendant ce qui sembla être une éternité, Kate resta là, respirant avec difficulté, le cœur battant la chamade dans sa poitrine. L'épée qu'elle avait en main avait du sang sur sa lame et Kate l'essuya avec une poignée d'herbe, essayant d'utiliser ce mouvement répétitif pour se calmer. Elle sentait les rainures que formaient les runes qui se trouvaient sur l'épée à chaque fois qu'elle leur passait les doigts dessus, ainsi que quelques traces évanescentes … d'autre chose.
“Tu t’es bien débrouillée”, dit Siobhan, traversant les plantes épineuses qui entouraient le cercle. Elles lui cédèrent le passage comme des courtiers qui laissaient passer une reine en faisant la révérence. “Tu as repoussé les choses qui te retenaient. La peur. La faiblesse. La pitié.”
La dernière chose effrayait un peu Kate. Elle avait transpercé le simulacre de son épée sans même hésiter. Ce double n'avait pas été réel mais il y avait quand même eu du sang sur l'épée. Même si Kate n'avait pas tué de créature réelle, elle avait quand même tué quelque chose. La culpabilité la gagna avec l'inéluctabilité d'une marée montante.
“Tu en parles comme si c'était une bonne chose”, dit Kate.
Siobhan lui mit une main sur l'épaule. “Grâce à ton entraînement, tu es devenue l'arme qu'il fallait que tu sois.”
“Pour quoi ?” demanda Kate. Elle aurait dû deviner qu'il y avait forcément une raison pour que Siobhan l'aide à devenir meilleure combattante. Visiblement, il y avait eu une raison pour que Siobhan lui demande une faveur encore non précisée comme partie du prix à payer pour son aide.
Siobhan ne répondit pas mais soigna les blessures de Kate en appliquant des herbes médicinales fraîches et un baume rafraîchissant aux endroits où elles s'étaient ouvertes.
“Pour quoi ?” répéta Kate.
Siobhan se leva et regarda Kate dans le blanc des yeux. “Il y a des choses qui arrivent, des choses qui menacent les gens comme moi. Tu as vu arriver une armée et tu t'imagines que c'est seulement une guerre de type humain. C'en est une et beaucoup mourront si tu échoues mais c'est plus que ça, beaucoup plus que ça.”
“Comment ça ?” demanda Kate.
“Dans ce monde, il y a des choses qui détruisent tout ce qu'elles touchent”, dit Siobhan. “Ce n'est pas le moment d'en parler.”
Kate ne voulait pas se contenter de si peu. Elle voulait tendre le bras et attraper l'autre femme. Elle voulait exiger de vraies réponses. Elle savait qu'on se servait d'elle; elle voulait juste savoir comment et pourquoi. Elle voulait avoir la sorte de choix qu'on ne lui avait jamais donné dans la Maison des Oubliés. Elle allait forcer l'autre femme à lui répondre s'il le fallait. Elle allait —
Kate ! Au secours !
Quand le son de la voix de Sophia arriva dans son esprit, il l'arrêta comme un marteau. A une autre occasion, elle aurait pu répondre par télépathie ou demander à sa sœur d'attendre. Même maintenant, une partie d'elle-même voulait rester et découvrir ce qui se passait, mais ce qu'elle avait entendu dans le message de sa sœur la laissait perplexe. Elle sentait que Sophia était terrifiée. A sa voix, elle entendait que c'était urgent.
Qu'y a-t-il ? répondit Kate par télépathie. Que se passe-t-il ?
Il n'y eut aucune réponse, rien que les mots originaux qui flottaient dans le vide avec toute leur terreur.
“Je … Il faut que je parte”, dit Kate. “Je peux partir ? Ma sœur est en danger. Je sais que je suis censée rester ici pour être votre apprentie mais —”
Siobhan leva une main pour l'interrompre. “J'ai dit que tu devais être mon apprentie, pas que tu devais rester ici, Kate.”
“Vous me laissez partir ?” Kate en était extrêmement surprise.
Siobhan rit comme elle le faisait toujours pour dire à Kate qu'elle se comportait avec bêtise ou qu'elle n'avait pas compris quelque chose ou qu'elle recommençait à foncer sans réfléchir. Même depuis le peu de temps où elle avait été l'apprentie de la femme de la forêt, elle en était venue à détester ce rire.
“Tu n'as jamais été ma prisonnière”, dit Siobhan. “Tu es libre de prendre tes propres décisions. Il faut seulement que tu saches qu'elles auront des conséquences pour nous tous.”
Kate n'était toujours pas sûre d'avoir compris. “Mais si je suis votre apprentie …”
“Je ne suis pas ton forgeron”, dit Siobhan. “Tu t'imagines que j'ai besoin que tu sois ici pour t'instruire ? Où que tu sois, tu resteras mon apprentie. Les choses progresseront comme elles ont toujours dû progresser.”
Une fois de plus, Kate eut l'impression que quelque chose de plus grand que sa vie se déroulait en arrière-plan. Toutefois, à présent, elle n'avait pas le temps de poser des questions sur tout cela, même s'il y avait eu une chance que Siobhan lui réponde.
“Tu vas aller dans le monde”, dit Siobhan. “Tu vas faire le nécessaire. Tu vas apprendre comme tu as appris ta première leçon, celle qui t'a montré que tu as besoin de ce que j'ai à offrir.”
Kate déglutit à cette idée et en se souvenant du garçon qu'elle avait tué. Il l'avait mérité parce qu'il avait essayé de la ramener de force à l'orphelinat mais, malgré cela, c'était quand même Kate qui avait mis fin à sa vie. Est-ce que toutes les prétendues leçons de Siobhan coûtaient le même prix ?
“Donc, je vais simplement apprendre sur le tas ?” demanda Kate.
“Si j'ai besoin de t'enseigner quelque chose plus directement, ce sera bien assez facile”, dit Siobhan. “Je te convoquerai et tu viendras. Je pourrai même aller te rejoindre si je le décide.”
Cette idée prit Kate un peu par surprise. D'une façon ou d'une autre, elle avait cru que l'autre femme ne pouvait pas quitter la forêt où elle vivait. Cela signifiait aussi autre chose : si Kate ne respectait pas sa part du pacte qui les unissait l'une à l'autre, elle ne pourrait jamais échapper à la sorcière.
“Maintenant”, dit Siobhan, “je vais t'aider à retrouver ta sœur.”
Kate n'avait pas pensé à ça. Sophia devait être de retour quelque part en ville, probablement au palais ou aux alentours, mais elle n'avait aucun moyen de savoir exactement où. Le mieux qu'elle puisse faire était d'appeler sa sœur avec ses pouvoirs et d'espérer qu'elle réponde.
“Vous savez comment faire ?” demanda Kate.
En guise de réponse, Siobhan sortit un poignard pointu comme une aiguille et en perça le pouce de Kate sans tenir compte de sa grimace de douleur. Elle tint le pouce de Kate au-dessus d'un bol jusqu'à ce que le sang s'écoule dedans tout en murmurant des mots tellement bas que Kate ne les comprit pas.
“Le sang appelle le sang”, dit Siobhan, “ou du moins cela fonctionne quelque temps. Si tu te dépêches, ton sang te mènera à ta sœur. Si tu es trop lente, tu en seras réduite à la chercher.”
“Dans ce cas, il va falloir que je me dépêche”, dit Kate.
Elle tendit la main, prit le bol et le tint fermement comme la chose précieuse qu'il était. Elle le garda aussi horizontal que possible mais, malgré cela, des gouttes de sang s'écoulèrent d'un côté du bol. Il suffit à Kate de lever les yeux pour voir que le sang lui indiquait de revenir à Ashton.
“Nous nous reverrons, apprentie”, dit Siobhan. “Pour l'instant, fais ce que tu es censée faire.”
Kate ne savait pas ce qu'elle pensait de ça. Elle ne voulait pas plus être prisonnière de sa destinée que de quelqu'un d'autre. Cela dit, pour l'instant, Siobhan lui avait donné les moyens de trouver sa sœur et Kate comptait en profiter au maximum.
Elle courut en espérant constamment qu'elle arriverait à temps.
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