Kitabı oku: «Vainqueur, Vaincu, Fils », sayfa 3
CHAPITRE SIX
Ceres descendit du petit bateau et passa sur la rive, impressionnée par le fait qu'un endroit comme celui-là puisse exister quelque part sous terre. Elle savait que les pouvoirs des Anciens régnaient ici mais elle ne comprenait pas pourquoi ils gardaient cet endroit. Pourquoi créer un jardin au centre d'un cauchemar ?
Bien sûr, du peu qu'elle avait vu des Anciens, le fait qu'il existe un cauchemar pouvait être une raison suffisante pour l'existence du jardin.
De plus, il y avait le dôme, qui semblait être fait de pure lumière dorée. Ceres s'en rapprocha. S'il y avait une réponse à trouver ici, elle était sûre qu'elle serait quelque part à l'intérieur de ce dôme.
Il y avait une brume légère dans la lumière et, à l'intérieur, Ceres pensa voir deux silhouettes. Elle espéra que ce n'étaient pas d'autres sorciers morts-vivants. Ceres n'était pas sûre qu'elle aurait encore la force d'en affronter.
Quand Ceres essaya d'entrer dans la lumière, elle ne put s'empêcher de se préparer à ressentir une sorte de choc ou de force dont le but aurait été de la repousser. En fait, il n'y eut qu'un moment de pression puis elle traversa la lumière, entra dans le dôme et regarda autour d'elle.
L'endroit ressemblait à l'intérieur d'une pièce opulente avec des couvertures et des divans, des statues et des ornements qui semblaient être suspendus à l'intérieur du dôme. Il y avait aussi autre chose : des objets en verre et des livres qui parlaient de l'art de la sorcellerie.
Deux personnes se tenaient au cœur de la pièce. L'homme dégageait la même grâce et la même paix que Ceres avait vues chez sa mère et il portait les robes pâles qu'elle avait vues dans les souvenirs des Anciens. La femme portait les robes plus sombres d'une sorcière mais, à la différence de ceux d'au-dessus, elle avait l'air encore jeune, pas desséchée par le temps.
En les regardant, Ceres se rendit compte qu'ils avaient aussi l'air légèrement translucide qu'elle avait vu dans les autres parties du complexe, dans les souvenirs qui s'y trouvaient.
“Ils ne sont pas réels”, dit-elle.
L'homme rit en entendant ses paroles. “Tu entends ça, Lin ? Nous ne sommes pas réels.”
La femme tendit la main et lui toucha le bras. “Cette erreur est compréhensible. Après tout ce temps, j'imagine que nous ressemblons à de simples ombres de ce que nous avons été.”
Cette réponse prit Ceres de court. Elle tendit impulsivement le bras vers l'homme. Elle vit sa main lui traverser la poitrine. Elle se rendit compte de ce qu'elle venait de faire.
“Désolée”, dit-elle.
“Ce n'est pas grave”, dit l'homme. “J'imagine que c'est un peu déconcertant.”
“Qu'êtes-vous ?” demanda-t-elle. “J'ai vu les sorciers d'au-dessus et vous n'êtes pas comme eux, et vous n'êtes pas non plus comme les souvenirs, qui ne sont que des images.”
“Nous sommes quelque chose … d'autre”, dit la femme. “Je m'appelle Lin et voici Alteus.”
“Je m'appelle Ceres.”
Ceres remarqua que les deux personnes se tenaient proches l'une de l'autre; Lin gardait une main posée sur l'épaule d'Alteus. Ils ressemblaient tous les deux à un couple très amoureux. Est-ce que Thanos et elle deviendraient comme ça un jour ? Ils seraient probablement moins transparents, tout de même.
“La bataille faisait rage”, dit Alteus, “et nous ne pouvions pas l'arrêter. Ce que les sorciers prévoyaient de faire était maléfique.”
“Certains représentants de ton espèce ne valaient pas mieux”, dit Lin avec un léger sourire comme s'ils avaient déjà eu cette conversation plus d'une fois. “Tout est arrivé si vite. Les Anciens ont emprisonné les sorciers en l'état, leur magie a mêlé le passé à l'avenir et Alteus et moi …”
“Vous êtes devenus autre chose”, termina Ceres. Des souvenirs sensibles. Des fantômes du passé qui pouvaient se toucher l'un l'autre, même si c'était tout ce qu'ils pouvaient faire.
“J'ai l'impression que tu ne t'es pas battue pour échapper à tout ce que tu as trouvé au-dessus que pour entendre notre histoire”, dit Alteus.
Ceres avala sa salive. Elle ne s'était pas attendue à cela. Elle s'était attendue à trouver un objet, peut-être une chose comme le point de connexion qui contrôlait les envoûtements d'au-dessus. Pourtant, l'Ancien qui se tenait devant elle avait raison : elle était venue en ce lieu pour une raison précise.
“J'ai le sang des Anciens”, dit-elle.
Elle vit Alteus hocher la tête. “Je le vois.”
“Mais quelque chose la restreint”, dit Lin, “limite ses pouvoirs.”
“Quelqu'un m'a empoisonnée”, dit Ceres. “Il m'a retiré mes pouvoirs. Ma mère a pu me les restituer quelque temps mais cela n'a pas duré.”
“Le poison de Daskalos”, dit Lin avec une nuance de dégoût.
“Une chose maléfique”, dit Alteus.
“Mais une chose que l'on peut défaire”, ajouta Lin. Elle regarda Ceres. “Si elle est en est digne. Je suis désolée mais c'est beaucoup de pouvoirs pour une seule personne. Nous avons vu les conséquences que cela pouvait avoir.”
“De plus, étant donné ce que nous sommes, il faudrait beaucoup de gens pour le défaire”, dit Alteus.
Lin tendit la main et lui toucha le bras. “Peut-être est-il temps de voir de nouvelles choses. Nous sommes ici depuis des siècles. Même si nous pouvons créer beaucoup de choses, il est peut-être temps de voir ce qui viendra ensuite.”
Quand elle entendit ces paroles, Ceres réfléchit et en comprit peu à peu les implications.
“Attendez ! Si vous me soignez, cela vous tuera ?” Elle secoua la tête mais, à ce moment-là, elle fut interrompue par des pensées de Thanos et de tous les autres habitants d'Haylon. Si elle refusait de se faire soigner, ils mourraient eux aussi. “Je ne sais pas quoi dire”, admit-elle. “Je ne veux pas que quelqu'un meure pour moi mais beaucoup de gens mourront si je m'y oppose.”
Elle vit les deux esprits se regarder l'un l'autre.
“C'est un bon début”, dit Alteus. “Cela signifie qu'il existe une raison pour cela. Dis-nous le reste. Dis-nous tout ce qui t'a menée jusqu'ici.”
Ceres fit de son mieux. Elle expliqua tout ce qu'il y avait à savoir sur la rébellion, sur la guerre, sur l'invasion qui avait suivi et sur son incapacité à l'arrêter. Elle parla aussi de l'attaque menée contre Haylon qui, à l'instant même, mettait en danger tous ceux qu'elle aimait.
“Je comprends”, dit Lin en tendant la main pour toucher Ceres, qui fut surprise de ressentir une pression sur son bras. “Cela me rappelle un peu notre guerre.”
“Le passé se perpétue par échos”, dit Alteus, “mais il y a des échos qui ne peuvent pas être répétés. Il faut que nous sachions si elle le comprend.”
Ceres vit Lin hocher la tête.
“C'est vrai”, dit le fantôme. “Par conséquent, j'ai une question à te poser, Ceres. Voyons si tu comprends. Pourquoi tout cela est-il encore ici ? Pourquoi les sorciers sont-ils piégés comme ça ? Pourquoi les Anciens ne les ont-ils pas détruits ?”
La question ressemblait à une épreuve et Ceres avait l'impression que, si elle ne trouvait pas la bonne réponse, ces deux personnes ne l'aideraient pas. Vu ce qu'elles avaient dit que ça risquait de leur coûter, Ceres était étonnée qu'elles aillent même jusqu'à l'envisager.
“Est-ce que les Anciens auraient pu les détruire ?”, demanda Ceres.
Alteus réfléchit un moment puis hocha la tête. “Ce n'est pas la question. Pense au monde.”
Ceres réfléchit. Elle pensa aux effets de la guerre, aux déserts désolés de Felldust et à la destruction de l'île qui se trouvait au-dessus d'elle, au nombre tellement réduit d'Anciens encore vivants, aux invasions et aux gens qui avaient péri en combattant contre l'Empire.
“Je pense que vous ne les avez pas détruits à cause de ce que cela vous aurait demandé de faire”, dit Ceres. “A quoi bon gagner s'il ne reste plus rien après ?” Cela dit, elle supposait que c'était plus que ça. “J'ai participé à une rébellion. Nous nous sommes battus contre une chose grande et maléfique qui gâchait la vie des gens mais combien de gens sont morts maintenant ? On ne peut rien résoudre en se contentant de massacrer tout le monde.”
Alors, elle vit Lin et Alteus se regarder l'un l'autre. Ils hochèrent la tête.
“Nous avons d'abord toléré la rébellion des sorciers”, dit Alteus. “Nous avons cru qu'elle ne mènerait à rien. Ensuite, elle a grandi et nous l'avons combattue mais, ce faisant, nous avons provoqué autant de dégâts qu'eux. Nous avions le pouvoir de dévaster des paysages entiers et nous l'avons utilisé. Oh, comme nous l'avons utilisé !”
“Tu as vu les choses qui ont été faites à cette île”, dit Lin. “Quand je te guérirai, si je te guéris, tu auras cette sorte de pouvoir. Qu'en feras-tu, Ceres ?”
Il fut un temps, la réponse aurait été simple. Elle aurait renversé l'Empire. Elle aurait détruit les nobles. Maintenant, elle voulait seulement que les gens puissent vivre leur vie heureux et en sécurité; cela ne semblait pas être trop demander.
“Je veux seulement sauver les gens que j'aime”, dit-elle. “Je ne veux détruire personne. Je … Je crains d'être obligée de le faire. Je déteste cette idée. Tout ce que je veux, c'est la paix.”
Même Ceres fut un peu surprise par cela. Elle ne voulait plus de violence. Cette dernière ne devait servir que pour empêcher que des gens innocents se fassent massacrer. Sa réponse lui valut un autre hochement de tête.
“Bonne réponse”, dit Lin. “Viens ici.”
L'ex-sorcière alla au milieu des fioles en verre et des équipements alchimiques qui semblaient exister sous forme d'illusion. Elle y évolua en mélangeant des éléments et en modifiant d'autres choses. Alteus l'accompagna et ils semblèrent tous les deux travailler dans une sorte d'harmonie qui prouvait qu'ils se connaissaient forcément depuis de nombreuses années. Ils versèrent des solutions dans de nouveaux récipients, ajoutèrent des ingrédients, consultèrent des livres.
Ceres resta sur place en les regardant et dut admettre qu'elle ne comprenait pas la moitié de ce qu'ils faisaient. Quand ils se tinrent devant elle avec une fiole en verre, cette fiole lui sembla presque trop petite.
“Bois ça”, dit Lin. Elle tendit la fiole à Ceres et, bien qu'elle ait l'air complètement immatérielle, quand Ceres la prit, sa main rencontra du verre solide. Elle la leva et vit l'éclat du liquide doré qui était le même que celui du dôme qui l'entourait.
Ceres but le liquide et eut la sensation de boire la lumière des étoiles.
Le liquide sembla alors la traverser puis elle sentit sa progression dans la relaxation de ses muscles et l'apaisement de douleurs dont elle n'avait pas soupçonné la présence. Elle sentait aussi quelque chose croître en elle et s'étendre comme un réseau de racines qui lui traversaient le corps comme si les canaux le long desquels son pouvoir courait venaient de repousser.
Quand ce fut fait, Ceres se sentit mieux qu'elle ne s'était sentie depuis la période d'avant l'invasion. Elle avait l'impression qu'une profonde sensation de paix se répandait en elle.
“Est-ce fini ” demanda Ceres.
Alteus et Lin se prirent la main l'un à l'autre.
“Pas tout à fait”, dit Alteus.
Le dôme qui entourait Ceres sembla s'effondrer vers l'intérieur et son contenu disparaître en se transformant en lumière pure. Cette lumière se concentra sur l'endroit où l'Ancien et la Sorcière se tenaient jusqu'à ce que Ceres ne puisse plus les y distinguer.
“Ce sera intéressant de voir ce qui se passera par la suite”, dit Lin. “Au revoir, Ceres.”
La lumière jaillit vers elle, remplit Ceres et courut dans les canaux de son corps comme de l'eau dans des aqueducs récemment bâtis. Elle la remplit sans arrêt et Ceres eut l'impression qu'il y avait en elle plus de pouvoir qu'elle n'en avait jamais connu. Pour la première fois, elle comprit la véritable étendue des pouvoirs des Anciens.
Elle resta sur place, vibrante de force, et comprit que le temps était venu.
Il était temps de faire la guerre.
CHAPITRE SEPT
Jeva sentait la tension croître à chaque pas alors qu'elle se dirigeait vers la salle de réunion. Les gens du lieu de rencontre la regardaient fixement comme elle aurait pu s'attendre à ce que des étrangers regardent un ressortissant de son peuple : comme si elle était quelque chose d'étrange, de différent, sinon même de dangereux. Ce n'était pas une sensation que Jeva appréciait.
Était-ce seulement qu'ils ne voyaient pas beaucoup de gens avec des marques de prêtresse en ce lieu ou était-ce quelque chose d'autre ? Ce ne fut que lorsque les premières insultes et accusations vinrent de la foule grandissante que Jeva commença à comprendre.
“Traîtresse !”
“Tu as emmené ta tribu au massacre !”
Un jeune homme sortit de la foule avec la démarche arrogante que seuls les jeunes hommes pouvaient avoir. Il avançait vers la maison de la mort comme s'il possédait le chemin qui y menait. Quand Jeva voulut le contourner, il la bloqua.
Jeva aurait dû le frapper rien que pour cela mais elle était venue faire plus important que ça.
“Sors-toi”, dit-elle. “Je ne suis pas ici pour me battre.”
“As-tu complètement oublié les coutumes de notre peuple ?” demanda-t-il. “Tu as emmené ta tribu se faire tuer à Delos. Combien en sont revenus ?”
Jeva entendait sa colère, la sorte de colère que même ses compatriotes ressentaient quand ils perdaient un proche. Leur dire que le proche en question avait rejoint les ancêtres et qu'ils devraient en être heureux n'arrangerait rien. De toute façon, Jeva n'était même plus sûre d'y croire elle-même. Elle avait vu l'inutilité des morts provoquées par la guerre.
“Mais toi, tu es revenue”, dit le jeune homme. “Tu as détruit une de nos tribus et tu es revenue, lâche !”
Un autre jour, Jeva l'aurait tué pour une telle insolence mais, en vérité, les divagations d'un idiot ne comptaient pas dans le contexte de tout ce qui se passait. Elle essaya à nouveau de le contourner.
Jeva s'arrêta quand il tira un couteau.
“Tu ne devrais pas faire ça, mon garçon”, dit-elle.
“Ne me dis pas ce que je dois faire !” hurla-t-il avant de lui bondir dessus.
Jeva réagit par instinct et s'écarta de la trajectoire du coup en frappant de ses chaînes à lames. L'une d'elles s'enroula autour du cou du garçon et tira dessus alors qu'elle bougeait à une vitesse qu'elle avait longtemps travaillée. Le sang jaillit quand le jeune homme tenta de toucher sa blessure et tomba à genoux.
“Sois maudit”, dit Jeva à voix basse. “Pourquoi m'as-tu forcée à le faire, idiot ?”
Il n'y eut évidemment aucune réponse. Il n'y avait jamais de réponse. Jeva murmura les mots d'une prière pour les morts penchée par-dessus le jeune homme puis se releva et le souleva. D'autres villageois la suivirent alors qu'elle poursuivait sa route et, maintenant, Jeva sentait la tension là où, auparavant, il n'y avait eu que des plaisanteries. Ils la suivaient de près comme une garde d'honneur ou comme l'escorte d'une prisonnière que l'on emmenait à son exécution.
Quand elle atteignit la Maison des Morts, les anciens du village l'attendaient déjà. Jeva entra pieds nus, s'agenouilla devant le bûcher qui brûlait éternellement et y fit tomber le corps de son assaillant. Quand il se mit à brûler, elle se tourna vers les gens qu'elle était venue convaincre.
“Tu viens ici avec du sang sur les mains”, dit un Messager des Morts dont les robes tourbillonnaient alors qu'il avançait. “Les morts nous ont dit que quelqu'un viendrait mais pas que cela arriverait comme ça.”
Jeva le regarda en se demandant si c'était vrai. A une époque maintenant révolue, elle n'en aurait pas douté.
“Il m'a attaquée”, dit Jeva. “Il n'était pas aussi rapide qu'il le croyait.”
Les autres personnes présentes hochèrent la tête. De telles choses pouvaient arriver dans ces régions, qui étaient les plus dures du monde. Jeva se força à avoir l'air impassible de façon à ne pas montrer la culpabilité qu'elle ressentait.
“Tu es venue nous demander quelque chose”, dit le Messager.
Jeva hocha la tête. “Oui.”
“Alors, demande.”
Jeva réfléchit pour rassembler ses pensées. “Je demande de l'aide pour l'île de Haylon. Une grande flotte l'attaque conformément aux ordres de la Première Pierre. Je pense que notre peuple peut faire la différence.”
Alors, des voix s'élevèrent, parlant toutes en même temps. Il y avait des questions et des exigences, des accusations et des opinions et elles semblaient toutes se mélanger.
“Elle veut qu'on aille mourir pour elle.”
“On a déjà entendu ce discours !”
“Pourquoi se battre pour des gens qu'on ne connaît pas ?”
Jeva attendit, indifférente à tous ces arguments. Si la discussion tournait mal, elle aurait toutes les chances de ne pas ressortir vivante de cette pièce. Vu qui elle était, elle aurait dû avoir une sensation de paix à cette idée mais elle se surprit aussi à penser à Thanos, qui l'avait sauvée au risque de sa vie, et à tous les gens qui étaient coincés sur Haylon. Ils avaient besoin qu'elle réussisse.
“On devrait la donner en offrande aux morts pour tout ce qu'elle a fait !” cria l'un d'eux.
Alors, le Messager des Morts s'approcha de Jeva en levant les mains pour obtenir le silence.
“Nous savons ce que notre sœur nous demande”, dit le Messager. “Maintenant, ce n'est pas le moment de parler. Nous ne sommes que les vivants. Maintenant, il est temps d'écouter les morts.”
Il tendit la main vers sa ceinture et en tira une bourse remplie des poudres sacrées mêlées aux cendres des ancêtres. Il jeta la bourse dans le bûcher et les flammes jaillirent.
“Respire, ma sœur”, dit le Messager. “Respire et vois.”
Jeva inhala la fumée jusqu'au plus profond de ses poumons. Les flammes dansèrent dans la fosse au-dessous d'elle et, pour la première fois en des années, Jeva vit les morts.
Cela commença par l'esprit de l'homme qu'elle avait tué. Il se dégagea de son cadavre en combustion et traversa les flammes pour la rejoindre.
“Tu m'as tué”, dit-il avec ce qui semblait être du choc. “Tu m'as tué !”
Alors, il la frappa et, alors que les morts n'auraient pas dû pouvoir toucher les vivants, Jeva sentit quand même le coup avec autant de certitude que s'il l'avait giflée de son vivant. Il la frappa puis recula en la regardant avec l'air d'attendre quelque chose.
Alors, les autres morts vinrent à Jeva et ils ne furent pas plus aimables que le jeune homme qu'elle avait tué. Ils étaient tous là : les gens qu'elle avait tués de ses propres mains, ceux qu'elle avait mené à la mort sur Haylon. Ils vinrent la retrouver un par un et, un par un, ils frappèrent Jeva, lui envoyant des coups qui la firent tituber, l'épuisèrent, la réduisirent à une chose qui se recroquevillait par terre.
Cela sembla durer une éternité. Finalement, ils s'éloignèrent de Jeva, qui put relever les yeux. Elle eut la surprise de voir Haylon, l'île entourée par les navires, la bataille qui faisait rage.
Elle vit les navires du Peuple des Os foncer dans ceux de leurs attaquants, les transpercer et leurs guerriers se répandre sur la côte. Elle les vit se battre, tuer et mourir. Jeva en vit mourir un nombre qu'elle n'avait déjà vu qu'une fois, à Delos.
“Si tu les emmènes à Haylon, ils mourront”, dit une voix qui semblait être composée des voix de mille ancêtres à la fois. “Ils mourront comme nous sommes morts.”
“Est-ce qu'ils gagneront ?” demanda Jeva.
Il y eut un bref silence puis la voix répondit. “Il est possible de sauver l'île.”
Donc, ce ne serait pas un geste dénué de sens. Ce ne serait pas la même chose qu'à Delos.
“Ce sera la fin de notre peuple”, dit la voix. “Certains survivront mais pas nos tribus. Notre culture disparaîtra. Beaucoup d'autres nous rejoindront et t'attendront dans la mort.”
Ces paroles firent brusquement peur à Jeva. Elle avait senti la colère de ceux qui avaient péri, senti leurs coups. Le jeu en valait-il la chandelle ? Pouvait-elle faire ça à tout son peuple ?
“Et tu mourrais”, continua la voix. “Si tu l'annonces à notre peuple, il te tuera.”
Lentement, Jeva sentit qu'elle revenait à elle-même. Elle se retrouva sur le plancher situé devant le bûcher. Jeva mit une main au visage et vit sa main se couvrir de sang, bien qu'elle ne sache pas s'il s'agissait de l'effort occasionné par la vision ou de la violence des morts. Elle se força à se relever et contempla la foule assemblée.
“Dis-nous ce que tu as vu, ma sœur”, dit le Messager des Morts.
Jeva resta à le regarder, essayant de jauger combien il en avait vu, s'il avait vu quelque chose. Pouvait-elle mentir à ce moment-là ? Pouvait-elle dire aux personnes assemblées que les morts soutenaient tous le plan ?
Jeva savait qu'elle ne pouvait pas mentir comme ça, même pour Thanos.
“J'ai vu la mort”, dit-elle. “Votre mort, ma mort. La mort de tout notre peuple si nous partons à la guerre.”
Un murmure s'éleva partout dans la pièce. Son peuple ne craignait pas la mort mais la destruction de tout leur mode de vie était une chose différente.
“Vous m'avez demandé de parler pour les morts”, dit Jeva, “et ils ont dit que, à Haylon, nous pourrions remporter la victoire en sacrifiant notre peuple.” Elle inspira et pensa à ce que Thanos aurait fait. “Je ne veux pas parler pour les morts. Je veux parler pour les vivants.”
Les murmures changèrent de ton et devinrent plus confus. A quelques endroits de la pièce, ils devinrent aussi plus colériques.
“Je sais ce que vous pensez”, dit Jeva. “Vous pensez que je commets un sacrilège. Cela dit, il y a une île pleine de gens qui attendent notre aide. J'ai vu les morts et ils m'ont maudite pour leur décès. Savez-vous ce que cela nous révèle ? Que la vie compte ! Que la vie de tous ceux qui mourront si nous ne les aidons pas compte. Si nous ne les aidons pas, nous laisserons le mal se répandre. Nous permettrons que ceux qui voudraient vivre en paix se fassent massacrer. Je compte m'y opposer, pas parce que les morts l'exigent mais parce que les vivants l'exigent !”
Alors, il y eut du vacarme dans la salle. Le Messager des Morts les regarda tous puis se tourna vers Jeva. Il la poussa vers la porte.
“Tu devrais partir”, dit-il. “Pars avant qu'ils te tuent pour blasphème.”
Pourtant, Jeva ne partit pas. Les morts lui avaient déjà dit qu'elle mourrait si elle faisait ça. Si c'était le prix à payer pour obtenir de l'aide, elle le paierait. Elle resta sur place comme un point de silence au centre des disputes qui émaillaient la pièce. Quand un homme courut vers elle, elle le repoussa d'un coup de pied et resta debout. A ce stade, c'était tout ce qu'elle pouvait faire. Elle attendit le moment où l'un d'eux finirait par la tuer.
Jeva fut très surprise quand ils ne le firent pas. En fait, le bruit ambiant diminua jusqu'à disparaître et les gens présents se tinrent devant elle en la regardant. Un par un, ils se mirent à genoux et le Messager des Morts s'avança.
“On dirait qu'on va t'accompagner à Haylon, ma sœur.”
Jeva clignota des yeux. “Je … ne comprends pas.”
Elle aurait dû être morte, à ce stade. Les morts lui avaient dit que c'était le sacrifice qu'ils voulaient.
“As-tu complètement oublié nos coutumes ?” dit le prêtre. “Tu nous as offert une mort digne de ce nom. Pourquoi protesterions-nous ?”
Alors, Jeva tomba à genoux avec les autres. Elle ne savait pas quoi dire. Elle s'était attendue à mourir et avait en fait survécu. Maintenant, il fallait juste qu'elle fasse en sorte que cela compte pour quelque chose.
“Nous arrivons, Thanos”, promit-elle.
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