Kitabı oku: «Derniers essais de littérature et d'esthétique: août 1887-1890», sayfa 11
Il est ennuyeux, mais présentement les livres ennuyeux sont très en vogue, et comme l'on commence à se lasser un peu de parler de Robert Elsmere, on se mettra sans doute à discuter Les Deux Chefs de Dunboy52.
Il en est qui feront un accueil empressé à l'idée de résoudre la question irlandaise par la destruction du peuple irlandais.
D'autres se rappelleront que l'Irlande a élargi ses frontières, et que nous avons à compter avec elle, non seulement dans l'Ancien Monde, mais encore dans le Nouveau.
Le Nouveau roman de Ouida 53
Ouida clôt la liste des romantiques.
Elle appartient à l'école de Bulwer Lytton ou de George Sand, bien qu'il lui manque l'érudition de l'un et la sincérité de l'autre.
Elle s'efforce de faire entrer la passion, l'imagination et la poésie dans le domaine de la fiction.
Elle croit encore aux héros et aux héroïnes. Elle est fleurie, et fervente, et pleine de fantaisie.
Et pourtant elle aussi, la grande-prêtresse de l'impossible, subit l'influence de son siècle.
Son dernier livre, Guilderoy, ainsi qu'elle l'intitule, est une étude psychologique approfondie de tempéraments modernes.
Pour elle, c'est du réalisme, et elle a certainement pris une forte proportion du ton et du caractère de la société contemporaine.
Ses personnages se meuvent avec aisance, avec grâce, avec indolence.
On peut donner ce livre pour une étude de la pairie à un point de vue poétique.
Ceux qui en ont assez des jeunes clergymen médiocres, affligés de doutes, ou des jeunes dames sérieuses qui ont des missions, ou des banales têtes de cire de la plupart des romans anglais de nos jours, trouveront plaisir, sinon profit, à lire cet étonnant roman.
C'est un magnifique portrait de notre aristocratie. Rien n'a été épargné. Il n'en coûte que la somme relativement faible de une livre onze shillings pour être présenté à la meilleure société.
Les figures centrales sont exagérées, mais le fond est admirable.
Malgré qu'on en ait, cela vous donne une sensation comme celle de la vie.
Quel est le récit? Eh bien, nous devons avouer qu'il nous est venu un léger soupçon d'avoir déjà entendu Ouida nous le faire.
Lord Guilderoy, «dont le nom était aussi ancien que les temps de Knut» s'éprend follement d'amour, ou se figure qu'il s'éprend follement d'amour, pour une Perdita champêtre, une Artémis provinciale, qui a «une figure à la Gainsborough, avec de grands yeux interrogateurs, et une chevelure châtain clair en désordre».
Elle est pauvre, mais bien née, car elle est la fille unique de M. Vernon de Llanarth, singulier ermite, à moitié pédant, à moitié donquichottesque.
Guilderoy l'épouse, et ennuyé de la trouver si timide, si embarrassée pour se faire comprendre, si peu au fait de la vie fashionable, il revient à ses premières amours, une merveilleuse créature, qui se nomme la Duchesse de Soria.
Lady Guilderoy se gèle, la Duchesse s'embrase.
A la fin du livre, Guilderoy est un objet de pitié.
Il lui faut accepter le pardon d'une femme, et l'oubli de l'autre.
Il est foncièrement faible, dépourvu de toute valeur, et c'est le personnage le plus attrayant de tout le récit.
Il y figure en outre sa sœur Lady Sunbury, qui est très désireuse de voir Guilderoy se marier, et est parfaitement résolue à détester sa femme.
C'est réellement une figure très bien posée.
Ouida la décrit comme une «de ces femmes d'une admirable vertu qui détournèrent les hommes, plus sûrement que les sirènes les plus méchantes, des sentiers de la vertu.»
Elle s'irrite, elle s'aliène ses enfants, elle met en fureur son mari.
– Vous avez parfaitement raison. Je sais que vous avez toujours raison, mais c'est justement là ce qui vous rend si infernalement odieuse! dit un jour Lord Sunbury, dans un accès de rage, en sa propre maison, avec des éclats d'une voix de Stentor tels que des passants de Grosvenor-Street levaient les yeux vers ses fenêtres ouvertes, et qu'un balayeur dit à un marchand d'allumettes: «Ma foi, je crois qu'il est en train d'en conter de belles à la vieille».
Le caractère le plus noble du livre est celui de Lord Aubrey. Comme il n'a pas de génie, il se conduit, ainsi qu'il est naturel, d'une manière admirable en toute circonstance.
On le voit d'abord prenant en pitié Lady Guilderoy laissée à l'abandon et finissant par l'aimer. Mais il fait le grand renoncement, ce qui produit un effet considérable, et après avoir décidé Lady Guilderoy à accueillir de nouveau son mari, il accepte une «Vice Royauté distante et ardue».
Il est pour Ouida l'idéal du véritable homme politique, car apparemment Ouida s'est mise à étudier la politique anglaise.
Elle a consacré une bonne partie de son livre à des thèses politiques. Elle croit que les gouvernants qui conviennent à un pays comme le nôtre sont les aristocrates.
L'oligarchie est pour elle pleine d'attraits.
Elle a de vilaines idées du peuple; elle adore la Chambre des Lords et Lord Salisbury.
Voici quelques-unes de ses vues; nous ne les appellerons pas ses idées:
«La Chambre des Lords ne demande rien à la Nation: elle est donc la seule tutrice sincère et désintéressée des besoins et des ressources du peuple. Elle ne s'est jamais mise en travers du véritable désir du pays. Elle s'est simplement placée entre le pays et ses sottises impétueuses et passagères.
»Une démocratie ne saurait comprendre l'honneur. Comment le comprendrait-elle? Le Caucus54 est principalement composé de gens qui mettent du sable dans le sucre, de l'alun dans le pain, forgent des baïonnettes et des solives métalliques qui ploient comme des brins d'osier, envoient dans l'Inde du mauvais calicot, et assurent au Lloyd des navires qu'ils savent destinés couler, au bout de dix jours de navigation.
»Lord Salisbury a été souvent accusé d'arrogance. On n'a jamais vu que cette prétendue arrogance était la conscience naturelle, sincère, d'un grand patricien certain d'être plus capable de diriger le pays que la plupart des gens qui le composent.
»La démocratie, après avoir rendu toutes choses hideuses et insupportables au plus haut degré pour tout le monde, finit toujours par se pendre aux basques d'un général victorieux.
»Le politicien, qui a réussi, peut être honnête, mais son honnêteté est tout au plus de qualité douteuse. Dès le jour où une chose devient un métier, il est parfaitement absurde de parler de désintéressement à propos de sa pratique. Pour le politicien professionnel, les affaires de la nation sont une manufacture, à laquelle il consacre son audace et son temps, et de laquelle il espère tirer sa vie durant, un certain tant pour cent.
»Il existe une tendance trop marquée à gouverner le monde par le tapage.»
Les aphorismes de Ouida sur les femmes, l'amour, la société moderne, sont un peu plus caractérisés.
»Les femmes parlent comme si on pouvait à son gré faire du cœur une pierre ou un bain.
»La moitié des passions des hommes ont une fin prématurée, parce qu'on s'attend à ce qu'elles soient éternelles.
»Ce qui fait le charme de la vie, c'est sa folie.
»Qu'est-ce qui cause la moitié des souffrances des femmes? C'est que leur amour est autrement tendre que celui de l'homme. Ce dernier prend de la force à mesure que le premier s'affaiblit.
»Pour supporter longtemps la campagne, en Angleterre, il faut avoir la rusticité d'esprit de Wordsworth, avec des bottes et des bas tout aussi grossiers.
»C'est parce que bien des gens sentent la nécessité de s'expliquer qu'ils arrivent à prendre l'habitude de dire ce qui n'est point vrai. La femme avisée ne s'obstine jamais à donner une explication.
»L'amour peut faire de son univers une solitude à deux, le mariage ne le peut pas.
»Monogame de nom, toute société cultivée est polygame; souvent même polyandrique.
»Les moralistes disent qu'une âme devrait résister à la passion. Ils pourraient aussi bien dire qu'une maison devrait résister à un tremblement de terre.
»Le monde entier est en ce moment même à genoux devant les classes pauvres. On prend pour accordé qu'elles possèdent toutes les vertus cardinales, et que la propriété de tout genre est seule coupable.
»En général, les hommes ne prennent point en pitié les larmes des femmes, et quand c'est une femme de leur entourage qui pleure, ils se bornent à sortir, en fermant la porte avec fracas.
»Les hommes croient toujours les femmes injustes à leur égard, quand elles omettent de déifier leurs faiblesses.
»Jamais passion, une fois rompue, ne supportera le renouvellement.
»Le sentiment perd sa force et sa délicatesse, quand nous le regardons trop souvent au microscope.
»Tout ce qui n'est pas flatterie paraît injustice à la femme.
»Quand la société s'aperçoit que vous la prenez pour une bande d'oies, elle se venge en sifflant à grand bruit derrière votre dos.»
Pour des descriptions de paysage et d'art, nous les trouvons naturellement en grand nombre, et il est impossible de méconnaître la touche d'Ouida dans ce qui suit:
»C'était un vieux palais, haut, spacieux, magnifique et morne. Des bustes de marbre terni, jauni, des bronzes étranges allongeant des bras maigres dans l'obscurité, des ivoires brunis par le temps, des brocards usés où brillaient des fils d'or, des tapisseries aux figures singulières et pâlies de divinités mortes, s'entrevoyaient dans un demi-jour de crépuscule. Et comme il allait et venait parmi ces choses, une figure qui semblait presque aussi pâle que l'Adonis de la tapisserie, debout, immobile comme la statue de l'amour blessé, se détacha de l'ombre devant son regard. C'était celle de Gladys.
Le style est plein d'exagération, d'une emphase outrée, mais il possède quelques remarquables qualités de rhétorique et une bonne proportion de coloris.
Ouida aime à montrer un léger vernis de culture, mais elle a en propre une certaine pénétration, et bien qu'elle soit rarement vraie, elle n'est jamais ennuyeuse.
Guilderoy, malgré ses défauts, qui sont grands, et ses absurdités, qui sont plus grandes encore, est un livre à lire.
Un roman par un liseur de pensée 55
On pourrait dire bien des choses en faveur du système qui consiste à lire un roman à rebours.
En général, la dernière page est la plus intéressante, et lorsqu'on commence par la catastrophe, ou le dénouement, on se sent en termes agréables de familiarité avec l'auteur.
C'est comme si on allait dans les coulisses d'un théâtre. On n'est plus mis dedans, et quand il s'en faut de l'épaisseur d'un cheveu que le héros ne périsse, quand l'héroïne est dans les transes les plus angoissantes, cela vous laisse parfaitement froid.
On connaît le secret jalousement gardé, et on peut se permettre de sourire on voyant l'anxiété tout à fait superflue que les marionnettes de la pièce croient de leur devoir de témoigner.
Dans le cas du roman de M. Stuart Cumberland, l'Insondable profondeur, ainsi qu'il l'intitule, la dernière page donne un vrai frisson, et nous rend curieux d'en savoir plus sur Brown, le médium.
Scène: une chambre capitonnée dans une maison de fous, aux États-Unis.
Un aliéné énonce des propos sans suite; en se lançant avec fureur à travers la pièce, à la poursuite de formes invisibles.
– Celui-ci, c'est notre cas le plus marqué, dit un médecin en ouvrant la porte de la cellule à l'un des inspecteurs des aliénés. Il était médecin, et il est continuellement hanté par les créations de son imagination. Nous avons à le surveiller de près, car il manifeste des tendances au suicide.
Le fou se jette sur les visiteurs pendant qu'ils battent en retraite, et la porte se fermant sur lui, il se laisse tomber sur le sol avec un hurlement.
Une semaine après, le cadavre de Brown le médium est découvert, pendu au bec de gaz de sa cellule.
Comme on voit tout avec clarté! Quelle force, quelle netteté dans le style! Et quel air de réalisme dans cette simple mention d'un «bec de gaz».
Certes, l'Insondable profondeur est un livre à lire.
Et nous l'avons lu, et même avec grande attention.
Bien que l'autobiographie y tienne une grande place, ce n'en est pas moins une œuvre de fiction, et quoi que la plupart d'entre nous soient d'avis qu'elle ne servira guère à démasquer ce qui est déjà démasqué, et à révéler les secrets de Polichinelle, il y aura sans doute bien des gens qui apprendront avec intérêt les trucs et les supercheries d'ingénieux médiums avec leurs masques de gaze, leurs baguettes télescopiques, leurs invisibles fils de soie, avec les étonnants coups qu'ils savent produire par le simple déplacement du muscle long-péronier.
Le livre débute autour du lit de mort de l'Alderman Parkinson.
Le Docteur Josiah Brown, éminent médium, lui donne ses soins et s'évertue à réconforter le brave négociant par la production de coups secs dans le bois de lit.
Mais M. Parkinson, qui désire vivement revenir auprès de Mistress Parkinson, après sa mort, sous une forme matérialisée, ne se tient pour satisfait qu'après avoir obtenu de sa femme la promesse solennelle de ne point se remarier, car à ses yeux, un mariage serait de la vraie bigamie. Après avoir reçu d'elle cette promesse formelle, M. Parkinson meurt, et son âme, au dire du médium, est escortée jusqu'aux sphères par une «troupe d'anges en robes blanches». Tel est le prologue.
Le chapitre suivant a pour titre «Cinq ans après.»
Violette Parkinson, fille unique de l'Alderman, aime Jack Alston, qui est «pauvre, mais intelligent». Mistress Parkinson ne veut pas entendre parler de mariage jusqu'au jour où feu l'Alderman se sera matérialisé et aura donné son consentement formel.
Une séance a lieu, où Jack Alston démasque le médium et fait voir l'imposture du Docteur Brown: ce qui est une sottise de sa part. En effet, il est chassé de la maison par Mistress Parkinson, furieuse, dont la confiance envers le docteur n'est pas le moins du monde ébranlée par cette malencontreuse révélation.
Voilà donc les amants séparés.
Jack s'embarque pour Terre-Neuve, fait naufrage, et est soigné avec attention, peut-être avec trop d'attention, par La-Ki-Wa, ou l'Étoile Brillante, jeune et charmante Indienne qui appartient à la tribu des Micmacs.
C'est une créature enchanteresse, qui porte un «collier fait de treize pépites d'or pur», une couverture de fabrication anglaise, et des pantalons de cuir tanné. En somme, ainsi que le fait remarquer M. Cumberland, elle a l'air d'être la «personnification de l'aube fraîche emperlée de rosée.»
Lorsque Jack, revenant à lui, la voit, il lui demande naturellement qui elle est.
Elle répond, en ce langage simple que nous a fait aimer Fenimore Cooper:
– Je suis La-Ki-Wa; je suis la fille unique de mon père, le Grand Pin, chef des Dildoos.
Elle parle très bien l'anglais, et M. Cumberland nous en informe.
Jack lui confie aussitôt le télégramme suivant, qu'il écrit au verso d'un billet de cinq livres: «Miss Violette Parkinson, Hôtel Kronprins, Franzensbad, Autriche. – Sauvé – Jack.»
Mais La-Ki-Wa, chose fâcheuse à dire, se tient ce langage: «Le Blanc appartient à Grand-Pin, aux Dildoos, et à moi» et n'a garde d'envoyer le télégramme.
Par la suite, La-Ki-Wa offre sa main à Jack, qui la refuse et, avec la dureté de cœur qui est le propre des hommes, lui offre une affection fraternelle.
La-Ki-Wa regrette naturellement d'avoir prématurément laissé voir sa passion, et elle pleure:
– Mon frère, fait-elle, va croire que j'ai le cœur timide d'un daim avec la voix pleurante d'une papoose. Moi, la fille du Grand-Pin… Moi, une Micmac, montrer la peine que j'ai au cœur! O mon frère, j'en suis confuse.
Jack la réconforte avec les vains sophismes d'un être civilisé et lui fait présent de sa photographie.
Pendant qu'il se rend au steamer, il reçoit de Gros Daim un morceau salé d'une enveloppe de biscuit.
La-Ki-Wa y a écrit l'aveu de sa conduite coupable à propos du télégramme:
«Il eut, nous dit M. Cumberland, des idées très amères au sujet de La-Ki-Wa, mais elles s'adoucirent par degrés, quand il se fut souvenu de ce qu'il lui devait.»
Tout finit heureusement.
Jack arrive en Angleterre juste assez à temps pour empêcher le Docteur Josiah Brown de magnétiser Violette, que l'intrigant docteur voudrait bien épouser, et il jette son rival par la fenêtre.
La victime est retrouvée «contusionnée et couverte de sang parmi les débris des pots à fleurs» par un policeman comique.
Mistress Parkinson garde la foi au spiritisme, mais elle ne veut plus entendre parler de Brown, après avoir découvert que la «barbe matérialisée» de feu l'Alderman était en «horrible, en grossier crin de cheval.»
Jack et Violette s'épousent enfin et Jack est assez cynique pour envoyer à «La-Ki-Wa» une autre photographie.
Quant à la fin du docteur, elle a été rapportée ci-dessus.
Si nous avions ignoré ce qui l'attendait, nous n'aurions pas été sans peine jusqu'au bout du livre.
Il y a trop, beaucoup trop de rembourrage à propos du Docteur Slade, et du Docteur Bartram, et autres médiums.
Les considérations sur l'avenir commercial de Terre-Neuve paraissent n'en pas finir. Elles sont insupportables.
Toutefois, il y a plus d'une sorte de public, et M. Stuart Cumberland est toujours assuré d'un auditoire.
Son défaut principal est la tendance au bas comique, mais il est des gens qui goûtent le bas comique dans la fiction.
Le dernier volume de M. Swinburne. 56
M. Swinburne mit jadis en feu ses contemporains par un volume de très parfaite et très vénéneuse poésie.
Puis, il devint révolutionnaire et panthéiste, et prit à partie les gens qui occupent de hautes situations tant au ciel que sur terre.
Ensuite il inventa Marie Stuart et nous fit supporter le poids accablant de Bothwell.
Par la suite, il se retira dans la chambre d'enfants et écrivit sur les enfants des poésies caractérisées par un excès de subtilité.
Présentement il est tout à fait patriote et s'arrange pour combiner, avec son patriotisme, une grande sympathie pour le parti tory.
Il a toujours été un grand poète. Mais il a ses limites, dont la principale a ceci de particulièrement curieux, qu'elle consiste dans l'absence totale de tout sentiment de la limite.
Ses chants sont presque toujours trop sonores pour son sujet.
Sa magnifique rhétorique, nulle part plus magnifique que dans le volume que nous avons en ce moment sous les yeux, cache plutôt qu'elle ne révèle.
On a dit de lui, et avec grande vérité, qu'il est un maître du langage, mais on peut dire avec plus de vérité encore que le langage est son maître.
Il semble que les mots le dominent.
L'allitération le tyrannise.
Le son pur règne souvent sur lui.
Il est si éloquent que tout ce qu'il touche devient irréel.
Prenons la pièce sur l'Armada:
«Les ailes du vent du Sud-Ouest s'élargissent, le souffle de ses lèvres ardentes. Plus tranchant que le fil d'une épée, plus brûlant que le feu, tombe en plein sur les navires qui plongent. C'est lui le pilote de la fuite vers le nord, lui leur homme et l'homme de la barre: un homme de barre vêtu de la tempête, ceint de force pour contraindre la mer. Et l'armée qu'ils forment, tremble, et frissonne dans la rude étreinte de sa main comme un oiseau sous les filets. Car la fureur et la joie qui le possèdent sont plus puissantes que celle de l'homme qu'il égorge et dépouille. Et vainement, le cœur coupé en deux, avec l'effort d'une volonté indécise, le chef de leur armée tient conseil avec l'espoir se demandant si l'étoile favorable brille encore.
Nous avons déjà entendu cela sous une forme ou sous une autre.
Cela vient-il de ce que parmi tous les poètes qui ont jamais vécu, M. Swinburne est le plus limité dans ses images?
Il faut reconnaître qu'il en est ainsi.
Il nous a lassés par sa monotonie: Feu et Mer, voilà les deux mots qu'il a toujours sur les lèvres.
Nous devons aussi avouer que ce chant suraigu – tout admirable qu'il soit, – nous laisse hors d'haleine.
Voici un passage tiré d'une pièce intitulée: Un mot avec le Vent.
Que l'éclat du soleil soit nu ou voilé, le ciel superbe ou caché d'un linceul, que l'eau soit calme, lâche, languissante, tourmentée, agacée, agile ou entravée, pâle et patiente, vêtue de feu ou de nuée, se torture vainement le cœur, on donne en replis de serpents, c'est vers toi qu'elle regarde, aveugle et déçue, lasse, épuisée de colère, repoussée éternellement par les vents qui bercent l'oiseau, des vents qui pareils à la poitrine des mouettes, triomphent de la mer, et ordonnent aux vagues mornes d'être aussi lasses que des cœurs qui succombent aux espoirs retardés, que le clairon sonne de l'ouest, que le sud rende témoignage de l'éclat dont résonnent et brillent les splendeurs de ta divinité, ordonne à la terre qu'elle se réjouisse de voir les larges ailes du vent de terre brisées, ordonne à la mer de prendre courage, ordonne au monde d'être à toi!
Des vers de cette sorte méritent peut-être un juste éloge pour la force soutenue et la vigueur de leur arrangement métrique. L'excellence purement technique en est extraordinaire. Mais est-ce plus qu'un tour de force oratoire?
Cela suggère-t-il vraiment quelque chose? Cela charme-t-il?
Pourrions-nous relire et relire encore avec un nouveau plaisir? Nous ne le croyons pas. Cela nous paraît vide.
Naturellement nous ne devons point chercher dans ces poésies de révélation de l'âme humaine.
Ne faire qu'un avec les éléments, tel semble être le but de M. Swinburne.
Il cherche à parler par le souffle du vent et la vague.
Le grondement de la flamme est sans cesse dans son oreille.
Il met son clairon aux lèvres du Printemps et lui ordonne de souffler, et la Terre s'éveille de ses rêves et lui dit son secret.
Il est le premier poète lyrique qui ait tenté le renoncement absolu à sa personnalité, et il a réussi.
Nous entendons le chant, mais nous ne voyons jamais le chanteur.
Nous n'arrivons jamais à être près de lui.
En dehors du tonnerre et de la splendeur des mots, il ne dit rien lui-même.
Nous avons vu souvent l'interprétation de la nature par l'homme.
Maintenant, c'est la Nature qui nous interprète l'homme, et il est curieux de voir combien elle a peu de chose à dire.
Force et Liberté, voilà ce qu'elle lui annonce vaguement.
Elle nous assourdit de ses clameurs.
Mais M. Swinburne ne chevauche pas toujours le tourbillon et n'invoque pas toujours les abîmes de la mer.
Les ballades romantiques dans le dialecte du Border n'ont pas perdu leur enchantement pour lui, et ce tout récent volume contient plusieurs exemples de cette sorte de poésie curieusement artificielle.
La proportion de plaisir que donne le dialecte est uniquement affaire de tempérament.
Dire Mither, au lieu de Mother, donne à certains la sensation romantique au plus haut degré d'intensité.
D'autres ne sont pas tout à fait aussi enclins à croire à la vertu d'émotion des provincialismes.
Toutefois on ne peut douter de la maitrise de la forme que M. Swinburne possède, que cette forme soit très légitime ou non.
Le Mariage fatigué a la concentration et la couleur d'un grand drame et la singularité du style y ajoute quelque chose de grotesque.
La ballade de la Sorcière-Mère, Médée du moyen-âge qui égorge ses enfants, parce que son seigneur est infidèle, mérite d'être lue, à cause de son horrible simplicité.
La Tragédie de la Fiancée, avec son étrange refrain,
Dedans, dedans, dehors et dedans
Souffle le vent et se tord l'ajonc,
l'Exil du Jacobite:
O! La Loire et la Seine ont un cours imposant,
et la noire Durance, un flot bruyant,
mais les landes de la Tyne ont un éclat plus beau
que toutes les campagnes de la France
Et les vagues de Till qui parlent si bas,
ont des reflets plus doux, partout où elles brillent.
La Veuve des Bords de la Tyne et la Formule qui sauve le pendard sont autant de pièces d'une belle venue d'imagination. Certaines sont terribles en leur ardente intensité de passion.
La poésie anglaise ne court point le danger de se rétrécir en une forme aussi étroite que la ballade romantique en dialecte.
Elle est d'une vitalité trop forte pour cela.
Nous pouvons donc saluer les essais que fait d'une manière magistrale M. Swinburne, avec l'espoir qu'on n'imitera point les choses qui ne se prêtent point à l'imitation.
Le recueil se termine par quelques poésies sur les enfants, quelques sonnets, une thrénodie sur John William Inchbold, et une charmante pièce lyrique intitulée les Interprètes:
Dans la pensée humaine toutes choses ont une habitation; nos jours rient, abaissent et allègent le passé, et ne trouvent aucune place qui dure. Mais la pensée et la foi sont choses trop puissantes pour que le temps puisse les entamer, quand une fois elles ont été rendues splendides par la parole ou sublimées par le chant. Le souvenir, alors même que le flux et le reflux du changement mobile se lasse de vieillesse, donne à la terre et aux cieux, par l'effet du chant et celui de l'âme, leur gloire.
Certainement, «dans l'intérêt du chant» nous aimerions l'œuvre de M. Swinburne, et même nous ne pouvons ne pas l'aimer, tant il est un merveilleux artiste en musique.
Mais qu'y a-t-il d'âme?
Pour l'âme, nous devons chercher ailleurs.