Kitabı oku: «Derniers essais de littérature et d'esthétique: août 1887-1890», sayfa 6
Poétesses Anglaises 27
L'Angleterre a donné au monde une grande poétesse, Elisabeth Barrett Browning.
A côté d'elle, M. Swinburne placerait Miss Christina Rossetti, dont l'Hymne du Nouvel An est décrit par lui comme la plus noble des poésies sacrées de notre langue, au point qu'aucune autre ne s'en rapproche assez pour mériter le second rang.
«C'est un hymne, nous dit-il, qui est comme touché par le feu, comme baigné dans la lumière des rayons de soleil, comme accordé aux cordes et aux cadences de la musique de la mer à son reflux, hors de la portée de la harpe et de l'orgue, larges échos des sereines et sonores marées des cieux.»
Malgré toute mon admiration pour l'œuvre de Miss Rossetti, son choix subtil des mots, sa richesse d'images, sa naïveté artistique, ou se mêlent avec fantaisie de curieux accents d'étrangeté et de simplicité, je ne puis m'empêcher de penser que M. Swinburne, en sa noble et naturelle loyauté, l'a placée sur un piédestal trop élevé.
Pour moi, elle est simplement une très charmante artiste en poésie.
A vrai dire, c'est là chose si rare que nous ne pouvons faire autrement que de l'aimer, quand nous la rencontrons, mais tout n'est pas là.
Plus loin, et au-dessus, il y a des hauteurs de chant plus élevées, plus ensoleillées, une vision plus large, une atmosphère plus ample, une musique à la fois plus passionnée et plus profonde, une énergie créatrice qui est née de l'esprit, une extase ailée qui naît de l'âme, une force et une ardeur dans la seule expression, qui a tout le merveilleux du prophète et ne tient pas peu de la sainteté consacrée du prêtre.
Mistress Browning n'a d'égale aucune des femmes qui aient jamais fait vibrer la lyre, ou soufflé dans les pipeaux depuis les temps de la grande poétesse éolienne.
Mais Sapho, qui, pour le monde antique, était une colonne de flamme, est pour nous une colonne de ténèbres.
De ses poésies brûlées, avec bien d'autres œuvres précieuses, par les Empereurs de Byzance ou les Papes de Rome, il ne reste plus que des fragments en petit nombre.
Il peut se faire qu'elles moisissent dans la nuit parfumée de quelque tombe égyptienne, serrées dans la main flétrie d'un amoureux défunt depuis longtemps.
Il peut même se faire qu'en ce moment un moine de l'Athos ait les yeux fixés sur un ancien manuscrit dont les caractères recroquevillés cachent une œuvre lyrique ou une ode de celle que les Grecs appelaient la Poétesse, tout comme ils désignaient Homère par les mots: «le Poète», celle qui était pour eux la Dixième Muse, la fleur des Grâces, l'enfant d'Eros, et l'orgueil de l'Hellade, Sapho à la douce voix, la belle aux beaux yeux, à la chevelure noire de nuance d'hyacinthe.
Mais en fait, l'œuvre de la merveilleuse chanteuse de Lesbos est entièrement perdu pour nous.
Il nous reste quelques pétales des roses de son jardin, et c'est tout.
De nos jours la littérature survit au marbre et au bronze, mais aux temps anciens, il n'en était point ainsi, malgré la fière assertion du poète romain.
Les fragiles vases d'argile des Grecs nous conservent encore les portraits de Sapho, délicatement peints en noir, rouge et blanc, mais de son chant nous n'avons que l'écho d'un écho.
Parmi toutes les femmes de l'histoire, Mistress Browning est la seule que nous ayons le droit de nommer en un rapprochement possible ou lointain avec Sapho.
Sapho était, sans contredit, une artiste plus impeccable, plus parfaite.
Elle remua tout le monde antique plus que Mistress Browning n'a jamais remué l'âge moderne.
Jamais l'Amour n'eut un chantre pareil.
Même dans les quelques vers qui nous restent, la passion semble consumer, brûler.
Mais comme le temps injuste qui l'a couronnée des lauriers stériles de la renommée, les a entrelacés aux mornes pavots de l'oubli, laissons-là ce qui n'est qu'un souvenir et revenons à une poétesse dont le chant nous reste comme une gloire impérissable de notre littérature, à celle qui entendit du fond de la sombre mine et de l'usine encombrée, la plainte des enfants, et fit pleurer l'Angleterre sur ces petits, celle qui dans ses sonnets soi-disant portugais chanta le mystère spirituel de l'amour, et les dons intellectuels que l'amour apporte à l'âme; celle qui eut foi dans tout ce qui était noble, qui eut de l'enthousiasme pour ce qui est grand, de la pitié pour tout ce qui souffre, celle qui écrivit: Vision de poètes, et les Fenêtres de la Casa Guidi, et Aurora Leigh.
Ainsi que l'a dit d'elle un homme, auquel je dois mon amour de la poésie, non moins que mon amour de la campagne,
Aujourd'hui encore à nos oreilles,
le clair «Excelsior» lancé par une lèvre de femme,
arrive par dessus l'Apennin, bien que
la face de cette femme gise pâlie, glacée par la mort,
avec tous les grands morts dont Florence garde le marbre;
Car aussi longtemps que de nobles chants remueront
les cœurs des hommes
et rempliront le monde de leurs vibrations,
en cercles s'élargissant toujours jusqu'à ce qu'ils parviennent
jusqu'au trône de Dieu, et que le poème devienne prière,
et que la prière apporte la vigueur libératrice
qui communique aux nations la flamme des actions héroïques,
elle est vivante, – la poétesse à la grande âme qui vit
des fenêtres de la Casa Guida l'aube de la Liberté
se lever sur l'Italie, et qui en rendit la gloire,
en hymnes ensoleillés, à toute l'humanité.
Vraiment, elle est vivante, et non seulement au cœur de l'Angleterre de Shakespeare, mais aussi au cœur de l'Italie de Dante.
A la littérature grecque, elle dut sa culture classique, mais l'Italie moderne créa sa passion humaine pour la Liberté.
Après avoir franchi les Alpes, elle se sentit pleine d'une ardeur nouvelle, et de sa belle et éloquente bouche, que nous revoyons dans ses portraits, sort un flot de chant lyrique si noble, si majestueux que nous n'avons rien entendu de comparable sur les lèvres d'aucune femme, depuis plus de deux mille ans.
Il est agréable de se dire qu'une poétesse anglaise a été dans une certaine mesure un facteur efficace dans cette création de l'unité italienne qui fut le rêve de Dante, et si Florence chassa en exil son grand chanteur, du moins elle accueillit avec empressement dans ses murs la poétesse, qu'en ces derniers temps, lui avait envoyée l'Angleterre.
Si l'on avait à indiquer les principales qualités de l'œuvre de Mistress Browning, on nommerait, comme M. Swinburne l'a fait pour Byron, la sincérité et la force.
Il y a des défauts, naturellement.
«Elle ferait rimer lune avec table,» a-t-on dit d'elle par plaisanterie, et certes l'on ne trouverait point dans toute la littérature de rimes aussi monstrueuses que celles qu'on rencontre parfois dans les poésies de Mistress Browning.
Mais sa rudesse n'était point le résultat de la négligence.
Elle était voulue, comme le montrent fort clairement ses lettres à M. Horne.
Elle se refusait à passer sa muse au papier émerisé.
Elle avait en haine le lustrage facile et le poli artificiel.
Elle était artiste, même quand elle écartait l'art.
Elle entendait produire un certain effet par certains moyens, et elle y réussissait, et son indifférence à l'égard de l'assonance complète dans les rimes donne souvent à son vers une richesse splendide et y introduit un élément agréable de surprise.
En philosophie; elle était platonicienne; en politique, elle était opportuniste.
Elle ne s'attacha à aucun parti déterminé.
Elle aimait le peuple quand il se montrait royal, et les rois quand ils se montraient des hommes.
Elle avait les idées les plus élevées sur la valeur réelle et le motif de la poésie.
«La poésie, dit-elle dans la préface d'un de ses volumes, a été pour moi une chose aussi sérieuse que la vie elle-même, et la vie a été une chose très sérieuse. Ni l'une ni l'autre n'ont été pour moi une partie de volant. Je n'ai jamais commis l'erreur de prendre le plaisir pour la cause finale de la poésie, ni le loisir comme l'heure favorable au poète. J'ai accompli ma tâche en ceci, non point comme simple travail de la tête et de la main, indépendant de la personnalité, mais comme l'expression la plus complète de cette personnalité qu'il me fût possible d'atteindre.»
C'est certainement son expression la plus complète, et par là elle réalise sa perfection intégrale.
«Le poète, dit-elle quelque part, est à la fois plus riche et plus pauvre qu'il ne l'était d'ordinaire: il est vêtu de meilleur drap, mais il ne prononce plus d'oracles.»
Ces mots donnent le diapason de sa façon de concevoir la mission du poète.
Il était fait pour prononcer les oracles de la Divinité, pour être à la fois un prophète inspiré et un prêtre saint, et nous pouvons sans exagération, à mon avis, la considérer comme telle.
Elle était une Sibylle apportant un message au monde, parfois avec des lèvres bégayantes, et une fois, au moins, avec les yeux bandés, mais toujours avec le vrai feu et la ferveur d'une foi fière et inébranlable, toujours avec les grands élans d'une nature spirituelle, les nobles ardeurs d'une âme passionnée.
Quand nous lisons ses meilleures poésies, nous sentons que quoique le sanctuaire d'Apollon soit vide, quoique le trépied soit renversé, quoique le vallon de Delphes soit désolé, la Pythie n'est point encore morte.
En notre propre siècle, elle a chanté pour nous, et ce pays-ci l'a fait naître pour la seconde fois.
Vraiment, Mistress Browning est la plus sage des Sibylles, plus sage même qu'aucune des figures puissantes que Michel-Ange a peintes sur la voûte de la Chapelle Sixtine de Rome, rêvant sur le volume mystérieux et s'efforçant de déchiffrer les secrets du destin. Car elle a bien compris que si savoir c'est pouvoir, la souffrance fait partie de la connaissance.
C'est à son influence presque autant qu'à la plus haute éducation des femmes, que je serais porté à attribuer le réveil vraiment remarquable de la poésie féminine qui caractérise la dernière moitié de notre siècle en Angleterre.
Aucun pays n'a jamais eu autant de poétesses à la fois.
En vérité, quand on songe que les Grecs n'eurent que neuf muses, on est parfois tenté de se dire que nous en avons trop.
Et pourtant l'œuvre accomplie par les femmes dans la sphère de la poésie atteint véritablement à un niveau fort élevé d'excellence.
En Angleterre, nous avons eu toujours de la tendance à déprécier la valeur de la tradition en littérature.
Dans notre empressement à trouver une voix musicale nouvelle et un mode musical plus jeune, nous avons oublié la beauté que peut posséder Echo.
Nous cherchons d'abord l'individualité et la personnalité, et c'est là, à vrai dire, ce qui caractérise le mieux les chefs-d'œuvre de notre littérature, tant en prose qu'en vers.
Mais une culture systématique, et l'étude des meilleurs modèles, si elles s'unissent à un tempérament artistique, à une nature ouverte à d'exquises impressions, peut produire bien des choses admirables, bien des choses dignes d'éloge.
Il serait tout à fait impossible de donner une liste complète de toutes les femmes qui depuis Mistress Browning se sont essayées sur le luth et la lyre.
Mistress Pfeiffer, Mistress Hamilton King, Mistress Augusta Webster, Graham Tomson, Miss Mary Robinson, John Ingelow, Miss May Kendall, Miss Nesbit, Miss May Probyn, Mistress Craik, Mistress Meynell, Miss Chapman, et bien d'autres ont fait vraiment de bonnes choses en poésie, soit dans le grave mode dorien de la poésie pensive, intellectuelle, soit dans les formes légères et gracieuses de l'ancienne poésie française, soit dans le genre romantique de l'antique ballade, soit dans ce «monument d'un moment» comme s'exprimait Rossetti, le sonnet tendu et concentré.
Parfois on est tenté de désirer que cette faculté artistique si vive que les femmes possèdent, à n'en pas douter, se développe un peu plus dans le sens de la prose, un peu moins dans le sens des vers.
La poésie est faite pour nos moments de haute exaltation, quand nous souhaitons être auprès des Dieux, et, dans notre poésie rien ne saurait nous satisfaire, sinon ce qui est d'un mérite supérieur, mais la prose est réservée pour notre pain quotidien, et le défaut de bonne prose est une des grandes taches de notre civilisation.
La prose française même maniée par des écrivains les plus ordinaires, est toujours remarquable, mais la prose anglaise est détestable.
Nous avons un petit nombre, un très petit nombre de maîtres, tels quels.
Nous avons Carlyle, qu'il faut se garder d'imiter, M. Pater, qui, grâce à la subtile perfection de sa forme, est absolument inimitable, et M. Froude qui est utile; et M. George Meredith, qui est un avertissement, et M. Lang, qui est le divin amateur, et M. Stevenson, qui est l'artiste humain, et M. Ruskin, dont le rythme, et la couleur, et la belle rhétorique et la merveilleuse musique de mots sont absolument hors de portée.
Mais la prose de tous les jours, celle qu'on lit dans les Magazines et dans les journaux est terriblement morne et encombrante, lourde en ses mouvements, gauche et exagérée dans son expression.
Il peut se faire qu'un jour nos femmes de lettres s'adonnent plus décidément à la prose.
Leur légèreté de touche, leur oreille exquise, leur sentiment délicat de l'équilibre et de la proportion ne nous seraient pas peu utiles.
Je me figure aisément les femmes introduisant une manière nouvelle dans notre littérature.
Toutefois nous avons ici affaire aux femmes en tant que poétesses, et il est intéressant de remarquer que, quoique l'influence de Mistress Browning ait, sans contredit, contribuée puissamment à développer ce mouvement poétique nouveau, si je puis l'appeler ainsi, il semble cependant n'y avoir jamais eu pendant les trois derniers siècles, aucune époque où les femmes de ce royaume n'aient cultivé sinon l'art, du moins l'habitude d'écrire en vers.
Quelle fut la première poétesse anglaise?
Je ne saurais le dire.
Je crois que ce fut l'Abbesse Juliana Berners, qui vécut au quinzième siècle, mais je ne doute point que M. Freeman ne soit en mesure de désigner, à première réquisition, quelque merveilleuse poétesse saxonne ou normande, dont il est impossible de lire les œuvres sans glossaire, et qui, même avec cette aide, sont inintelligibles.
Pour mon compte, je m'en tiens à l'Abbesse Juliana, qui écrivit avec enthousiasme sur la fauconnerie, et après elle, je mentionnerais Anne Askew qui, en prison et à la veille même de son martyre par le feu, écrivit une ballade qui a, en tout cas, un intérêt pathétique et historique.
Le «très doux et très doux et très sententieux ditty» de la Reine Elisabeth sur Marie Stuart, est grandement loué par Puttenham, critique contemporain, comme un exemple «d'Exargasia, ou du style somptueux en littérature» ce qui, en tout cas, paraît une épithète fort convenable pour les poésies d'une aussi grande Reine.
L'expression, qu'elle applique à l'infortunée Reine d'Écosse, «fille de la Discorde» a naturellement passé depuis longtemps dans la littérature.
La Comtesse de Pembroke, sœur de Sir Philippe Sidney, fut très admirée comme poétesse en son temps.
En 1613, «la docte, vertueuse et véritablement noble dame» Elisabeth Carew, publia une «Tragédie de Mariane, la belle reine de Juiverie» et quelques années plus tard «la noble Dame Diana Primerose» écrivit une Chaîne de Perles, qui est un panégyrique sur les «grâces sans pair» de Gloriana.
Mary Morpeth, amie et admiratrice de Drummond de Hawthornden; Lady Mary Wroth, à qui Ben Jonson dédia l'Alchimiste, et la Princesse Elisabeth, sœur de Charles Ier, doivent aussi être mentionnées.
Après la Restauration, les femmes s'adonnèrent avec une ardeur plus grande encore à l'étude de la littérature et à la pratique de la poésie.
Marguerite, duchesse de Newcastle, fut une véritable femme de lettres, et quelques-uns de ses vers sont extrêmement jolis et gracieux.
Mistress Aphra Behn fut la première Anglaise qui se fit de la littérature une profession régulière.
Mistress Katharine Philps inventa la sentimentalité, si nous en croyons M. Gosse.
Comme elle fut louée par Dryden et regrettée par Cowley, espérons qu'elle aura obtenu son pardon.
Keats rencontra par hasard ses poésies à Oxford, au temps où il écrivait Endymion, et trouva dans l'une d'elles une «fantaisie très délicate, dans le genre de Fletcher» mais je crains bien que de nos jours l'incomparable Orinda ne trouve plus un seul lecteur.
Au sujet de la Rêverie Nocturne de Lady Winchelsea, Wordsworth, dit qu'à l'exception de la Forêt de Windsor, ce fut le seul poème, dans l'intervalle entre le Paradis perdu et les Saisons de Thomson, qui contint une image nouvelle de la nature extérieure.
Lady Rachel Russell, à qui on peut attribuer l'inauguration de la littérature épistolaire en Angleterre; Eliza Heywood que son mauvais style a immortalisée, et qui occupe une niche dans la Dunciade; et la marquise de Wharton, dont Waller dit avoir admiré les poésies, sont des types fort remarquables, la plus intéressante de toutes étant naturellement la première nommée, qui était une femme de naturel héroïque et d'un caractère plein de noblesse et de dignité.
En somme, quoi qu'on ne puisse pas dire que les poétesses anglaises, depuis les origines jusqu'à Mistress Browning, aient produit aucune œuvre de génie absolu, ce sont certainement des figures intéressantes, d'attrayants sujets d'étude.
Parmi elles nous trouvons Lady Mary Wortley Montague, qui a tout le caprice de Cléopatre, et dont les lettres sont charmantes à lire, Mistress Centlivre, qui écrivit une brillante comédie, Lady Anne Barnard dont Le Vieux Robin Gray a été décrit par Sir Walter Scott comme valant «tous les dialogues qu'ont jamais eus ensemble Corydon et Phyllis, depuis Théocrite jusqu'à nos jours» et qui est certainement une très belle et très touchante poésie, Esther Vanhomrigh, et Hester Johnson, la Vanessa et la Stella de la vie du Doyen Swift; Mistress Thrale, l'amie du grand lexicographe; la digne Mistress Barbauld; la laborieuse Joanna Baillie; l'admirable Mistress Chapone, dont l'Ode à la Solitude fait toujours naître en moi une ardente passion pour la société, et qui restera dans la mémoire au moins comme directrice de l'établissement dans lequel fut élevée Becky Sharp, Miss Anna Seward, qui fut appelée «le Cygne de Lichfield» la pauvre L. E. L. que Disraeli décrivit dans une de ses spirituelles lettres à sa sœur comme la «personnification de Brompton, toilette de satin incarnat, souliers de satin blanc, joues rouges, nez camard, et la chevelure à la Sapho»; Mistress Ratcliffe, qui créa le roman à aventures, et a ainsi endossé une grande responsabilité; la belle Duchesse de Devonshire, de laquelle Gibbon a dit qu'elle était faite pour être quelque chose de mieux qu'une Duchesse; les deux admirables sœurs, Lady Dufferin et Mistress Norton; Mistress Tighe, dont Keats lut avec plaisir la Psyché; Mistress Hemans; la jolie, charmante «Perdita», qui flirta tour à tour avec la Poésie et avec le Prince Régent, joua divinement dans le «Conte d'Hiver», fut brutalement attaquée par Gifford et nous a laissé une touchante petite poésie sur la boule-de-neige; et Emilie Bronté, dont les poésies sont empreintes d'une force tragique et paraissent souvent sur le point d'atteindre à la grandeur.
Les vieilles modes en littérature ne sont pas aussi agréables que les vieilles modes dans le costume.
J'aime le siècle de la poudre mieux que le siècle de Pope.
Mais si l'on préfère le point de vue historique, – et en somme c'est le seul où nous devions nous placer pour apprécier avec justice une œuvre qui n'est pas absolument de premier ordre, – nous ne pouvons éviter de remarquer que bon nombre des poétesses anglaises, qui ont précédé Mistress Browning, furent des femmes d'un talent peu ordinaire, et que si la plupart d'entre elles regardèrent la poésie comme un simple compartiment des belles-lettres, il en fut de même pour leurs contemporains dans le plus grand nombre des cas.
Depuis l'époque de Mistress Browning, nos bois se sont remplis d'oiseaux chanteurs, et si je me risque à leur demander de s'adonner davantage à la prose, et moins au chant, ce n'est pas que je goûte la prose poétique, mais c'est que j'aime la prose des poètes.
Le dernier volume de sir Edwin Arnold 28 29
Les auteurs qui écrivent en prose poétique sont rarement de bons poètes.
Ils ont beau emplir leurs pages de somptueuses épithètes, de phrases resplendissantes, entasser des Pélions d'adjectifs sur des Ossas de descriptions, ils ont beau s'abandonner à un style fortement coloré, à la richesse luxuriante des images, si leur vers ne possède pas la véritable vie rythmique du vers, si leur procédé ne connaît pas la contrainte que s'impose le véritable artiste, tous leurs efforts aboutissent à un bien mince résultat.
Il se peut que la prose «asiatique» soit utile pour la besogne du journal, mais la poésie «asiatique» ne doit point être encouragée.
D'ailleurs, on peut dire que la poésie a bien, plus que la prose, besoin de la contrainte volontaire.
Ses conditions sont beaucoup plus délicates.
Elle produit ses effets par des moyens plus subtils.
On ne doit point tolérer qu'elle dégénère en pure rhétorique, en pure éloquence. Elle est, en un sens, celui de tous les arts qui possède la plus grande conscience de soi, en ce qu'elle n'est jamais un moyen pour atteindre une fin, et qu'elle est toujours sa propre fin.
Sir Edwin Arnold a un style très pittoresque, nous devrions peut-être dire, un style très pictural.
Il connaît l'Inde mieux que ne la connaît aucun Anglais vivant et sait l'hindoustani mieux que ne devrait le savoir un écrivain anglais.
Si ses descriptions manquent de distinction, elles ont du moins le mérite d'être vraies, et quand il n'entrelarde point ses pages d'une interminable série de mots exotiques, il est assez agréable.
Mais il n'est point poète. C'est tout simplement un écrivain poétique, voilà tout.
Néanmoins les écrivains poétiques ont leur utilité, et il y a dans le dernier volume de sir Edwin Arnold bien des choses qui récompenseront le lecteur. La scène du récit est placée dans une mosquée dépendant du monument appelé le Taj-Mahal, et un groupe composé d'un savant Mirza, de deux jeunes chanteuses avec leur serviteur, et d'un Anglais, est censé passer la nuit à lire le chapitre de Saadi sur l'Amour, et à s'entretenir sur ce sujet, avec accompagnement de musique et de danse. Bien entendu, l'Anglais n'est autre que sir Edwin Arnold lui-même:
Epris de l'Inde
trop épris d'elle, car son cœur y vivait
alors même que ses pas erraient bien loin de là.
Lady Dufferin apparaît comme
Lady Duffreen, la puissante Vice-Reine de la Reine
ce qui est assurément un des vers blancs les plus terribles que nous ayons rencontrés depuis pas mal de temps sur notre route.
M. Renan est «un prêtre du Frangestan» qui écrit un «français papillotant», Lord Tennyson
un homme que nous honorons pour ses chants,
plus grand que Saadi lui-même,
et les Darwiniens sont présentés en «Mollahs de l'Occident» qui
tiennent les fils d'Adam
pour la descendance des limaces marines.
Tout cela, c'est de la bonne plaisanterie, en son genre, une sorte de pantomime littéraire, mais les meilleurs endroits du livre sont la description du Taj même, qui est extrêmement soignée, et les diverses traductions de Saadi éparses dans le volume.
Le grand tombeau que Shah-Jahan construisit pour Ayamand, est
tout pénétré de charme – ce n'est point de la maçonnerie,
ni de l'architecture, comme le sont toutes les autres,
mais c'est l'orgueilleuse passion d'un Empereur épris,
tissée en pierre vivante, qui brille, qui plane
et qui fait un corps de beauté à une âme, à une pensée.
Ainsi se fait-il, quand une face
divinement belle se dévoile devant vos yeux
nous montrant une femme d'une indicible beauté:
Et le sang court plus vite, et l'esprit bondit,
et le désir d'adorer fait fléchir les genoux dociles,
et le souffle s'arrête de lui-même. Tel est le Taj.
Vous le voyez avec le cœur, avant que les yeux
aient assez d'espace pour contempler. Partout blancheur, blancheur de neige, blancheur de nuage.
Nous ne pouvons dire beaucoup de bien du sixième vers.
Insomuch that it haps, as when some face
qui est d'une maladresse singulière, et dépourvu de toute mélodie.
Mais voici un remarquable passage de Saadi:
Lorsque la terre affolée s'agita dans les angoisses du tremblement de terre,
avec les racines des monts il ceignit de près ses frontières.
En ses rocs il enferma turquoise et rubis
et à sa verte branche, il suspendit sa rose cramoisie.
Il donne aux semences obscures les formes de beaux rêves.
Qui peint avec l'eau, comme il sait peindre les choses?
Regardez! du nuage il fait tomber une goutte sur l'Océan,
comme des reins du Père, il apporte une goutte.
Et de cela il forme une perle incomparable
et de ceci, un jeune homme, une jeune fille de cyprès,
il connaît à fond tous leurs organes
car pour lui tout est visible. Déroulez
vos froids replis, Serpents, courez en rampant, économes fourmis.
Sans mains, sans force il pourvoit à vos besoins,
Celui qui du «Néant» construisit le «que cela soit!»
et qui plante la Vie dans le vide du Non-Être.
Certes, sir Edwin Arnold pâtit de la comparaison inévitable qu'on ne peut s'empêcher de faire entre son œuvre et l'œuvre d'Edward Fitzgerald, et certainement Fitzgerald n'eut jamais écrit un vers comme celui-ci: «utterly wotting all their innermosts;» (il connaît à fond tous leurs organes.)
Mais on lit avec intérêt n'importe quelle traduction de ces admirables poètes orientaux qui mêlent si étrangement la philosophie et la sensation, la simple parabole ou fable et les doctrines obscures et mystiques.
Ce que nous regrettons le plus dans le livre de sir Edwin Arnold, c'est son habitude d'écrire d'une façon qu'on ne peut vraiment appeler d'un autre nom que le pigeon english, quand nous apprenons que «Lady Duffreen, la Vice-Reine de la Puissante Reine» se promène parmi les charpoys30 du quartier, sans aucune crainte de sitla ou de tap,31 quand le Mirza s'explique ainsi:
et le domestique obéit en disant Achcha! Achcha!
Quand nous sommes invités à écouter le «Vina et le tambour» et qu'on nous parle d'ekkas, de Byragis, de hamals, de Tamboora, tout ce que nous pouvons dire, c'est qu'à de tels Ghazals nous ne sommes point en mesure de dire Shamash ou Afrin.
En poésie anglaise, on n'a pas besoin
de chaktis pour les pieds
de Jasams pour ceindre les coudes, de gote, et de har
de Bala et de mala.
Cela n'est pas de la couleur locale, mais de la décoloration locale; cela ne rend nullement la scène plus vivante, cela ne met pas l'Orient dans une lumière plus claire devant nous.
C'est simplement un ennui pour le lecteur, et une erreur de la part de l'écrivain.
Il est peut-être difficile à un poète de trouver des synonymes anglais pour des expressions asiatiques, mais la chose fût-elle même impossible, le devoir du poète n'en est pas moins de les trouver.
Nous regrettons qu'un homme érudit et cultivé, tel que sir Arnold, se soit rendu coupable d'une véritable trahison contre notre littérature.
Sans cette erreur, son livre, sans être le moins du monde une œuvre de génie, ou même de haut mérite littéraire, aurait encore possédé une valeur durable.
En somme, sir Edwin Arnold a traduit Saadi, et il faut que quelqu'un traduise sir Edwin Arnold.