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Kitabı oku: «Le portrait de monsieur W. H.», sayfa 3

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III

Trois semaines s'étaient écoulées.

Je résolus d'adresser à Erskine un ardent appel, l'invitant à rendre justice à la mémoire de Cyril Graham et à donner au monde sa merveilleuse interprétation des _Sonnets, _la seule interprétation qui fournit une explication du problème.

Je n'ai aucune copie de ma lettre, je regrette de le dire, et je n'ai pas pu mettre la main sur l'original, mais je me souviens que je parcourus tout le terrain et que je couvris des feuillets de papier de la répétition passionnée d'arguments et de preuves que l'étude m'avait suggérés.

Il me sembla que je ne restituais pas seulement à Cyril Graham la place qui lui était due dans l'histoire littéraire, mais que je rachetais l'honneur de Shakespeare lui-même de l'odieux souvenir d'une critique banale.

Je mis dans la lettre tout mon enthousiasme; je mis dans la lettre toute ma foi, mais je ne l'avais pas plus tôt expédiée qu'il se produisit en moi une curieuse réaction.

Il me sembla que j'avais fait abdication de mes facultés en croyant à l'hypothèse Willie Hughes, que quelque chose s'était éteint en moi, – ce qui était exact, – et que j'étais maintenant parfaitement indifférent à toute la question.

Qu'était-il donc advenu?

C'est difficile à dire.

Peut-être avais-je épuisé mon ardeur même en en cherchant l'expression parfaite? Les forces émotionnelles, de même que les forces de la vie physique, ont leurs limites expresses.

Peut-être le simple effort de convertir quelqu'un à une théorie compliquée, implique-t-il quelque forme de renonciation à la faculté de croire?

Peut-être étais-je simplement las de tout le problème et, mon enthousiasme s'étant consumé, ma raison en revint à son propre jugement sans passion?

Quelle qu'en fut la cause, et je ne prétends pas en fournir l'explication, – il n'y avait pas de doute que Willie Hughes était soudain devenu pour moi un pur mythe, un rêve oiseux, l'imagination enfantine d'un jeune homme, qui, comme bien des esprits ardents, était plus soucieux de convaincre les autres que d'être lui-même convaincu.

Comme j'avais dit à Erskine dans ma lettre des choses très injustes et très amères, je décidai d'aller le voir une fois et de m'excuser auprès de lui de ma conduite.

Conformément à cette résolution, le lendemain matin, je poussai jusqu'à Bird Cagewalk.

Je trouvai Erskine assis dans sa bibliothèque, le faux portrait de Willie Hughes en face de lui.

– Mon cher Erskine, m'écriai-je. Je viens vous faire mes excuses.

– Me faire vos excuses! dit-il. Et pourquoi?

– Pour ma lettre, répondis-je.

– Vous n'avez rien à regretter dans votre lettre, dit-il. Au contraire, vous m'avez rendu le plus grand service qui soit en votre pouvoir. Vous m'avez montré que la théorie de Cyril Graham est d'une solidité parfaite.

– Vous ne voulez pas dire que vous croyez à Willie Hugues? m'exclamai-je.

– Et pourquoi pas? répliqua-t-il. Vous m'avez fait la preuve de son existence. Croyez-vous que je ne sache pas priser à son prix la valeur de l'évidence?

En m'enfonçant dans un fauteuil, je gémis:

– Mais il n'y a là aucune espèce d'évidence. Quand je vous ai écrit, j'étais sous l'influence d'un enthousiasme tout à fait niais. J'avais été ému par l'histoire de la mort de Cyril Graham, fasciné par le romanesque de sa théorie, conquis par le merveilleux et la nouveauté de ses aperçus. Je vois maintenant que la théorie est basée sur une illusion. La seule preuve de l'existence de Willie Hughes est ce portrait qui est là devant vous et ce portrait est un faux. Ne vous laissez donc pas entraîner par un pur sentiment dans cette affaire. Quoique le roman puisse plaider en faveur de la théorie de Willie Hughes, la raison a prononcé contre elle un arrêt définitif.

– Je ne vous comprends pas, fit Erskine en me regardant avec stupéfaction. Quoi! vous-même, vous m'avez convaincu par votre lettre que Willie Hughes était une réalité absolue. Pourquoi avez- vous changé de conviction? Ou bien tout ce que vous m'avez dit n'était-il qu'un simple jeu?

– Je ne puis vous expliquer cela, répliquai-je, mais je vois maintenant qu'il n'y a réellement rien à dire en faveur de l'interprétation de Cyril Graham. Les _Sonnets _sont adressés à lord Pembroke. Pour l'amour du ciel, ne gaspillez pas votre temps dans une tentative folle pour découvrir un jeune acteur de l'époque d'Elisabeth qui n'a jamais existé et pour faire de cette marionnette fantôme le centre du grand cycle des _Sonnets _de Shakespeare.

– Je vois que vous ne comprenez pas la théorie, répliqua-t-il.

– Que je ne la comprends pas, mon cher Erskine! m'écriai-je. Mais je la sens, comme si je l'avais inventée. Sûrement ma lettre vous prouve que non seulement je possède toute la question, mais que j'ai apporté mon contingent de preuves de tout genre. Le seul défaut de la théorie est qu'elle présuppose l'existence de la personne dont l'existence est en discussion. Si nous admettons qu'il y avait dans la troupe de Shakespeare un jeune acteur du nom de Willie Hughes, il n'est pas difficile d'en faire l'objet des _Sonnets, _mais comme nous savons qu'il n'y avait pas d'acteur de ce nom dans la compagnie du Théâtre du Globe, il est inutile de pousser plus loin les recherches.

– Mais c'est exactement ce que nous ne savons pas, dit Erskine. Il est tout à fait vrai que son nom ne se trouve pas sur la liste donnée à la première page, mais comme Cyril l'indiqua, c'est plutôt là une preuve de l'existence de Willie Hughes qu'une preuve contraire si nous nous souvenons qu'il abandonna avec perfidie Shakespeare au profit d'un rival dramatique.

Nous raisonnâmes là-dessus pendant des heures, mais rien de ce que je pus dire, ne put obliger Erskine à renoncer à sa confiance dans l'interprétation de Cyril Graham.

Il me dit qu'il prétendait vouer sa vie à prouver la théorie et qu'il était déterminé à faire rendre justice à la mémoire de Cyril Graham.

Je le priai. Je le raillai, je le suppliai, mais cela ne servit à rien.

Bref, nous nous séparâmes, non pas tout à fait fâchés, mais certainement avec une ombre entre nous.

Il me crut borné; je le crus fou.

Quand je me rendis chez lui de nouveau, son domestique me dit qu'il était parti pour l'Allemagne.

Deux ans plus tard, comme j'entrais à mon club, le valet de service à la conciergerie me remit une lettre qui portait le timbre de l'étranger.

Elle venait d'Erskine qui m'écrivait de l'hôtel d'Angleterre à Cannes.

Quand je lus sa lettre, je fus rempli d'horreur, bien que je ne pusse vraiment croire qu'il serait assez fou pour exécuter sa résolution.

Le point principal de sa lettre était qu'il avait essayé par tous les moyens possibles de vérifier la théorie de Willie Hughes et qu'il avait échoué, de même que Cyril Graham avait donné sa vie pour cette théorie, il avait résolu de donner la sienne, également pour la même cause.

La conclusion de la lettre était celle-ci:

«Je crois encore à Willie Hughes et au moment où vous recevrez ceci, je serai mort de ma propre main pour l'amour de Willie Hughes, pour lui et pour Cyril Graham que j'ai poussé à mourir par mon scepticisme niais et mon ignorant manque de foi.

«La vérité vous fut une fois révélée. Vous l'avez rejetée.

«Maintenant vous voilà taché du sang de deux hommes: ne vous en détournez plus.»

Ce fut un moment horrible.

J'en étais malade de chagrin et, pourtant je n'y pouvais croire.

Mourir pour ses croyances religieuses est le pire usage qu'on puisse faire de sa vie; mais mourir pour une théorie littéraire cela semblait impossible.

Je regardai la date.

La lettre avait été écrite une semaine avant.

Quelque malencontreuse chance m'avait détourné d'aller au club pendant quelques jours: Là, j'aurais pu la recevoir à temps pour le sauver.

Peut-être il n'était pas trop tard.

Je courus chez moi. Je fis mes bagages et je partis de Charing-

Cross par le train de nuit.

Le voyage fut insupportable. Je crus que je n'arriverais jamais.

Sitôt débarqué, je courus à l'hôtel d'Angleterre.

On me dit qu'Erskine avait été enterré deux jours avant au cimetière des Anglais.

Il y avait dans toute cette tragédie quelque chose d'horriblement grotesque.

Je dis toute sorte de paroles incohérentes dans le hall de l'hôtel et on me regardait d'un air de curiosité.

Tout à coup, lady Erskine, en grand deuil, traversa le vestibule.

Quand elle me vit, elle vint à moi, murmura quelques mots sur son pauvre fils et fondit en larmes.

Je la conduisis dans son salon.

Un vieux monsieur prit soin d'elle: c'était le médecin anglais.

Nous causâmes beaucoup d'Erskine, mais je ne soufflai mot des mobiles qui l'avaient poussé au suicide. Il était évident qu'il n'avait rien dit à sa mère de la raison qui l'avait amené à un acte si funeste, si fou.

Enfin, lady Erskine se leva et dit:

– Georges vous a laissé quelque chose à titre de souvenir. C'est une chose qu'il tenait en haute estime. Je vais vous la remettre.

Sitôt qu'elle eut quitté la pièce, je me tournai vers le docteur et lui dis:

– Quelle épouvantable secousse cette mort a dû être pour lady Erskine. Je suis surpris qu'elle la supporte comme elle l'a fait.

– Oh! Il y a des mois qu'elle était prévenue de ce qui allait arriver, répondit-il.

– Elle était prévenue depuis des mois! m'écriai-je, mais comment ne l'en a t-elle pas détourné? Comment n'a-t-elle pas veillé sur lui? Il devait être fou.

Le docteur me regarda avec de grands yeux.

– Je ne comprends pas ce que vous voulez dire, fit-il.

– Bah! m'écriai-je, si une mère sait que son fils va se suicider…

– Se suicider! répondit-il. Le pauvre Erskine ne s'est pas suicidé. Il est mort de consomption… Il est venu mourir ici. Sitôt que je le vis, je compris qu'il n'y avait pas d'espoir. Un poumon était presque perdu; l'autre était très atteint. Trois jours avant sa mort, il me demanda s'il n'y avait plus d'espoir. Je lui répondis franchement qu'il n'y en avait aucun et qu'il n'avait plus que peu de jours à vivre. Il écrivit quelques lettres. Il était tout à fait résigné et conserva sa connaissance jusqu'à sa dernière heure.

À ce moment, lady Erskine entra dans la pièce, le fatal portrait de Willie Hughes à la main.

– Quand Georges allait expirer, il m'a priée de vous donner ceci, dit-elle.

Comme je pris le portrait, ses larmes tombèrent sur mes mains.

Le portrait est maintenant dans ma bibliothèque où il est admiré de mes amis artistes. Ils ont décidé que ce n'est pas un Clouet mais un Oudry23.

Je ne me suis jamais soucié de leur dire sa véritable histoire.

Mais quelquefois quand je le regarde, je pense qu'il y a vraiment beaucoup à dire sur la théorie Willie Hughes des _Sonnets _de Shakespeare.

LE FANTÔME DE CANTERVILLE24

Nouvelle hylo-idéaliste

I

Lorsque M. Hiram B. Otis, le ministre d'Amérique, fit l'acquisition de Canterville-Chase, tout le monde lui dit qu'il faisait là une très grande sottise, car on ne doutait aucunement que l'endroit ne fût hanté.

D'ailleurs, lord Canterville lui-même, en homme de l'honnêteté la plus scrupuleuse, s'était fait un devoir de faire connaître la chose à M. Otis, quand ils en vinrent à discuter les conditions.

– Nous-mêmes, dit lord Canterville, nous n'avons point tenu à habiter cet endroit depuis l'époque où ma grand'tante, la duchesse douairière de Bolton, a été prise d'une défaillance causée par l'épouvante qu'elle éprouva, et dont elle ne s'est jamais remise tout à fait, en sentant deux mains de squelette se poser sur ses épaules, pendant qu'elle s'habillait pour le dîner.

Je me crois obligé à vous dire, M. Otis, que le fantôme a été vu par plusieurs membres de ma famille qui vivent encore, ainsi que par le recteur de la paroisse, le révérend Auguste Dampier, qui est un agrégé du King's-Collège, d'Oxford.

Après le tragique accident survenu à la duchesse, aucune de nos jeunes domestiques n'a consenti à rester chez nous, et bien souvent lady Canterville a été privée de sommeil par suite des bruits mystérieux qui venaient du corridor et de la bibliothèque.

– Mylord, répondit le ministre, je prendrai l'ameublement et le fantôme sur inventaire. J'arrive d'un pays moderne, où nous pouvons avoir tout ce que l'argent est capable de procurer, et avec nos jeunes et délurés gaillards qui font les cent coups dans le vieux monde, qui enlèvent vos meilleurs acteurs, vos meilleures prima-donnas, je suis sûr que s'il y avait encore un vrai fantôme en Europe, nous aurions bientôt fait de nous l'offrir pour le mettre dans un de nos musées publics, ou pour le promener sur les grandes routes comme un phénomène.

– Le fantôme existe, je le crains, dit lord Canterville, en souriant, bien qu'il ait tenu bon contre les offres de vos entreprenants impresarios. Voilà plus de trois siècles qu'il est connu. Il date, au juste, de 1574, et ne manque jamais de se montrer quand il va se produire un décès dans la famille.

– Bah! le docteur de la famille n'agit pas autrement, lord Canterville. Mais, monsieur, un fantôme, ça ne peut exister, et je ne suppose pas que les lois de la nature comportent des exceptions en faveur de l'aristocratie anglaise.

– Certainement, vous êtes très nature en Amérique, dit lord Canterville, qui ne comprenait pas très bien la dernière remarque de M. Otis. Mais s'il vous plaît d'avoir un fantôme dans la maison, tout est pour le mieux. Rappelez-vous seulement que je vous ai prévenu.

Quelques semaines plus tard, l'achat fut conclu, et vers la fin de la saison, le ministre et sa famille se rendirent à Canterville.

Mrs Otis, qui, sous le nom de miss Lucretia R. Tappan, de la West 52e rue, avait été une illustre belle de New-York, était encore une très belle femme, d'âge moyen, avec de beaux yeux et un profil superbe.

Bien des dames américaines, quand elles quittent leur pays natal, se donnent des airs de personnes atteintes d'une maladie chronique, et se figurent que c'est là une des formes de la distinction en Europe, mais Mrs Otis n'était jamais tombée dans cette erreur.

Elle avait une constitution magnifique, et une abondance extraordinaire de vitalité.

À vrai dire, elle était tout à fait anglaise, à bien des points de vue, et on eût pu la citer à bon droit pour soutenir la thèse que nous avons tous en commun avec l'Amérique, en notre temps, excepté la langue, cela s'entend.

Son fils aîné, baptisé Washington par ses parents dans un moment de patriotisme qu'il ne cessait de déplorer, était un jeune homme blond, assez bien tourné, qui s'était posé en candidat pour la diplomatie en conduisant le cotillon au Casino de Newport pendant trois saisons de suite, et même à Londres, il passait pour un danseur hors ligne.

Ses seules faiblesses étaient les gardénias et la pairie. À cela près, il était parfaitement sensé.

Miss Virginia E. Otis était une fillette de quinze ans, svelte et gracieuse comme un faon, avec un bel air de libre allure dans ses grands yeux bleus.

C'était une amazone merveilleuse, et sur son poney, elle avait une fois battu à la course le vieux lord Bilton, en faisant deux fois le tour du parc, et gagnant d'une longueur et demie, juste en face de la statue d'Achille, ce qui avait provoqué un délirant enthousiasme chez le jeune duc de Cheshire, si bien qu'il lui proposa séance tenante de l'épouser, et que ses tuteurs durent l'expédier le soir même à Eton, tout inondé de larmes.

Après Virginia, il y avait les jumeaux, connus d'ordinaire sous le nom d'Étoiles et Bandes, parce qu'on les prenait sans cesse à les arborer.

C'étaient de charmants enfants, et avec le digne ministre, les seuls vrais républicains de la famille.

Comme Canterville-Chase est à sept milles d'Ascot, la gare la plus proche, M. Otis avait télégraphié qu'on vînt les prendre en voiture découverte, et on se mit en route dans des dispositions fort gaies.

C'était par une charmante soirée de juillet, où l'air était tout embaumé de la senteur des pins.

De temps à autre, on entendait un ramier roucoulant de sa plus douce voix, ou bien on entrevoyait, dans l'épaisseur et le froufrou de la fougère le plastron d'or bruni de quelque faisan.

De petits écureuils les épiaient du haut des hêtres, sur leur passage; des lapins détalaient à travers les fourrés, ou par- dessus les tertres mousseux, en dressant leur queue blanche.

Néanmoins dès qu'on entra dans l'avenue de Canterville-Chase, le ciel se couvrit soudain de nuages. Un silence singulier sembla gagner toute l'atmosphère. Un grand vol de corneilles passa sans bruit au-dessus de leurs têtes, et avant qu'on fût arrivé à la maison, quelques grosses gouttes de pluie étaient tombées.

Sur les marches se tenait pour les recevoir une vieille femme convenablement mise en robe de soie noire, en bonnet et tablier blancs.

C'était Mrs Umney, la gouvernante, que Mrs Otis, sur les vives instances de lady Canterville, avait consenti à conserver dans sa situation.

Elle fit une profonde révérence à la famille quand on mit pied à terre, et dit avec un accent bizarre du bon vieux temps:

– Je vous souhaite la bienvenue à Canterville-Chase.

On la suivit, en traversant un beau hall en style Tudor, jusque dans la bibliothèque, salle longue, vaste, qui se terminait par une vaste fenêtre à vitraux.

Le thé les attendait.

Ensuite, quand on se fut débarrassé des effets de voyage, on s'assit, on se mit à regarder autour de soi, pendant que Mrs Umney s'empressait.

Tout à coup le regard de Mrs Otis tomba sur une tache d'un rouge foncé sur le parquet, juste à côté de la cheminée, et sans se rendre aucun compte de ses paroles, elle dit à Mrs Umney:

– Je crains qu'on n'ait répandu quelque chose à cet endroit.

– Oui, madame, répondit Mrs Umney à voix basse. Du sang a été répandu à cet endroit.

– C'est affreux! s'écria Mrs Otis. Je ne veux pas de taches de sang dans un salon. Il faut enlever ça tout de suite.

La vieille femme sourit, et de sa même voix basse, mystérieuse, elle répondit:

– C'est le sang de lady Eleonor de Canterville, qui a été tuée en cet endroit même par son propre mari, sir Simon de Canterville, en 1575. Sir Simon lui survécut neuf ans, et disparut soudain dans des circonstances très mystérieuses. Son corps ne fut jamais retrouvé, mais son âme coupable continue à hanter la maison. La tache de sang a été fort admirée des touristes et d'autres personnes, mais l'enlever… c'est impossible.

– Tout ça, c'est des bêtises, s'écria Washington Otis. Le produit détachant, le nettoyeur incomparable du champion Pinkerton fera disparaître ça en un clin d'oeil.

Et avant que la gouvernante horrifiée eût pu intervenir, il s'était agenouillé, et frottait vivement le parquet avec un petit bâton d'une substance qui ressemblait à du cosmétique noir.

Peu d'instants après, la tache avait disparu sans laisser aucune trace.

– Je savais bien que le Pinkerton en aurait raison, s'écria-t-il d'un ton de triomphe, en promenant un regard circulaire sur la famille en admiration.

Mais à peine avait-il prononcé ces mots qu'un éclair formidable illumina la pièce sombre, et qu'un terrible roulement de tonnerre mit tout le monde debout, excepté Mrs Umney, qui s'évanouit.

– Quel affreux climat! dit tranquillement le ministre, en allumant un long cigare. Je m'imagine que le pays des aïeux est tellement encombré de population, qu'il n'y a pas assez de beau temps pour tout le monde. J'ai toujours été d'avis que ce que les Anglais ont de mieux à faire, c'est d'émigrer.

– Mon cher Hiram, s'écria Mrs Otis, que pouvons-nous faire d'une femme qui s'évanouit?

– Nous déduirons cela sur ses gages avec la casse, répondit le ministre. Après ça, elle ne s'évanouira plus.

Et, en effet, Mrs Umney ne tarda pas à reprendre ses sens.

Toutefois il était évident qu'elle était bouleversée de fond en comble; et d'une voix austère, elle avertit Mrs Otis qu'elle eût à s'attendre à quelque ennui dans la maison.

– J'ai vu de mes propres yeux, des choses… Monsieur, dit-elle, à faire dresser les cheveux sur la tête à un chrétien. Et pendant des nuits, et des nuits, je n'ai pu fermer l'oeil, à cause des faits terribles qui se passent ici.

Néanmoins Mrs Otis et sa femme certifièrent à la bonne femme, avec vivacité qu'ils n'avaient nulle peur des fantômes.

La vieille gouvernante après avoir appelé la bénédiction de la Providence sur son nouveau maître et sa nouvelle maîtresse, et pris des arrangements pour qu'on augmentât ses gages, rentra chez elle en clopinant.

II

La tempête se déchaîna pendant toute la nuit, mais il ne se produisit rien de remarquable.

Le lendemain, quand on descendit pour déjeuner, on retrouva sur le parquet la terrible tache.

– Je ne crois pas que ce soit la faute du Nettoyeur sans rival, dit Washington, car je l'ai essayé sur toute sorte de tache. Ça doit être le fantôme.

En conséquence, il effaça la tache par quelques frottements.

Le surlendemain, elle avait reparu.

Et pourtant la bibliothèque avait été fermée à clef, et Mrs Otis avait emporté la clef en haut.

Dès lors, la famille commença à s'intéresser à la chose.

M. Otis était sur le point de croire qu'il avait été trop dogmatique en niant l'existence des fantômes.

Mrs Otis exprima l'intention de s'affilier à la Société Psychique, et Washington prépara une longue lettre à MM. Myers et Podmore25, au sujet de la persistance des taches de sang quand elles résultent d'un crime.

Cette nuit-là leva tous les doutes sur l'existence objective des fantômes.

La journée avait été chaude et ensoleillée.

La famille profita de la fraîcheur de la soirée pour faire une promenade en voiture.

On ne rentra qu'à neuf heures, et on prit un léger repas.

La conversation ne porta nullement sur les fantômes, de sorte qu'il manquait même les conditions les plus élémentaires d'attente et de réceptivité qui précèdent si souvent les phénomènes psychiques.

Les sujets qu'on discuta, ainsi que je l'ai appris plus tard de M. Otis, furent simplement ceux qui alimentent la conversation des Américains cultivés, qui appartiennent aux classes supérieures, par exemple l'immense supériorité de miss Janny Davenport sur Sarah Bernhardt, comme actrice; la difficulté de trouver du maïs vert, des galettes de sarrasin, de la polenta, même dans les meilleures maisons anglaises, l'importance de Boston dans l'expansion de l'âme universelle, les avantages du système qui consiste à enregistrer les bagages des voyageurs; puis la douceur de l'accent new-yorkais, comparé au ton traînant de Londres.

Il ne fut aucunement question de surnaturel. On ne fit pas la moindre allusion, même indirecte à sir Simon de Canterville.

À onze heures, la famille se retira.

À onze et demie, toutes les lumières étaient éteintes.

Quelques instants plus tard, M. Otis fut réveillé par un bruit singulier dans le corridor, en dehors de sa chambre. Cela ressemblait à un bruit de ferraille, et se rapprochait de plus en plus.

Il se leva aussitôt, fit flamber une allumette, et regarda l'heure.

Il était une heure juste.

M. Otis était tout à fait calme. Il se tâta le pouls, et ne le trouva pas du tout agité.

Le bruit singulier continuait, en même temps que se faisait entendre distinctement un bruit de pas.

M. Otis mit ses pantoufles, prit dans son nécessaire de toilette une petite fiole allongée et ouvrit la porte.

Il aperçut juste devant lui, dans le pâle clair de lune, un vieil homme d'aspect terrible.

Les yeux paraissaient comme des charbons rouges. Une longue chevelure grise tombait en mèches agglomérées sur ses épaules. Ses vêtements, d'une coupe antique, étaient salis, déchirés. De ses poignets et de ses chevilles pendaient de lourdes chaînes et des entraves rouillées.

– Mon cher Monsieur, dit M. Otis, permettez-moi de vous prier instamment d'huiler ces chaînes. Je vous ai apporté tout exprès une petite bouteille du Graisseur de Tammany-Soleil-Levant. On dit qu'une seule application est très efficace, et sur l'enveloppe il y a plusieurs certificats des plus éminents théologiens de chez nous qui en font foi. Je vais la laisser ici pour vous à côté des bougeoirs, et je me ferai un plaisir de vous en procurer davantage, si vous le désirez.

Sur ces mots, le ministre des États-unis posa la fiole sur une table de marbre, ferma la porte, et se remit au lit.

Pendant quelques instants, le fantôme de Canterville resta immobile d'indignation.

Puis lançant rageusement la fiole sur le parquet ciré, il s'enfuit à travers le corridor, en poussant des grondements caverneux, et émettant une singulière lueur verte.

Néanmoins comme il arrivait au grand escalier de chêne, une porte s'ouvrit soudain.

Deux petites silhouettes drapées de blanc se montrèrent, et un lourd oreiller lui frôla la tête.

Évidemment, il n'y avait pas de temps à perdre, aussi, utilisant comme moyen de fuite la quatrième dimension de l'espace, il s'évanouit à travers le badigeon, et la maison reprit sa tranquillité.

Parvenu dans un petit réduit secret de l'aile gauche, il s'adossa à un rayon de lune pour reprendre haleine, et se mit à réfléchir pour se rendre compte de sa situation.

Jamais dans une brillante carrière qui avait duré trois cents ans de suite, il n'avait été insulté aussi grossièrement.

Il se rappela la duchesse douairière qu'il avait jetée dans une crise d'épouvante pendant qu'elle se contemplait, couverte de dentelles et de diamants devant la glace; les quatre bonnes, qu'il avait affolées en des convulsions hystériques, rien qu'en leur faisant des grimaces entre les rideaux d'une des chambres d'amis; le recteur de la paroisse dont il avait soufflé la bougie, pendant qu'il revenait de la bibliothèque, à une heure avancée et qui depuis était devenu un client assidu de sir William Gull, et un martyr de tous les genres de désordres nerveux; la vieille madame de Trémouillac, qui se réveillant de bonne heure, avait vu dans le fauteuil, près du feu, un squelette occupé à lire le journal qu'elle rédigeait; et avait été condamnée à garder le lit pendant six mois par une attaque de fièvre cérébrale.

Une fois remise, elle s'était réconciliée avec l'Église, et avait rompu toutes relations avec ce sceptique avéré, M. de Voltaire.

Il se rappela aussi la nuit terrible où ce coquin de lord Canterville avait été trouvé râlant dans son cabinet de toilette, le valet de pique enfoncé dans sa gorge, et avait avoué qu'au moyen de cette même carte, il avait filouté à Charles Fox, chez Crockford, la somme de 10, 000 livres. Il jurait que le fantôme lui avait fait avaler cette carte.

Tous ses grands exploits lui revenaient à la mémoire.

Il vit défiler le sommelier qui s'était brûlé la cervelle pour avoir vu une main verte tambouriner sur la vitre; et la belle lady Steelfield, qui était condamnée à porter au cou un collier de velours noir pour cacher la marque de cinq doigts imprimés comme du fer rouge sur sa peau blanche, et qui avait fini par se noyer dans le vivier au bout de l'Allée du Roi.

Et tout plein de l'enthousiasme égotiste du véritable artiste, il passa en revue ses rôles les plus célèbres.

Il s'adressa un sourire amer, en évoquant sa dernière apparition dans le rôle de «Ruben le Rouge ou le nourrisson étranglé» son début dans celui de «Gibéon le Vampire maigre de la lande de Bexley», et la furore qu'il avait excitée par une charmante soirée de juin, rien qu'en jouant aux quilles avec ses propres ossements sur la pelouse du lawn-tennis.

Et tout cela pour aboutir à quoi?

De misérables Américains modernes venaient lui offrir le Graisseur à la marque du Soleil Levant! et ils lui jetaient des oreillers à la tête!

C'était absolument intolérable.

En outre, l'histoire nous apprend que jamais fantôme ne fut traité de cette façon.

La conclusion qu'il en tira, c'est qu'il devait prendre sa revanche, et il resta jusqu'au lever du jour dans une attitude de profonde méditation.

III

Le lendemain, quand le déjeuner réunit la famille Otis, on discuta assez longuement sur le fantôme.

Le ministre des États-unis était, naturellement, un peu froissé de voir que son offre n'avait pas été agréée:

– Je n'ai nullement l'intention de faire au fantôme une injure personnelle, fit-il, et je reconnais que vu la longue durée de son séjour dans la maison, ce n'était pas du tout poli de lui jeter des oreillers à la tête…

Je suis fâché d'avoir à dire que cette observation si juste provoqua chez les jumeaux une explosion de rires.

– Mais d'autre part, reprit M. Otis, s'il persiste pour tout de bon à ne pas employer le Graisseur à la marque Soleil Levant, il faudra que nous lui enlevions ses chaînes. Il n'y aurait plus moyen de dormir avec tout ce bruit à la porte des chambres à coucher.

Néanmoins, pendant le reste de la semaine, on ne fut pas dérangé.

La seule chose qui attirât quelque attention, c'était la réapparition continuelle de la tache de sang sur le parquet de la bibliothèque.

C'était certes bien étrange, d'autant plus que la porte en était toujours fermée à clef, le soir, par M. Otis, et qu'on tenait les fenêtres soigneusement closes.

Les changements de teinte que subissait la tache, comparables à ceux d'un caméléon, produisirent aussi de fréquents commentaires.

Certains matins, elle était d'un rouge foncé, presque d'un rouge indien: d'autres fois, elle était vermillon; puis d'un pourpre riche, et une fois, quand on descendit pour faire la prière conformément aux simples rites de la libre Église épiscopale réformée d'Amérique, on la trouva d'un beau vert-émeraude.

Naturellement ces permutations de kaléidoscope amusèrent beaucoup la troupe, et on faisait chaque soir des paris sans se gêner.

La seule personne qui ne prit point de part à la plaisanterie était la petite Virginie.

Pour certaine raison ignorée, elle était toujours vivement impressionnée à la vue de la tache de sang, et elle fut bien près de pleurer le matin où la tache parut vert-émeraude.

Le fantôme fit sa seconde apparition une nuit de dimanche.

Peu de temps après qu'on fut couché, on fut soudain alarmé par un énorme fracas qui s'entendit dans le hall.

On descendit à la hâte, et on trouva qu'une armure complète s'était détachée de son support, et était tombée sur les dalles.

Tout près de là, assis dans un fauteuil au dossier élevé, le fantôme de Canterville se frictionnait les genoux avec une expression de vive souffrance peinte sur la figure.

Les jumeaux, qui s'étaient munis de leurs sarbacanes, lui lancèrent aussitôt deux boulettes avec cette sûreté de coup d'oeil qu'on ne peut acquérir qu'à force d'exercices longs et patients sur le professeur d'écriture.

23.P. Oudry, peintre français inconnu, est l'auteur d'un portrait de Marie Stuart qui figure à la National Gallery. (Note du traducteur.).
24.Cette nouvelle, parue pour la première fois en 1891 à la suite de l'édition originale du _Crime de lord Arthur Savile, _a été réimprimée pour une circulation privée depuis la mort d'Oscar Wilde.
25.Auteurs des Phantasms of the living, traduit en français par L. Marilliev, avec préface de Charles Ribot sous le titre les hallucinations télépathiques, 1891. (Note du traducteur.)
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 aralık 2017
Hacim:
180 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain
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