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Kitabı oku: «La Chèvre d'Or», sayfa 8

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XXXV
GUERRE DÉCLARÉE

C'est vraiment la guerre!

En quelques jours, se servant habilement des imprudences de Ganteaume, des radotages de Peu-Parle, Galfar et l'estimable M. Blaise ont su ameuter tout le Puget-Maure contre moi.

La chose ne leur a pas été difficile avec cette population de paysans libres et fiers, prompts à rêver trésors pendant les loisirs que leur fait une existence de demi-paresse orientale, tous d'ailleurs plus ou moins faiseurs de poudre ou braconniers, et chez qui, pour un rien, en subites colères, se réveille le vieux sang des corsaires.

Ils s'étaient habitués à vivre pauvres sous leurs oliviers, parmi leurs ravins, se consolant, comme Peu-Parle, à l'idée qu'ils pouvaient se dire riches, après tout.

Cette illusion dorait leur misère, et les faisait regarder de haut les habitants des autres villages.

Chacun d'eux, vaguement, obscurément, espérait qu'un jour, en défrichant quelque aride plateau fleuri de touffes de lavande, deux ou trois coups de pioche heureux mettraient à découvert l'entrée de la caverne féerique. Lequel d'entre eux ne se souvenait pas, étant à l'affût, d'avoir entendu bêler la Chèvre et tinter sa claire clochette?

Que la Chèvre continue, comme par le passé, à dormir sur une litière d'or au fond de sa retraite ignorée, et que les sequins, les lingots du roi de Majorque restent sous terre pour toujours, ils en sont contents, ils l'admettent sans désirer plus.

Mais je viendrais, moi étranger, à moi tout seul les voler tous et ravir l'immémorial héritage du Puget-Maure! Ceci aussitôt fait scandale, allume les haines et déchaîne les convoitises.

Je suis surveillé, suspecté.

Dans les rues, je surprends, à chaque tournant, des regards, des gestes hostiles. Les femmes, me montrant, se parlent à voix basse. Les enfants ne m'injurient pas encore, mais déjà ils oublient de me saluer.

Aux champs, il n'y a pas de coin de muraille, il n'y a pas de tronc d'arbre ni de bouquet de cactus, où je ne devine, m'épiant, un œil soupçonneux et noir; et ce n'est plus uniquement par contenance que je prends mon fusil lorsque je sors en promenade.

Le curé lui-même, cet excellent abbé Sèbe, par amour de la paix, se détourne de moi.

Seul, Peu-Parle ne craint pas de rester notre ami.

Ganteaume va le voir tous les jours, dans son désert, malgré mes recommandations de prudence, et, bavardant avec lui de la Chèvre d'Or, s'exalte aux divagations fatalistes et visionnaires du bonhomme.

Mais hier Ganteaume, qu'enveloppe la tempête déchaînée sur moi, Ganteaume est rentré tout meurtri, après un combat à coups de pierres héroïquement soutenu contre une embuscade des gamins du pays.

Mlle Norette l'a pansé.

Et je suis devenu triste, me rappelant cette parole de Peu-Parle: «Il y a du sang, des gouttes rouges, mêlées aux traces d'or que laisse la Chèvre sur les rochers.»

Pansé par Mlle Norette, lui, Ganteaume était radieux.

XXXVI
LES DEUX QUI SONT MORTS

J'accusais le curé à tort. Aujourd'hui même j'ai reçu sa visite. Mais cette visite ne produira pas l'effet que l'excellent homme en espère, car il voulait me faire renoncer au trésor, et n'a réussi qu'à me rendre plus certain de son existence.

J'étais dans ma chambre en train de paperasser quand, m'approchant de la fenêtre, j'ai aperçu l'abbé Sèbe qui, discrètement, comme s'il avait peur d'être épié, sortait par la petite porte du presbytère, regardait la tour, et se dirigeait de mon côté.

Pendant la demi-heure qui précède la fin du jour, rues et ruelles sont désertes. Dans leurs maisons, dont le toit fume, les femmes enfermées préparent le repas du soir; les hommes ne rentrent pas encore des champs. L'abbé Sèbe pouvait venir chez moi sans rencontrer personne.

Après quelques instants, on frappe. C'est l'abbé, visiblement ému et gêné. Il souffle, il s'essouffle pour deux misérables étages, lui qui gravissait, sans perdre haleine, les plus escarpés raidillons; et son chapeau, pétri à deux poings, prend des formes extraordinaires.

Je lui offre, pour le mettre à l'aise, un verre d'eau-de-vie de myrte. Il s'assied, nous trinquons; alors seulement il ose parler.

– «Voilà! s'écrie-t-il, par la faute de Ganteaume, deux hommes qui s'aiment et s'estiment, en sont réduits à ne plus se voir.»

Ce début m'étonne.

– «Pourquoi donc ne nous verrions-nous plus, mon cher abbé, et, dans tous les cas, qu'est-ce que l'ingénieux Ganteaume peut avoir à faire en ceci?

– Ganteaume! Mais vous ignorez donc son dernier exploit? Vous ne savez pas que, devenu le disciple du vieux Peu-Parle et partageant toutes ses folies, il a essayé, avant-hier, d'évoquer le diable, à minuit, dans un carrefour? Ne dites pas non; je l'ai surpris, debout, le grimoire à la main, au milieu d'un rond, entre trois cierges. Je descendais, mon clergeon éclairant le chemin avec la lanterne, du Mas des Truphémus où j'étais allé porter le bon Dieu. Ganteaume criait, se démenait…

– Et le diable n'est pas venu?

– Non! mais au seul aspect de mon ombre, au seul aspect de la lanterne, Ganteaume, pris de male-peur, a laissé là ses cierges et couru jusqu'au village. J'avais ordonné au petit clergeon de se taire. Malheureusement, il a bavardé. Et, déjà compromis comme chercheur de trésors, vous voilà en train de passer pour sorcier, grâce à Ganteaume. Au four, au lavoir, à la fontaine, partout où se trouvent deux commères, il ne s'agit plus que de vous… Et de moi aussi, hélas! car, ayant essayé de vous défendre, les gens me soupçonnent déjà d'être du noir complot ourdi par vous contre la Chèvre d'Or!»

L'abbé riait. Mais tout à coup devenu grave:

– «Écoutez! ajouta-t-il, par mon caractère, par ma robe, je suis responsable de la paix du village, et les choses qui s'y passent depuis quelques jours m'ont douloureusement affecté.

«Je ne vous accuse pas, je m'accuse. J'aurais dû garder le silence au sujet de l'inscription de l'ermitage, j'aurais dû vous tenir caché le livre de raison des Gazan. Mais puisque c'est fait, le mieux sera que vous sachiez tout.

«Je ne dirai pas: dans votre intérêt! mais, dans l'intérêt de M. Honnorat, dans celui de Mlle Norette, partez, renoncez à la Chèvre d'Or. Vous reviendrez plus tard, après six mois, un an, quand les préventions auront disparu, quand les colères seront apaisées.

«Vous avez le droit, sur des espérances peut-être chimériques, de risquer votre tranquillité, non celle des autres. Or, Galfar est capable de tout, et un crime ne se prévient pas.»

Je voulus interrompre l'abbé. Mais il avait pris le livre de raison, parmi mes papiers, sur ma table:

– «Si vous saviez! Toujours la Chèvre d'Or a attiré quelque malheur sur la demeure des Gazan; c'est pour cela qu'ils n'en parlent jamais et que personne ne leur en parle… Bien des pages, vous avez dû le remarquer, manquent à ce livre. C'est moi-même qui, à la prière de Mme Honnorat expirante, les ai toutes arrachées et brûlées pour faire disparaître les dernières traces d'un drame presque oublié aujourd'hui, mais dont le sanglant souvenir s'éleva longtemps, comme un mur de haine, entre les Galfar et les Gazan. Toutes les pages? Non! Avant de me confier le livre, Mme Honnorat, de ses mains tremblantes, se faisant aider par Norette, qui pouvait avoir douze ans, en déchira une, qu'elle garda… Peut-être cette page contenait-elle le secret du trésor? Peut-être Mlle Norette la possède-t-elle encore? Peu importe! Ce sont là secrets de famille qu'il ne m'appartient pas de pénétrer.

«Mais en présence de l'aventure où vous paraissez vouloir vous engager, j'ai le devoir de vous faire connaître, comme exemple, l'événement tel qu'il était relaté sur les pages par moi détruites.

«Vers l'année 1500, deux cousins, l'un Gazan, l'autre Galfar, se trouvèrent en rivalité pour épouser une cousine. Non qu'ils l'aimassent! Elle était, il est vrai, admirablement belle; mais aussi pauvre l'un que l'autre, s'étant ruinés, l'aîné à faire ses caravanes sur mer, l'autre dans les tripots d'Avignon sous prétexte d'étudier la médecine, c'est surtout le secret du trésor qu'ils désiraient d'elle.

«Aucun ne voulait céder. Ils se querellèrent, et le cadet souffleta l'aîné.

«Puis, sans que personne les vît, un soir, tous deux Caïn, tous deux Abel, ils allèrent dans la montagne, du côté de la chapelle que déjà un ermite gardait.

«Au milieu de la nuit, l'ermite crut rêver que quelqu'un frappait de grands coups à sa porte, et s'éveillant, il entendit crier: «Au secours! J'ai tué mon frère!» Alors, étant sorti, il vit à la clarté des étoiles, dans l'herbe du cimetière, un jeune homme étendu, dont un cavalier, plus âgé, mais lui ressemblant singulièrement, soutenait la tête.

«Comme le jeune homme se mourait, l'ermite le confessa. Et quand le jeune homme fut mort, le cavalier qui se tenait debout, appuyé au mur, dit: «Mon père, il est grand temps que vous me confessiez aussi!» Alors l'ermite, se retournant, vit sur son pourpoint ensanglanté le manche d'un long poignard qu'il s'était planté dans la poitrine. Et quand il fut confessé, le cavalier retira la lame et se coucha dans l'herbe à côté de l'autre, dont il baisait en pleurant les cheveux et les yeux.

«Le matin, au moment de les ensevelir, on les trouva enlacés si étroitement que, pour séparer leurs cadavres, il aurait fallu briser les os des bras. On les mit ensemble, sans cercueil, dans la même fosse, et une messe fut fondée pour l'âme des deux qui sont morts.

«C'est après-demain, jour anniversaire, conclut l'abbé en se levant, que je célèbre cette messe.

– J'y assisterai dévotement avec Ganteaume, afin qu'on cesse de nous croire sorciers.

– Vous ne partez donc pas?

– Non, certes! même après cet émouvant récit.

– A votre volonté! Mais il n'est pas prudent de tenter Dieu!»

XXXVII
SALADIN ET LES PIÉMONTAIS

L'abbé me semble bien tragique.

Pourtant cette émotion dans le village est gênante, et les façons de Galfar commencent à me préoccuper.

Pourvu que Norette continue à me croire ingénument épris d'elle et ignore mes coquetteries avec la Chèvre d'Or! Sur ce point, ce qu'a dit l'abbé me rassure. Personne ne parlera de la Chèvre d'Or devant Norette. D'ailleurs, à supposer une indiscrétion, le naturel de notre rencontre, mon indifférence quand j'ai trouvé la clochette, la façon dont je l'ai restituée, le silence que j'observe depuis, suffiraient à m'innocenter.

Galfar, absent quelques jours, vient de reparaître, amenant à sa suite un trio de parfaits brigands, les mêmes sans doute que ceux avec lesquels patron Ruf l'a surpris en conférence au cabaret de l'Antico limon verde.

Peut-être, décidé à chercher le trésor sur les insuffisantes données qu'il possède avec M. Blaise, compte-t-il les employer aux fouilles? Auquel cas il n'aurait pas tort, car ces Piémontais à figure ingrate sont, dès qu'il s'agit de remuer la terre ou de tutoyer le rocher, de vaillants et rudes ouvriers.

Peut-être aussi, et le choix, à en juger par leur seule mine, ne serait pas mauvais non plus dans ce cas, les destine-t-il à quelque ténébreux coup de main? En attendant, pour tout travail, ils tiennent, au Bacchus navigateur, sous la présidence de Galfar, d'interminables séances, jouant la mourre du matin au soir, hurlant: tré! cinque! s'éborgnant de leurs doigts ouverts, et faisant, à grands coups de poing, tressauter les couteaux posés près de chaque joueur, sur la table, selon l'usage.

Galfar a également amené un âne surnommé Saladin, comme son prédécesseur, à l'intention de Saladine, et qu'il loge au fond du couloir, dans son écurie, en compagnie des trois Piémontais. Un bon petit âne, à poil brun, inconscient, j'en suis sûr, du rôle double que Galfar lui fait jouer.

Car Galfar a intenté un procès au malheureux M. Honnorat pour qu'on répare, à frais communs, le passage d'âne, sous prétexte que le pavé gondole et que Saladin a le sabot tendre; puis, le procès gagné, c'est Saladin qui, dans les ensarris de sparterie à califourchon sur son bât, doit aller chercher au torrent le sable et les cailloux roulés.

Maintenant Saladin, par le sentier pendant, sous l'étroite porte de ville, fait philosophiquement le va-et-vient pour la restauration, imaginée en son honneur, mais dont il se fût bien passé; et les paveurs pavent, prenant leurs aises, sans se presser, comme gens au contraire désireux de faire durer la besogne.

Notre demeure, si paisible, est devenue inhabitable.

Dérangé dans son doux repos musulman, irrité, chaque fois qu'il entre ou sort, d'avoir à franchir des barricades, M. Honnorat s'enferme chez lui et fume éperdument, cachant dans un nuage de tabac ses apoplectiques fureurs.

Saladine se montre le moins possible, ironiquement poursuivie de: «Hue! Saladin!» qui la poignardent.

Mais Norette, fière, méprisante, après avoir, avec un sang-froid d'avocat, défendu sa cause en justice de paix, surveille les paveurs et les gourmande.

– «Qui paie a droit sur le travail!» dit-elle sans s'inquiéter des grands airs de Galfar, lequel, d'ailleurs, devient singulièrement timide en sa présence. Et quand une affaire l'appelle, elle se fait remplacer par Ganteaume qui, fier de sa mission, s'installe sur un tas de sable en des attitudes à la fois prudentes et dignes.

Moi je suis inquiet en feignant de ne l'être pas. J'aime peu, sans compter Galfar, ces trois sacripants ainsi campés dans la maison où dort Norette.

XXXVIII
COUP DOUBLE

Il est évident que je gêne Galfar.

Cet estimable faiseur de poudre a même trouvé, pour me l'apprendre, un moyen vraiment peu commun.

J'étais parti en chasse de grand matin, un peu par désœuvrement, un peu par bravade, pour me prouver d'abord que les sourdes menaces du Puget conjuré ne me troublent point, et aussi dans l'intention d'échapper aux doléances dont M. Honnorat m'accable.

Je suivais, mon fusil en bretelle et sans songer à mettre à mal aucun gibier, le bord du vallon escarpé qui va contournant le plateau où se dresse le roc de la Chèvre.

Sur l'autre bord, les perdrix chantaient; mais l'abbé Sèbe n'étant plus là, je m'intéressais peu aux perdrix. Mes pensées, à ce moment, je ne sais pourquoi, étaient à Norette.

Un aboi de chien, d'un timbre connu, me tira de la rêverie.

Galfar suivait le bord opposé.

Nous n'étions séparés que par la largeur du vallon. Galfar certainement m'observait. Je me mis à l'observer aussi. Il menait une chasse étrange.

Deux fois, très correctement levées par son chien, les perdrix, une superbe compagnie de perdrix rouges, lui partirent au bout du canon; deux fois il ne les tira point.

Quoique médiocre chasseur et nullement fanatique, j'enrageais.

Mais Galfar devait avoir son idée.

Au troisième vol, la compagnie prit un parti, et, traquée, franchit le vallon, selon une tactique d'ailleurs connue.

On eût dit que Galfar attendait cela.

Je le vis sauter dans les ronces, disparaître, traverser le vallon, remonter la pente, et reparaître tout gaillard, portant son chien à bras tendu.

Puis les voilà qui prennent les perdrix à revers comme pour les rabattre sur moi.

Le chien se met en quête et va.

Les perdrix s'envolent du milieu d'un plan d'herbes sèches, là, devant mon nez, en rideau. Galfar épaule… Un instant je tremblai, tant je me trouvais dans sa ligne, croyant qu'il allait faire feu sur moi. Il vise, il tire: pan! pan! J'entends quelque chose siffler aux alentours de mes oreilles. Deux perdrix tombent à mes pieds.

Galfar s'approche, me salue. Galfar devient très gentilhomme, depuis qu'il a des habits neufs.

– «Un joli coup double, lui dis-je.

– Peuh! le mérite n'est pas grand quand on fabrique sa poudre soi-même.»

Puis il ramassa les deux perdreaux.

–«Voudriez-vous, il n'y a pas d'offense puisque nous serons bientôt parents, les porter à l'oncle Honnorat? Ceci le consolera peut-être du grand mauvais sang qu'il se fait depuis que je me suis mis en tête de réparer le chemin d'âne?»

Et, soufflant dans la plume, Galfar ajoute:

– «Voyez! pas abîmés: un seul trou. Ici, pour épargner le plomb, nous tirons les perdreaux à balle.»

Je félicitai Galfar, et me chargeai des perdreaux, ne voulant pas être avec lui en reste de courtoisie.

Son œil m'interrogeait, l'œil des blonds du Midi, fixe, d'un bleu dur, morceau de Méditerranée gelée.

J'estime que Galfar avait espéré me faire peur.

XXXIX
LA PIERRE

Sans être ce qui s'appelle effrayé, je commence à craindre que mon aventure finisse par tourner au tragique. Je sens dans l'air, autour de moi, comme des dangers et des menaces dont le coup double de Galfar aurait été le significatif présage. Cet état de guerre ne me déplaît pas. Quelque romanesque en rejaillit sur le fond un peu monotone de mon existence au Puget.

Norette semble plus émue. Elle connaît la haine que son brun cousin m'a vouée, et l'hommage ironique des perdreaux lui donne à réfléchir. Mais elle ignore, par bonheur! que ce soit la Chèvre d'Or qui, en réalité, nous divise; elle met ingénument, présomptueusement, cette haine, et, certes! je n'aurai garde de la détromper, au compte d'une jalousie amoureuse de Galfar.

C'est pourquoi, pour ne pas irriter Galfar davantage, Norette m'enjoint, confiante et prudente, de tenir secrets nos projets; et la demande en mariage, qui s'imposait à ma conscience, se trouve, jusqu'à nouvel ordre, ajournée.

– «Mon père est très courageux, dit Norette, ses aventures l'ont démontré. Courageux sur mer! mais, sur terre, il éprouve un tel besoin de calme, une telle horreur de toute action, que je le crois capable, en désirant notre bonheur, de vous refuser ma main et de l'accorder à Galfar, dans l'intérêt de ses digestions et pour la tranquillité de ses pipes.»

En attendant, nos amours vont leur train. Et même, peu à peu, par une pente naturelle, innocentes d'abord, elles sont devenues relativement coupables. Ailleurs, j'eusse résisté à moi-même. Mais ici, où Norette est seule, où je suis seul avec Norette; dans ce côte à côte de chaque jour; sous ce ciel, parmi ces parfums, ce silence, cette solitude; au milieu d'une nature indulgente, encourageante et complice, un instant, de tout cœur, j'ai cru aimer Norette.

Que les citadins me condamnent, Robinson me pardonnerait!

Tous les soirs, une fois la lampe de sa chambre éteinte, c'était le signal! j'allais trouver au jardin Norette qui m'attendait, et nous passions là, en face du clair horizon, des heures délicieuses. Jusqu'au lointain, jusqu'à la mer, les collines se déroulaient vagues et frissonnantes. Les étoiles seules nous voyaient.

D'ordinaire, je me glissais par une petite porte communiquant avec le corridor et le passage d'âne.

Mais maintenant que le passage d'âne est occupé, la nuit presque autant que le jour, par les Piémontais de Galfar, j'ai dû trouver un autre chemin.

Le mur, entourant le jardin, ne monte pas très haut avec son couronnement à balustres; et, dans le rocher presque à pic qui le porte, une fissure se présente, où poussent quelques arbustes rabougris, et tout à fait propice à l'escalade.

C'est par là que je grimpe, jouant du coude et du genou, m'accrochant aux aspérités du calcaire, aux racines nues et résistantes des chênes nains.

Tout en haut, une grosse pierre surplombe, sur laquelle je dois me hisser pour atteindre jusqu'au mur. La manœuvre n'est pas commode; Norette m'y aide quelquefois.

Personne, d'ailleurs, ne peut nous surprendre. Saladine se couche avec les poules, et M. Honnorat fait comme elle, autant par orgueil que par hygiène, afin de pouvoir se promener dans les rues avant l'aube, étonner de ses habitudes matinales les paysans qui vont aux champs.

M'a-t-on espionné? Je le crois. Un soir, quelqu'un sans doute l'ayant nuitamment descellée, j'ai senti la pierre branler et se dérober sous mes pieds. La pierre a roulé, à grand bruit, pendant que je réussissais à empoigner un balustre, et que Norette, penchée sur le vide, sans un cri, me tendait les bras.

On cause de la chose ce matin, à déjeuner. Norette et moi feignons l'ignorance. Saladine n'a rien entendu. M. Honnorat a entendu, lui! Il voulait se lever, allumer sa lanterne. Mais il s'est décidé à rester au lit, ayant réfléchi que l'an passé, au même mois, après de fortes pluies, une autre grosse pierre s'était écroulée de la sorte.

Quoi qu'en pense M. Honnorat, la pluie n'est pour rien dans l'événement.

D'abord, il n'a pas plu. Et puis Ganteaume, en train d'inspecter selon sa louable habitude, aussitôt le jour blanchissant, le pavé des rues et la poussière des routes, a surpris Galfar, flanqué de ses Piémontais inséparables, qui considérait, avec un intérêt trop vif pour n'être pas suspect, la place de la pierre tombée.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2017
Hacim:
150 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain