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Kitabı oku: «Le canon du sommeil», sayfa 15

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XV. AU BORD DU LAC WEISSEN

J’estime que X. 323 doit être content de moi.

Content… Je prétends exprimer que, s’il est encore vivant, il loue certainement le zèle, et j’ose le dire, l’adresse avec lesquels j’ai exécuté ses instructions.

Ma descente de la nacelle sur le sol a été véritablement la reproduction de ces scènes burlesques dont nos désopilants clowns, pantomimists excentrics, versent le comique irrésistible sur le public des music-halls.

Nanti du masque qui m’aveuglait, j’ai trébuché, heurté tout sur mon passage. Je semblais être devenu subitement «lunatic», ce vocable saxon que les Parisiens traduisent par «gaga». Plus un mot des coquins qui me guidaient ne paraissait impressionner mon intellect.

Et pour finir, je trouvai le moyen de m’embarrasser les pieds dans un buisson que ma bonne étoile sema sous mes pas (oh! étoile, buisson… me voici encore dans une agriculture fantaisiste), et je roulai par terre, entraînant avec moi mes gardes du corps.

Des rires, des jurons, accompagnèrent la triple chute. Je suis convaincu qu’à ce moment tous les regards convergèrent sur moi. C’était là ce que mon futur beau-frère m’avait recommandé; en toute sincérité, il ne pouvait espérer mieux.

Le masque qui m’aveuglait, se sépara de ma face au choc, et je vis, je vis que nous nous trouvions au bord d’un lac, encadré de montagnes d’altitude moyenne. Au loin, sur la rive, des lumières tremblotaient, décelant la présence d’une agglomération. Le ballon se balançait mollement, sa nacelle affleurant le sol en pente douce.

J’entendis claquer un revolver que l’on armait. La voix de Strezzi s’éleva:

– Goertz! Il voit! Il voit! Goertz! Mille diables!

Goertz, j’entendais ce nom pour la première fois et il me fut aussitôt antipathique, on le concevra aisément quand j’aurai relaté la réponse dudit à l’appel du prince Strezzi.

– Faut-il le brûler, Altesse?

Ceci accompagné d’un revolver dirigé sur mon crâne, m’incita à protester.

– Je vois, et après. Suis-je responsable d’un accident. Je vois et j’en suis bien avancé… Une nappe d’eau, des montagnes. Sais-je où je me trouve?

– Après tout, vous avez raison, grommela le chef des services de reconnaissances et d’aérostation militaires… Et puis, vous êtes dans toute cette affaire par hasard, sans avoir été mon ennemi de propos délibéré… Ramassez le masque, Goertz, et mettez-le dans votre poche. Les yeux de sir Max Trelam, comme il l’a dit si justement, lui montreront un lac et des montagnes, mais ce paysage demeurera anonyme. Allons, assez de temps perdu, en route. Il ne faut pas que l’aube nous surprenne en chemin.

Mes guides m’empoignèrent par les bras. Tanagra et miss Ellen, maintenues de même façon, me précédaient.

Strezzi et celui qu’on appelait Goertz marchaient sur le flanc de la petite colonne, dont l’arrière-garde était formée par huit hommes du personnel de l’aérostat.

Il ne devait à mon estime, rester à bord que quatre personnes: le pilote et trois aides, sans compter X. 323, lequel on s’en doute, ne figurait pas au rôle d’équipage.

Avant de nous suivre, Strezzi donna cet ordre:

– Pilote, vous rallierez le garage de Vienne. À grande hauteur, n’est-ce pas. Il importe que notre direction ne puisse être relevée de la surface du sol.

– À votre satisfaction, Altesse.

Je considère à présent Goertz, à qui je garde rancune de son intervention de tout à l’heure.

C’est un homme de taille moyenne, maigre, le corps légèrement déjeté à droite. Il a une face à la peau grisâtre, une casquette s’aplatit sur ses cheveux noirs, dont les mèches emmêlées frisottent sur son front, venant rejoindre une barbe clairsemée. Mais ce qui le caractérise surtout, ce sont d’énormes bésicles aux verres rouges, donnant à sa figure un aspect fantastique et inquiétant.

J’ai su depuis que cet homme était atteint de cette maladie de l’œil que l’on nomme le daltonisme, laquelle consiste à ne pas voir une couleur. Ainsi, Goertz, le contremaître de l’usine de mort où l’on nous conduit, ne distingue pas le rouge ou mieux il le voit vert, c’est-à-dire en teinte complémentaire. Ses lunettes rouges (vertes pour sa vision) le mettent à même de discerner le rouge à l’état complémentaire du vert.

C’est là un phénomène d’optique très connu, mais dont l’explication demeure compliquée, ainsi que vous pouvez vous en apercevoir.

Toujours est-il que ce Goertz me parut doté d’un air féroce et rusé, qui me produisit la plus mauvaise impression.

J’adressai, à travers l’espace, un regret aux bonnes communes figures de Herr Logrest et de sa lady. Ah! ceux-là n’inspirent pas l’inquiétude aux prisonniers confiés à leur garde!

Nous suivions la rive du lac… J’ai su plus tard que nous étions dans la province autrichienne de Carinthie, dans la région montagneuse et boisée qui borde la rive droite de la Drave… Le lac s’étendant sous mes yeux était le lac de Weissen et la localité éclairée par ses lumières, la petite ville de Weissenbach.

Maintenant le chemin montait en pente assez raide, s’éloignant de la berge de la nappe d’eau. Nous escaladions l’une des collines qui lui font une ceinture dentelée.

– Altesse, le ballon s’élève.

C’est l’homme aux lunettes rouges qui a prononcé cet avertissement. Strezzi et lui se retournent. Je les imite. Je distingue loin déjà un fuseau d’un noir intense se profilant sur l’obscurité moindre du ciel.

Le dirigeable monte, monte, avant de prendre son élan vers Vienne, où il attendra, inoffensif d’apparence, le maître qui va préparer la mort que l’aérostat sèmera sur le monde.

Il va traverser le lac, car il oblique à présent vers l’étendue d’eau.

Pourquoi mes yeux se rivent-ils sur la silhouette mobile?

Est-ce que j’espère, est-ce que j’attends quelque chose… Quelle chose puis-je attendre? Aucune évidemment, et cependant au fond de moi, un instinct me crie:

– Ne le perds pas de vue… X. 323 va te déceler sa présence.

C’est fou, n’est-ce pas.

Et brusquement mes pieds semblent s’incruster dans le sol. Je ne puis plus avancer, pétrifié par ce que je distingue.

Une inexplicable clarté entoure l’aérostat, reflétée par les eaux du lac qu’il domine de quelques centaines de mètres.

Le phénomène surprend évidemment toute la troupe. Mes guides ont fait halte comme moi. Strezzi et Goertz sont également immobiles.

– Qu’est-ce que cela?

La question a à peine dépassé les lèvres de Strezzi que le ballon semble radier des éclairs. Il prend l’aspect d’une aurore boréale sphérique, et puis au bout d’un instant le vent nous apporte une détonation assourdie.

Une sorte de verticale lumineuse se dessine dans l’air, s’éteint dans le lac… Le bruit d’un éclaboussement formidable, monte vers nous, comme si un poids énorme venait de s’engouffrer dans les ondes noires.

Au ciel, plus rien qui rappelle le navire aérien. La silhouette fusiforme a disparu. Le ballon s’est évanoui.

Et la voix rauque du prince se vrille dans mon tympan:

– Une catastrophe!

Goertz réplique:

– Une explosion d’hydrogène.

Et avec un haussement d’épaules:

– Bah! cela se reconstruit un ballon. Vous êtes descendu au bon moment, Altesse. Si vous aviez eu vingt minutes de retard, j’aurais risqué de vous attendre au rendez-vous jusqu’au jugement dernier.

Il est sinistre cet individu qui raille après l’horrible accident.

Le gaz a pris feu, l’enveloppe a éclaté. La nacelle et ses passagers sont tombés de mille mètres peut-être, et le lac les a engloutis, effaçant toute trace de l’engin qui planait tout à l’heure, redoutable et superbe au plus haut des airs.

Et mon cœur se serre.

X. 323 était-il à bord?

Sans doute, il se proposait de débarquer en même temps que nous, désireux de découvrir le gîte où le prince Strezzi fabriquait ses projectiles du crime… Seulement, a-t-il réussi?

Ah! quel point d’interrogation tragique, insoupçonné par ces deux femmes, mes sœurs aimées, qui là, tout près, les yeux aveuglés par le masque, se tiennent immobiles, ignorantes du drame dont l’atmosphère vient d’être le théâtre.

Strezzi grommela des mots incompréhensibles.

Il me semble qu’il attribue le désastre à une autre cause que le hasard. By heaven! Je devine. Il songe que X. 323 est libre et alors… Il y a de l’inquiétude dans sa voix lorsqu’il commande rudement:

– En avant! Et surtout, attention… Tant pis pour quiconque croiserait notre route.

Mes guides, qui ne m’ont pas lâché, sursautent. Eh! Eh! il paraît que le prince mène son monde par la terreur.

On repart d’un pas plus rapide. C’est une procession de spectres dans la nuit. Pas un mot. Simplement le bruit des respirations que l’escalade essouffle.

On arrive à la crête de la hauteur. Un plateau herbeux de faible étendue est traversé. On s’engage sur la pente opposée. Des arbres touffus croisent leurs branches au-dessus du sentier que nous dévalons dans une vague allure de fuite.

Soudain, nous débouchons dans une clairière.

Une cabane est là, adossée à la pente, faisant corps avec elle. On rencontre souvent dans les pays de montagnes des habitations de ce genre, mi-partie maçonnerie, mi-partie creusées dans le roc.

Ce qui me frappe, c’est que dans la porte de cette chaumière, asile sans aucun doute de la pauvreté, se découpe l’ouverture d’une boîte aux lettres.

C’est là un accessoire de luxe peu habituel aux masures.

Ah! je comprends, la chaumière est un trompe-l’œil. Nous nous arrêtons devant la porte, et celle-ci tourne sur ses gonds sans qu’il ait été nécessaire de frapper.

Je recule d’un pas.

Sur le seuil se montre une étrange figure. On la dirait échappée aux estampes moyenâgeuses illustrant les chroniques légendaires allemandes.

C’est un homme maigre, aux membres si dépourvus de muscles que les vêtements se bossuent, modelant les articulations osseuses.

Et au-dessus du col long, où le cartilage que les commères dénomment pomme d’Adam, accuse une saillie extraordinaire en dent de scie, sur ce cou qui semble trop faible pour la soutenir, se balance une tête énorme, blafarde, aux lèvres sans couleur, aux yeux pâles sous d’épais sourcils d’un blanc jaunâtre, au front qui semble démesuré, agrandi qu’il est par une calvitie complète.

L’apparition fantastique est éclairée par une lampe électrique qu’elle tient à la main.

C’est un homme, et cet homme fait songer aux larves mystérieuses échappées des asiles de ténèbres que les poètes d’autrefois appelaient les enfers.

L’être est répulsif, inquiétant, débile et formidable.

– Le professeur Morisky salue Son Altesse le prince Strezzi.

C’est l’être qui a parlé. Parler, peut-on désigner ainsi les syllabes émises par une voix grinçante qui n’a rien d’humain.

Et Strezzi se fait aimable pour répondre:

– Mon cher professeur, vous savez ma joie quand je puis venir partager vos travaux.

Oh! Oh! il le ménage celui-ci. Il n’est plus le maître devant un serviteur qu’il est assuré de courber sous sa volonté. Dans son accent sonne le respect de l’élève pour le chef d’école.

Et l’horrible habitant de la chaumière prononce dans un ricanement grêle et faux:

– Eh! Eh! Assez content des dernières expériences… Vous verrez, vous verrez… Notre mode de propagation était défectueux. On risquait d’être découvert… Maintenant, plus rien de semblable, plus de ballon, plus de canon… Plus qu’un simple touriste se promenant les mains dans ses poches… Eh! Eh! Vous verrez! vous verrez!

La gaieté de cet être squelettique me cause un malaise qui va jusqu’à la souffrance. Mais son masque bizarre reprend l’immobilité. Il s’efface:

– Eh! je vous laisse là, à la porte. Entrez, entrez, Altesse… Sans doute, vous êtes las… Il n’y a que moi qui n’aie pas besoin de sommeil… Reposez-vous, car il faut un esprit clair pour comprendre l’œuvre menée à bien… Oui, un esprit clair. Au réveil, vous serez satisfait d’avoir arraché aux bagnes de Sakhaline, le savant que les Russes ignares y avaient enfermé, alors qu’en le déchaînant contre les Japonais, ils eussent exterminé cette race orgueilleuse et remporté la victoire.

De nouveau son rire pénible grelotta.

L’Allemagne, l’Autriche, sont mieux inspirées…; le professeur Morisky est le conquérant moderne. Il fabrique lui-même ses armées qu’aucune sainte Geneviève, aucune Jeanne d’Arc, ne sauraient arrêter.

Sur ma parole, cet individu me faisait peur. J’avais compris que, devant moi, se dressait le collaborateur inconnu de l’œuvre antihumaine du prince Strezzi.

J’avais sous les yeux l’être abject et génial, qui domestiquait les microbes; le fou qui, par un phénomène effroyable de perversion de la conscience, mettait une science hors pair au service de la Destruction.

Et malgré moi, ma pensée se cristallisa entre ces deux entités empruntant à l’émotion de l’heure présente une opposition de légende: Pasteur, le nécromancien bienfaisant de la vie par les microbes… Ce Morisky, diabolique adepte de la mort par les invisibles.

Mais on nous entraîna dans la cabane. Un couloir étroit, une logette vitrée, avec une échelle montant vers l’étage unique; puis un escalier de pierre s’enfonçant dans les entrailles du sol.

Une longue descente, suivie de galeries au sol uni, évidemment rasé à la «mine», car les stalagmites, correspondant aux stalactites descendant de la voûte, ont disparu.

Et puis, dans cette vision commune à toutes les cavités souterraines évidées dans les terrains calcaires par le lent travail des eaux, des coins transformés en ateliers, en chambres, par des cloisons de planches; frustes installations qui détonnent auprès du riche décor sculpté par la nature.

Je me laisse enfermer dans une de ces logettes.

XVI. LE DRESSEUR DE MICROBES

J’étais dans un état de fatigue, dont la couchette, principal meuble de ma nouvelle prison, me fit comprendre l’immensité.

Et comme le meilleur moyen d’être prêt à l’action consiste à conserver ses forces, je ne résistai point à l’appel.

Cinq minutes après que mes gardiens se furent retirés, j’avais pris la station horizontale et je dormais.

Je m’éveillai avec une sensation bizarre. L’air me semblait tenir en suspension des myriades de petites aiguilles, qui me picotaient les yeux, les narines, les lèvres…

Je me dressai, m’inondai d’eau fraîche. La sensation persista.

Et je reconnus une odeur typique, celle du triformaldéhyde, dont l’apôtre fut, si je ne me trompe, un chimiste marseillais du nom d’André Guasco.

La présence de cet antiseptique me fut expliquée de suite par le souvenir de l’endroit où je me trouvais. Dans une usine de microbes, où ces infiniment petits bâtisseurs et destructeurs de la vie doivent inévitablement pulluler, le triformaldéhyde remplissait les fonctions d’une cuirasse gazeuse, rendant les travailleurs réfractaires aux attaques des vilains petits vibrions évadés de leurs bouillons de culture.

On frappa à ma porte. Goertz se présenta et m’intima l’ordre de le suivre. Celui-là aussi possédait un air diabolique, et il me semblait que ses yeux brillaient derrière ses verres rouges ainsi que des charbons ardents.

Au surplus, le personnage eut d’abord l’apparence d’un messager céleste, car il me conduisit dans une salle souterraine spacieuse, à la voûte ornée de stalactites diversement colorées, et où deux ou trois ouvriers soudaient, à l’aide de chalumeaux, les singuliers projectiles remarqués naguère sur l’affût du Canon du Sommeil. Mais ce ne furent pas ces complices obscurs qui attirèrent mes yeux. Tanagra et miss Ellen se trouvaient là, attendant sans doute ma venue.

D’un même mouvement, elles me tendirent les mains, et je pressai ces mains fines qu’une angoisse secrète glaçait.

– Le troupeau est rassemblé, dit grossièrement Goertz, par file à droite, et marchons serrés!… Voici pour donner des jambes aux traînards.

Il brandissait un de ces fouets à la longue lanière terminée par des grains de plomb, qui ont rendu si tristement célèbres les Cosaques chargés de la police des grandes cités russes.

Une galerie s’ouvre devant nous. Nous la suivons, régalés par les injures de Goertz.

Ce misérable vaurien se figure probablement qu’il manquerait à son devoir de geôlier s’il n’invectivait pas ses prisonniers.

Ah! l’une des murailles du couloir souterrain a disparu, remplacée par une cloison dont je ne distingue pas l’autre extrémité se perdant dans l’ombre. Cette fois par exemple, cette clôture est, non pas de bois, mais de plaques de fonte boulonnées.

L’odeur du triformaldéhyde se répand plus violente. Si on en juge par cette recrudescence de parfum, nous devons être dans le Saint des Saints de ce sanctuaire du meurtre.

Une porte tourne sans bruit sur ses gonds, laissant passer un jet de lumière verte, trahissant l’action d’une flamme oxhydrique sur une lamelle de cuivre. Goertz hurle:

– Entrez!

Nous ne nous irritons même plus de sa stupide brutalité.

Le spectacle que nous avons sous les yeux absorbe toutes nos facultés. Nous avons fait quelques pas. Nous sommes au centre d’un laboratoire; mais d’un laboratoire modern-style, disposé pour l’étude et la pullulation des infiniment petits.

Tout un côté de la pièce est occupé par une vaste étuve où mijotent des liquides dont la seule vue donne le frisson. Quelles épidémies grouillent dans ces marmites véritablement infernales, quels bacilles virulents, bâtonnets, virgules, chapelets, microcoques ou streptocoques? Ah! le professeur Morisky, cet insensé sinistre, a eu raison de s’intituler l’Attila des microorganismes.

Que sont les conquérants, les grands meneurs d’hommes, ébranlant le sol du roulement des chars d’airain, des artilleries formidables, emplissant l’air du bruit des pas des multitudes entraînées à leur suite, auprès de ce personnage qui, de sa main décharnée, sèmera sur les peuples la mort avec de l’impalpable.

L’alchimie a suivi la loi de progrès. Les anciens adeptes ont renoncé à préparer l’Élixir de longue Vie; leurs successeurs eux, débitent l’Élixir de brève Mort.

Ceci est tellement hideux que j’ai l’impression que ce n’est pas vrai.

Hélas! il n’y a de faux que mon impression.

Morisky est là, mirant amoureusement une bouteille de verre plate, sur la paroi de laquelle se détachent des floraisons violacées… Chacune de ces petites agglomérations est une nation de microbes… C’est l’armée inépuisable qui ira tuer sur l’ordre du savant. Près de lui, jouant avec des pincettes de verre, aux pointes effilées ainsi que des cheveux, véhicules menus et fragiles qui permettent de manier les bacilles mortels, le prince Strezzi ricane d’un mauvais rire.

– Ah! vous voilà!… Je suis ravi de vous voir. Vous recevant dans mon usine, vous les premiers… j’aurai la coquetterie de vous convier à la visite du propriétaire. Vous verrez tout, c’est très curieux… Que de gens voudraient être à votre place. Mais voilà, il y a une petite formalité à remplir… Il faut renoncer à vivre pour connaître…, comme le dit la Bible. L’arbre de la science coûte la vie à quiconque déguste ses fruits.

Les vieilles histoires de maléfices ne se représentent-elles pas à l’esprit. N’est-ce point là l’Esprit Malin, marchandant l’urne du pécheur avide des jouissances de la brève existence terrestre?

C’est cela et c’est pire. Le démon n’était que symbole. Ici, nous avons en face de nous un être que son apparence classe parmi les humains!

Mes compagnes de captivité et moi-même restions médusés. Sans doute elles éprouvaient, comme moi, le découragement de l’être exposé à l’inévitable.

Le nageur emporté dans les tourbillons du Maëlstrom; le malheureux qui, du haut d’une tour, d’une falaise, tombe dans le vide; le condamné sous le couperet fatal de la guillotine, savent, que dans un temps très bref, qu’il n’est pas en leur pouvoir d’allonger, ils seront noyé, broyé contre terre, décapité. Une résignation fataliste plonge leur volonté dans le coma. Ils s’abandonnent. Nous ressentions quelque chose de semblable. Le destin pesait sur nous et nous écrasait par sa rigueur.

XVII. LA VISITE DU PROPRIÉTAIRE

Strezzi reprit, sans cesser de montrer son insupportable sourire:

– Actuellement, tous les policiers de l’Empire sont à la recherche de X.323. Il est habile, certes. Mais tout le monde est plus adroit que l’homme le mieux doué. Il sera donc pris. C’est une question de jours, de semaines…, soit. Le temps peut varier, la finale, elle, ne variera pas.

Il marqua une pause comme pour assurer à ses paroles une pénétration suffisante dans notre esprit, puis il continua lentement, nous tenant sous son regard, ainsi que le naja fascinant un oiselet.

– J’avais songé à faire encore œuvre de clémence… Vous concevez cela, sir Max Trelam. On a le cerveau farci des contes de l’Alma mater universitaire; on nous a vanté Auguste pardonnant à Cinna… Épargner un ennemi est absurde. Mais, la déviation atavique du raisonnement prévaut… Donc je voulais vous laisser vivre dans la forteresse de Gremnitz. Dans quelques années, mon œuvre menée à bien, j’aurais même pu vous rendre à la société… X. 323 ne l’a pas voulu… Tant pis pour lui… et aussi pour vous. Vous êtes des satellites emportés dans l’orbe d’un astre errant. L’immuable logique des causes vous entraîne aux mêmes perturbations, aux mêmes fins.

Sa voix sonnait étrangement dans le laboratoire. Elle éveillait d’imperceptibles vibrations dans les récipients de cristal rangés sur les planchettes, sur les tables. Elle semblait se dessiner en vigueur sur un grelottement des choses.

Et ce grelottement se communiquait à nos nerfs. Je voyais mes chères aimées Tanagra frissonner, et je sentais, avec la honte d’un gentleman conscient de sa faiblesse, que leurs grands yeux aux reflets verts et bleus, fixés sur moi, ne pouvaient puiser aucun encouragement dans mon attitude.

Moi aussi, je frémissais, secoué par un invincible tremblement.

– Donc, poursuivit le prince Strezzi, j’ai renoncé à la manière sentimentale pour adopter la manière forte. X. 323 capturé, vous périrez tous, avec la consolation d’assurer à la science un pas en avant. Mon cher maître et ami, le professeur Morisky vous admettra à l’honneur de devenir des sujets d’expériences.

Tous trois nous eûmes le sentiment que nous allions défaillir… Sujets d’expériences de ce fou, apôtre exécrable de la propagation des fléaux. À quelles maladies, à quelles horribles affections nous condamnerait-il?

Et comme s’il répondait à notre pensée, le prince expliqua:

– Un mal étrange, terrifiant, domina tout le moyen âge. Aujourd’hui, il a presque disparu de la surface du globe. Morisky le fera renaître, et votre sang servira à la préparation du sérum nocif qui répandra de nouveau la lèpre parmi les hommes.

Nous eûmes un soupir profond, incapables d’articuler un son.

La lèpre! La décomposition vivante. L’être s’effritant en squames sans cesser de penser… Il condamnerait Tanagra, miss Ellen, à ce supplice devant lequel les plus cruelles inquisitions, les plus affolés Ignace de Loyola, les plus sanguinaires assassins auraient reculé.

Un flot de haine me monta aux lèvres; j’eus le besoin irrésistible d’insulter le bourreau et… il ne me vint à la bouche que cette réminiscence du poète néerlandais Feldgraeve:

– Vous avez donc toute honte bue, que vous vous ravalez sans effort au rang des plus répugnants des fauves?

Il me répondit d’un ton de bonne humeur, en continuant la citation:

– J’aime la haine! Je ne m’inquiète pas de ce qu’elle fait de moi. Je m’intéresse seulement à ce qu’elle fasse de mes ennemis des victimes.

Cet assassin connaissait aussi Feldgraeve.

Puis, aussi calme que si mon interruption ne s’était pas produite, il enchaîna son discours:

– Cependant, mon cœur reste pitoyable. Votre existence, mesdames, menace la mienne, met ma fortune en péril, et néanmoins, je serais disposé à vous faire grâce.

– Vous, m’écriai-je d’un ton de doute outrageant?

– Moi!

– Sans doute à quelque condition inacceptable?

Il haussa les épaules avec insouciance:

– Oh! moi, je préférerais n’importe quoi à la lèpre… Ceci n’est point un conseil, c’est l’énoncé d’une vérité. Vous êtes libres d’ailleurs d’accepter ou de refuser la vie. Je ne vois pas dès lors quel intérêt vous auriez à ignorer mes conditions.

J’échangeai un regard avec miss Ellen. D’un mouvement des yeux, la jeune fille me pria d’interroger.

Tanagra, elle, semblait absente. Un pli de réflexion traçait un sillon sur son front. À quoi songeait-elle? Sa main cherchant celle de sa sœur et l’étreignant doucement me le révéla. C’était à l’enfant à qui elle s’était dévouée qu’elle pensait encore.

Allons! Je me retourne vers Strezzi qui attend ma décision d’un air fort paisible, tandis que Morisky, lui, se livre à une inquiétante cuisine dans les étuves, aidé par le contremaître Goertz qu’il a appelé à lui d’un geste anguleux.

– Voyons les conditions?

Un frémissement passa sur le visage du prince.

– Une seule. Ces «dames» (damen en allemand) possèdent bien certainement, dans une cachette connue d’elles seules, une photographie de leur frère… Qu’elles me la confient, elles vivront!… et lui…

Il n’achève pas. Les deux sœurs se sont redressées. Dans leurs yeux un éclair brille… L’indignation a chassé la terreur.

Elles ont compris, comme moi-même, l’odieuse proposition.

Ce que veut Strezzi, c’est le visage réel de l’homme insaisissable, parce que nul ne le connaît sans déguisement.

Il a fait le raisonnement suivant:

– X. 323, dans ces circonstances critiques, a évidemment adopté la plus sûre de ses transformations. Il circule au naturel, et ainsi il est introuvable.

La mise en scène d’horreur, l’angoisse dont il nous a fait frissonner, tout cela était la préparation savante de l’état d’esprit où il pensait nous avoir à sa merci.

Et les paroles de X. 323 me revinrent en mémoire.

– Celui-là est un adversaire exceptionnel.

Mais les Tanagra, elles aussi, sont des âmes d’exception.

La lèpre leur apparaît moins à redouter que l’infamie de la trahison. C’est d’une seule voix vibrante, assurée, qu’elles ripostent:

– Jamais.

Je les confonds dans une même admiration. Elles n’ont pas tenté de ruser, de nier la possession d’un portrait réel de leur frère. Elles avouent qu’elles en connaissent, qu’elles pourraient en livrer, mais elles refusent d’agir ainsi.

Une contraction des traits de Strezzi m’indiqua sa déception.

Cependant, il s’adressa à moi:

– Que pensez-vous de l’obstination de ces dames, sir Max Trelam?

Moi aussi, je veux me montrer crâne. Aussi je prononce:

– Je ne puis que les approuver, vous n’en doutez pas.

Alors il me couvre d’un regard venimeux.

– J’estime que vous ne discernez pas entièrement les résultats de la décision que vous approuvez.

Je suis résolu à l’héroïsme. Je suis assuré qu’il va me tomber une cheminée sur la tête, mais je ne veux pas rendre perceptible mon inquiétude intérieure. Je réussis à railler assez agréablement:

– Vous me ferez plaisir en comblant cette lacune.

Il a une moue ironique:

– Plaisir, c’est beaucoup dire. Enfin, j’aurai accompli tout mon devoir de cicerone, je vous aurais renseigné. Par leur refus, ces charmantes dames vous condamnent à la lèpre, en même temps qu’elles-mêmes.

Eh bien…, il paraît que l’on s’accoutume très vite à l’horrible. Je ne sourcille pas, et il me vient à l’esprit une réplique que l’on croirait empruntée aux romans de Mlle de Scudéry. Après tout, j’en ai lu, c’est peut-être tout uniment un effet de mémoire. Cependant, comme je trouve qu’en pareille circonstance, cette mémoire ne manque pas de panache, je lui donne la volée:

– Mourir par elles, pour elles, et avec elles, voilà trois raisons de bénir la mort.

Ah! les chères créatures. Elles tendent leurs mains vers moi, comme pour me remercier de la tendresse enclose dans la phrase un peu ridicule en sa boursouflure.

Mais l’organe sec de Strezzi coupe le geste.

– Vous commencerez à bénir demain, sir Max Trelam.

Et l’index pointé vers les étuves, devant lesquelles Morisky et Goertz se meuvent ainsi que des diables, marmitons noirs de la rôtisserie infernale.

– C’est à votre intention que l’on travaille là… J’ai un dernier mouvement de bonté. Je vous laisse vingt-quatre heures de réflexions… Demain, à pareille heure, une piqûre de bouillon de culture vous punirait d’hésiter encore.

Il prit sur une table une de ces légères seringues de Pravaz, intermédiaires délicats des injections sous-cutanées. Il la promena devant mes yeux.

– Admirez la supériorité de la science moderne, sir Max Trelam. Ce joli instrument est plus dangereux que tout l’arsenal des tortures antiques… Et dire que certaines gens nient le progrès.

Il riait; l’organe grelottant de Morisky, le rude timbre de Goertz lui firent écho, et cette gaieté, je vous assure, avait quelque chose d’impitoyablement pénible.

Le savant chauve avait refermé les portes des étuves.

– Tout sera prêt demain à onze heures. Jusque-là, plus rien à faire.

– Alors, Son Altesse m’accorde la permission de sortir. Je serai de retour à l’heure indiquée.

Strezzi abaissa la tête pour affirmer.

– J’aurais préféré vous voir rester ici, Goertz… Tant que l’ennemi est libre on ne saurait prendre trop de précautions.

– Bah! Altesse. Supposez qu’il me supprime… Vous savez que je m’y opposerais de tout mon pouvoir; mais enfin supposons qu’il réussisse… Je ne reviendrais pas. Mon absence même vous avertirait qu’il rôde aux environs et faciliterait sa capture.

– C’est vrai, mais je tiens à vous conserver. Morisky me vantait encore ce matin vos services…

– Ah! je lui en rendrai encore… Je ne suis pas anarchiste à l’eau de roses, moi… Détruire est un bonheur pour moi. Allons, au revoir, messieurs… Il y a un satané microbe qui m’appelle au dehors, un microbe aux cheveux noirs qui se dénomme Francesca… Une brave créature, allez… Elle a empoisonné sa mère, parce que la vieille gênait nos rendez-vous!

L’homme riait, bestial…

– À demain donc; on sèmera la lèpre… De ça, je rirai longtemps… Les Compagnons de la dynamite élèveraient une statue au professeur Morisky.

Il était sorti.

Strezzi, très calme, prit le bras du savant néfaste et lentement nous dit:

– Vous serez libres dans mon usine souterraine. Je veux vous la faire connaître. Devant la grandeur de la science, vous vous sentirez peut-être humbles. Vous comprendrez la lutte impossible… Vous apprécierez plus justement la situation.

Puis la voix changée, cet étonnant misérable ayant revêtu le masque indifférent d’un hôte montrant son installation, il nous fit parcourir la terrible usine, d’où la mort rayonnait sur le globe.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
270 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
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