Читайте только на Литрес

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Vies des dames galantes», sayfa 24

Yazı tipi:

M. le grand-prieur luy releva aussi-tost ces mots, en luy faisant entendre que la vieillesse n'avoit rien gaigné sur elle, et que mal-aisément il ne passeroit pas celuy-là, et que son automne surpassoit tous les printemps et estez qui estoient en cette salle. Comme de vray, elle se monstroit encor une très-belle dame et fort aimable, voire plus que ses deux filles, toutes belles et jeunes qu'elles estoient; si avoit-elle bien alors près de soixante bonnes années. Ces deux petits mots que M. le grand-prieur donna à madame la marquise luy plurent fort, selon que nous pusmes cognoistre à son visage riant, à sa parole et à sa façon. Nous partismes de-là extresmement bien édifiés de cette belle dame et surtout M. le grand-prieur, qui en fust aussi-tost espris, ainsi qu'il nous le dit. Il ne faut donc douter si cette belle dame et honneste, et sa belle troupe de dames, convia M. le grand-prieur tous les jours d'aller à son logis; car si on n'y alloit l'après-dinée on y alloit le soir. M. le grand-prieur prit pour sa maistresse sa fille aisnée, encore qu'il aimast mieux la mère; mais ce fut per adumbrar la cosa103.

Il se fit force courements de bague, où M. le grand-prieur emporta le prix, force ballets et danses. Bref, cette belle compagnie fut cause que, luy ne pensant séjourner que quinze jours, nous y fusmes pour nos six sepmaines, sans nous y fascher nullement, car nous y avions nous autres aussi bien fait des maistresses comme nostre général. Encore y eussions demeuré davantage, sans qu'un courrier vint du Roy son maistre, qui lui porta nouvelles de la guerre eslevée en Escosse; et pour ce falloit mener et faire passer ses galleres de levant en ponant, qui pourtant ne passèrent de huict mois après. Ce fut à ce départir de ces plaisirs délicieux, et de laisser la bonne et gentille ville de Naples: et ne fut à M. nostre général et à tous nous autres sans grandes tristesses et regrets, mais nous faschant fort de quitter un lieu où nous nous trouvions si bien.

Au bout de six ans, ou plus, nous allasmes au secours de Malte. Moy estant à Naples, je m'enquis si madite dame la marquise estoit encor vivante; on me dit qu'ouy, et qu'elle estoit en la ville. Soudain je ne faillis de l'aller voir, et fus aussi-tost recogneu par un vieux maistre d'hostel de céans, qui l'alla dire à madite dame que je luy voulois baiser les mains. Elle, qui se ressouvint de mon nom de Bourdeille, me fit monter en sa chambre et la voir. Je la trouvay qui gardoit le lict, à cause d'un petit feu vollage qu'elle avoit d'un costé de jouë. Elle me fit, je vous jure, une très-bonne chere: je ne la trouvay que fort peu changée, et encore si belle, qu'elle eust bien fait commettre un péché mortel, fust de fait ou de volonté. Elle s'enquit fort à moy des nouvelles de M. le grand-prieur, et d'affection, et comme il estoit mort, et qu'on lui avoit dit qu'il avoit esté empoisonné, maudissant cent fois le malheureux qui avoit fait le coup. Je luy dis que non, et qu'elle otast cela de sa fantaisie, et qu'il estoit mort d'un purisy faux et sourd qu'il avoit gaigné à la bataille de Dreux, où il avoit combattu comme un César tout le jour; et le soir à la dernière charge, s'estant fort échauffé au combat, et suant, se retirant le soir qu'il geloit à pierre fendre, se morfondit, et se couva sa maladie, dont il mourut un mois ou six semaines après. Elle monstroit, par sa parole et sa façon, de le regretter fort: et notez que, deux ou trois ans auparavant, il avoit envoyé deux galleres en cours sous la charge du capitaine Beaulieu, l'un de ses lieutenants de galleres. Il avoit pris la bandiere de la reyne d'Escosse, qu'on n'avoit jamais veue vers les mers de levant, ny cogneuë, dont on estoit fort esbahy; car, de prendre celle de France, n'en falloit point parler, pour l'alliance entre le Turc.

M. le grand-prieur avoit donné charge au dit capitaine Beaulieu de prendre terre à Naples, et de visiter de sa part madame la marquise et ses filles, auxquelles trois il envoyoit force présents de toutes les petites singularitez qui estoient lors à la Cour et au palais, à Paris et en France; car ledit sieur grand-prieur estoit la libéralité et magnificence mesme: à quoy ne faillit le capitaine Beaulieu, et de présenter le tout, qui fut très-bien receu, et pour ce fut récompensé d'un beau présent. Madame la marquise se ressentoit si fort obligée de ce présent, et de la souvenance qu'il avoit encor d'elle, qu'elle me le réïtera plusieurs fois, dont elle l'en aima encore plus. Pour l'amour de luy elle fit encore une courtoisie à un gentilhomme gascon, qui estoit lors aux galleres de M. le grand-prieur, lequel, quand nous partismes, demeura dans la ville, malade jusqu'à la mort. La fortune fut si bonne pour luy, que, s'addressant à la dite dame en son adversité, elle le fit si bien secourir qu'il eschappa, et le prit en sa maison, et s'en servit, que, venant à vacquer une capitainerie en un de ses chasteaux, elle la luy donna, et luy fit espouser une femme riche. Aucuns de nous autres ne sceusmes qu'estoit devenu le gentilhomme, et le pensions mort, si non lors que nous fismes ce voyage de Malte il se trouva un gentilhomme qui estoit cadet de celuy dont j'ay parlé, qui un jour, sans y penser, parlant à moy de la principale occasion de son voyage qui estoit pour chercher nouvelles d'un sien frère qui avoit esté à M. le grand-prieur, et estoit resté malade à Naples il y avoit plus de six ans, et que depuis il n'en avoit jamais sceu nouvelles, il m'en alla souvenir, et depuis m'enquis de ses nouvelles aux gens de madame la marquise, qui m'en contèrent, et de sa bonne fortune: soudain je le rapportay à son cadet, qui m'en remercia fort, et vint avec moi chez ma dite dame qui en prit encor plus de langue, et l'alla voir où il estoit.

Voilà une belle obligation pour une souvenance d'amitié qu'elle avoit encore, comme j'ay dit; car elle m'en fit encore meilleure chere, et m'entretint fort du bon temps passé, et de force autres choses qui faisoient trouver sa compagnie très-belle et très-aimable; car elle estoit de très-beau et bon devis, et très-bien parlante. Elle me pria cent fois ne prendre autre logis ny repas que le sien, mais je ne le voulus jamais, n'ayant esté mon naturel d'estre importun ny coquin. Je l'allois voir tous les jours, pour sept ou huict jours que nous demeurasmes, et y estois très-bien venu, et sa chambre m'estoit toujours ouverte sans difficulté. Quand je luy dis adieu, elle me donna des lettres de faveur à son fils M. le marquis de Pescaire, général pour lors en l'armée espagnole: outre ce, elle me fit promettre qu'au retour je passerois pour la revoir, et de ne prendre autre logis que le sien. Le malheur fut tant pour moy, que les galleres qui nous tournèrent ne nous mirent à terre qu'à Terracine, d'où nous allasmes à Rome, et ne pus tourner en arrière; et aussi que je m'en voulois aller à la guerre d'Hongrie; mais, estans à Venise, nous sceusmes la mort du grand Soliman. Ce fut-là où je maudis cent fois mon malheur que je ne fusse retourné aussi bien à Naples, où j'eusse bien passé mon temps, et possible, par le moyen de ma dite dame la marquise, j'y eusse rencontré une bonne fortune, fust par mariage ou autrement; car elle me faisoit ce bien de m'aimer. Je croy que ma malheureuse destinée ne le voulut, et me voulut encore ramener en France pour y estre à jamais malheureux, et où jamais la bonne fortune ne m'a monstré bon visage, si-non par apparence et beau semblant; d'estre estimé gallant homme de bien et d'honneur prou, mais des moyens et des grades point, comme aucuns de mes compagnons, voire d'autres plus bas, lesquels j'ay veu qu'ils se fussent estimez heureux que j'eusse parlé à eux dans une Cour, dans une chambre de roy ou de reyne, ou une salle, encore à costé ou sur l'espaule, qu'aujourd'huy je les vois advancés comme potirons, et fort aggrandis, bien que je n'aye affaire d'eux et ne les tienne plus grands que moy, ny que je leur voulusse déférer en rien de la longueur d'un ongle. Or bien pour moy je peux en cela pratiquer le proverbe que nostre rédempteur Jésus-Christ a profféré de sa propre bouche, que nul ne peut estre prophete en son pays. Possible, si j'eusse servi des princes estrangers, aussi bien que les miens, et cherché l'adventure parmy eux comme j'ay fait parmy les nostres, je serois maintenant plus chargé de biens et dignitez que ne suis de douleurs et d'années. Patience: si ma parque m'a ainsi filé, je la maudis; s'il tient à mes princes, je les donne à tous les diables, s'ils n'y sont.

Voilà mon conte achevé de cette honnorable dame. Elle est morte en une très-grande réputation d'avoir esté une très-belle et honneste dame, et d'avoir laissé après elle une belle et généreuse lignée, comme M. le marquis son aisné, don Juan, don Carlos, don Césare d'Avalos; que j'ay tous veus et desquels j'en ay parlé ailleurs: les filles de mesme ont ensuivy les frères.

Or, je fais fin à mon principal discours.

DISCOURS SIXIÈME

Sur ce que les belles et honnestes femmes aiment les vaillants hommes, et les braves hommes aiment les dames courageuses

Il ne fut jamais que les belles et honnestes dames n'aimassent les gens braves et vaillants, encore que de ieur nature elles soyent poltronnes et timides; mais la vaillance a telle vertu à l'endroit d'elles, qu'elles l'aiment. Que c'est que de se faire aimer à son contraire, malgré son naturel! Et, qu'il ne soit vray, Vénus, qui fut jadis la déesse de beauté, de toute gentillesse et honnesteté, estant à mesme, dans les cieux et en la cour de Jupiter, pour choisir quelque amoureux gentil et beau, et pour faire cocu son bonhomme de mary Vulcain, n'en alla aucun choisir des plus mignons, des plus fringants ny des plus frisés, de tant qu'il y en avoit, mais choisit et s'amouracha du dieu Mars, dieu des armées et des vaillances, encore qu'il fust tout sallaud, tout suant de la guerre d'où il venoit, et tout noirci de poussière et malpropre ce qu'il se peut, centant mieux son soldat de guerre que son mignon de cour; et, qui pis est encore, bien souvent, possible, tout sanglant, revenant des batailles, couchoit-il avec elle sans autrement se nettoyer et parfumer.

– La généreuse belle reyne Pantasilée, la renommée luy ayant fait à sçavoir les valeurs et vaillances du preux Hector, et ses merveilleux faits d'armes qu'il faisoit devant Troye sur les Grecs, au seul bruit s'amouracha de luy tant, que, par un désir d'avoir d'un si vaillant chevalier des enfants, c'est-à-dire filles qui succédassent a son royaume, s'en alla le trouver à Troye, et, le voyant, le contemplant et l'admirant, fit tout ce qu'elle peut pour se mettre en grâce avec luy, non moins par les armes qu'elle faisoit, que par sa beauté, qui estoit très-rare; et jamais Hector ne faisoit saillie sur ses ennemis qu'elle ne l'y accompagnast, et ne se meslast aussi avant que Hector là où il faisoit le plus chaud; si que l'on dit que plusieurs fois, faisant de si grandes proüesses, elle en faisoit esmerveiller Hector, tellement qu'il s'arrestoit tout court comme ravy souvent au milieu des combats les plus forts, et se mettoit un peu à l'escart pour voir et contempler mieux à son aise cette brave reyne à faire de si beaux coups. De-là en avant il est à penser au monde ce qu'ils firent de leurs amours, et s'ils les mirent à exécution: le jugement en peut estre bientost donné; mais tant y a que leur plaisir ne peut pas durer longuement; car elle, pour mieux complaire à son amoureux, se précipitoit ordinairement aux hasards, qu'elle fut tuée à la fin parmi la plus forte et plus cruelle meslée. Aucuns disent pourtant qu'elle ne vid pas Hector, et qu'il estoit mort devant qu'elle arrivast, dont arrivant et sçachant la mort, entra en un si grand dépit et tristesse, pour avoir perdu le bien de sa veuë qu'elle avoit tant desiré et pourchassé de si loingtain pays, qu'elle s'alla perdre volontairement dans les plus sanglantes batailles, et mourut, ne voulant plus vivre puisqu'elle n'avoit peu voir l'objet valeureux qu'elle avoit le mieux choisi et plus aimé. De mesmes en fit Tallestride, autre reyne des Amazones, laquelle traversa un grand pays, et fit je ne sçay combien de lieuës pour aller trouver Alexandre le Grand, luy demandant par mercy, ou à la pareille, de ce bon temps que l'on faisoit, et le donnoit-on pour la pareille; coucha avec luy pour avoir de la ligéne d'un si grand et généreux sang, l'ayant ouy tant estimer; ce que volontiers Alexandre luy accorda; mais bien gasté et dégousté s'il eust fait autrement, car la digne reyne estoit bien aussi belle que vaillante. Quinte Curce, Oroze et Justin l'asseurent, et qu'elle vint trouver Alexandre avec trois cents dames à sa suite, tant bien en point et de si bonne grace, portans leurs armes, que rien plus; et fit ainsi la révérence à Alexandre, qui la recueillit avec un très-grand honneur, et demeura l'espace de treize jours et treize nuicts avec luy, s'accommoda du tout à ses volontez et plaisirs, luy disant pourtant tousjours que si elle en avoit une fille, qu'elle la garderoit comme un très-précieux trésor: si elle en avoit un fils, qu'elle luy envoyeroit, pour la haine extreme qu'elle portoit au sexe masculin, en matiere de regner, et avoir aucun commandement parmy elles, selon les loix introduites en leurs compagnies depuis qu'elles tuèrent leurs marys. Ne faut douter là-dessus que les autres dames et sous-dames n'en firent de mesme et ne se firent couvrir aux autres capitaines et gendarmes du dit Alexandre; car, en cela, il falloit faire comme la dame.

La belle vierge Camille, belle et généreuse, et qui servoit si fidellement Diane, sa maistresse, parmy les forests et les bois, en ses chasses, ayant senty le vent et la vaillance de Turnus, et qu'il avoit à faire avec un vaillant homme aussi, qui estoit Enée, et qui luy donnoit de la peine, choisit son parti et le vint trouver seulement avec trois fort honnestes et belles dames de ses compagnes, qu'elle avoit esleu pour ses grandes amies et fideles confidentes, et tribades pensez, et pour friquarelle; et pour l'honneur en tous lieux s'en servoit, comme dit Virgile en ses Æneïdes, et s'appeloit l'une Armie la vierge et la vaillante, et l'autre Iulle, et la troisiesme Tarpée, qui sçavoit bien bransler la pique et le dard, en deux façons diverses pensez, et toutes trois filles d'Italie. Camille donc vint ainsi avec sa belle petite bande (aussi dit-on petit et beau et bon) trouver Turnus, avec lequel elle fit de très-belles armes, et s'advança si souvent et se mesla parmy les vaillants Troyens, qu'elle fut tuée, avec très-grand regret de Turnus, qui l'honnoroit beaucoup, tant pour sa beauté que pour son bon secours. Ainsi ces dames belles et courageuses alloient rechercher les braves et vaillants, les secourans en leurs guerres et combats. Qui mit le feu d'amour si ardent dans la poitrine de la pauvre Didon, si-non la vaillance qu'elle sentit en son Enéas, si nous voulons croire Virgile? Car, après qu'elle l'eut prié de luy raconter les guerres, désolations et destruction de Troye, et qu'il l'en eut contenté, à son grand regret pourtant pour renouveller telles douleurs, et qu'en son discours il n'oublioit pas ses vaillantises, et les ayant Didon très-bien remarquées et considérées en soy, lorsqu'elle commença à déclarer à sa sœur Anne son amour, les plus prégnantes et principales paroles qu'elle luy dit, furent: «Hà! ma sœur, quel hoste est cettuy-cy qui est venu chez moy! la belle façon qu'il a, et combien se monstre-t-il en grace d'estre brave et vaillant, soit en armes et en courage! et croy fermement qu'il est extraict de quelque race des dieux; car les cœurs villains sont coüards de nature.» Telles furent ses paroles. Et croy qu'elle se mit à l'aimer, tant aussi parce qu'elle estoit brave et généreuse, et que son instinct a poussoit d'aimer son semblable, aussi pour s'en aider et servir en cas de nécessité. Mais le malheureux la trompa et l'abandonna misérablement; ce qu'il ne devoit faire à cette honneste dame qui luy avoit donné son cœur et son amour; à luy, dis-je, qui estoit un estranger et un forbanny104.

– Bocace, en son livre des Illustres malheureux, fait un conte d'une duchesse de Furly, nommée Romilde, laquelle, ayant perdu son mary, ses terres et son bien, que Caucan, roy des Avarois, luy avoit tout prit, et réduite à se retirer avec ses enfants dans son chasteau de Furly, là où il l'assiégea. Mais un jour qu'il s'en approchoit pour le recognoistre, Romilde, qui estoit sur le haut d'une tour, le vid, et se mit fort à le contempler et longuement; et le voyant si beau, estant à la fleur de son aage, monté sur un beau cheval, et armé d'un harnois très-superbe, et qu'il faisoit tant de beaux exploict d'armes, et ne s'espargnoit non plus que le moindre soldat des siens, en devint incontinent passionnément amoureuse; et, laissant arrière le deuil de son mary et les affaires de son chasteau et de son siége, luy manda par un messager que, s'il la vouloit prendre en mariage, qu'elle luy rendroit la place dès le jour que les nopces seroient célébrées. Le roy Cauean la prit au mot. Le jour donc compromis venu, elle s'habille pompeusement de ses plus beaux et superbes habits de duchesse, qui la rendirent d'autant plus belle, car elle l'estoit très-fort; et estant venue au camp du Roy pour consommer le mariage, afin qu'on ne le pust blasmer qu'il n'eust tenu sa foy, se mit toute la nuict à contenter la duchesse eschauffée. Puis lendemain au matin, estant levé, fit appeler douze soldats avarois des siens, qu'il estimoit les plus forts et roides compagnons, et mit Romilde entre leurs mains pour en faire leur plaisir l'un après l'autre; laquelle repassèrent tout une nuict tant qu'ils purent: et le jour venu, Caucan, l'ayant fait appeller, luy ayant fait forces reproches de sa lubricité et dit force injures, la fit empaler par sa nature, dont elle en mourut. Acte cruel et barbare certes, de traitter ainsi une si belle et honneste dame, au lieu de la reconnoistre, la récompenser et traitter en toute sorte de courtoisie, pour la bonne opinion qu'elle avoit eue de sa générosité, de sa valeur et de son noble courage, et l'avoir pour cela aimé! A quoy quelquefois les dames doivent bien regarder, car il y a de ces vaillants qui ont tant accoustumé à tuer, à manier et à battre le fer si rudement, que quelquefois il leur prend des humeurs d'en faire de mesme sur les dames. Mais tous ne sont pas de ces complexions; car, quand quelques honnestes dames leur font cet honneur de les aimer et avoir bonne opinion de leur valeur, laissent dans le camp leurs furies et leurs rages, et dans des cours et dans des chambres s'accommodent aux douceurs et à toutes les bonnestetez et courtoisies. Bandel, dans ses Histoires tragiques, en raconte une, qui est la plus belle que j'aye jamais leu, d'une duchesse de Savoye, laquelle un jour en sortant de sa ville de Thurin, et ayant ouy une pellerine espagnole, qui alloit à Lorette pour certain veu, s'escrier et admirer sa beauté, et dire tout haut que si une belle et parfaite dame estoit mariée avec son frere le seigneur de Mendozze, qui estoit si beau, si brave et si vaillant, qu'il se pourroit bien dire partout que les deux plus beaux pairs du monde estoient couplez ensemble. La duchesse, qui entendoit très-bien la langue espagnole, ayant en soy très-bien engravés et remarqués ces mots, et dans son ame s'y mit aussi à en graver l'amour, si bien que par un tel bruit elle devint tant passionnée du seigneur de Mendozze, qu'elle ne cessa jamais jusques à ce qu'elle eust projeté un feint pellerinage à Saint Jacques, pour voir son amoureux si-tost conceu; et, s'estant acheminée en Espagne, et pris le chemin par la maison du seigneur de Mendozze, eut temps et loisir de contenter et rassasier sa veuë de l'objet beau qu'elle avoit esleu; car la sœur du seigneur de Mendozze, qui accompagnoit la duchesse, avoit adverty son frère d'une telle et si noble et belle venue: à quoy il ne faillit d'aller au devant d'elle bien en point, monté sur un beau cheval d'Espagne, avec une si belle grace que la duchesse eut occasion de se contenter de la renommée qui luy avoit esté rapportée, et l'admira fort, tant pour sa beauté que pour sa belle façon, qui monstroit à plein la vaillance qui estoit en luy, qu'elle estimoit bien autant que les autres vertus et accomplissements et perfections; présageant dès lors qu'un jour elle en auroit bien affaire, ainsi que par après il luy servit grandement en l'accusation fausse que le comte Pancalier fit contre sa chasteté. Toutes fois, encore qu'elle le tint brave et courageux pour les armes, si fut-il pour ce coup coüard en amours; car il se monstra si froid et respectueux envers elle, qu'il ne luy fit nul assaut de paroles amoureuses; ce qu'elle aimoit le plus, et pourquoy elle avoit entrepris son voyage; et, pour ce, dépitée d'un tel froid respect ou plustost de telles coüardises d'amours, s'en partit le lendemain d'avec luy, non si contente qu'elle eust voulu. Voilà comment les dames quelquefois aiment bien autant les hommes hardis pour l'amour comme pour les armes, non qu'elles veuillent qu'ils soient effrontez et hardis, impudents et sots, comme j'en ay cogneu; mais il faut en cela qu'ils tiennent le medium. J'ay cogneu plusieurs qui ont perdu beaucoup de bonnes fortunes pour tels respects, dont j'en ferois de bons contes si je ne craignois m'esgarer trop de mon discours; mais j'espère les faire à part: si diray-je cettuy-cy. J'ay ouy conter d'autres fois d'une dame, et des très-belles du monde, laquelle, ayant de mesme ouy renommer un pour brave et vaillant, et qu'il avoit desjà en son aage fait et parfait de grands exploicts d'armes, et surtout gaignées deux grandes et signalées batailles contre ses ennemis105, eut grand désir de le voir, et pour ce fit un voyage dans la province où pour lors il y faisoit séjour, sous quelque autre prétexte que je ne diray point. Enfin elle s'achemina; mais et qu'est-il impossible à un brave cœur amoureux? Elle le void et contemple à son aise, car il vint fort loing au-devant d'elle, et la reçoit avec tous les honneurs et respects du monde, ainsi qu'il devoit à une si grande, belle et magnanime princesse, et trop, comme dit l'autre, car il luy arriva de mesme comme au seigneur de Mendozze et à la duchesse de Savoye; et tels respects engendrerent pareils mescontentements et dépits, si bien qu'elle partit d'avec luy non si bien satisfaite comme elle y estoit venuë. Possible qu'il y eust perdu son temps et qu'elle n'eust obéy à ses volontez; mais pourtant l'essay n'en fust esté mauvais, ains fort honorable, et l'en eust-on estimé davantage. De quoy sert donc un courage hardy et généreux, s'il ne se monstre en toutes choses, et mesmes en amours comme aux armes, puisque armes et amours sont compagnes, marchent ensemble et ont une mesme sympathie: ainsi que dit le poëte, tout amant est gendarme, et Cupidon a son camp et ses armes aussi-bien que Mars. M. de Ronsard en a fait un beau sonnet dans ses premieres amours.

Or, pour tourner encore aux curiositez qu'ont les dames de voir et aimer les gens généreux et vaillants, j'ay ouy raconter à la Reyne d'Angleterre Élisabeth, qui regne aujourd'huy, un jour, elle estant à table, faisant souper avec elle M. le grand-prieur de France, de la maison de Lorraine, et M. d'Anville, aujourd'huy M. de Montmorency et connestable, parmy ce devis de table et s'estant mis sur les loüanges du feu roy Henry deuxiesme le loua fort de ce qu'il estoit brave, vaillant et généreux, et, en usant de ce mot, fort martial, et qu'il l'avoit bien monstré en toutes ses actions; et que pour ce, s'il ne fust mort si tost, elle avoit résolu de l'aller voir en son royaume, et avoit fait accommoder et apprester ses galeres pour passer en France et toucher entre leurs deux mains la foi et leur paix. «Enfin c'estoit une de mes envies de le voir; je crois qu'il ne m'en eust refusée, car, disoit-elle, mon humeur est d'aymer les gens vaillants, et veux mal à la mort d'avoir ravy un si brave roy, au moins avant que je ne l'aye veu.» Cette mesme reyne, quelque temps après, ayant ouy tant renommer M. de Nemours des perfections et valleurs qui estoient en luy, fut curieuse d'en demander des nouvelles à feu M. de Rendan, lorsque le roy François second l'envoya en Escosse faire la paix devant le petit lict qui estoit assiégé; et ainsi qu'il luy en eust conté bien au long, et toutes les especes de ses grandes et belles vertus et vaillances, M. de Rendan, qui s'entendoit en amours aussi bien qu'en armes, cogneut en elle et son visage quelque estincelle d'amour ou d'affection, et puis en ses paroles une grande envie de le voir. Par quoy ne se voulant arrester en si beau chemin, fit tant envers elle de sçavoir, s'il la venoit voir, s'il seroit le bien venu et receu; ce qu'elle l'en asseura, et par là présuma qu'ils pourroient venir en mariage. Estant donc de retour de son ambassade à la Cour, en fit au Roy et à M. de Nemours tout le discours; à quoy le roy recommanda et persuada à M. de Nemours d'y entendre: ce qu'il fit avec une très-grande joye, s'il pouvoit parvenir à un si beau royaume par le moyen d'une si belle, si vertueuse et honneste Reyne. Pour fin, les fers se mirent au feu; par les beaux moyens que le roy lui donna, il fit de fort grands préparatifs, et très-superbes et beaux appareils, tant d'habillement, chevaux, armes, bref, de toutes choses exquises, sans y rien obmettre (car je vis tout cela), pour aller parestre devant cette belle princesse; n'oubliant surtout d'y mener toute la fleur de la jeunesse de la Cour; si bien que le fol Greffier, rencontrant là-dessus, disoit que c'estoit la fleur des febves, par-là brocardant la follastre jeunesse de la Cour. Cependant M. de Lignerolles, très-habile et accort gentilhomme, et lors fort favory de M. de Nemours son maistre, fut depesché vers la dite Reyne, qui s'en retourna avec une response belle et très-digne de s'en contenter et de presser et avancer son voyage; et me souvient que la Cour en tenoit le mariage pour quasi fait: mais nous nous donnasmes la garde que, tout à coup, ledit voyage se rompit et demeura court, et avec une très-grande despense, très-vaine et inutile pourtant. Je dirois, aussi bien qu'homme de France, à quoy il tint que cette rupture se fit si-non qu'en passant ce seul mot, que d'autres amours, possible, luy serroyent plus le cœur et le tenoient plus captif et arresté; car il estoit si accomply en toutes choses et si adroit aux armes et autres vertus, que les dames à l'envy volontiers l'eussent couru à force, ainsi que j'en ai vu de plus fringantes et plus chastes, qui rompoient bien leur jeusne de chasteté pour luy.

– Nous avons, dans les Cents Nouvelles de la reyne de Navarre Marguerite, une très-belle histoire de cette dame de Milan, qui, ayant donné assignation à feu M. de Bonnivet, depuis amiral de France, une nuict attira ses femmes de chambre avec des espées nues pour faire bruit sur le degré ainsi qu'il seroit prest à se coucher: ce qu'elles firent très-bien, suivant en cela le commandement de leur maistresse, qui de son côté, fit de l'effrayée et craintive, disant que c'estoient ses beaux-frères qui s'estoient aperceus de quelque chose, et qu'elle estoit perdue, et qu'il se cachast sous le lict ou derrière la tapisserie. Mais M. de Bonnivet, sans s'effrayer, prenant sa cape à l'entour du bras et son espée de l'autre, il dit: «Et où sont-ils ces braves frères qui me voudroient faire peur ou mal? Quand ils me verront, ils n'oseront regarder seulement la pointe de mon espée.» Et, ouvrant la porte et sortant, ainsi qu'il vouloit commencer à charger sur ce degré, il trouva ces femmes avec leur tintamarre, qui eurent peur et se mirent à crier et confesser le tout. M. de Bonnivet, voyant que ce n'estoit que cela, les laissa et les recommanda au diable; et se rentra en la chambre, et ferma la porte sur lui, et vint trouver sa dame, qui se mit à rire et l'embrasser, et luy confesser que c'estoit un jeu aposté par elle, et l'asseurer que, s'il eust fait du poltron et n'eust monstré en cela sa vaillance, de laquelle il avoit le bruit, que jamais il n'eust couché avec elle; et pour s'estre monstré ainsi généreux et asseuré, elle l'embrassa et le coucha auprès d'elle; et toute la nuict ne faut point demander ce qu'ils firent; car c'estoit l'une des belles femmes de Milan, et après laquelle il avoit eu beaucoup de peine à la gaigner.

– J'ay cogneu un brave gentilhomme, qui un jour estant à Rome couché avec une gentille dame romaine, son mary absent, luy donna une pareille allarme, et fit venir une de ses femmes en sursaut l'advertir que le mary tournoit des champs. La femme, faisant de l'estonnée, pria le gentilhomme de se cacher dans un cabinet, autrement elle estoit perdue. «Non, non, dit le gentilhomme, pour tout le bien du monde je ne ferois pas cela; mais s'il vient, je le tueray.» Ainsi qu'il avoit sauté à son espée, la dame se mit à rire et confesser avoir fait cela à poste pour l'esprouver, si son mary luy vouloit faire mal, ce qu'il feroit et la défendroit bien.

– J'ay cogneu une très-belle dame qui quitta tout à trac un serviteur qu'elle avoit, pour ne le tenir vaillant, et le changea en un autre qui ne le ressembloit, mais estoit craint et redouté extresmement de son espée, qui estoit des meilleures qui se trouvassent pour lors.

– J'ay ouy faire un conte à la Cour aux anciens, d'une dame qui estoit à la Cour, maistresse de feu M. de Lorge, le bonhomme, en ses jeunes ans l'un des vaillants et renommez capitaines des gens de pied de son temps. Elle, en ayant ouy dire tant de bien de sa vaillance, un jour que le roy François premier faisoit combattre des lions en sa Cour, voulut faire preuve s'il estoit tel qu'on luy avoit fait entendre, et pour ce laissa tomber un de ses gands dans le parc des lyons, estants en leur plus grande furie, et là-dessus pria M. de Lorge de l'aller quérir s'il l'aimoit tant comme il le disoit. Luy, sans s'estonner, met sa cape au poing et l'espée à l'autre main, et s'en va asseurément parmy ces lyons recouvrer le gand. En quoy la fortune luy fut si favorable, que, faisant toujours bonne mine, et monstrant d'une belle asseurance la pointe de son espée aux lyons, ils ne l'osèrent attaquer; et ayant recouru le gand, il s'en retourna devers sa maistresse et luy rendit; en quoy elle et tous les assistants l'en estimèrent bien fort. Mais on dit que, de beau dépit, M. de Lorge la quitta pour avoir voulu tirer son passe-temps de luy et de sa valeur de cette façon. Encores dit-on qu'il luy jeta par beau dépit le gand au nez; car il eust mieux voulu qu'elle luy eust commandé cent fois d'aller enfoncer un bataillon de gens de pied, où il s'estoit bien appris d'y aller, que non de combattre des bestes, dont le combat n'en est guères glorieux. Certes tels essais ne sont ny beaux, ny honnestes, et les personnes qui s'en aident sont fort à reprouver. J'aimerois autant un tour que fit une dame à son serviteur, lequel, ainsi qu'il luy présentoit son service, et l'asseuroit qu'il n'y auroit chose, tant hazardeuse fust-elle, qu'il ne la fist, elle, le voulant prendre au mot, luy dit: «Si vous m'aimez tant, et que vous soyez si courageux que vous le dites, donnez-vous de vostre dague dans le bras pour l'amour de moy.» L'autre, qui mouroit pour l'amour d'elle, la tira soudain, s'en voulant donner: je luy tins le bras et luy ostay la dague, luy remonstrant que ce seroit un grand fol d'aller faire ainsi et de telle façon preuve de son amour et de sa valeur. Je ne nommeray point la dame, mais le gentilhomme estoit feu M. de Clermont-Tallard l'aisné, qui mourut à la bataille de Moncontour, un des braves et vaillants gentilshommes de France, ainsi qu'il le monstra à sa mort, commandant à une compagnie de gens-d'armes, que j'aimois et honorois fort. J'ay ouy dire qu'il en arriva tout de mesme à feu de Genlis, qui mourut en Allemagne, menant les troupes huguenottes aux troisiesmes troubles: car, passant un jour la rivière devant le Louvre avec sa maistresse, elle laissa tomber son mouchoir dans l'eau, qui estoit beau et riche, exprès, et luy dit qu'il se jetast dedans pour luy recourre. Luy, qui ne sçavoit nager que comme une pierre, se voulut excuser; mais elle, luy reprochant que c'estoit un coüard amy, et nullement hardy, sans dire gare se jeta à corps perdu dedans, et, pensant avoir le mouchoir, se fust noyé s'il n'eust esté aussitost secouru d'un autre batteau. Je crois que telles femmes se veulent défaire par tels essays ainsi gentiment de leurs serviteurs, qui possible les ennuyent. Il vaudroit mieux qu'elles leur donnassent de belles faveurs, et les prier, pour l'amour d'elles, les porter aux lieux honorables de la guerre, et faire preuve de leur valeur, ou les y pousser davantage, que non pas faire de ces sottises que je viens de dire, et que j'en dirois une infinité.

103.Pour voiler la chose.
104.Forbany.
105.Le duc d'Anjou, depuis Henri III.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
25 haziran 2017
Hacim:
600 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 5 на основе 1 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок