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Kitabı oku: «Vies des dames galantes», sayfa 28

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Je n'aurois jamais fait si je disois tout; car ses devis furent grands et longs, et point se ressentant d'un corps fany, esprit foible et décadant. Sur ce, il y eut un gentilhomme son voisin qui disoit bien le mot, et avoit aimé à causer et bouffonner avec luy, qui se présenta. Elle luy dit: «Ah! mon amy! il se faut rendre à ce coup, et langue et dague, et tout à Dieu!» Son médecin et ses sœurs luy vouloient faire prendre quelque remede cordial: elle les pria de ne luy en donner point: «car ils ne serviroient rien plus, dit-elle, qu'à prolonger ma vie et retarder mon repos.» Et pria qu'on la laissast: et souvent l'oyoit-on dire: «Mon Dieu, que la mort est douce! et qui l'eust jamais pensé?» Et puis, peu à peu, rendant ses esprit fort doucement, ferma les yeux, sans faire aucuns signes hideux et affreux que la mort produit sur ce poinct à plusieurs. Madame de Bourdeille, sa mere, ne tarda guieres à la suivre; car la mélancolie qu'elle conceut de cette honneste fille l'emporta dans dix-huict mois, ayant esté malade sept mois, ores bien en espoir de guérir et ores en désespoir; et dez le commencement elle dit qu'elle n'en reschapperoit jamais, n'appréhendant nullement la mort, ne priant jamais Dieu de luy donner vie ne santé, mais patience en son mal, et sur-tout qu'il luy envoyast une mort douce et point aspre et langoureuse; ce qui fut, car, ainsi que nous ne la pensions qu'esvanoüie, elle rendit l'ame si doucement qu'on ne luy vit jamais remüer ny pieds, ny bras, ny jambes, ny faire aucun regard affreux ny hideux; mais, contournant ses yeux aussi beaux que jamais, trespassa, et resta morte aussi belle qu'elle avoit esté vivante en sa perfection. Grand dommage certes, d'elle et de ses belles dames qui meurent ainsi en leurs beaux ans! si ce n'est que je croy que le ciel, ne se contentant de ses beaux flambeaux qui dès la création du monde ornent sa voute, veut par elles avoir outre plus des astres nouveaux pour nous illuminer, comme elles ont fait estant vives, de leu beaux yeux. Cette-cy et non plus.

– Vous avez eu ces jours passez madame de Balagny, vray sœur en tout de ce brave Bussy. Quand Cambray fut assiégé elle y fit tout ce qu'elle put, d'un cœur brave et généreux, pou en défendre la prise: mais après s'estre en vain évertuée pa toutes sortes de défenses qu'elle y put apporter, voyant que c'estoit fait, et que la ville estoit en la puissance de l'ennemy, et la citadelle s'en alloit de mesme; ne pouvant supporter ce grand creve-cœur de desloger de sa principauté (car son mary et elle se faisoient appeler prince et princesse de Cambray et Cambresis; titre qu'on trouvoit parmy plusieurs nations odieux et trop audacieux, veu leurs qualitez de simples gentilshommes), mourut et créva de tristesse dans la place d'honneur. Aucuns disent qu'elle mesme se donna la mort, qu'on trouvoit pourtant estre acte plustot payen que chrestien. Tant y a qu'il la faut loüer de la grande générosité en cela et de la remonstrance qu'elle fit à son mary à l'heure de sa mort, quand elle luy dit: «Que te reste-t-il, Balagny, de plus vivre après ta désolée infortune, pour servir de risée et de spectacle au monde, qui te monstrera au doigt, sortant d'une si grande gloire où tu t'es veu haut eslevé, en une basse fortune que je te voy préparée si tu ne fais comme moy? Apprens donc de moy à bien mourir et ne survivre ton malheur et ta dérision.» C'est un grand cas quand une femme nous apprend à vivre et mourir! A quoy il ne voulut obtempérer ny croire! car, au bout de sept ou huict mois, oubliant la mémoire prestement de cette brave femme, il se remaria avec la sœur de madame de Monceaux, belle certes et honneste demoiselle; monstrant à plusieurs qu'enfin il n'y a que vivre, en quelque façon que ce soit.

– Certes la vie est bonne et douce; mais aussi une mort généreuse est fort à loüer, comme cette-cy de cette dame, laquelle, si elle est morte de tristesse, et bien contre le naturel d'aucunes dames, qu'on dit estre contraire au naturel des hommes; car elles meurent de joye et en joye. Je n'en alléguerai que ce seul conte de mademoiselle de Limeuil l'aisnée, qui mourut à la Cour estant l'une des filles de la Reyne. Durant sa maladie dont elle trespassa jamais le bec ne luy cessa, ains causa toujours; car elle estoit fort grand parleuse, brocardeuse et très-bien et fort à propos, et très-belle avec cela. Quand l'heure de sa mort fut venue, elle fit venir à soy son vallet (ainsi que les filles de la Cour en ont chacune le leur), et s'appeloit Julien, qui jouoit très-bien du violon: «Julien, luy dit-elle, prenez vostre violon et sonnez-moy tousjours, jusques à ce que me voyez morte (car je m'y en vois), la defaitte des Suisses, et le mieux que vous pourrez: et quand vous serez sur le mot, tout est perdu, sonnez-le par quatre ou cinq fois, le plus piteusement que vous pourrez;» ce que fit l'autre, et elle-mesme lui aidoit de la voix: et quand ce vint à tout est perdu, elle le récita par deux fois; et se tournant de l'autre costé du chevet, elle dit à ses compagnes: «Tout est perdu à ce coup, et à bon escient;» et ainsi décéda. Voilà une mort joyeuse et plaisante. Je tiens ce conte de deux de ses compagnes dignes de foy, qui virent joüer le mystere. S'il y a ainsi aucunes femmes qui meurent de joye ou joyeusement, il se trouve bien des hommes qui ont fait de mesme; comme nous lisons de ce grand pape Léon, qui mourut de joye et liesse, quand il vit nous autres François chassé du tout hors de l'Estat de Milan, tant il nous portoit de haine.

– Feu M. le grand-prieur de Lorraine prit une fois envie d'envoyer en course vers le Levant, deux de ses galleres sous la charge du capitaine Beaulieu, l'un de ses lieutenants, dont je parle ailleurs, Ce Beaulieu y alla fort bien, car il estoit brave et vaillant: quand il fut vers l'Archipelage, il rencontra une grande nau vénitienne bien armée et bien riche: il la commença à la canonner; mais la nau luy rendit bien sa salue; car de la première volée elle luy emporta deux de ses bancs avec leurs forçats tout net, et son lieutenant qui s'appelloit le capitaine Panier, bon compagnon, qui pourtant eut le loisir de dire: «Adieu paniers, vendanges sont faites.» Sa mort fut plaisante par ce bon mot. Ce fut à M. de Beaulieu à se retirer, car cette nau estoit pour luy invincible.

– La première année que le roy Charles neufiesme fut roy, lors de l'édit de juillet, qui se tenoit aux faux de Saint Germain, nous vismes pendre un enfant de la matte la mesme, qui avait dérobé six vaisselles d'argent de la cuisine de M. le prince de La Roche-sur-Yon. Quand il fut sur l'eschelle, il pria le bourreau de luy donner un peu de temps de parler, et se mit sur le devis en remonstrant au peuple qu'on le faisoit mourir à tort: «car, disoit-il, je n'ay point jamais exercé mes larcins sur des pauvres gens, gueux et malotrus, mais sur les princes et les grands, qui sont plus grands larrons que nous et qui nous pillent tous les jours; et n'est que bien fait de repeter d'eux ce qu'ils nous derrobent et nous prennent.» Tant d'autres sornettes plaisantes, dit-il, qui seroient superflues de raconter, si-non que le prestre qui estoit monté sur le haut de l'eschelle avec luy, et s'estoit tourné vers le peuple, comme on void, il luy escria: «Messieurs, ce pauvre patient se recommande à vos bonnes prières: nous dirons tous pour luy et son ame, un Pater noster et un Ave Maria, et chanterons Salve,» et que le peuple luy respondoit, ledit patient baissa la teste, et regardant ledit prestre, commença à brailler comme un veau et se moqua du prestre fort plaisamment, puis luy donna du pied et l'envoya du haut de l'eschelle en bas, si grand sault qu'il s'en rompit une jambe. «Ah! monsieur le prestre, par Dieu, dit-il, je sçavois bien que je vous deslogerais de là. Il en a, le gallant,» l'oyant plaindre, et se mit à rire à belle gorge déployée, et puis luy-mesme se jetta au vent. Je vous jure qu'à la Cour on rit bien de ce trait, bien que le pauvre prestre se fust fait grand mal. Voilà une mort certes non guieres triste. Feu M. d'Etampes avoit un fou qui s'appeloit Colin, fort plaisant. Quant sa mort s'approcha, M. d'Estampes demanda comment se portoit Colin. On luy dit: «Pauvrement, monsieur, il s'en va mourir, car il ne veut rien prendre. – Tenez, dit M. d'Estampes, qui lors estoit à table, portez-lui ce potage, et dites-luy que, s'il ne prend quelque chose pour l'amour de moy, que je ne l'ameray jamais, car on m'a dit qu'il ne veut rien prendre.» L'on fit l'ambassade à Colin, qui, ayant la mort entre les dents, fit response: «Et qui sont-ils ceux-là qui ont dit à Monsieur que je ne voulois rien prendre?» Et estant entourné d'un million de mouches (car c'estoit en esté), il se mit à joüer de la main à l'entour d'elles, comme l'on voit les pages et laquais et autres jeunes enfants après elles; et en ayant pris deux au coup, et en faisant le petit tour de la main qu'on se peut mieux représenter que l'escrire, «Dittes à Monsieur, dit-il, voilà que j'ay pris pour l'amour de luy, et que je m'en vais au royaume des mouches.» Et se tournant de l'austre costé, le gallant trespassa. Sur ce j'ay ouy dire à aucuns philosophes, que volontiers aucunes personnes se souviennent à leur trespas des choses qu'ils ont plus aimées, et les recordent, comme les gentilshommes, les gens de guerre, les chasseurs et les artisans, bref de tous quasi en leur profession mourants ils en causent quelque mot: cela s'est veu et se voit souvent. Les femmes de mesmes en disent aussi quelque rattellée, jusques aux putains; ainsi que j'ay ouy parler d'une dame d'assez bonne qualité, qui à sa mort triompha de débagouler de ses amours, paillardises et gentillesses passées: si-bien qu'elle en dit plus que le monde n'en sçavoit, bien qu'on la soupconnast fort putain. Possible pouvoit-elle aire cette découverte, ou en resvant, ou que la vérité, qui ne se peut céler, l'y contraignist, ou qu'elle voulust en descharger sa conscience, comme de vray en saine conscience et repentance. Elle en confessa aucuns en demandant pardon, et les espécitioit et cottoit en marge que l'on y voyoit tout à clair. «Vrayment, ce dit quelqu'un, elle estoit bien à loisir d'aller sur cette heure nettoyer sa conscience d'un tel ballay d'escandale, par une si grande spéciauté!»

– J'ay ouy parler d'une dame qui, fort sujette à songer et resver toutes les nuicts, qu'elle disoit la nuict tout ce qu'elle faisoit le jour; si bien qu'elle-mesme s'escandalisa à l'endroit de son mary, qui se mit à l'ouyr parler, gazouiller et prendre pied à ses songes et resveries, dont après mal en prit à elle. Il n'y a pas long-temps qu'un gentilhomme de par le monde, en une province que je ne nommeray point, en mourant en fist de mesme, et publia ses amours et paillardises, et spécifia les dames et damoiselles avec lesquelles il avoit eu à faire, et en quels lieux et rendez-vous, et de quelles façons, dont il s'en confessoit tout haut, et en demandoit pardon à Dieu devant tout le monde. Cettuy-là faisoit pis que la femme, car elle ne faisoit que s'escandaliser, et ledit gentilhomme escandalisoit plusieurs femmes. Voilà de bons gallants et gallantes!

– On dit que les avaritieux et avaritieuses ont aussi cette humeur de songer fort à leur mort en leurs trésors d'escus, les ayant tousjours en la bouche. Il y a environ quarante ans qu'une dame de Mortemar, l'une des plus riches dames du Poictou, et des plus pécunieuses, et après venant à mourir, ne songeant qu'à ses escus qui estoient en son cabinet, et tant qu'elle fut malade se levoit vingt fois le jour à aller voir son trésor. Enfin, s'approchant fort de la mort, et que le prestre l'exhortoit fort à la vie éternelle, elle ne disoit autre chose et ne respondoit que: «Donnez-moi ma cotte, donnez-moi ma cotte; les méchants me des-robbent;» ne songeant qu'à se lever pour aller voir son cabinet, comme elle faisoit les efforts, si elle eust pu la bonne dame; et ainsi elle mourut.

Je me suis sur la fin un peu entrelassé de mon premier discours; mais prenez le cas qu'après la moralité et la tragédie vient la farce. Sur ce je fais fin.

DISCOURS SEPTIEME

Sur ce qu'il ne faut jamais parler mal des dames, et de la conséquence qui en vient

Un point y a-t-il à noter en ces belles et honnestes dames qui font l'amour, et qui, quelques esbats qu'elles se donnent, ne veulent estre offensées ny scandalisées des paroles de personne; et qui les offensent, s'en sçavent bien revancher, ou tost ou tard: bref, elles le veulent bien faire, mais non pas qu'on en parle. Aussi certes n'est-il pas beau d'escandaliser une honneste dame ny la divulguer; car qu'ont à faire plusieurs personnes, si elles se contentent et leurs amoureux aussi? Nos cours de France, aucunes, et mesme les dernieres, qui ont esté fort sujettes à blasonner de ces honnestes dames; et ay veu le temps qu'il n'estoit pas gallant homme qui ne controuvast quelque faux dire contre ces dames, ou bien qui n'en rapportast quelque vray: à quoy il y a un très-grand blasme; car on ne doit jamais offenser l'honneur des dames, et surtout les grandes. Je parle autant de ceux qui en reçoivent des joüissances comme de ceux qui ne peuvent taster de la venaison et la descrient.

Nos cours dernieres de nos roys, comme j'ay dit, ont esté fort sujettes à ces médisances et pasquins, bien différentes à celles de nos autres roys leurs prédécesseurs, fors celle du roy Louis XI, ce bon rompu, duquel on dit que la pluspart du temps il mangeoit en commun, à pleine sale, avec force gentilshommes de ses plus privez, et autres et tout; et celuy qui luy faisoit le meilleur et plus lascif conte des dames de joye, il estoit le mieux venu et festoyé: et luy-mesme ne s'espargnoit à en faire, car il s'en enqueroit fort, et en vouloit souvent sçavoir, et puis en faisoit part aux autres, et publiquement111. C'estoit bien un scandale grand que celuy-là. Il avoit très-mauvaise opinion des femmes, et ne les croyoit toutes chastes. Quand il convia le roy d'Angleterre de venir à Paris faire bonne chère, et qu'il fut pris au mot, il s'en repentit aussitost e trouva un alibi pour rompre le coup. «Ah! pasque Dieu! ce dit-il, je ne veux pas qu'il y vienne; il y trouveroit quelque petite affetee et saffrette de laquelle il s'amouracheroit, et elle luy feroit venir le goust d'y demeurer plus long-temps et d'y venir plus souvent que je ne voudrois.» Il eut pourtant très-bonne opinion de sa femme, qui estoit sage et vertueuse: aussi la luy falloit-il telle, car, estant ombrageux et soubçonneux prince s'il en fut onc, il luy eust bientost fait passer le pas des autres: et quand il mourut, il commanda à son fils d'aimer et honorer fort sa mère, mais non de se gouverner par elle; «non qu'elle ne fust fort sage et chaste, dit-il, mais qu'elle estoit plus bourguignone que françoise.» Aussi ne l'aima-t-il jamais que pour en avoir lignée, et, quand il en eust, il n'en faisoit guieres de cas: il la tenoit au chasteau d'Amboise comme une simple dame, portant fort petit estat et aussi mal habillée que simple damoiselle; et la laissoit là avec petite cour à faire ses prieres, et luy s'alloit pourmener et donner du bon temps. D'ailleurs je vous laisse à penser, puisque le Roy avoit opinion telle des dames et s'en plaisoit à mal dire, comment elles estoient repassées parmy toutes les bouches de la Cour; non qu'il leur voulust mal autrement pour ainsy s'esbattre, ny qu'il les voulust reprimer rien de leurs jeux, comme j'ay veu aucuns; mais son plus grand plaisir estoit de les gaudir; si bien que ces pauvres femmes, pressées de tel bast de médisances, ne pouvoient bien si souvent hausser la croupière si librement comme elles eussent voulu. Et toutesfois le putanisme regna fort de son temps, car le Roy luy-mesme aidoit fort a le faire et le maintenir avec les gentilshommes de sa Cour, et puis c'estoit à qui mieux en riroit, soit en public ou en cachette, et qui en feroit de meilleurs contes de leurs lascivitez et de leurs tordions (ainsi parloit-il) et de leur gaillardise. Il est vray que l'on couvroit le nom des grandes, que l'on ne jugeoit que par apparences et conjectures; je croy qu'elles avoient meilleur temps que plusieurs que j'ay veu du regne du feu roy, qui les tançoit et censuroit, et reprimoit estrangement. Voilà ce que j'ay ouy dire de ce bon roy à d'aucuns anciens. Or le roy Charles huictiesme son fils, qui luy succéda, ne fut de cette complexion; car on dit de luy que ç'a esté le plus sobre et honneste roy en paroles que l'on vid jamais, et n'a jamais offensé ny homme ny femme de la moindre parole du monde. Je vous laisse donc à penser si les belles dames de son regne, et qui se resjouissoient, n'avoient pas bon temps. Aussi les aima-t-il fort et les servit bien, voire trop; car, tournant de son voyage de Naples très-victorieux et glorieux, il s'amusa si fort à les servir, caresser, et leur donner tant de plaisirs à Lyon par les beaux combats et tournois qu'il fit pour l'amour d'elles, que, ne se souvenant point des siens qu'il avoit laissés en ce royaume, les laissa perdre, et villes et royaume et chasteaux qui tenoient encore et luy tendoient les bras pour avoir secours. On dit aussi que les dames furent cause de sa mort, auxquelles, pour s'estre trop abandonné, luy qui estoit de fort debile complexion, s'y énerva et débilita tant que cela luy aida à mourir.

– Le roy Loüis douziesme fut fort respectueux aux dames; car, comme j'ay dit ailleurs, il pardonnoit à tous les comédians de son royaume, comme escoliers et clercs de palais en leurs basoches, de quiconque ils parleroient, fors de la reyne sa femme et de ses dames et damoiselles, encor qu'il fust bon compagnon en son temps et qu'il aimast bien les dames autant que les autres, tenant en cela, mais non de la mauvaise langue, ny de la grande présomption, ny vanterie du duc Loüis d'Orléans, son ayeul: aussi cela lui cousta-t-il la vie, car s'estant une fois vanté tout haut, en un banquet où estoit le duc Jean de Bourgogne son cousin, qu'il avoit en son cabinet le pourtrait des plus belles dames dont il avoit joüy, par cas fortuït, un jour le duc Jean entra dans ce cabinet; la première dame qu'il voit pourtraitte et se présente du premier aspect à ses yeux, ce fut sa noble dame espouse, qu'on tenoit de ce temps-là très-belle: elle s'appeloit Margueritte, fille d'Albert de Bavière, comte de Haynault et de Zelande. Qui fut esbahy? ce fut le bon espoux: pensez que tout bas il dit ce mot: «Ah! j'en ay.» Et ne faisant cas de la puce qui le piquoit autrement, dissimula tout, et, en couvant vengeance, le querella pour la régence et administration du royaume; et colorant son mal sur ce sujet et non sur sa femme, le fit assassiner à la porte Barbette à Paris, et sa femme première morte, pensez de poison: et après la vache morte, espousa en secondes noces la fille de Loüis troisiesme, duc de Bourbon. Possible qu'il n'empira le marché; car à tels gens sujets aux cornes ils ont beau changer de chambres et de repaires, ils y en trouvent toujours. Ce duc en cela fit très-sagement de se vanger de son adultère sans s'escandaliser ny lui ny sa femme; qui fut à luy une très-sage dissimulation. Aussi ay-je ouy dire à un très-grand capitaine qu'il y a trois choses lesquelles l'homme sage ne doit jamais publier s'il en est offensé, et en doit taire le sujet, et plustost en inventer un autre nouveau pour en avoir le combat et la veangeance, si ce n'est que la chose fust si évidente et claire devant plusieurs, qu'autrement il ne se pust desdire. L'une est quand on reproche à un autre qu'il est cocu et sa femme publique; l'autre, quand on le taxe de b… et sodomie; la troisiesme, quand ou luy met à sus qu'il est un poltron, et qu'il a fuy vilainement d'un combat ou d'une bataille. Ces trois choses, disoit ce grand capitaine, sont fort escandaleuses quand on en publie le sujet de laquelle on combat, et pense-t-on quelquefois s'en bien nettoyer que l'on s'en sallist villainement; et le sujet en estant publié scandalise fort, et tant plus il est remué, tant plus mal il sent, ny plus ny moins qu'une grande puanteur quand plus on la remuë. Voilà pourquoy qui peut avoir son honneur caler c'est le meilleur, et excogiter et tenter un nouveau sujet pour avoir raison du vieux; et telles offenses, le plus tard que l'on peut, ne se doivent jamais mettre en cause, contestation ny combat. Force exemples alléguerois-je pour ce fait; mais il m'incommoderoit et allongeroit par trop mon discours. Voilà pourquoy ce duc Jean fut très-sage de dissimuler et cacher ses cornes, et se revanger d'ailleurs sur son cousin qui l'avoit hony; encor s'en mocquoit-il et le faisoit entendre: dont il ne faut point douter que telle dérision et escandale ne luy touchast autant au cœur que son ambition, et luy fit faire ce coup en fort habile et sage mondain.

– Or, pour retourner de-là où j'estois demeuré, le roy François, qui a bien aimé les dames, et encore qu'il eust opinion qu'elles fussent fort inconstantes et variables, comme j'ay dit ailleurs, ne voulut point qu'on en médist en sa cour, et voulut qu'on leur portast un grand honneur et respect. J'ay ouy raconter qu'une fois, luy passant son caresme à Meudon près Paris, il y eut un sien gentilhomme servant, qui s'appelloit Busembourg de Xaintonge, lequel servant le Roy de la viande, dont il avoit dispense, le Roy lui commanda de porter le reste, comme l'on void quelquefois à la Cour, aux dames de la petite bande, que je ne veux nommer, de peur d'escandale. Ce gentilhomme se mit à dire, parmy ses compagnons et autres de la Cour, que ces dames ne se contentoient pas de manger de la chair cruë en caresme, mais en mangeoient de la cuitte, et leur benoist saoul. Les dames le sceurent, qui s'en plaignirent aussitost au Roy, qui entra en si grande collere, qu'à l'instant il commanda aux archers de la garde de son hostel de l'aller prendre et pendre sans autre delay. Par cas ce pauvre gentilhomme en sceut le vent par quelqu'un de ses amis, qui évada et se sauva bravement: que s'il eust été pris, pour le seur il estoit pendu, encor qu'il fust gentilhomme de bonne part, tant on vid le Roy cette fois en collere, ny faire plus de jurement. Je tiens ce conte d'une personne d'honneur qui y estoit, et lors le Roy dit tout haut que quiconque toucheroit à l'honneur des dames, sans remission il seroit pendu.

– Un peu auparavant, le pape Paul Farnèse estant venu à Nice, le Roy le visitant en toute sa Cour, et de seigneurs et dames, il y en eut quelques-unes, qui n'étoient pas des plus laides, qui lui allèrent baiser la pantoufle; sur quoy un gentilhomme se mit à dire qu'elles estoient allées demander à Sa Sainteté dispense de taster de la chair cruë sans escandale toutesfois et quantes qu'elles voudroient. Le Roy le sceut; et bien servit au gentilhomme de se sauver, car il fut esté pendu, tant pour la révérence du Pape que du respect des dames. Ces gentilshommes ne furent si heureux en leurs rencontres et causeries comme feu M. d'Albanie. Lors que le pape Clément vint à Marseille faire les nopces de sa niepce avec M. d'Orléans, il y eut trois dames, belles et honnestes veufves, lesquelles, pour les douleurs, ennuys et tristesses qu'elles avoient de l'absence et des plaisirs passez de leurs marys, vindrent si bas et si fort atténuées, débiles et maladives, qu'elles priérent M. d'Albanie, son parent, qui avoit bonne part aux graces du Pape, de lui demander dispense pour elles trois de manger de la chair les jours deffendus. Le duc d'Albanie leur accorda, et les fit venir un jour fort familiérement au logis du Pape; et pour ce en advertit le Roy, et qu'il lui en donneroit du passe-temps, et luy ayant découvert la baye. Estant toutes trois à genoux devant Sa Sainteté, M. d'Albanie commença le premier, et dit assez bas en italien, que les dames ne l'entendoient point: «Père saint, voilà trois dames veufves, belles et bien honnestes, comme vous voyez, les-quelles pour la révérence qu'elles portent à leurs marys trespassez, et à l'amitié des enfants qu'elles ont eu d'eux, ne veulent pour rien du monde aller aux secondes nopces, pour faire tort à leurs marys et enfants; et, parce que quelquesfois elles sont tentées des aiguillons de la chair, elles supplient très-humblement Vostre Sainteté de pouvoir avoir approche des hommes hors mariage, si et quantes fois qu'elles seroient en cette tentation. – Comment, dit le Pape, mon cousin! ce seroit contre les commandements de Dieu, dont je ne puis dispenser. Les voilà, père saint, disoit le duc, s'il voust plaist les ouyr parler.» Alors l'une des trois, prenant la parole, dit: «Père saint, nous avons prié M. d'Albanie de vous faire une requeste très-humble pour nous autres trois, et vous remonstrer nos fragilitez et débiles complexions. – Mes filles, dit le Pape, la requeste n'est nullement raisonnable, car ce seroit contre les commandements de Dieu.» Les dites veufves, ignorantes de ce que luy avoit dit M. d'Albanie, luy répliquérent: «Père saint, au moins plaise nous en donner congé trois fois de la sepmaine, et sans escandale. – Comment! dit le Pape, de vous permettre il peccato di lussaria112? je me damnerois; aussi que je ne le puis faire.» Les dites dames, connoissant alors qu'il y avoit de la fourbe et raillerie, et que M. d'Albanie leur en avoit donné d'une, dirent: «Nous ne parlons pas de cela, père saint, mais nous demandons permission de manger de la chair les jours prohibés.» Là-dessus le duc d'Albanie leur dit: «Je pensois, mes dames, que ce fust de la chair vive.» Le Pape aussi-tost entendit la raillerie, et se prit à sourire, disant: «Mon cousin, vous avez fait rougir ces honnestes dames; la reyne s'en faschera quand elle le sçaura»: la-quelle le sceut et n'en fit autre semblant, mais trouva le conte bon; et le Roy puis après en rit bien fort avec le Pape, lequel, après leur avoir donné sa bénédiction, leur octroya le congé qu'elles demandoient, et s'en allèrent très-contentes. L'on m'a nommé les trois dames: madame de Chasteau-Briant ou madame de Canaples, madame de Chastillon, et madame la baillive de Caen, très-honnestes dames. Je tiens ce conte des anciens de la Cour113.

– Madame d'Uzez fit bien mieux du temps que le pape Paul troisiesme vint à Nice voir le roy François. Elle estant madame du Bellay, et qui dès sa jeunesse a tousjours eu de plaisants traits et dit de fort bons mots, un jour, se prosternant devant Sa Sainteté, le supplia de trois choses: l'une, qu'il luy donnast l'absolution, d'autant que, petite garce, fille à madame la régente, et qu'on la nommoit Tallard, elle perdit ses ciseaux en faisant son ouvrage; elle fit vœu à saint Alivergot de le luy accomplir si elle les trouvoit, ce qu'elle fit; mais elle ne l'accomplit ne sçachant où gisoit son corps saint. L'autre requeste fut qu'il lui donnast pardon de quoy, quand le pape Clément vint à Marseille, elle estant fille Tallard encore, elle prit un de ses oreillers en sa ruëlle de lict, et s'en torcha le devant et le derrière, dont après Sa Sainteté reposa dessus son digne chef et visage et bouche, qui le baisa. La troisiesme, qu'il excommuniast le sieur de Tays, par ce qu'elle l'aimoit et luy ne l'aimoit point, et qu'il est maudit et est celuy excommunié qui n'aime point s'il est aimé. Le Pape, estonné de ses demandes, et s'estant enquis au Roy qui elle estoit, sceut ses causeries et en rit son saoul avec le Roy. Je ne m'estonne pas si depuis elle a esté huguenotte et s'est bien mocquée des papes, puis que de si bonne heure elle commença: et de ce temps, toutes fois, tout a esté trouvé bon d'elle, tant elle avoit bonne grace en ses traits et bons mots. Or ne pensez pas que ce grand roy fust si abstraint et si réformé au respect des dames, qu'il n'en aimast de bons contes qu'on luy en faisoit, sans aucun escandale pourtant ny descriement, et qu'il n'en fist aussi; mais, comme grand roy qu'il estoit et bien privilégié, il ne vouloit pas qu'un chacun, ny le commun, usast de pareil privilege que luy.

J'ay ouy conter à aucuns qu'il vouloit fort que les honnestes gentilshommes de sa cour ne fussent jamais des sans maistresses; et s'ils n'en faisoient il les estimoit des fats et des sots: et bien souvent aux uns et aux autres leur en demandoit les noms, et promettoit les y servir et leur en dire du bien, tant il estoit bon et familier: et souvent aussi quand il les voyoit en grand arraisonnement avec leurs maistresses, il les venoit accoster et leur demander quels bons propos ils avoient avec elles; et s'il ne les trouvoit bons, il les corrigeoit et leur en apprenoit d'autres. A ses plus familiers il n'estoit point avare ny chiche de leur en dire ny départir de ses contes, dont j'en ay ouy faire un plaisant qui luy advint, puis après le récita, d'une belle jeune dame venue à la Cour, laquelle, pour n'y estre bien rusée, se laissa aller fort doucement aux persuasions des grands, et sur-tout de ce grand roy; lequel un jour, ainsi qu'il voulut planter son estandart bien arboré dans son fort, elle qui avoit ouy dire, et qui commença desjà à le voir, que quand on donnoit quelque chose au Roy, ou que quand on le prenoit de luy et qu'on le touchoit, le faloit premièrement baiser, ou bien la main, pour le prendre et toucher; elle mesme, sans autre cérémonie, n'y faillit pas, et baisant très-humblement la main, prit l'estandart du Roy et le planta dans le fort avec une très-grande humilité; puis luy demanda de sang froid comment il vouloit qu'elle le servist ou en femme de bien et chaste, ou en desbauchée. Il ne faut point douter qu'il luy en demandast la desbauchée, puisqu'en cela elle y estoit plus agréable que la modeste; en quoy il trouva qu'elle n'y avoit perdu son temps, et après le coup et avant, et tout; puis luy faisoit une grande révérence en le remerciant humblement de l'honneur qu'il luy avoit fait, dont elle n'estoit pas digne, en luy recommandant souvent quelque avancement pour son mary. J'ay ouy nommer la dame, laquelle depuis n'a esté si sotte comme alors, mais bien habile et bien rusée.

Ce roy n'en espargna pas le conte, qui courut à plusieurs oreilles. Il estoit fort curieux de sçavoir l'amour et des uns et des autres, et surtout des combats amoureux, et mesme de quels beaux airs se manioient les dames quand elles estoient en leur manége, et quelle contenance et posture elles y tenoient, et de quelles paroles elles usoient: et puis en rioit à pleine gorge, et après en défendoit la publication et l'escandale, et recommandoit le secret et l'honneur. Il avoit pour son bon second ce très-grand, très-magnifique et très-libéral cardinal de Lorraine: très-libéral le puis-je appeler, puis qu'il n'eut son pareil de son temps: ses despenses, ses dons, gracieusetez, en ont fait foy, et surtout la charité envers les pauvres. Il portoit ordinairement une grande gibecière, que son valet-de-chambre qui luy manioit son argent des menus plaisirs ne failoit d'emplir tous les matins, de trois ou quatre cents escus; et tant de pauvres qu'il trouvoit il mettoit la main à la gibeciere, et ce qu'il en tiroit sans considération il le donnoit, et sans rien trier. Ce fut de lui que dit un pauvre aveugle, ainsi qu'il passoit dans Rome et que l'aumosne lui fut demandée de luy, il luy jetta à son accoustumée une grande poignée d'or, et en s'escriant tout haut en italien: O tu sei Christo, ò veramente el cardinal di Lorrena; c'est-à-dire: «Ou tu es Christ, ou le cardinal de Lorraine.» S'il estoit aumosnier et charitable en cela, il estoit bien autant libéral és autres personnes, et principalement à l'endroit des dames, lesquelles il attrapoit aisément par cet appât; car l'argent n'estoit en si grande abondance de ce temps comme il est aujourd'huy; et pour ce en estoient-elles plus friandes, et des bombances et des parures. J'ay ouy conter que quand il arrivoit à la Cour quelque belle fille ou dame nouvelle qui fust belle, il la venoit aussitost accoster, et l'arraisonnant, il disoit qu'il la vouloit dresser de sa main. Quel dresseur! Je croy que la peine n'estoit pas si grande comme à dresser quelque poulain sauvage. Aussi pour lors disoit-on qu'il n'y avoit guère de dames ou filles résidentes à la Cour ou fraischement venues, qui ne fussent desbauchées ou attrappées par son avarice et par la largesse dudit M. le cardinal; et peu ou nulles sont-elles sorties de cette cour femmes et filles de bien. Aussi voyoit-on pour lors leurs coffres et grandes garde-robbes plus pleines de robbes, de cottes, et d'or et d'argent et de soye, que ne sont aujourd'huy celles de nos reynes et grandes princesses d'aujourd'huy. J'en ay fait l'expérience pour l'avoir veu en deux ou trois qui avoient gagné tout cela par leur devant; car leurs peres, meres et marys ne leur eussent peu donner en si grande quantité. Je me fusse bien passé, ce dira quelqu'un, de dire cecy de ce grand cardinal, veu son honorable habit et révérendissime estat; mais son roy le vouloit ainsi et y prenoit plaisir; et pour complaire à son roy l'on est dispensé de tout, et pour faire l'amour et d'autres choses, mais qu'elles ne soient point meschantes, comme alors d'aller à la guerre, à la chasse, aux danses, aux mascarades et autres exercices; aussi qu'il estoit un homme de chair comme un autre, et qu'il avoit plusieurs grandes vertus et perfections qui offusquoient cette petite imperfection, si imperfection se doit appeler faire l'amour.

111.Louis XI passe généralement, non-seulement pour avoir raconté beaucoup de contes, avec tout ce qu'il y avoit de jeunes seigneurs à la Cour de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, où il s'étoit réfugié étant Dauphin, mais même pour avoir pris soin de faire recueillir et de publier ensuite, dans le même ordre où nous l'avons, le recueil intitulé: Cent Nouvelles nouvelles, lequel en soy contient cent chapitres ou histoires, composées ou récitées par nouvelles gens depuis naguères; et cela se trouve confirmé par ces mots de l'ancienne préface ou avertissement, qui paroît avoir été fait de son temps: «Et notez que par toutes les Nouvelles où il est dit par monseigneur, il est entendu monseigneur le Dauphin, lequel depuis a succédé à la couronne et est le roy Loüis XI; car il estoit lors ès pays du duc de Bourgogne.» Mais comme il est bien certain que ce prince ne se retira en Brabant qu'à la fin de l'année 1456, et ne rentra en France qu'en août 1461, il est absolument impossible que ce recueil ait paru en France vers 1455, comme on le débite inconsidérément dans la préface de ses nouvelles éditions. On en a deux anciennes: l'une de Paris, en 1486, in-folio; l'autre encore de Paris, chez la veuve de Johan Trepere, sans date, aussi in-folio; et deux nouvelles, accompagnées de mauvaises figures, et imprimées à Cologne, chez Pierre Gaillard, en 1701 et 1736, en deux volumes in-8.
112.Le péché de luxure.
113.Ce conte, que Brantôme dit tenir des anciens de la Cour, est pris presque mot pour mot de J. Bouchet, dans ses Annales d'Aquitaine, édit. de 1644, pag. 473, au nom des trois dames près, qui est apparemment ce qu'il veut dire qu'il tenoit de bon lieu.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
25 haziran 2017
Hacim:
600 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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