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Kitabı oku: «La fille du ciel», sayfa 6

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SCÈNE VII

LES MÊMES, LES FILLES D'HONNEUR

L'IMPÉRATRICE

C'est cela … Ma suite, ma funèbre cour et sans doute mon dernier cortège: quatre personnes… (Aux filles d'honneur.) Quelles seront les deux d'entre vous, mes filles, qui auront le courage de me suivre dans les noirs sentiers, là-bas?..

LES FILLES D'HONNEUR, s'inclinant.

Toutes, nous sommes prêtes… Que Votre Majesté daigne prononcer deux noms.

L'IMPÉRATRICE, après un silence.

Elégance, Cinnamome… (Elégance et Cinnamome s'approchent de l'Impératrice.) Toutes, vous m'êtes chères, mais j'ai appelé celles qui, dans l'adversité, m'ont montré un cœur plus viril. (Aux autres.) Et vous, mes fraîches fleurs si tôt fauchées, que l'eau de la Grande Délivrance vous mène hors de ce monde, très doucement, à travers la paix d'un sommeil.

LA PERLE

Aux blessés nous l'avons toute versée.

UNE AUTRE FILLE D'HONNEUR

Nos buires sont vides.

LA PERLE

Le bûcher nous effraie… Mais nous savons comment mourir, bonne souveraine.

UNE AUTRE FILLE D'HONNEUR

Le lac du jardin est profond, au pied de l'île des Jades.

LA PERLE

Quand nous aurons conduit Votre Majesté jusqu'au seuil du sentier noir, en nous donnant la main, nous irons au bord du lac.

UNE AUTRE FILLE D'HONNEUR

Sur la vase où nous dormirons tranquilles, les lotus nous enlaceront de leurs racines, et nous revivrons dans leurs fleurs…

L'IMPÉRATRICE, à Lotus-d'Or qui est assise un peu à l'écart, tenant toujours sur ses genoux la tête mourante de Porte-Flèche.

Et toi, Lotus-d'Or?

LOTUS-D'OR

O Majesté, acceptez ici même mon suprême salut… M'éloigner de lui, laisser retomber son front, pardonnez-moi si je n'en ai pas le courage…

On commence d'entendre au dehors les trompes des Tartares, leurs gongs et une clameur qui se rapproche.

L'IMPÉRATRICE, à Porte-Flèche et à Lotus-d'Or.

Tenez, pauvres fiancés sans lendemain, voici le cadeau de noces de votre Impératrice. (Elle verse du breuvage empoisonné plein sa coupe d'or et le leur donne.) Adieu! Soyez unis par delà les nuages… (A Prince-Fidèle.) Allons, Prince, montrez-moi le chemin… Me voici tout à fait prête.

LE CHEF DES SOLDATS, s'avançant, à Prince-Fidèle.

Prince, parlez pour nous.

PRINCE-FIDÈLE

Vos soldats, Majesté, implorent une dernière grâce…

L'IMPÉRATRICE

Il est donc encore en mon pouvoir d'accorder une grâce… Oh! tout, tout ce qu'ils voudront.

PRINCE-FIDÈLE

Vous demandiez pourquoi tant de bois qu'ils accumulaient: c'était pour eux-mêmes. Ils veulent mourir là avant l'entrée des Tartares… Et cette grâce suprême qu'ils implorent, c'est que vous allumiez vous-même leur bûcher.

Le chef des soldats s'agenouille et tend à l'Impératrice une torche enflammée.

L'IMPÉRATRICE, aux soldats, acceptant la torche.

O mes bien-aimés soldats! Sachez tous que votre Impératrice vous suivra bientôt dans la mort! Elle n'accepte de vous l'ordre de fuir que pour essayer de vous venger; mais si des temps meilleurs surviennent pour la Dynastie Lumineuse, elle refusera de les vivre; devant vous tous, elle en fait ici le serment: sa tâche implacable une fois terminée, elle se hâtera de vous rejoindre chez les Ombres…

O victimes surhumaines! O vaincus auréolés de gloire! O mon héroïque armée!.. Un jour viendra où l'histoire de votre fin sublime sera gravée dans le jade impérial, en lettres d'or, pour que la postérité pleure sur vous. (Elle jette la torche dans le bûcher) et que l'éclat de votre bûcher éblouisse le monde, éternellement!..

Le bûcher prend feu. Les soldats se jettent en chantant dans les flammes.

LES SOLDATS, chantant:

 
Qu'il vive, notre Roi!
Qu'il vive heureux et longtemps!
 

Un nuage de fumée noire commence de les envelopper. On entend se rapprocher un gong qui résonne à coups espacés et la voix d'un héraut tartare.

LA VOIX DU HÉRAUT TARTARE, du dehors et de très loin.

Ordre de l'Empereur. Respectez ceci!

PRINCE-FIDÈLE, en hâte, au chef des soldats.

Le rocher, replacé comme nous avons dit! Murez vite! Et beaucoup de terre jetée sur le ciment frais, beaucoup de poussière…

Le chef des soldats va rejoindre les quelques hommes qui attendent devant le tombeau, tenant les pioches et les leviers. L'Impératrice, Prince-Fidèle, Lumière-Voilée, Elégance et Cinnamome se dirigent vers la porte de bronze. Les autres filles d'honneur suivent en se donnant la main, elles s'agenouillent en arrivant près de la porte.

L'IMPÉRATRICE, arrivée à la porte du tombeau, aux quatre personnes qui doivent y entrer avec elle.

Entrez d'abord. Je passe la dernière: ce sont mes funérailles!.. Et puis, je veux encore une fois les regarder, mes héros, et là-bas, mon beau palais qui se dessine toujours. (Aux filles d'honneur agenouillées.) Vous, mes filles chéries, relevez-vous, ne vous attardez pas, le lac où vous allez n'est pas proche d'ici…

Les filles d'honneur s'en vont, en se donnant la main, et on entend leurs sanglots. L Impératrice franchit la porte et puis se retourne sur le seuil comme une hallucinée, regardant la flamme du bûcher qui commence de monter, et levant les bras en grands gestes extasiés.

Ah! la belle flamme rouge!.. Ah! la belle fumée qui tourbillonne!.. Il fait clair dans mon palais, pour le dernier soir. Et je les vois, leurs nobles âmes, qui montent, qui montent, dans le tournoiement des spirales brunes!..

LES SOLDATS, chantant dans la flamme.

Dix mille années! Dix mille années!

L'IMPÉRATRICE, aux soldats.

Allez, mes braves!.. Montez, montez, volez, vers le ciel des ancêtres, planez là-haut chez le Dieu des nuages!..

LES SOLDATS, plus faiblement.

Dix mille années! Dix mille années!

On entend plus proches les coups de gong des Tartares au dehors.

L'IMPÉRATRICE, aux soldats.

Et moi, je suis une morte comme vous, sachez-le bien! C'est plus tard seulement que je prendrai mon essor; mais déjà je suis une morte, – morte à tout ce qui ne sera pas vengeance, fureur de bataille, haine sans merci!.. Et je referme sur moi ma porte de bronze! (Aux soldats proches qui tiennent les leviers.) Scellez-la bien, mes amis, sur votre Impératrice! Roulez le grand rocher!.. Murez-la bien dans son tombeau, la morte vivante!..

Elle referme sur elle-même le battant de la petite porte de bronze. Le chef des soldats, avec quelques hommes qui restent, replacent le rocher, jettent en hâte le ciment et la poussière.

LA VOIX CHANTANTE DU HÉRAUT TARTARE,

arrivé au pied de la muraille.

Ordre de l'Empereur! Respectez ceci: à tous, sans condition, grâce de la vie et de la liberté!..

Ouvrez et n'ayez point de crainte!.. A tous l'Empereur fait grâce!..

UN DES SOLDATS qui cimentent le rocher.

Trop tard, l'insulte de votre pardon!.. Avant que vous ayez enfoncé nos portes, il n'y aura plus ici que des morts!

LA VOIX DU HÉRAUT TARTARE, chantant au dehors.

Ouvrez et n'ayez point de crainte!.. A tous, notre Empereur accorde la vie.

UN AUTRE DES SOLDATS

Non, pas même des morts pour la recevoir votre grâce! Plus rien que des cendres.

LE CHEF DES SOLDATS, achevant de cimenter le rocher sur la porte du tombeau impérial.

Et notre beau Phénix, faute de pouvoir déployer ses ailes, se sera dérobé à vous sous la terre!..

LA VOIX DES SOLDATS, s'affaiblissant toujours dans la flamme et la fumée.

Dix mille années à la Dynastie Lumineuse!.. Dix mille années!

La flamme et la fumée envahissent tout.

ACTE QUATRIÈME

PREMIER TABLEAU

Avant le lever du rideau, on a commencé d'entendre les vociférations de la foule, mêlées à des bruits de gongs et de sonnettes.

Le lieu des exécutions au pied des remparts de Pékin. Une colossale muraille grise, à créneaux, occupe tout le fond de la scène, et, vers la gauche, s'en va à perte de vue dans le lointain. Le long de cette muraille, les prisonniers chinois sont attachés à des poteaux, d'autres sont à la cangue, sous un écriteau rouge. Çà et là des têtes coupées et saignantes sont pendues à des clous. Il y a des taches de sang partout sur le sol. Une foule loqueteuse se presse sur le devant de la scène; les gens portent le costume de Pékin de nos jours, longue natte, robe de coton bleu, savon de peau de bique; des femmes tartares, du peuple aussi, sont coiffées de deux cornes de cheveux, avec de grossières fleurs artificielles. En avant et à gauche, la grande tente, largement ouverte, d'un général tartare: elle est en cuir verdâtre, avec toiture jaune, surmontée d'un clocheton d'argent; l'intérieur est tapissé de peaux de bêtes; autour du mât central, une table circulaire: tapis, pliants, petite table, un drapeau carré avec le nom du général. Gardes, soldats, sabre au clair. Des chameaux sont couchés alentour, parmi des ballots et des armes. Voitures, palanquins.

Au lever du rideau, la foule continue de vociférer tumultueusement. Des marchands de boissons chaudes se promènent avec des urnes de cuivre sur le dos; des barbiers agitent des sonnettes; des sorciers aveugles jouent de la flûte; des marchands de bonbons frappent sur des gongs. Des bourreaux, au premier plan, essuient les lames saignantes de leurs sabres.

SCÈNE PREMIÈRE

LES BOURREAUX, LA FOULE

PREMIER BOURREAU, essuyant son sabre, à deux jeunes femmes qui l'entourent.

C'est que nous avons les bras fatigués, mes petites belles…

UNE DES FEMMES

Ah!.. Ils ont pourtant l'air solides, vos bras, monsieur le bourreau.

LE BOURREAU

Solides, je ne dis pas. Mais tout de même…

UN MARCHAND DE FLEURS

Pivoines impériales, lotus variés, toutes les Heurs de la saison!

UN MARCHAND DE FRUITS

Doux comme le miel, le fruit rouge des montagnes!

UN ENFANT TARTARE, s'approchant du bourreau.

Dites, monsieur le bourreau, il faut frapper fort pour couper?

Des hommes, portant un baquet plein d'eau pendu à l'épaule, arrosent le sol avec une grande cuiller de bois.

LE BOURREAU

C'est de l'adresse, mon petit agnelet … trouver juste la place … de l'adresse et de la force aussi, bien entendu… Ah! ça n'est pas en un jour, tu penses, que notre métier s'apprend…

UN MARCHAND DE BONBONS, frappant sur un petit gong.

Elle a le goût de la canne à sucre, la gourmandise que je vends!

UN MARCHAND DE FRUITS

Ay! Ay! Blanc comme la graisse, blanc comme le jade, le melon frais!

DES MENDIANTS, jouant de la guitare.

Écoutez la légende du roi des Dragons:

Ils chantent d'une voix suraiguë.

 
Auprès du lac des bambous,
Trois hiboux, hiboux, hiboux!
 

DEUXIÈME BOURREAU, à d'autres femmes, désignant des gens attachés aux poteaux.

Le deuxième groupe, là?.. Tout à l'heure, son tour. Le maître des exécutions nous accorde un temps de repos, et nous l'avons bien gagné, hein?..

Il appelle un marchand de boisson chaude et se fait servir.

UNE MERCIÈRE, frappant sur un timbre.

Tous les caprices de la coquetterie dans mon étalage… Voyez, jeunes femmes; voyez, jeunes filles!

UNE FEMME TARTARE, à une autre.

Oh! regarder couper les têtes, moi je ne suis pas de celles qui s'y complaisent… Et puis, n'est-ce pas un spectacle toujours pareil?.. Non, mais c'est leur Déesse que j'aurais désiré voir…

DEUXIÈME FEMME TARTARE

Leur Déesse?.. Leur Impératrice?.. Tiens, et moi de même, et nous toutes aussi; voir leur Déesse, c'est cela qui nous intéresserait le plus!..

TROISIÈME FEMME TARTARE

Et on va te la montrer, comptes-y!

DEUXIÈME FEMME TARTARE

Pourquoi donc pas?.. On nous montre bien leurs généraux, et leurs princes, et tous les autres… Les prisonniers, c'est fait pour être vus, c'est pour ça d'ailleurs qu'on nous les a amenés jusqu'à Pékin.

TROISIÈME FEMME TARTARE

Oh! mais elle… Il paraît que, pour nous la conduire ici, c'était tout le temps des égards en route comme pour une reine… Et l'Empereur l'a fait mettre dans la Ville Interdite, vous savez, dans son palais même…

PREMIÈRE FEMME TARTARE

On dit qu'elle a des yeux, des yeux dont les petites gens comme nous ne peuvent pas supporter le regard…

FLEUR-DE-JASMIN

Oh!.. Et puis, j'aurais peur, moi!.. Une femme qui a été morte … car elle a été morte la durée d'au moins deux lunes, vous savez!..

DEUXIÈME FEMME TARTARE

D'abord Fleur-de-Jasmin croit tout ce qu'on lui dit.

FLEUR-DE-JASMIN

Dame! chacun le sait bien, qu'elle a été morte… Deux lunes, je vous dis, elle est restée pendant deux lunes dans son tombeau…

LE MARCHAND DE FRUITS

Ay! Ay! Blanc comme la graisse, blanc comme le jade, le melon nouveau!

PREMIÈRE FEMME TARTARE

On sait bien aussi que les balles, la mitraille, tout cela passait au travers d'elle, comme au travers d'une ombre… (Avisant un chef des soldats qui est là.) Tenez, demandez plutôt à Lee-Phuang, qui était là quand on l'a prise; n'est-ce pas, Lee-Phuang?

LEE-PHUANG

Ah! pour ça oui, et j'en ai été témoin… Les balles ne l'arrêtaient guère, leur Déesse…

DEUX SOUS-OFFICIERS, amenant au supplice un nouveau groupe de prisonniers chinois, les mains liées de cordes, parmi lesquels, et fermant la marche, Prince-Fidèle, en vêtements souillés et déchirés.

Place!.. Faites place!..

Les prisonniers passent pour aller rejoindre les autres, qui attendent déjà leur tour d'exécution au pied de la muraille.

LEE-PHUANG, aux femmes qui l'avaient interpellé.

Le dernier qui arrive là! Regardez! regardez!.. Celui qui marche la tête si fière: le plus grand chef des rebelles de Nang-King. Il se nomme Prince-Fidèle, c'était le bras droit de la Déesse; au milieu de la bataille, tout le temps à ses côtés…

LA MERCIÈRE, frappant sur son timbre.

Tous les caprices de la coquetterie dans mon étalage! Voyez, jeunes femmes voyez, jeunes filles!..

SCÈNE II

PRINCE-FIDÈLE, LE GÉNÉRAL TARTARE

LE GÉNÉRAL TARTARE, sortant de sa tente et saluant Prince-Fidèle, qui passe et ferme la marche du dernier groupe des condamnés.

Entrez ici, noble vaincu. Ne regardez pas là-bas. Chaque homme ne doit mourir qu'une fois, et vous, vous mourrez à chaque tête qui tombera. Ce supplice ne vous suffit donc pas, de devoir être la dernière victime?..

PRINCE-FIDÈLE

Ma présence, peut-être, les soutient, mes pauvres soldats, si simplement héroïques.

LE GÉNÉRAL TARTARE

Plutôt votre souffrance s'ajoute à leur peine… Accordez l'honneur à un loyal ennemi de passer sous sa tente les dernières minutes de votre vie glorieuse… Vous êtes déjà au-dessus des petitesses du monde et des rancunes implacables.

PRINCE-FIDÈLE

Le glaive n'est pas responsable, ni même bourreau.

LE GÉNÉRAL TARTARE

Pas même le général.

On attache les nouveaux prisonniers à des poteaux.

PRINCE-FIDÈLE

Je n'ai pas de rancune…

Il entre sous la tente avec le général tartare.

LE GÉNÉRAL TARTARE

Et moi, je n'ai pas d'orgueil. Je sais que les sages réprouvent la guerre et estiment que l'œuvre du vainqueur se résout en la poussière de dix mille squelettes…

PRINCE-FIDÈLE

Et qu'on ne doit, aux triomphateurs, que des honneurs funèbres.

LE GÉNÉRAL TARTARE

Oui, la gloire des armes n'est, vraiment, que la fumée d'un incendie…

Ils se sont assis sur des pliants, et on leur sert du vin de riz. Pendant le dialogue suivant, les exécutions recommencent au fond de la scène, au milieu d'un remous de la foule. A chaque minute, on voit le sabre d'un bourreau décrire une courbe en l'air, et aussitôt après une nouvelle tête coupée, saignante, est accrochée à la grande muraille de Pékin qui ferme le tableau. Cris et tumulte, un peu assourdis, pendant la conversation des deux hommes sous la tente.

LE GÉNÉRAL TARTARE

Avant de quitter ce monde, n'avez-vous pas quelque mission, envers vos proches, qu'il vous serait précieux de voir accomplir?.. Je m'en chargerais avec respect.

PRINCE-FIDÈLE

Ils ont péri, sans nul doute, tous ceux qui m'étaient chers. Je vous remercie de votre offre bienveillante.

LE GÉNÉRAL TARTARE

N'avez-vous pas quelque désir?..

PRINCE-FIDÈLE

Un seul: celui de connaître le sort de notre Impératrice. Dans cette bataille funeste où j'ai été fait prisonnier, elle combattait aussi. Est-elle vivante ou morte, libre ou captive?..

LE GÉNÉRAL TARTARE

Elle est vivante, captive depuis une demi-lune seulement et, depuis hier, gardée à Pékin, non loin d'ici, dans la Ville Interdite.

PRINCE-FIDÈLE

Non loin d'ici, ma souveraine!.. Ah! si les Dieux, las de nous frapper, pouvaient permettre… Savoir qu'elle est là tout près!..

LE GÉNÉRAL TARTARE

Sur la fin de ce combat, qui fit tant d'honneur aux vaincus, elle a pu s'échapper avec un millier de soldats. Mais la retraite était coupée et depuis longtemps l'impériale guerrière aurait été prise, si des ordres contradictoires, entravant nos mouvements comme à plaisir, ne lui avaient donné la faculté de retarder de jour en jour sa captivité. On eût dit que quelqu'un de puissant veillait sur elle avec une singulière sollicitude, l'avertissait des dangers ou s'efforçait de les écarter de sa route.

PRINCE-FIDÈLE

Que celui-là vive de longs jours heureux et que sa renommée soit impérissable!..

LE GÉNÉRAL TARTARE

Ah! quand donc finira cette guerre toujours renaissante qui imprègne le sol de la patrie du sang de ses fils?

PRINCE-FIDÈLE

Elle ne finira, je le crains bien, que par l'extermination d'une des deux races… Pourtant la haine serait moins farouche peut-être, si les vainqueurs, après la victoire, traitaient les vaincus avec plus de clémence… Pas tant d'exécutions! Pas tant de sang!.. Tout soldat qui ne peut plus défendre sa vie devrait être sacré.

LE GÉNÉRAL TARTARE

On offre aux vôtres la vie sauve, s'ils se soumettent; tous refusent.

PRINCE-FIDÈLE

Leur héroïsme devrait être une raison de plus de les épargner.

LE GÉNÉRAL TARTARE

Que faire?.. Notre devoir est d'obéir.

PRINCE-FIDÈLE

Pas jusqu'au crime. Une petite pierre peut quelquefois enrayer un lourd chariot. Nous, les chefs, en sacrifiant seulement notre vie, nous pouvons sauver des foules.

LE GÉNÉRAL TARTARE

Comment cela?..

PRINCE-FIDÈLE

En résistant à l'iniquité… Vous souvenez-vous?.. Une autre guerre, toute pareille à celle-ci, le sac d'une ville, l'ordre au bourreau de faucher toutes les têtes comme à présent; alors, un jeune chef, fou de douleur à l'idée d'un pareil carnage, trouve de tels accents pour supplier le général de faire grâce, ou tout au moins de restreindre les exécutions, que celui-ci consent à limiter la tuerie au temps que pourra mettre à se consumer une baguette de parfum. Le parfum s'allume, la première tête va tomber; mais le jeune chef, frémissant d'horreur, saisit la baguette, la réduit en poussière, et court au bourreau en criant: «C'est fini! c'est fini! on fait grâce!» Puis, comme il a désobéi, il va se briser la tête contre un rocher… A ce héros, le peuple éleva un temple, qui se dresse aujourd'hui encore sur une haute colline et dont les marches, depuis des siècles, n'ont cessé d'être jonchées de fleurs fraîches.

LE GÉNÉRAL TARTARE, rêveur.

A ce héros, le peuple éleva un temple!..

SCÈNE III

LES MÊMES, LA FOULE, puis UN OFFICIER

Depuis quelques instants, la foule, plus turbulente, commence à murmurer contre le carnage. Devant une nouvelle troupe de condamnés que l'on amène, des cris éclatent.

LA FOULE

Oh! oh! assez! assez!

UNE VOIX

Les ministres de l'Empire sont des bouchers!

UN HOMME, montant sur les épaules de ses voisins.

Assez! assez!.. Mort aux tigres!..

PRINCE-FIDÈLE, sous la tente, voyant que le général tartare se lève.

Sans doute, c'est mon tour?..

LE GÉNÉRAL TARTARE

Non, non. Restez encore, nous serons avertis.

UN AUTRE HOMME, sur la place.

Oui! Mort aux tigres!.. (Il se baisse et trempe le bout de sa ceinture dans le sang.) Et je vais l'écrire, moi, tenez, sur cette muraille: Mort aux tigres!

Il monte sur une pierre et commence, avec le bout de sa ceinture, à tracer des caractères sur un pan de muraille. Le général est sorti de la tente.

UN OFFICIER

Des hommes par ici!.. Qu'on disperse cette foule insolente!.. Arrêtez celui qui écrit …

LE GÉNÉRAL TARTARE, s'avançant précipitamment.

Qui donc commande sans mon ordre?..

L'OFFICIER

Seigneur, un commencement d'émeute … n'est-ce pas mon devoir?..

LE GÉNÉRAL TARTARE

Vous n'avez d'autre devoir que d'obéir… (Il renvoie d'un geste les soldats qui s'étaient avances pour saisir l'homme.) Les bourreaux doivent être las: une seconde fois, que le chef des exécutions leur donne l'ordre de se reposer.

L'OFFICIER

Pendant combien de minutes?

LE GÉNÉRAL TARTARE

Aussi longtemps que mon sabre restera fixé ici.

Il l'enfonce dans le sol.

PRINCE-FIDÈLE, bas au général.

Prenez garde, mon généreux ennemi! Peut-être va-t-on croire que vous avez peur.

LE GÉNÉRAL TARTARE

Des vivants, non… Mais des spectres, c'est vrai oui, j'ai peur des spectres…

Ils entrent ensemble sous la tente. La foule, dont la rumeur va croissant, s'écarte de la place des exécutions, laissant voir les corps sans tête qui gisent à terre, et les mares de sang. Les marchands reprennent leurs cris et leurs musiques.

LE MARCHAND DE FLEURS

Pivoines royales, lotus variés, toutes les fleurs de la saison!

LE GÉNÉRAL TARTARE, dans la tente, à Prince-Fidèle.

Vous le voyez, je me compromets, comme le héros de votre légende, et cependant on ne m'élèvera point de temple.

PRINCE-FIDÈLE

Mais vous n'espérez pas les sauver, ceux des miens qui restent encore?..

LE GÉNÉRAL TARTARE

Qui sait!.. Tant que les têtes ne sont pas détachées des épaules… Vous entendez dehors: le flot du peuple irrité grossit toujours… Souvent une courte émeute a délivré bien des victimes… Je puis être débordé, avoir la main forcée: le ciel le veuille!..

PRINCE-FIDÈLE

Votre noble générosité m'encourage à vous demander une grâce.

LE GÉNÉRAL TARTARE

Ce sera une joie pour moi de l'accorder.

PRINCE-FIDÈLE

Avant de m'agenouiller là-bas, contre la muraille sanglante, je souhaiterais obtenir une heure de liberté, sur ma parole…

LE GÉNÉRAL TARTARE

La parole d'un homme tel que vous est plus solide qu'une chaîne de fer à ses jambes ou qu'une cangue de bois de cèdre à ses épaules… Une heure oui, même une heure et demie, nous pouvons attendre… L'emploi que vous voulez en faire, peut-être le deviné-je: c'est la grande captive, n'est-ce pas, que vous rêvez de revoir… Là, je ne puis, hélas! en rien vous servir… Les Dieux vous viennent en aide!.. (Présentant une robe brodée d'or qui est accrochée au mât de la tente.) Une seule chose: consentez à revêtir une de mes robes; elle vous sera toujours une sauvegarde.

PRINCE-FIDÈLE

Comment oserais-je?..

LE GÉNÉRAL TARTARE

Je vous en prie… Ce vêtement me deviendra précieux, au contraire, pour vous avoir protégé. (Il passe la robe à Prince-Fidèle, qui ne résiste plus, et puis il soulève une portière au fond de la tente.) Par là, Prince, fuyez!..

Exit Prince-Fidèle.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 ekim 2017
Hacim:
120 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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