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Kitabı oku: «Les derniers jours de Pékin», sayfa 16

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II

Huit heures du soir. Dans le long crépuscule de mai, qui est maintenant près de finir, les lanternes étranges, en verre, ruisselantes de perles, ou bien en papier de riz, ayant forme d’oiseaux et de lotus, se sont allumées partout, aux branches des vieux cèdres, sur l’esplanade de ce palais de la Rotonde, que j’ai connue jadis plongée dans un si morne abîme de tristesse et de silence… Cette nuit, ce sera le mouvement, la vie, la gaie lumière. Déjà, dans le merveilleux décor qui s’illumine, vont et viennent des gens en habits de fête, officiers de toutes les nations d’Europe, et Chinois aux longues robes soyeuses, coiffés du chapeau officiel d’où retombent des plumes de paon. Une table pour soixante-dix convives est dressée sous des tentes, et nous attendons la foule disparate de nos invités.

Suivis de petits cortèges, ils arrivent des quatre coins de Pékin, les uns à cheval, les autres en voiture, ou en pousse-pousse, ou en palanquin somptueux. Sitôt qu’un personnage de marque émerge d’en bas, par la porte peinte et dorée du plan incliné, une de nos musiques militaires qui guettait son apparition, lui joue l’air national de son pays. L’hymne russe succède à l’hymne allemand; ou l’hymne japonais à la «Marche des Bersaglieri». Nous entendrons même l’air chinois, car on apporte pompeusement un large papier rouge: la carte de visite de Li-Hung-Chang, qui est en bas et qui, suivant l’étiquette, se fait annoncer avant de paraître. Ensuite, précédés de cartes pareilles, nous arrivent le grand Justicier de Pékin, et le Représentant extraordinaire de l’Impératrice. Ils assisteront à notre fête, les princes de la Chine, amenés dans des palanquins de gala, avec escorte de cavalerie, et ils font leur entrée, le visage fermé et le regard en dedans, suivis d’un flot de serviteurs vêtus de soie. Ç’a été dur de les avoir, ceux-là! Mais le colonel Marchand, autorisé par notre général, s’était fait un point d’honneur de les décider. Au milieu de nos uniformes d’occident se multiplient les robes mandarines et les chapeaux pointus à bouton de corail. Et leur présence à ce festin des barbares, en pleine «Ville impériale» profanée, restera l’une des plus singulières incohérences de nos temps.

Une tablée comme on n’en avait jamais vu, les pieds sur des tapis impériaux qui semblent d’épais velours jaunes. Les obligatoires gerbes de fleurs, arrangées dans des cloisonnés géants, sans âge et sans prix, qui sont sortis pour un soir des réserves de l’Impératrice. A la place d’honneur, le maréchal de Waldersee à côté de la femme de notre ministre de France; ensuite, deux évêques en robe violette; des généraux et des officiers des sept nations alliées; cinq ou six toilettes claires de femme, et enfin trois grands princes de la Chine, énigmatiques dans leurs soies brodées, les yeux à demi cachés sous leurs chapeaux de cérémonie à plumes retombantes.

* * * * *

Sur la fin de ce dîner étrange, subversif, et profanateur, quand les roses commencent à pencher la tête dans les grands vases précieux, notre général, en terminant son toast au champagne, s’adresse à ces princes Jaunes: «Votre présence parmi nous, leur dit-il, prouve assez que nous ne sommes pas venus ici pour faire la guerre à la Chine, mais seulement à une secte abominable, etc…»

Le Représentant de l’Impératrice, alors, relève la balle avec une souplesse d’Extrême-Asie, et sans qu’un pli ait bronché sur son masque jaune de cour, il répond, lui qui a été sournoisement un enragé Boxer: «Au nom de sa Majesté Impériale Chinoise, je remercie les généraux européens d’être venus prêter main-forte au Gouvernement de notre pays, dans une des crises les plus graves qu’il ait jamais traversées.»

Petit silence de stupeur, et les coupes se vident.

L’esplanade, pendant le banquet, s’est considérablement peuplée d’uniformes et de dorures: quelques centaines d’officiers de tout pelage, de toute couleur conviés à la soirée. Et les toasts ayant pris fin sur cette réplique chinoise, je vais m’accouder au rebord des terrasses pour voir arriver, de haut et de loin, notre retraite aux flambeaux.

En sortant de dessous ce velum et ces ramures de cèdres, toutes choses un peu emprisonnantes qui masquaient la vue, c’est une surprise et un enchantement, ces bords du lac impérial, ce grand paysage de mélancolie et de silence, – en temps ordinaire, lieu de ténèbres s’il en fut jamais, dès la tombée des nuits, bien inquiétant et noir, sur lequel semblait planer un éternel deuil, – et qui vient de s’éclairer, cette fois, comme pour quelque fantastique apothéose.

Il y avait de nos soldats cachés partout, dans les vieux palais morts, dans les vieux temples épars au milieu des arbres, et en moins d’une heure, grimpant de tous côtés sur les tuiles d’émail, ils ont allumé d’innombrables lanternes rouges, des cordons de feux qui dessinent la courbe des toits à étages multiples, la chinoiserie des architectures, l’excentricité des miradors et des tours. Une raie lumineuse court le long du lac tragique, dans les herbages encore recéleurs de cadavres. Jusque sur ses rives les plus lointaines, jusqu’en ses fonds qui d’habitude étaient les plus noirs, ce parc des Ombres, où cependant tout reste morne et dévasté, donne une illusion de fête. Le vieux donjon de l’Ile des Jades, qui dormait dans l’air avec son idole affreuse, se réveille tout à coup pour lancer des gerbes d’étincelles et des fusées bleues. Et les gondoles de l’Impératrice, si longtemps immobiles et un peu détruites, se promènent cette nuit sur le miroir de l’eau, illuminées comme à Venise. Un semblant de vie ranime toutes ces choses, tous ces fantômes de choses, pour un seul soir. Et on ne reverra jamais, jamais cela, que personne n’avait jamais vu.

Quel contraste déroutant, avec ce que j’avais coutume de contempler l’année dernière du haut de ces mêmes terrasses, à la chute des crépuscules d’automne, quand j’étais le seul habitant de ce palais! Sur les bords du lac, ces groupes en costume de bal, à la place des cadavres, mes seuls et obstinés voisins d’antan – qui demeurent encore tous là, bien entendu, mais qui ont achevé de faire dans la vase leur très lent plongeon sans retour. Et cette douce tiédeur d’une soirée de mai, au lieu du froid glacial qui me faisait frissonner dès que l’énorme soleil rouge commençait de s’éteindre!

Au premier plan, à l’entrée du Pont de Marbre, le grand arc de triomphe chinois, avec ses diableries, ses cornes et ses griffes, mis en valeur par un amas de lanternes proches, resplendit de dorures sur le ciel nocturne. Ensuite, traversant le sombre lac, c’est le pont très éclairé, et qui semble lumineux par lui-même dans le rayonnement de son éternelle blancheur. Au loin, enfin, toute l’ironique fantasmagorie des palais vides et des pagodes vides émerge de l’obscurité des arbres et reflète dans les eaux ses lignes de feux, parmi les petites îles des lotus.

Ils se répandent un peu partout, nos cinq cents invités, au bord du lac sous la verdure printanière des saules, par groupes sympatiques, ou bien le long du Pont de Marbre, ou bien encore dans les gondoles impériales. A mesure qu’ils descendent de ces terrasses de la Rotonde, on leur remet à chacun une lanterne peinturlurée, au bout d’un bâtonnet, et tous ces ballons de couleur se disséminent au hasard des sentiers, sont bientôt, dans les lointains, comme une peuplade de vers-luisants.

De là-haut où je suis resté, on distingue des femmes, en manteau clair du soir, s’en allant au bras d’officiers sur les dalles blanches du pont, ou bien assises à l’arrière des longues barques de l’Impératrice que des rameurs mènent doucement… Et combien c’est inattendu de voir ces Européennes, – presque toutes, celles-là même qui avaient enduré les tortures du siège, – se promener si tranquilles, dans leur toilette de dîner, au milieu du repaire jadis fermé et terrible de ces souverains par qui leur mort avait été sourdement préparée! Le lieu décidément a perdu toute son horreur, et c’est même fini pour l’instant du vague effroi qui, hier encore, se dégageait des lointains peuplés de vieux arbres et de ruines; il y a tant de lumières, tant de monde, tant de soldats, jusque dans les fonds reculés, sous bois, que toutes les formes vagues de revenants ou de mauvais esprits, ce soir, ont dû s’évanouir.

Quelque chose commence de se faire entendre, comme un roulement de tonnerre qui s’approcherait, et c’est l’ensemble d’une cinquantaine de tambours, annonçant que la retraite arrive. Elle a dû se former à la Porte Jaune, pour suivre l’avenue inaugurée aujourd’hui, et venir se disperser devant nous, au pied du Palais de la Rotonde. Ses lumières d’avant-garde apparaissent là-bas, à la tête du Pont de Marbre, et voici qu’elle s’engage sur le magnifique arceau blanc. La cavalerie, l’infanterie, les musiques semblent couler vers nous, avec un fracas de cuivres et de tambours à faire crouler les murailles sépulcrales de la «Ville violette», – et, au-dessus de ces milliers de têtes de soldats, les lanternes coloriées, d’une extravagance chinoise, en grappes, en gerbes sur de longues perches, se balancent au pas des chevaux, ou bien au rythme des épaules humaines.

Les troupes sont passées, mais le défilé ne paraît pas près de finir. Aux marches que jouaient nos musiques, succède tout à coup un autre fracas, d’un exotisme aigu, délirant, qui trouble les nerfs: des gongs, des sistres, des cymbales, des clochettes. En même temps se dessinent, gigantesques, des étendards verts et jaunes, tout tailladés, d’une fantaisie essentiellement étrangère, d’une proportion inusitée. Et, sur le beau Pont de Marbre, s’avancent des compagnies de personnages longs et minces, aux enjambées étonnantes, qui se dandinent comme des ours: mes échassiers d’Y-Tchéou, de Laï-Chou-Chien, de la région des tombeaux, qui ont fait de gaieté de coeur trois ou quatre jours de voyage pour venir figurer à cette fête française! Derrière eux, annoncés par un crescendo des gongs, des cymbales, et de toutes les ferrailles diaboliques de la Chine, les grands dragons arrivent aussi, les bêtes rouges et les bêtes vertes, longues de vingt mètres. On a trouvé le moyen de les éclairer par en dedans; elles ont l’air d’être incandescentes ce soir, les bêtes rouges et les bêtes vertes; au-dessus des têtes de la foule, elles ondulent, elles se tordent, comme feraient des serpents de soufre, des serpents de braise, au milieu de quelque bacchanale de l’enfer bouddhique. Et l’immense décor que les eaux reflètent, le décor de palais et de pagodes aux toits multiples, aux angles cornus, est précisé toujours par ses lignes de feux rouges, dans la nuit sans lune, lourdement nuageuse. Et le donjon de l’Ile des Jades, qui domine ici toutes choses, continue de lancer sa pluie d’étincelles, sur son piédestal de rochers et de vieux cèdres noirs.

Quand sont passés les grands serpents, au cliquetis de ferrailles, au son fêlé des cymbales tartares, le Pont de Marbre continue de déverser au pied de notre palais un flot humain sur la rive, mais un flot plus irrégulier, qui a des poussées tumultueuses et d’où s’échappe une clameur formidable. Et c’est le reste de nos troupes, les soldats libres, qui suivent la retraite, avec des lanternes aussi, des grappes de lanternes balancées, en chantant la Marseillaise à pleine poitrine, ou bien Sambre-et-Meuse. Et les soldats allemands sont avec eux, bras dessus bras dessous, grossissant cette houle puissante et jeune, et donnant de la voix à l’unisson, accompagnant de toutes leurs forces nos vieux chants de France…

Invraisemblable ce dîner de Babel, ce toast des princes chinois, cette Marseillaise allemande!…

* * * * *

Minuit. Les myriades de petites lanternes rouges ont achevé de se consumer, aux corniches des vieux palais, des pagodes désolées, aux rebords des toits d’émail. L’obscurité et le silence coutumiers sont revenus peu à peu sur le lac et dans les lointains du bois impérial, parmi les arbres et les ruines. Les princes chinois se sont éclipsés discrètement, suivis de leurs soyeux cortèges, et emportés très vite dans leurs palanquins, loin d’ici, vers leurs demeures, à travers la ville pleine d’ombre.

Et maintenant c’est l’heure du cotillon, – après un bal forcément très court, un bal qui semblait une gageure contre l’impossible, car on avait réuni à peine dix danseuses pour près de cinq cents danseurs, et encore en y comprenant une gentille petite fille d’une douzaine d’années, une institutrice, tout ce que Pékin renfermait d’Européennes. Cela se passe dans la belle pagode dorée, convertie pour ce soir en salle de bal; cela se danse au milieu de trop d’espace vide, devant les yeux toujours baissés de cette grande déesse d’albâtre, en robe d’or, qui, l’automne dernier, était ma compagne, avec certain chat blanc et jaune, dans la solitude absolue de ce même palais. Pauvre déesse! On a improvisé ce soir un parterre d’iris naturels à ses pieds, et le fond dévasté de son autel a été garni d’un satin bleu aux cassures magnifiques, sur lequel sa personne se détache idéalement blanche, tandis que resplendit davantage sa robe d’or ourlée de petites pierres étincelantes.

On a eu beau faire cependant, on a eu beau éclairer ce sanctuaire, le remplir de lanternes en forme de fleurs et d’oiseaux, c’est une trop bizarre salle de bal; il y reste des obscurités dans les coins, en haut surtout, vers les ors de la voûte. Et cette déesse qui préside, trop mystérieusement pâle, devient gênante, avec son sourire qui semble prendre en pitié ces puérilités et ces sauteries occidentales, avec la persistance de ses yeux baissés comme pour ne pas voir. Ce sentiment de gêne sans doute n’est pas chez moi seul, car la jeune femme qui menait le cotillon, prise de je ne sais quelle fantaisie soudaine, se sauve dehors, emportant l’accessoire de la figure commencée, – un tambour de basque, – entraînant à sa suite les danseurs, les danseuses, les inutiles qui regardaient, et le temple se vide, et le pauvre petit cotillon d’exil s’en va tournoyer assez languissamment en plein air, mourir sous les cèdres de l’esplanade, où quelques lanternes éclairent encore.

* * * * *

Une heure du matin. La plupart des invités sont partis, ayant des kilomètres à faire, dans l’obscurité et les ruines, pour regagner leur logis. Quelques «alliés,» particulièrement fidèles, nous restent, il est vrai, autour du buffet où le champagne coule toujours, en des toasts de plus en plus chaleureux pour la France…

Le palais où j’habite encore pour quelques heures n’est qu’à cinq ou six cents mètres d’ici, de l’autre côté de l’eau. Et je m’en allais solitairement à pied, j’étais déjà sur le plan incliné qui descend au Lac des Lotus, quand quelqu’un me rappelle:

– Attendez-moi, j’irai vous reconduire un bout de chemin, ça me reposera!

C’est le colonel Marchand, et nous voici cheminant ensemble, sur la blancheur du Pont de Marbre. Un grand suaire de nuit et de silence est retombé sur toutes choses dans cette «Ville impériale» que nous avions remplie de musiques et de lumières, pour une soirée.

– Eh bien, me demande-t-il, comment était-ce? Quelle impression en avez-vous?

Et je lui réponds, ce que je pense en effet, c’est que c’était magnifiquement étrange, dans un cadre comme il n’en existe pas.

Cependant il est plutôt mélancolique, cette nuit, mon ami Marchand, et nous ne causons guère, nous entendant à demi-mot.

Mélancolie des fins de fête, qui peu à peu nous enveloppe, en même temps que l’obscurité revenue… Brusque évanouissement, dans le passé, d’une chose – futile, c’est vrai, – mais qui nous avait surmenés pendant quelques jours et distraits des préoccupations de la vie: il y a de cela d’abord…

Mais il y a aussi un autre sentiment, que nous éprouvons tous deux à cette heure, et dont nous nous faisons part l’un à l’autre, presque sans paroles, tandis que les dalles de marbre rendent leur petit son clair, sous nos talons, dans ce silence de minute en minute plus solennel. Il nous semble que cette soirée vient de consacrer d’une manière irrémédiable l’effondrement de Pékin, autant dire l’effondrement d’un monde. Quoi qu’il advienne, l’étonnante cour asiatique reparaîtrait-elle même ici, ce qui est bien improbable, Pékin est fini, son prestige tombé, son mystère percé à jour.

Cette «Ville impériale», pourtant, c’était un des derniers refuges de l’inconnu et du merveilleux sur terre, un des derniers boulevards des très vieilles humanités, incompréhensibles pour nous et presque un peu fabuleuses.

FIN
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
260 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain