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Kitabı oku: «Les musiciens et la musique», sayfa 5

Hallays André
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Ce libretto, qui, comme on voit, n'a nulle prétention à la vérité historique et à la vraisemblance, a paru intéressant et semé de situations bizarres et piquantes; je trouve seulement que la part du musicien n'y est pas assez nettement dessinée, que les divers mouvements de l'action prennent trop de part dans les morceaux de chant. Il en résulte une grande indécision dans leur forme en général, et un défaut de suite dans le dessin musical des voix dont les plus charmants effets d'orchestre ne peuvent offrir de véritable compensation.

Comment faire entrer dans un duo des détails qui appartiennent évidemment au dialogue les plus familiers, tel que cette scène du premier acte dans laquelle Catarina invite don Henrique à prendre une tasse de chocolat? Et toutes ces lettres, et ces journaux, et ces signalements lus en musique, et ces fréquentes interruptions, fort comiques, sans doute, mais tout à fait hostiles au développement de la partition, quelles difficultés n'en devraient pas résulter pour la tâche du compositeur! Aussi n'oserions-nous pas affirmer qu'il les ait vaincues. La phrase mélodique de M. Auber dans cet ouvrage est courte, peu saillante, elle dégénère à tout instant en récitatif mesuré; très souvent c'est à la disposition du libretto qu'il faut s'en prendre. Mais ce dont le musicien est seul responsable, c'est du style plus ou moins distingué, neuf et franc de ses mélodies même les plus frivoles. Un poème d'opéra, quel qu'il soit, n'a jamais obligé un compositeur à n'écrire que des banalités; et un maître de l'expérience et de la réputation de M. Auber, peut toujours, surtout quand il a pour collaborateurs des hommes doués, comme MM. Scribe et Saint-Georges, de tant de ressources dans l'esprit, faire déblayer quelques parties de l'action afin de pouvoir y asseoir solidement le corps de son édifice musical. Il y a un nombre prodigieux de motifs de contredanse dans cette partition, dans l'allegro de l'ouverture, dans les ballades, dans les duos, dans les morceaux d'ensemble, partout. La première reprise est ainsi toute faite, il ne s'agira plus que d'en ajouter une seconde, et les quadrilles surgiront par douzaines. Évidemment c'est le but que s'est proposé M. Auber; il a cru plaire davantage par là au public spécial de l'Opéra-Comique, et lui plaire d'autant plus que ces thèmes dansants seraient moins originaux. La durée du succès peut seul démontrer si ce but a été atteint. A raisonner ainsi, la question d'art se trouve tout à fait écartée; il ne s'agit plus de savoir si l'auteur a mérité ou démérité de la musique, mais si son ouvrage a beaucoup rapporté au théâtre et lui rapportera longtemps.

Il n'est pourtant pas permis à la critique de se retrancher derrière de pareilles considérations; bien moins encore de tourner à la louange de l'artiste, ce qui, aux yeux des hommes sérieux, mérite un blâme sévère, et de répéter gravement cette plaisanterie: «L'auteur a voulu faire une mauvaise chose, il a tant de talent qu'il y a parfaitement réussi.» Il faut d'ailleurs relever avec soin les rares passages dignes d'éloges. Ainsi l'introduction de l'ouverture, douce et calme, bien instrumentée, tissue d'harmonies choisies, a fait beaucoup de plaisir aux habitués de l'Opéra-Comique; l'allegro, sorte de pot-pourri bruyant formé de plusieurs flons-flons épars dans le cours des trois actes, est bien certainement dans le cas contraire. Ce n'est vraiment pas digne de M. Auber. La chanson de don Henrique, au moment de l'orage, est d'une intention comique, sans être fort intéressante, musicalement parlant. Le chœur des ouvriers imitant le bruit des marteaux avait été tellement vanté à l'avance, que cette prévention favorable lui a peut-être beaucoup nui. Cependant, j'ai peine à croire qu'un arpège vulgaire tel que celui-ci: ré la fa, ré la fa, mi la sol, mi la sol, dans le ton de majeur, auquel on ne ferait aucune attention si des instruments l'exécutaient, puisse devenir une chose belle et neuve, parce qu'il a été placé dans les voix. Cela pourrait servir à donner du relief à une idée si elle y était, mais ne saurait, je crois, en aucune façon la remplacer. Je m'attendais toujours, à chaque retour de ce violent arpège, que l'orchestre allait développer au-dessus de lui quelque belle période mélodique dont il fût devenu ainsi l'accompagnement, comme dans le charmant finale du Shérif de M. Halévy: Moi je vous dis qu'ils étaient trois! mais j'avais tort, rien n'est arrivé. Le chœur-prière des faux moines est agréable à entendre comme toutes les harmonies consonnantes convenablement exécutées piano par des voix. Le second acte contient plusieurs traits finement dessinés pour le soprano de madame Thillon; au troisième, le quintette dans l'antichambre de la reine m'a paru le morceau le mieux conduit et le seul réellement développé de toute la pièce. Le second thème y est ramené plusieurs fois avec bonheur.

LESUEUR

RACHEL, NOÉMI, RUTH ET BOOZ

21 décembre 1835.

M. Lesueur, dont les œuvres sacrées font le sujet de cette étude, est une exception fort rare parmi les compositeurs…

Son style est un style à part, dont la simplicité naïve et la force calme se distinguent des formes musicales actuelles, autant que la Bible diffère de nos poèmes modernes. Cette tournure particulière de l'esprit et des facultés musicales de M. Lesueur le rendait merveilleusement propre à traiter les sujets tirés des poésies hébraïques et ossianiques. Aussi, de toutes ses productions, celles qui se rattachent à cet ordre d'idées, passent-elles pour ses chefs-d'œuvre. Paisiello qu'on ne saurait accuser de gallomanie en fait d'art, écrivait en parlant de M. Lesueur: «Sa musique est essentiellement expressive et originale. On y trouve cette simplicité antique si peu connue de nos contemporains, et dont Adolphe Hasse, seul d'entre tous les anciens compositeurs, paraît avoir entrevu la beauté.» Les gens qui ont rendu à Lesueur une justice éclatante ne sont pas tous capables de connaître ses œuvres et d'en pouvoir juger. Sans cela, ils n'eussent pas établi un parallèle entre sa manière et celle de Gluck et de Mozart, dont elle est aussi éloignée que je le suis, moi, des Antipodes. On est assez porté, en France, à vouloir rendre ses assertions authentiques, d'après l'autorité de certains auteurs qui ont écrit sur l'art musical, et dont plusieurs n'ont jamais été capables de composer un menuet.

L'harmonie est le point par lequel la musique de M. Lesueur diffère le plus de toutes les autres musiques connues. Elle a presque toujours une physionomie étrange et un tour imprévu, et n'en est pas moins aussi profondément expressive. Gluck savait rendre les sentiments et les passions par la récitation mélodique, Paisiello par la mélodie accentuée, M. Lesueur quelquefois y parvient par l'harmonie seule; non point cette harmonie sèche, hérissée de dessins, de modulations, de phrases renversables, d'imitations, de canons, et d'entrées de fugue; mosaïque musicale, sans mérite, puisqu'elle est sans objet, faite pour l'étonnement des yeux et le tourment des oreilles; qui prouve seulement la patience du compositeur, tout en mettant à l'épreuve celle des auditeurs; et d'où on pourrait conclure que, si le musicien qui y excelle se fût exercé aussi longtemps à vaincre toute autre difficulté, comme par exemple celle de faire entrer à dix pas un pois dans le trou d'une aiguille, il y fût également parvenu; et que pour récompense proportionnée à son mérite il a tout à fait droit… à un boisseau de pois.

L'harmonie de M. Lesueur est d'une nature différente, c'est l'harmonie pure, sans déguisement, sans ridicules oripeaux; elle rêve, elle prie, elle pleure, elle éclate en accents pompeux, elle remplit le temple de vibrations solennelles et variées, comme les couleurs dont se pare le soleil en traversant les vitraux peints de la cathédrale. C'est l'harmonie vraie, ou du moins celle que tous les hommes sensibles au charme des accords ont saluée de ce nom. Outre l'expression qui lui est propre, et son originalité incontestable, l'harmonie de M. Lesueur est encore rehaussée par la mélodie toute particulière qu'elle produit. Et en disant que le dessin mélodique doit ici donner naissance aux accords, je ne veux pas donner à entendre que M. Lesueur fait ses chants après coup, mais seulement que la pensée harmonique est tellement forte chez lui qu'elle domine toutes les autres et répand sur elles un reflet qu'il est impossible de méconnaître. Dans les mélodies nues, c'est-à-dire sans aucun accompagnement, on sent alors que le tissu harmonique est le canevas sur lequel il a brodé. M. Lesueur faisant un usage très réservé des harmonies chromatiques et employant de préférence les accords naturels de la gamme diatonique, on doit en conclure que ses chants sont d'une exécution très aisée. Cela n'est pas toujours vrai; bien que les intervalles en soient simples, ils sont présentés cependant dans un ordre si imprévu bien souvent, que l'oreille s'en étonne et que la voix qui n'est point familiarisée avec ce style hésite à les aborder. D'ailleurs, ce qu'il y a de vraiment facile pour les chanteurs, c'est le vulgaire et le commun. Là seulement ils sont à leur aise; il n'y a rien pour eux à comprendre ni à étudier, tout se devine, tout est su d'avance, et le larynx n'a pas plus de travail à faire que l'esprit. L'instrumentation de M. Lesueur est à peu près dans le même cas; elle n'offre aucune difficulté matérielle, mais les accents, les nuances y sont si multipliés et d'un sentiment si délicat, qu'une espèce d'éducation est encore nécessaire aux artistes pour qu'ils puissent la rendre fidèlement. J'en excepte toutefois les grandes messes solennelles, où, par une excellente combinaison que motivent la grandeur des temples, et le petit nombre des exécutants, M. Lesueur s'est abstenu en général d'employer les effets de demi-teinte, qui ne seraient point perceptibles. Le forte domine dans l'exécution, ou, pour mieux dire, il y est constant; les principaux contrastes résultent de la présence ou de l'absence de la masse des instruments à vent. C'est le système de l'orgue appliqué à l'orchestre.

Parmi les particularités de cette instrumentation, il faut signaler: 1º l'usage fréquent des clarinettes et des bassons employés par groupes de quatre, le nombre des clarinettes se trouve ainsi doublé; 2º la division des violoncelles en deux moitiés, l'une suivant les altos et l'autre les contrebasses; 3º les violoncelles divisés en deux masses inégales, la plus forte exécutant les parties graves, la moindre, composée de deux ou de quatre violoncelles au plus, marchant à l'octave de la mélodie; 4º l'emploi ingénieux de la grosse caisse, qui vient tonner à la fin de quelques morceaux, quand l'intensité de l'accent rythmique est devenue telle qu'il n'est plus possible de l'accroître autrement. Alors M. Lesueur la fait ordinairement dialoguer avec les timbales; celles-ci frappant le second et le troisième temps (dans les mesures à quatre), et la grosse caisse le quatrième ou le premier. Le mouvement oscillatoire de ces percussions concordantes donne à la marche de l'orchestre une majesté extraordinaire. C'est en employant le bruit de cette manière qu'on en a fait de la musique. Cet exemple, donné il y a plus de vingt-cinq ans, par M. Lesueur, n'a pas empêché ceux qui plus tard ont introduit la grosse caisse dans les orchestres de théâtre, d'en faire l'abus le plus révoltant, et de ruiner ainsi toute puissance instrumentale, en émoussant la sensibilité des organes auditifs par un continuel et absurde fracas.

La division des voix de M. Lesueur n'est pas non plus absolument la même que celle adoptée par la généralité des compositeurs. Au lieu de soprano, contralto, ténor et basse, il écrit premier et second soprano, premier et second ténor, première et seconde basse; établissant ainsi ses chœurs à six parties, ou tout au moins à trois, doublées à l'octave. Dans son oratorio de Noémi, ils sont écrits à quatre parties, mais sans voix de basse; il n'y a que des soprani et des ténors divisés en deux. Cette disposition chorale est d'une douceur extrême; Weber l'a également employée (après M. Lesueur) pour faire chanter les esprits d'Obéron. Noémi, composée spécialement pour la chapelle royale, comme Ruth et Booz et Rachel, est une des œuvres les plus remarquables de M. Lesueur. Il n'y en a pas une à notre avis où la couleur biblique soit mieux observée, et se manifeste sous des formes plus touchantes. Le sujet en lui-même est essentiellement musical, ce qui ne saurait atténuer le mérite de l'admirable parti qu'en a tiré le compositeur. Je me rappelle encore l'impression de tristesse profonde que me faisait éprouver l'exécution de cet oratorio aux Tuileries il y a quelques années; il est rare qu'une composition, même dramatique, parvienne à émouvoir à ce point.

Il se compose de plusieurs scènes, dont la première a pour objet les adieux de Noémi à Ruth et Orpha, ses belles filles. Après avoir perdu son mari et ses deux fils, morts sur la terre de Moab, Noémi ayant résolu de retourner à Bethléem, Ruth et Orpha, suivies de plusieurs de leurs jeunes parents moabites comme elles, la reconduisirent jusqu'au pays de Juda. Là, Noémi voulut les quitter et les obliger de retourner dans leur pays. Ruth seule s'y refusa ne pouvant se résoudre à se séparer d'elle. Noémi dit à Ruth: «Voilà votre sœur Orpha qui a embrassé sa belle-mère et qui s'en retourne dans son pays.» Ruth lui dit: «Je veux rester ici avec Noémi.» Noémi répond: «Votre sœur est retournée à son peuple et à ses dieux; avec moi vous resteriez pauvre, allez avec elle, vers votre mère, vers vos proches parents et vous vous retrouverez dans l'abondance. – Ne vous opposez point à moi, dit Ruth, en me portant à vous quitter et à m'en aller; car en quelque lieu que vous portiez vos pas, j'y vais, j'y cours avec vous, et partout où vous demeurerez, j'y demeurerai aussi; votre peuple sera mon peuple et votre Dieu sera mon Dieu.» La naïveté et le charme douloureux de ces paroles se retrouvent en entier dans la musique. On est pénétré, attendri, et tout étonné de l'être, tant le compositeur fait peu d'efforts pour vous émouvoir. La forme du premier morceau est très singulière: Ruth, Orpha et leurs parents expriment en chœur leur douleur par des phrases mesurées, auxquelles Noémi répond constamment en récitatif. L'orchestre se tait alors, et rend par son silence l'expression d'isolement qui se fait sentir dans le récitatif de Noémi, plus saillante et plus complète. Plus loin est un air de Ruth de la plus grande beauté; outre l'ordonnance générale, qui en est magnifique, je signalerai une phrase dont l'harmonie qui l'accompagne double encore la force expressive; je veux parler de celle qu'on trouve dans le milieu du morceau sur ces paroles: Ibique locum accipiam sepulturæ; hanc mihi faciat Dominus. Le dévouement, l'amour filial, l'espoir et la crainte, ne sauraient dans une mélodie s'exprimer d'une façon plus douce, pendant que l'idée de la mort se retrouve dans les lugubres accents des basses et la sombre dissonance qu'elles murmurent sous le chant.

Mais ce qui m'a toujours paru le plus bel endroit de l'ouvrage, c'est l'adieu lointain d'Orpha et de ses compagnes, après qu'elles ont quitté Ruth et Noémi. Ce passage est d'un pittoresque achevé; et tout ce que je pourrais dire n'en donnerait probablement qu'une idée fausse; j'aime mieux renvoyer à la partition le lecteur musicien. L'oratorio de Noémi n'est pas assez compliqué pour ne pouvoir être lu; je suis convaincu qu'on trouvera à le parcourir un charme réel, et qu'il sera pour les musiciens capables de sentir la sublimité du style biblique, le sujet d'une étude du plus haut intérêt.

ESQUISSE BIOGRAPHIQUE

15 octobre 1837.

Jean-François Lesueur est né à Drucat-Plessiel près d'Abbeville, en 1763, et non pas à Paris, comme on l'a dit récemment. Ses premières années furent laborieuses et calmes. Enfant de chœur de la maîtrise d'Amiens, il y reçut une éducation musicale des plus soignées, et n'en sortit que pour aller au collège faire sa philosophie et terminer ses études déjà fort avancées dans les langues anciennes. Sa famille, dont plusieurs membres s'étaient distingués dans diverses carrières honorables, le destinait à l'Église; mais la gloire de son grand-oncle, Eustache Lesueur, le peintre des Chartreux, lui parut la plus belle et la plus digne d'envie. L'opposition de son père fut, du reste, de courte durée, et bientôt le jeune Lesueur put reprendre le cours de ses travaux de musique religieuse, auxquels il s'adonna d'abord exclusivement.

Les maîtrises étaient nombreuses à cette époque; il lui fut donc moins difficile qu'il ne le serait aujourd'hui de faire entendre ses premiers essais. Leur mérite évident ne tarda pas à ouvrir à Lesueur la carrière qu'il a parcourue depuis avec tant d'éclat. C'est ainsi qu'il entra successivement comme maître de chapelle à la cathédrale de Séez, à celle de Dijon, à l'église des Saints-Innocents de Paris (où il fut appelé sur un rapport de Grétry, de Philidor et de Gossec), à Notre-Dame de Paris (il emporta cette place au concours), et enfin à la chapelle impériale où l'avait précédé Paisiello. Sous Louis XVIII et sous Charles X, ce fut M. Cherubini qui partagea avec lui ces brillantes fonctions. Il dirigeait encore la musique des Saints-Innocents, quand une circonstance singulière vint exalter le désir qu'il éprouvait depuis longtemps d'écrire pour le théâtre, malgré les admonestations réitérées de son curé à ce sujet. Se promenant un soir aux Tuileries, il vit passer près de lui un homme grand et fort, aux traits sévères, à l'aspect rêveur et passionné à la fois, couvert d'une immense pelisse fourrée et portant à la main un énorme bambou, moins semblable à une canne qu'à une massue. Les promeneurs s'arrêtaient pour regarder l'étranger, et bientôt le nombre des curieux qui se pressaient autour de lui devint tel qu'il fut obligé en s'esquivant de sortir du jardin.

Le jeune maître de chapelle, perdu dans la foule, se demandait quel pouvait être cet homme dont l'apparition dans un lieu public excitait un intérêt si extraordinaire; quelques mots des passants le mirent au fait: c'était Gluck… Dès ce moment, ne rêvant plus que théâtres et drames lyriques, il se mit à la recherche d'un libretto où il put faire voir qu'il était peintre aussi; et quatre ans après, il obtint enfin celui de la Caverne, par lequel il débuta au Théâtre Feydeau, en 1793. Les répétitions de cet ouvrage furent orageuses; il y avait unanimité dans l'opinion des acteurs sur l'infériorité de la partition. Lesueur, ayant fait de très belle musique d'église, ne pouvait réussir dans le style théâtral; chacun en était bien convaincu avant d'en avoir la moindre preuve. Rien de plus naturel: ce raisonnement est encore aujourd'hui fort en vogue dans un certain monde où les lumières qu'on possède sur l'art égalent les égards que l'on a pour les artistes. Le public, qui se trompe quelquefois quand on brusque trop rudement ses habitudes, mais qui est, au moins fort souvent, un juge plein d'impartialité, donna un éclatant démenti à l'opinion qui condamnait ainsi d'avance l'opéra de Lesueur. Le succès de la Caverne fut prodigieux; on la donna plus de cent fois en quinze mois, elle fut montée sur tous nos théâtres de province, petits et grands, où elle est encore fréquemment représentée, tant bien que mal, aujourd'hui. Lesueur m'a quelquefois parlé de la profonde et singulière tristesse qui s'empara de lui à cette époque. «J'avais tant ambitionné ce succès, me disait-il, j'avais tant redouté de ne pas l'obtenir, que le lendemain de ma victoire, n'ayant plus de sujets d'espoir ni de motifs de crainte, il me sembla que tout me manquait à la fois; je me sentis accablé d'une mélancolie insurmontable, preuve évidente de l'insatiabilité de l'âme humaine, et je n'eus de repos qu'après avoir donné à l'avidité inquiète de la mienne un nouvel aliment.»

Un an après, en effet, parut au même théâtre l'opéra de Paul et Virginie, dont la fortune ne fut pas égale à celle de la partition qui l'avait précédé. Le chœur d'introduction, Divin soleil, en est seul resté, et nous l'avons fréquemment entendu jusqu'en 1830 aux concerts publics des Tuileries. C'est une page admirable à laquelle nous ne saurions indiquer de pendant chez aucun autre compositeur, tant les moyens d'effets y diffèrent de ceux auxquels la grande majorité des musiciens a coutume d'avoir recours.

Télémaque, les Bardes et la Mort d'Adam, succédèrent aux deux ouvrages que nous venons de nommer. Lesueur, dans Télémaque, s'était proposé, en imitant le style mélodique et rythmique des anciens Grecs, de résoudre un problème d'érudition musicale dont lui seul peut-être pouvait apprécier la difficulté; aussi n'est-ce pas dans sa solution qu'il faut chercher la cause de l'accueil favorable que reçut Télémaque, mais seulement dans la valeur intrinsèque et toute moderne d'une foule de morceaux pleins d'énergie et d'une originalité frappante, tels que l'air de l'Amour au premier acte et le grand monologue de Calypso au troisième: Je veux voir à mes pieds Eucharis expirante, que madame Scio rendait avec tant d'entraînement.

Les Bardes furent représentés à l'Académie impériale de Musique en 1804, et la vogue de cet immense ouvrage égala, s'il ne la dépassa pas, celle qu'avait obtenue la Caverne, onze ans auparavant. L'étrangeté des mélodies, le coloris antique et rêveur particulier à l'harmonie de Lesueur, se trouvaient là parfaitement motivés. La poésie ossianique ne pouvait être traduite en musique d'une façon plus noble ni plus fidèle. On sait quelle était la prédilection de Napoléon pour ces chants attribués à Ossian; le musicien, qui venait de leur donner une vie nouvelle et plus active, ne pouvait manquer de s'en ressentir.

A l'une des premières représentations, l'Empereur enthousiasmé l'ayant fait venir dans sa loge après le troisième acte, lui dit: «Monsieur Lesueur, voilà de la musique comme je n'en avais encore jamais entendu; le second acte surtout est inaccessible.» Vivement ému d'un pareil suffrage, et des cris et des applaudissements qui éclataient de toutes parts, Lesueur voulait se retirer. Napoléon le prenant par la main le fit avancer sur le devant de la loge, et, le plaçant à côté de lui: «Non, non, restez; jouissez de votre triomphe; on n'en obtient pas souvent de pareil.» Certes, en lui rendant ainsi éclatante justice, Napoléon ne fit point un ingrat; jamais l'admiration et le dévouement d'un soldat de la garde ne surpassèrent en ferveur le culte que l'artiste a professé pour lui jusqu'au dernier moment. Il ne pouvait en parler de sang-froid. Je me souviens qu'un jour, en revenant de l'Académie, où il avait entendu amèrement critiquer la fameuse Orientale de M. Victor Hugo, intitulée: Lui! il me pria de la lui réciter. Son agitation et son étonnement en écoutant ces beaux vers, ne peuvent se rendre; à cette strophe:

 
Qu'il est grand là surtout, quand, puissance brisée,
Des porte-clefs anglais misérable risée,
Au sacre du malheur il retrempe ses droits,
Tient au bruit de ses pas deux mondes en haleine,
Et mourant de l'exil, gêné dans Sainte-Hélène,
Manque d'air dans la cage où l'exposent les rois.
 

N'y tenant plus, il m'arrêta; il sanglotait.

La tragédie lyrique religieuse de la Mort d'Adam n'eut qu'un petit nombre de représentations à l'Opéra. Malgré les beautés nombreuses et de l'ordre le plus élevé qui donnent tant de prix à cette partition, le défaut d'action du drame et la triste monotonie du sujet étaient des obstacles contre lesquels tous les efforts de la musique devaient nécessairement venir se briser.

Je crois pourtant que Lesueur mettait la conception musicale de la Mort d'Adam au-dessus de ses autres ouvrages; en se plaçant à son point de vue biblique et religieux, cette préférence se conçoit parfaitement. Sous le rapport dramatique, d'ailleurs, la composition du caractère de Caïn est des plus grandes et des plus énergiques que l'on connaisse. Ce rôle contient un air où le désespoir, le remords, la terreur et la rage du meurtrier d'Abel sont peints d'une manière sublime. Un tel morceau, bien mis en scène, exécuté par une voix mordante et timbrée, ferait frémir; et, pour ce morceau, comme pour certaines scènes des Bardes, il faudrait répéter le mot de Napoléon: C'est inaccessible.

Alexandre à Babylone, grand opéra en trois actes, dernière production de Lesueur, n'a pas été représenté. Nous n'en connaissons que deux ou trois chœurs d'une splendeur tout orientale, que l'auteur parodia sur des paroles latines, et qu'il fit entendre, en 1828, à Notre-Dame, pour la cérémonie de l'ouverture des Chambres. Ses compositions religieuses, messes, oratorios, motets, prières, sont en très grand nombre. Nous avons déjà entretenu nos lecteurs de Noémi, et de Ruth et Booz, admirables pastorales hébraïques, où les mœurs patriarcales revivent et s'expriment avec des accents d'une naïveté, d'une grâce et d'un pittoresque achevés. On a publié dans ces dernières années les oratorios de Rachel, de Debora, les trois parties de celui qui fut exécuté à Reims pour le sacre de Charles X, un Te Deum et plusieurs messes d'une grande étendue. La plupart de ces belles partitions sont généralement connues et appréciées.

Un seul ouvrage de Lesueur, l'Histoire universelle de la musique ne l'est point encore. Il y a travaillé trente ans; les recherches de toute espèce auxquelles il a dû se livrer pour bien connaître ce qu'était l'art musical chez les anciens Grecs, chez les Hébreux et les Égyptiens, effrayent l'imagination. Le résultat de tant de travaux accomplis avec la sagacité d'un esprit supérieur ne saurait manquer d'offrir le plus vif intérêt aux savants et aux artistes. Bien des préjugés tomberont si ce livre paraît; beaucoup d'opinions généralement admises, et consacrées comme des vérités, seront ruinées par leur base. Telle est, par exemple, celle qui refuse à l'antiquité la connaissance et l'usage de l'harmonie. Ce n'est point ici le lieu d'exposer les raisons dont le savant maître se sert pour combattre le système admis dans toute l'Europe sur cette question, je me contenterai d'un fait: on connaissait avant lui la notation des Grecs, personne ne songera donc à lui contester la possibilité de transcrire dans nos signes modernes des fragments de leur musique. Or, c'est par ces fragments eux-mêmes, dont il a rassemblé une grande quantité, qu'il prouve sans réplique l'emploi des accords dans la musique antique. J'ai chanté avec lui, sur son manuscrit, une ode de Sapho d'un beau style mélodique et à deux parties; j'y ai vu, en outre, divers morceaux pour des voix accompagnées de plusieurs instruments, dont les accords ne se composaient guère que de consonances, il est vrai, et de quelques rares suspensions dissonantes, mais dont l'enchaînement formait cependant une harmonie très pure et assez riche. Je ne vois pas trop ce qu'on pourrait répondre à cela.

Lesueur, dont le caractère était d'une candeur et d'une bonté parfaites, eut cependant des ennemis acharnés. Méhul fut le plus ardent de tous. Témoin de la popularité de la Caverne, il voulut la détruire en composant une partition sur le même sujet et sous le même titre; la Caverne de Méhul tomba. Plus tard, obsédé par le succès des Bardes, il eut de nouveau recours au moyen qui lui avait si mal réussi la première fois; il écrivit Uthal, dont l'idée est à peu près la même que celle traitée par Lesueur. Cette partition renferme incontestablement de grandes beautés; mais pour lui donner une couleur plus sombre, Méhul crut devoir n'employer, au lieu et place des violons, que des altos, dont le timbre est en effet terne et mélancolique; et Grétry, en entendant cet orchestre ainsi dépourvu de tons aigus, s'écria: «Je donnerais deux louis pour entendre une chanterelle!» Le mot circula, et Uthal, que le public goûtait peu d'ailleurs, disparut bientôt de l'affiche. De là une haine implacable que Lesueur n'avait méritée ni provoquée en aucune façon. Il parlait peu des tracasseries que cette jalousie aveugle lui avait suscitées, mais jamais il ne manqua l'occasion d'exprimer tout ce que les grandes œuvres de son ennemi lui inspiraient d'estime, d'admiration; il prisait fort Euphrosine et Stratonice.

Il regardait Mozart comme le premier des musiciens, et trouvait Gluck plus grand que la musique. Il avait peu de sympathie pour Weber, qu'il accueillit cependant avec un très vif empressement, quand il vint le voir, lors de son passage à Paris en 1826.

Pour Beethoven, il le redoutait comme l'ante-christ de l'art. Son équité et son grand sens musical et poétique le mettaient dans l'impossibilité de méconnaître un tel génie; mais il entrevoyait de ce côté le scintillement crépusculaire de certaines idées qu'il ne voulait pas admettre, et, malgré lui, il s'attristait de la puissance qu'il leur voyait acquérir. L'ayant instamment prié de venir avec moi, au Conservatoire, entendre la symphonie en ut mineur, il y consentit. Ce chef-d'œuvre dont il n'avait aucune idée lui fit éprouver une commotion terrible dont il tremblait encore une heure après. Néanmoins, quelques mois plus tard, il regrettait la tendance de la nouvelle génération à suivre la trace du géant de la symphonie. Son style à lui ne se rapproche, je l'ai déjà dit, d'aucun autre, si ce n'est au dire de Paisiello, de celui des anciens maîtres Logroscino et Hasse (dit le Saxon); je trouve aussi, sous certains rapports, des affinités assez marquées entre sa manière et celle de Sacchini.

Mais dans l'ensemble de ses productions, dans son sentiment harmonique et mélodique, et dans la direction toute spéciale de ses idées, Lesueur fut incontestablement un maître original autant qu'ingénieux et savant. Il chérissait ses élèves; il leur prodiguait ses leçons, ses avis affectueux, les aidant de tous ses moyens, ne comptant avec eux ni le temps ni l'argent. Aussi la faveur d'être admis dans sa classe était-elle fort recherchée. Le nombre des jeunes compositeurs qui en sont sortis pour aller à Rome, après avoir obtenu le grand prix de l'Institut, est considérable. Parmi les lauréats des dix ou douze premières années seulement, nous pouvons citer MM. Le Bourgeois (mort à Rome), Ermel, Pâris, Guiraud, Elwart, Prévost, Thomas, Boisselot, Bezozzi et l'auteur de cette esquisse.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
27 haziran 2017
Hacim:
280 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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