Kitabı oku: «Discours par Maximilien Robespierre — 17 Avril 1792-27 Juillet 1794», sayfa 11
Il faut que l'autorité de la Convention nationale soit respectée de toute l'Europe; c'est pour la dégrader, c'est pour l'annuler que les tyrans épuisent toutes les ressources de leur politique et prodiguent leurs trésors. Il faut que la Convention prenne la ferme résolution de préférer son propre gouvernement à celui du cabinet de Londres et des cours de l'Europe; car si elle ne gouverne pas, les tyrans régneront.
Quels avantages n'auraient-ils pas dans cette guerre de ruse et de corruption qu'ils font à la République? Tous les vices combattent pour eux; la République n'a pour elle que les vertus. Les vertus sont simples, modestes, pauvres, souvent ignorantes, quelquefois grossières; elles sont l'apanage des malheureux et le patrimoine du peuple. Les vices sont entourés de tous les trésors, armés de tous les charmes de la volupté et de toutes les amorces de la perfidie; ils sont escortés de tous les talents dangereux exercés pour le crime.
Avec quel art profond les tyrans tournent contre nous, je ne dis pas nos passions et nos faiblesses, mais jusqu'à notre patriotisme!
Avec quelle rapidité pourraient se développer les germes de division qu'ils jettent au milieu de nous, si nous ne nous hâtons de les étouffer!
Grâce à cinq années de trahison et de tyrannie, grâce à trop d'imprévoyance et de crédulité, à quelques traits de vigueur trop tôt démentis par un repentir pusillanime, l'Autriche, l'Angleterre, la Russie, la Prusse, l'Italie ont eu le temps d'établir en France un gouvernement secret, rival du gouvernement français. Elles ont aussi leurs comités, leur trésorerie, leurs agents; ce gouvernement acquiert la force que nous ôtons au nôtre; il a l'unité qui nous a longtemps manqué, la politique dont nous croyons trop pouvoir nous passer, l'esprit de suite et le concert dont nous n'avons pas toujours assez senti la nécessité.
Aussi les cours étrangères ont-elles dès longtemps vomi sur la France tous les scélérats habiles qu'elles tiennent à leur solde. Leurs agents infestent encore nos armées; la victoire même de Toulon en est la preuve; il a fallu toute la bravoure des soldats, toute la fidélité des généraux, tout l'héroïsme des représentants du peuple, pour triompher de la trahison. Ils délibèrent dans nos administrations, dans nos assemblées sectionnaires; ils s'introduisent dans nos clubs; ils ont siégé jusque dans le sanctuaire de la représentation nationale; ils dirigent et dirigeront éternellement la contre-révolution sur le même plan.
Ils rôdent autour de nous; ils surprennent nos secrets; ils caressent nos passions; ils cherchent à nous inspirer jusqu'à nos opinions; ils tournent contre nous nos résolutions. Etes-vous faibles? ils louent votre prudence. Etes-vous prudents? ils vous accusent de faiblesse; ils appellent votre courage, témérité; votre justice, cruauté. Ménagez-les, ils conspirent publiquement; menacez-les, ils conspirent dans les ténèbres, et sous le masque du patriotisme. Hier, ils assassinaient les défenseurs de la liberté; aujourd'hui, ils se mêlent à leur pompe funèbre, et demandent pour eux des honneurs divins, épiant l'occasion d'égorger leurs pareils. Faut-il allumer la guerre civile? ils prêchent toutes les folies de la superstition. La guerre civile est-elle près de s'éteindre par les flots du sang français? ils abjurent et leur sacerdoce et leurs dieux pour la rallumer.
On a vu des Anglais, des Prussiens, se répandre dans nos villes et dans nos campagnes, annonçant, au nom de la Convention nationale, une doctrine insensée; on a vu des prêtres déprêtrisés à la tête des rassemblements séditieux dont la religion était le motif ou le prétexte. Déjà des patriotes, entraînés à des actes imprudents par la seule haine du fanatisme, ont été assassinés; le sang a déjà coulé dans plusieurs contrées pour ces déplorables querelles, comme si nous avions trop de sang pour combattre les tyrans de l'Europe. O honte! ô faiblesse de la raison humaine! une grande nation a paru le jouet des plus méprisables valets de la tyrannie!
Les étrangers ont paru quelque temps les arbitres de la tranquillité publique. L'argent circulait ou disparaissait à leur gré. Quand ils voulaient, le peuple trouvait du pain; quand ils voulaient, le peuple en était privé; des attroupements aux portes des boulangers se formaient et se dissipaient à leur signal. Ils nous environnent de leurs sicaires, de leurs espions: nous le savons, nous le voyons, et ils vivent! Ils semblent inaccessibles au glaive des lois. Et il est plus difficile, même aujourd'hui, de punir un conspirateur important, que d'arracher un ami de la liberté des mains de la calomnie.
A peine avons-nous dénoncé les excès faussement philosophiques provoqués par les ennemis de la France; à peine le patriotisme a-t-il prononcé dans cette tribune le mot ultra-révolutionnaire qui les désignait; aussitôt les traîtres de Lyon, tous les partisans de la tyrannie, se sont hâtés de l'appliquer aux patriotes chauds et généreux qui avaient vengé le peuple et les lois. D'un côté, ils renouvellent l'ancien système de persécution contre les amis de la république; de l'autre, ils invoquent l'indulgence en faveur des scélérats couverts du sang de la patrie.
Cependant leurs crimes s'amoncellent; les cohortes impies des émissaires étrangers se recrutent chaque jour; la France en est inondée; ils attendent, et ils attendront éternellement un moment favorable à leurs desseins sinistres. Ils se retranchent, ils se cantonnent au milieu de nous; ils élèvent de nouvelles redoutes, de nouvelles batteries contre-révolutionnaires, tandis que les tyrans qui les soudoient rassemblent de nouvelles armées.
Oui, ces perfides émissaires qui nous parlent, qui nous caressent, ce sont les frères, ce sont les complices des satellites féroces qui ravagent nos moissons, qui ont pris possession de nos cités et de nos vaisseaux achetés par leurs maîtres, qui ont massacré nos frères, égorgé sans pitié nos prisonniers, nos femmes, nos enfants, et les représentants du peuple français. Que dis-je? les monstres qui ont commis ces forfaits sont mille fois moins atroces que les misérables qui déchirent secrètement nos entrailles: et ils respirent, et ils conspirent impunément!
Ils n'attendent que des chefs pour se rallier; ils les cherchent au milieu de vous. Leur principal objet est de nous mettre aux prises les uns avec les autres. Cette lutte funeste relèverait les espérances de l'aristocratie, renouerait les trames du fédéralisme; elle vengerait la faction girondine de la loi qui a puni ses forfaits; elle punirait la Montagne de son dévouement sublime; car c'est la Montagne ou plutôt la Convention, qu'on attaque en la divisant et en détruisant son ouvrage.
Pour nous, nous ne ferons la guerre qu'aux Anglais, aux Prussiens, aux Autrichiens et à leurs complices. C'est en les exterminant que nous répondrons aux libelles: nous ne savons haïr que les ennemis de la patrie.
Ce n'est point dans le coeur des patriotes ou des malheureux qu'il faut porter la terreur, c'est dans les repaires des brigands étrangers, où l'on partage les dépouilles et où l'on boit le sang du peuple français.
Le Comité a remarqué que la loi n'est point assez prompte pour punir les grands coupables. Des étrangers, agents connus des rois coalisés, des généraux teints du sang des Français, d'anciens complices de Dumouriez, de Custine et de Lamarlière, sont depuis longtemps en état d'arrestation et ne sont point jugés.
Les conspirateurs sont nombreux; ils semblent se multiplier, et les exemples de ce genre sont rares. La punition de cent coupables obscurs et subalternes est moins utile à la liberté que le supplice d'un chef de conspiration.
Les membres du tribunal révolutionnaire, dont en général on peut louer le patriotisme et l'équité, ont eux-mêmes indiqué au Comité de salut public les causes qui, quelquefois, entravent sa marche sans la rendre plus sûre, et nous ont demandé la réforme d'une loi qui se ressent des temps malheureux où elle a été portée. Nous vous proposerons d'autoriser le Comité à vous présenter quelques changements à cet égard, qui tendront également à rendre l'action de la justice plus propice encore à l'innocence, et en même temps plus inévitable pour le crime et pour l'intrigue. Vous l'avez même déjà chargé de ce soin par un décret précédent.
Nous vous proposerons, dès ce moment, de faire hâter le jugement des étrangers et des généraux prévenus de conspiration avec les tyrans qui nous font la guerre.
Ce n'est point assez d'épouvanter les ennemis de la patrie; il faut secourir ses défenseurs. Nous solliciterons donc de votre justice quelques dispositions en faveur des soldats qui combattent et qui souffrent pour la liberté.
L'armée française n'est pas seulement l'effroi des tyrans; elle est la gloire de la nation et de l'humanité. En marchant à la victoire, nos vertueux guerriers crient: "Vive la République!" En tombant sous le fer ennemi, leur cri est: "Vive la République!" Leurs dernières paroles sont des hymnes à la liberté; leurs derniers soupirs sont des voeux pour la patrie. Si tous les chefs avaient valu les soldats, l'Europe serait vaincue depuis longtemps. Tout acte de bienfaisance envers l'armée est un acte de reconnaissance nationale.
Les secours accordés aux défenseurs de la patrie et à leurs familles nous ont paru trop modiques. Nous croyons qu'ils peuvent être, sans inconvénient, augmentés d'un tiers. Les immenses ressources de la République, en finances, permettent cette mesure: la patrie la réclame.
Il nous a paru aussi que les soldats estropiés, les veuves et les enfants de ceux qui sont morts pour la patrie, trouvaient dans les formalités exigées par la loi, dans la multiplicité des demandes, quelquefois dans la froideur ou dans la malveillance de quelques administrateurs subalternes, des difficultés qui retardaient la jouissance des avantages que la loi leur assure. Nous avons cru que le remède à cet inconvénient était de leur donner des défenseurs officieux établis par elle, pour leur faciliter les moyens de faire valoir leurs droits.
D'après tous ces motifs, nous vous proposons le décret suivant:
La Convention nationale décrète:
ARTICLE PREMIER
L'accusateur public du tribunal révolutionnaire fera juger incessamment Diétrich, Custine, fils du général puni par la loi, Desbrullis, Biron, Barthélémy et tous les généraux prévenus de complicité avec Dumouriez, Custine, Lamarlière, Houchard. Il fera juger pareillement les étrangers, banquiers et autres individus prévenus de trahison et de connivence avec les rois ligués contre la République.
II
Le Comité de salut public fera, dans le plus court délai, son rapport sur les moyens de perfectionner l'organisation du tribunal révolutionnaire.
III
Les secours et récompenses accordas par les décrets précédents aux défenseurs de la patrie blessés en combattant pour elle, ou à leurs veuves et à leurs enfants, sont augmentés d'un tiers.
IV
Il sera créé une commission chargée de leur faciliter la jouissance des droits que la loi leur donne.
V
Les membres de cette commission seront nommés par la Convention nationale, sur la proposition du Comité de salut Public.
Rapport sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention nationale dans l'administration intérieure de la République, fait au nom du Comité de salut public, le 18 pluviôse, l'an 2e de la République, par Maximilien Robespierre; imprimé par ordre de la Convention nationale (18 pluviôse an II — 5 février 1794)
Citoyens représentants du Peuple.
Nous avons exposé, il y a quelque temps, les principes de notre politique extérieure: nous venons développer aujourd'hui les principes de notre politique intérieure.
Après avoir marché longtemps au hasard, et comme emportés par le mouvement des factions contraires, les représentants du Peuple français ont enfin montré un caractère et un gouvernement. Un changement subit dans la fortune de la nation annonça à l'Europe la régénération qui s'était opérée dans la représentation nationale. Mais jusqu'au moment même où je parle, il faut convenir que nous avons été plutôt guidés, dans des circonstances si orageuses, par l'amour du bien et par le sentiment des besoins de la patrie que par une théorie exacte et des règles précises de conduite, que nous n'avions pas même le loisir de tracer.
Il est temps de marquer nettement le but de la révolution, et le terme où nous voulons arriver; il est temps de nous rendre compte à nous-mêmes, et des obstacles qui nous en éloignent encore, et des moyens que nous devons adopter pour l'atteindre: idée simple et importante qui semble n'avoir jamais été aperçue. Eh! comment un gouvernement lâche et corrompu aurait-il osé la réaliser? Un roi, un sénat orgueilleux, un César, un Cromwell, doivent avant tout couvrir leurs projets d'un voile religieux, transiger avec tous les vices, caresser tous les partis, écraser celui des gens de bien, opprimer ou tromper le peuple, pour arriver au but de leur perfide ambition. Si nous n'avions pas eu une plus grande tâche à remplir, s'il ne s'agissait ici que des intérêts d'une faction ou d'une aristocratie nouvelle, nous aurions pu croire, comme certains écrivains plus ignorants encore que pervers, que le plan de la Révolution française était écrit en toutes lettres dans les livres de Tacite et de Machiavel, et chercher les devoirs des représentants du peuple dans l'histoire d'Auguste, de Tibère ou de Vespasien, ou même dans celle de certains législateurs français; car, à quelques nuances près de perfidie ou de cruauté, tous les tyrans se ressemblent. Pour nous, nous venons aujourd'hui mettre l'univers dans la confidence de vos secrets politiques, afin que tous les amis de la patrie puissent se rallier à la voix de la raison et de l'intérêt public; afin que la nation française et ses représentants soient respectés dans tous les pays de l'univers où la connaissance de leurs véritables principes pourra parvenir; afin que les intrigants qui cherchent toujours à remplacer d'autres intrigants soient jugés par l'opinion publique sur des règles sûres et faciles.
Il faut prendre de loin ses précautions pour remettre les destinées de la liberté dans les mains de la vérité qui est éternelle, plus que dans celles des hommes qui passent, de manière que si le gouvernement oublie les intérêts du peuple, ou qu'il retombe entre les mains des hommes corrompus, selon le cours naturel des choses, la lumière des principes reconnus éclaire ses trahisons, et que toute faction nouvelle trouve la mort dans la seule pensée du crime.
Heureux le peuple qui peut arriver à ce point! car, quelques nouveaux outrages qu'on lui prépare, quelles ressources ne présente pas un ordre de choses où la raison publique est la garantie de la liberté!
Quel est le but où nous tendons? la jouissance paisible de la liberté et de l'égalité; le règne de cette justice éternelle, dont les lois ont été gravées, non sur le marbre et sur la pierre, mais dans les coeurs de tous les hommes, même dans celui de l'esclave qui les oublie et du tyran qui les nie.
Nous voulons un ordre de choses où toutes les passions basses et cruelles soient enchaînées, toutes les passions bienfaisantes et généreuses éveillées par les lois; où l'ambition soit le désir de mériter la gloire et de servir la patrie; où les distinctions ne naissent que de l'égalité même; où le citoyen soit soumis au magistral, le magistrat au peuple, et le peuple à la justice; où la patrie assure le bien-être de chaque individu, et où chaque individu jouisse avec orgueil de la prospérité et de la gloire de la patrie; où toutes les âmes s'agrandissent par la communication continuelle des sentiments républicains, et par le besoin de mériter l'estime d'un grand peuple; où les arts soient les décorations de la liberté qui les ennoblit, le commerce la source de la richesse publique et non seulement de l'opulence monstrueuse de quelques maisons.
Nous voulons substituer dans notre pays la morale à l'égoïsme, la probité à l'honneur, les principes aux usages, les devoirs aux bienséances, l'empire de la raison à la tyrannie de la mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à l'insolence, la grandeur d'âme à la vanité, l'amour de la gloire à l'amour de l'argent, les bonnes gens à la bonne compagnie, le mérite à l'intrigue, le génie au bel esprit, la vérité à l'éclat, le charme du bonheur aux ennuis de la volupté, la grandeur de l'homme à la petitesse des grands, un peuple magnanime, puissant, heureux, à un peuple aimable, frivole et misérable, c'est-à-dire toutes les vertus et tous les miracles de la république à tous les vices et à tous les ridicules de la monarchie.
Nous voulons, en un mot, remplir les voeux de la nature, accomplir les destins de l'humanité, tenir les promesses de la philosophie, absoudre la providence du long règne du crime et de la tyrannie. Que la France, jadis illustre parmi les pays esclaves, éclipsant la gloire de tous les peuples libres qui ont existé, devienne le modèle des nations, l'effroi des oppresseurs, la consolation des opprimés, l'ornement de l'univers, et qu'en scellant notre ouvrage de notre sang, nous puissions voir au moins briller l'aurore de la félicité universelle... Voilà notre ambition, voilà notre but.
Quelle nature de gouvernement peut réaliser ces prodiges? Le seul gouvernement démocratique ou républicain: ces deux mots sont synonymes, malgré les abus du langage vulgaire; car l'aristocratie n'est pas plus la république que la monarchie. La démocratie n'est pas un état où le peuple, continuellement assemblé, règle par lui-même toutes les affaires publiques, encore moins celui où cent mille fractions du peuple, par des mesures isolées, précipitées et contradictoires, décideraient du sort de la société entière: un tel gouvernement n'a jamais existé, et il ne pourrait exister que pour ramener le peuple au despotisme.
La démocratie est un état où le peuple souverain, guidé par des lois qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu'il peut bien faire, et par des délégués tout ce qu'il ne peut faire lui-même.
C'est donc dans les principes du gouvernement démocratique que vous devez chercher les règles de votre conduite politique.
Mais, pour fonder et pour consolider parmi nous la démocratie, pour arriver au règne paisible des lois constitutionnelles, il faut terminer la guerre de la liberté contre la tyrannie, et traverser heureusement les orages de la révolution: tel est le but du système révolutionnaire que vous avez régularisé. Vous devez donc encore régler votre conduite sur les circonstances orageuses où se trouve la république; et le plan de votre administration doit être le résultat de l'esprit du gouvernement révolutionnaire, combiné avec les principes généraux de la démocratie.
Or, quel est le principe fondamental du gouvernement démocratique ou populaire, c'est-à-dire le ressort essentiel qui le soutient et qui le fait mouvoir? C'est la vertu; je parle de la vertu publique qui opéra tant de prodiges dans la Grèce et dans Rome, et qui doit en produire de bien plus étonnants dans la France républicaine; de cette vertu qui n'est autre chose que l'amour de la patrie et de ses lois.
Mais comme l'essence de la république ou de la démocratie est l'égalité, il s'ensuit que l'amour de la patrie embrasse nécessairement l'amour de l'égalité.
Il est vrai encore que ce sentiment sublime suppose la préférence de l'intérêt public à tous les intérêts particuliers; d'où il résulte que l'amour de la patrie suppose encore ou produit toutes les vertus: car que sont-elles autre chose que la force de l'âme qui rend capable de ces sacrifices? et comment l'esclave de l'avarice ou de l'ambition, par exemple, pourrait-il immoler son idole à la patrie?
Non seulement la vertu est l'âme de la démocratie; mais elle ne peut exister que dans ce gouvernement. Dans la monarchie, je ne connais qu'un individu qui peut aimer la patrie, et qui, pour cela, n'a pas même besoin de vertu; c'est le monarque. La raison en est que de tous les habitants de ses Etats, le monarque est le seul qui ait une patrie. N'est-il pas le souverain, au moins de fait? n'est-il pas à la place du peuple? Et qu'est-ce que la patrie, si ce n'est le pays où l'on est citoyen et membre du souverain?
Par une conséquence du même principe, dans les Etats aristocratiques, le mot patrie ne signifie quelque chose que pour les familles patriciennes qui ont envahi la souveraineté.
Il n'est que la démocratie où l'Etat est véritablement la patrie de tous les individus qui le composent, et peut compter autant de défenseurs intéressés à sa cause qu'il renferme de citoyens. Voilà la source de la supériorité des peuples libres sur tous les autres. Si Athènes et Sparte ont triomphé des tyrans de l'Asie, et les Suisses des tyrans de l'Espagne et de l'Autriche, il n'en faut point chercher d'autre cause.
Mais les Français sont le premier peuple du monde qui ait établi la véritable démocratie, en appelant tous les hommes à l'égalité, et à la plénitude des droits du citoyen; et c'est là, à mon avis, la véritable raison pour laquelle tous les tyrans ligués contre la République seront vaincus.
Il est dès ce moment de grandes conséquences à tirer des principes que nous venons d'exposer.
Puisque l'âme de la République est la vertu, l'égalité, et que votre but est de fonder, de consolider la République, il s'ensuit que la première règle de votre conduite politique doit être de rapporter toutes vos opérations au maintien de l'égalité et au développement de la vertu; car le premier soin du législateur doit être de fortifier le principe du gouvernement. Ainsi tout ce qui tend à exciter l'amour de la patrie, à purifier les moeurs, à élever les âmes, à diriger les passions du coeur humain vers l'intérêt public, doit être adopté ou établi par vous. Tout ce qui tend à les concentrer dans l'abjection du moi personnel, à réveiller l'engouement pour les petites choses et le mépris des grandes, doit être rejeté ou réprimé par vous. Dans le système de la Révolution française, ce qui est immoral est impolitique, ce qui est corrupteur est contre-révolutionnaire. La faiblesse, les vices, les préjugés, sont le chemin de la royauté. Entraînés trop souvent peut-être par le poids de nos anciennes habitudes, autant que par la pente insensible de la faiblesse humaine, vers les idées fausses et vers les sentiments pusillanimes, nous avons bien moins à nous défendre des excès d'énergie que des excès de faiblesse. Le plus grand écueil peut-être que nous ayons à éviter n'est pas la ferveur du zèle, mais plutôt la lassitude du bien et la peur de notre propre courage. Remontez donc sans cesse le ressort sacré du gouvernement républicain, au lieu de le laisser tomber. Je n'ai pas besoin de dire que je ne veux ici justifier aucun excès. On abuse des principes les plus sacrés; c'est à la sagesse du gouvernement à consulter les circonstances, à saisir les moments, à choisir les moyens; car la manière de préparer les grandes choses est une partie essentielle du talent de les faire, comme la sagesse est elle-même une partie de la vertu.
Nous ne prétendons pas jeter la République française dans le moule de celle de Sparte; nous ne voulons lui donner ni l'austérité, ni la corruption des cloîtres. Nous venons de vous présenter, dans toute sa pureté, le principe moral et politique du gouvernement populaire. Vous avez donc une boussole qui peut vous diriger au milieu des orages de toutes les passions, et du tourbillon des intrigues qui vous environnent. Vous avez la pierre de touche par laquelle vous pouvez essayer toutes vos lois, toutes les propositions qui vous sont faites. En les comparant sans cesse avec ce principe, vous pouvez désormais éviter l'écueil ordinaire des grandes assemblées, le danger des surprises et des mesures précipitées, incohérentes et contradictoires. Vous pouvez donner à toutes vos opérations l'ensemble, l'unité, la sagesse et la dignité qui doivent annoncer les représentants du premier peuple du monde.
Ce ne sont pas les conséquences faciles du principe de la démocratie qu'il faut détailler, c'est ce principe simple et fécond qui mérite d'être lui-même développé.
La vertu républicaine peut être considérée par rapport au peuple et par rapport au gouvernement: elle est nécessaire dans l'un et dans l'autre. Quand le gouvernement seul en est privé, il reste une ressource dans celle du peuple; mais quand le peuple lui-même est corrompu, la liberté est déjà perdue.
Heureusement la vertu est naturelle au peuple, en dépit des préjugés aristocratiques. Une nation est vraiment corrompue, lorsqu'après avoir perdu, par degrés, son caractère et sa liberté, elle passe de la démocratie à l'aristocratie ou à la monarchie; c'est la mort du corps politique par la décrépitude. Lorsque après quatre cents ans de gloire l'avarice a enfin chassé de Sparte les moeurs avec les lois de Lycurgue, Agis meurt en vain pour les rappeler! Démosthène a beau tonner contre Philippe, Philippe trouve dans les vices d'Athènes dégénérée des avocats plus éloquents que Démosthène. Il y a bien encore dans Athènes une population aussi nombreuse que du temps de Miltiade et d'Aristide; mais il n'y a plus d'Athéniens. Qu'importe que Brutus ait tué le tyran? la tyrannie vit encore dans les coeurs, et Rome n'existe plus que dans Brutus.
Mais lorsque, par des efforts prodigieux de courage et de raison, un peuple brise les chaînes du despotisme pour en faire des trophées à la liberté; lorsque, par la force de son tempérament moral, il sort, en quelque sorte, des bras de la mort pour reprendre toute la vigueur de la jeunesse; lorsque, tour à tour sensible et fier, intrépide et docile, il ne peut être arrêté ni par les remparts inexpugnables, ni par les armées innombrables des tyrans armés contre lui, et qu'il s'arrête lui-même devant l'image de la loi; s'il ne s'élance pas rapidement à la hauteur de ses destinées, ce ne pourrait être que la faute de ceux qui le gouvernent.
D'ailleurs on peut dire, en un sens, que pour aimer la justice et l'égalité, le peuple n'a pas besoin d'une grande vertu; il lui suffit de s'aimer lui-même.
Mais le magistrat est obligé d'immoler son intérêt à l'intérêt du peuple, et l'orgueil du pouvoir à l'égalité. Il faut que la loi parle surtout avec empire à celui qui en est l'organe. Il faut que le gouvernement pèse sur lui-même, pour tenir toutes ses parties en harmonie avec elle. S'il existe un corps représentatif, une autorité première constituée par le peuple, c'est à elle de surveiller et de réprimer sans cesse tous les fonctionnaires publics. Mais qui la réprimera elle-même, sinon sa propre vertu? Plus cette source de l'ordre public est élevée, plus elle doit être pure; il faut donc que le corps représentatif commence par soumettre dans son sein toutes les passions privées à la passion générale du bien public. Heureux les représentants, lorsque leur gloire et leur intérêt même les attachent, autant que leurs devoirs, à la cause de la liberté!
Déduisons de tout ceci une grande vérité; c'est que le caractère du gouvernement populaire est d'être confiant dans le peuple, et sévère envers lui-même.
Ici se bornerait tout le développement de noire théorie. si vous n'aviez qu'à gouverner dans le calme le vaisseau de la République: mais la tempête gronde; et l'état de révolution où vous êtes vous impose une autre tâche.
Cette grande pureté des bases de la Révolution française, la sublimité même de son objet est précisément ce qui fait notre force et notre faiblesse: notre force, parce qu'il nous donne l'ascendant de la vérité sur l'imposture, et les droits de l'intérêt public sur les intérêts privés; notre faiblesse, parce qu'il rallie contre nous tous les hommes vicieux, tous ceux qui dans leurs coeurs méditaient de dépouiller le peuple, et tous ceux qui veulent l'avoir dépouillé impunément, et ceux qui ont repoussé la liberté comme une calamité personnelle, et ceux qui ont embrassé la révolution comme un métier et la république comme une proie: de là la défection de tant d'hommes ambitieux ou cupides, qui, depuis le point du départ, nous ont abandonnés sur la route, parce qu'ils n'avaient pas commencé le voyage pour arriver au même but. On dirait que les deux génies contraires que Ton a représentés se disputant l'empire de la nature combattent dans cette grande époque de l'histoire humaine pour fixer sans retour les destinées du monde, et que la France est le théâtre de cette lutte redoutable. Au dehors, tous les tyrans vous cernent; au dedans, tous les amis de la tyrannie conspirent: ils conspirent jusqu'à ce que l'espérance ait été ravie au crime. Il faut étouffer les ennemis intérieurs et extérieurs de la République, ou périr avec elle; or, dans cette situation, la première maxime de votre politique doit être qu'on conduit le peuple par la raison, et les ennemis du peuple par la terreur.
Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur: la vertu, sans laquelle la terreur est funeste; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante. La terreur n'est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible; elle est donc une émanation de la vertu; elle est moins un principe particulier qu'une conséquence du principe général de la démocratie appliqué aux plus pressants besoins de la patrie.
On a dit que la terreur était le ressort du gouvernement despotique. Le vôtre ressemble-t-il donc au despotisme? Oui, comme le glaive qui brille dans les mains des héros de la liberté ressemble à celui dont les satellites de la tyrannie sont armés. Que le despote gouverne par la terreur ses sujets abrutis; il a raison, comme despote: domptez par la terreur les ennemis de la liberté; et vous aurez raison, comme fondateurs de la République. Le gouvernement de la Révolution est le despotisme de la liberté contre la tyrannie. La force n'est-elle faite que pour protéger le crime? et n'est-ce pas pour frapper les tètes orgueilleuses que la foudre est destinée?