Kitabı oku: «Discours par Maximilien Robespierre — 17 Avril 1792-27 Juillet 1794», sayfa 13
Rapport fait au nom du Comité de salut public, par Maximilien Robespierre, sur les rapports des idées religieuses et morales avec les principes républicains, et sur les fêtes nationales. Séance du 18 floréal, l'an second de la République française une et indivisible. Imprimé par ordre de la Convention nationale (18 floréal an II — 7 mai 1794)
Citoyens,
C'est dans la prospérité que les peuples, ainsi que les particuliers, doivent, pour ainsi dire, se recueillir pour écouter, dans le silence des passions, la voix de la sagesse. Le moment où le bruit de nos victoires retentit dans l'univers est donc celui où les législateurs de la République française doivent veiller, avec une nouvelle sollicitude, sur eux-mêmes et sur la patrie, et affermir les principes sur lesquels doivent reposer la stabilité et la félicité de la République. Nous venons aujourd'hui soumettre à votre méditation des vérités profondes qui importent au bonheur des hommes, et vous proposer des mesures qui en découlent naturellement.
Le monde moral, beaucoup plus encore que le monde physique, semble plein de contrastes et d'énigmes. La nature nous dit que l'homme est né pour la liberté, et l'expérience des siècles nous montre l'homme esclave. Ses droits sont écrits dans son coeur, et son humiliation dans l'histoire. Le genre humain respecte Caton, et se courbe sous le joug de César. La postérité honore la vertu de Brutus; mais elle ne la permet que dans l'histoire ancienne. Les siècles et la terre sont le partage du crime et de la tyrannie; la liberté et la vertu se sont à peine reposées un instant sur quelques points du globe. Sparte brille comme un éclair dans des ténèbres immenses...
Ne dis pas cependant, ô Brutus, que la vertu est un fantôme! Et vous, fondateurs de la République française, gardez-vous de désespérer de l'humanité, ou de douter un moment du succès de votre grande entreprise!
Le monde a changé, il doit changer encore. Qu'y a-t-il de commun entre ce qui est et ce qui fut? Les nations civilisées ont succédé aux sauvages errants dans les déserts; les moissons fertiles ont pris la place des forêts antiques qui couvraient le globe. Un monde a paru au delà des bornes du monde; les habitants de la terre ont ajouté les mers à leur domaine immense; l'homme a conquis la foudre et conjuré celle du ciel. Comparez le langage imparfait des hiéroglyphes avec les miracles de l'imprimerie; rapprochez le voyage des Argonautes de celui de La Pérouse; mesurez la distance entre les observations astronomiques des mages de l'Asie et les découvertes de Newton, ou bien entre l'ébauche tracée par la main de Dibutade et les tableaux de David.
Tout a changé dans l'ordre physique; tout doit changer dans l'ordre moral et politique. La moitié de la révolution du monde est déjà faite; l'autre moitié doit s'accomplir.
La raison de l'homme ressemble encore au globe qu'il habite; la moitié en est plongée dans les ténèbres, quand l'autre est éclairée. Les peuples de l'Europe ont fait des progrès étonnants dans ce qu'on appelle les arts et les sciences, et ils semblent dans l'ignorance des premières notions de la morale publique. Ils connaissent tout, excepté leurs droits et leurs devoirs. D'où vient ce mélange de génie et de stupidité? De ce que, pour chercher à se rendre habile dans les arts, il ne faut que suivre ses passions, tandis que, pour défendre ses droits et respecter ceux d'autrui, il faut les vaincre. Il en est une autre raison: c'est que les rois qui font le destin de la terre ne craignent ni les grands géomètres, ni les grands peintres, ni les grands poètes, et qu'ils redoutent les philosophes rigides et les défenseurs de l'humanité.
Cependant le genre humain est dans un état violent qui ne peut être durable. La raison humaine marche depuis longtemps contre les trônes, à pas lents, et par des routes détournées, mais sûres. Le génie menace le despotisme alors même qu'il semble le caresser; il n'est plus guère défendu que par l'habitude et par la terreur, et surtout par l'appui que lui prête la ligue des riches et de tous les oppresseurs subalternes qu'épouvante le caractère imposant de la révolution française.
Le peuple français semble avoir devancé de deux mille ans le reste de l'espèce humaine; on serait tenté même de le regarder, au milieu d'elle, comme une espèce différente. L'Europe est à genoux devant les ombres des tyrans que nous punissons.
En Europe, un laboureur, un artisan est un animal dressé pour les plaisirs d'un noble; en France, les nobles cherchent à se transformer en laboureurs et en artisans, et ne peuvent pas même obtenir cet honneur.
L'Europe ne conçoit pas qu'on puisse vivre sans rois, sans nobles; et nous, que l'on puisse vivre avec eux.
L'Europe prodigue son sang pour river les chaînes de l'humanité, et nous pour les briser.
Nos sublimes voisins entretiennent gravement l'univers de la santé du roi, de ses divertissements, de ses voyages; ils veulent absolument apprendre à la postérité à quelle heure il a dîné, à quel moment il est revenu de la chasse, quelle est la terre heureuse qui, à chaque instant du jour, eut l'honneur d'être foulée par ses pieds augustes, quels sont les noms des esclaves privilégiés qui ont paru en sa présence, au lever, au coucher du soleil.
Nous lui apprendrons, nous, les noms et les vertus des héros morts en combattant pour la liberté; nous loi apprendrons dans quelle terre les derniers satellites des tyrans ont mordu la poussière; nous lui apprendrons à quelle heure a sonné le trépas des oppresseurs du monde.
Oui, cette terre délicieuse que nous habitons, et que la nature caresse avec prédilection, est faite pour être le domaine de la liberté et du bonheur; ce peuple sensible et fier est vraiment né pour la gloire et pour la vertu. O ma patrie! si le destin m'avait fait naître dans une contrée étrangère et lointaine, j'aurais adressé au ciel des voeux continuels pour ta prospérité; j'aurais versé des larmes d'attendrissement au récit de tes combats et de tes vertus; mon âme attentive aurait suivi avec une inquiète ardeur tous les mouvements de ta glorieuse révolution; j'aurais envié le sort de tes citoyens, j'aurais envié celui de tes représentants. Je suis Français, je suis l'un de tes représentants... O peuple sublime! reçois le sacrifice de tout mon être; heureux celui qui est né au milieu de toi! plus heureux celui qui peut mourir pour ton bonheur!
O vous, à qui il a confié ses intérêts et sa puissance, que ne pouvez-vous pas avec lui et pour lui! Oui, vous pouvez montrer au monde le spectacle nouveau de la démocratie affermie dans un vaste empire. Ceux qui, dans l'enfance du droit public, et du sein de la servitude, ont balbutié des maximes contraires, prévoyaient-ils les prodiges opérés depuis un an? Ce qui vous reste à faire est-il plus difficile que ce que vous avez fait? Quels sont les politiques qui peuvent vous servir de précepteurs ou de modèles? Ne faut-il pas que vous fassiez précisément tout le contraire de ce qui a été fait avant vous? L'art de gouverner a été jusqu'à nos jours l'art de tromper et de corrompre les hommes: il ne doit être que celui de les éclairer et de les rendre meilleurs.
Il y a deux sortes d'égoïsme: l'un, vil, cruel, qui isole l'homme de ses semblables, qui cherche un bien-être exclusif acheté par la misère d'autrui; l'autre, généreux, bienfaisant, qui confond notre bonheur dans le bonheur de tous, qui attache notre gloire à celle de la patrie. Le premier fait les oppresseurs et les tyrans; le second, les défenseurs de l'humanité. Suivons son impulsion salutaire: chérissons le repos acheté par de glorieux travaux; ne craignons point la mort qui les couronne, et nous consoliderons le bonheur de notre patrie et même le nôtre.
Le vice et la vertu font les destins de la terre: ce sont les deux génies opposés qui se la disputent. La source de l'un et de l'autre est dans les passions de l'homme. Selon la direction qui est donnée à ses passions, l'homme s'élève jusqu'aux cieux ou s'enfonce dans des abîmes fangeux. Or, le but de toutes les institutions sociales, c'est de les diriger vers la justice, qui est à la fois le bonheur public et le bonheur privé.
Le fondement unique de la société civile, c'est la morale! Toutes les associations qui nous font la guerre reposent sur le crime: ce ne sont aux yeux de la vérité que des hordes de sauvages policés et de brigands disciplinés. A quoi se réduit donc cette science mystérieuse de la politique et de la législation? A mettre dans les lois et dans l'administration les vérités morales reléguées dans les livres des philosophes, et à appliquer à la conduite des peuples les notions triviales de probité que chacun est forcé d'adopter pour sa conduite privée, c'est-à-dire à employer autant d'habileté à faire régner la justice que les gouvernements en ont mis jusqu'ici à être injustes impunément ou avec bienséance.
Aussi, voyez combien d'art les rois et leurs complices ont épuisé pour échapper à l'application de ces principes, et pour obscurcir toutes les notions du juste et de l'injuste! Qu'il était exquis, le bon sens de ce pirate qui répondit à Alexandre: "On m'appelle brigand, parce que je n'ai qu'un navire; et toi, parce que tu as une flotte, on t'appelle conquérant!" Avec quelle impudeur ils font des lois contre le vol, lorsqu'ils envahissent la fortune publique! On condamne en leur nom les assassins, et ils assassinent des millions d'hommes par la guerre et par la misère. Sous la monarchie, les vertus domestiques ne sont que des ridicules: mais les vertus publiques sont des crimes; la seule vertu est d'être l'instrument docile des crimes du prince, le seul honneur est d'être aussi méchant que lui. Sous la monarchie, il est permis d'aimer sa famille, mais non la patrie. Il est honorable de défendre ses amis, mais non les opprimés. La probité de la monarchie respecte toutes les propriétés, excepté celle du pauvre; elle protège tous les droits, excepté ceux du peuple.
Voici un article du code de la monarchie:
"Tu ne voleras pas, à moins que tu ne sois le roi, ou que tu n'aies obtenu un privilège du roi; tu n'assassineras pas, à moins que tu ne fasses périr, d'un seul coup, plusieurs milliers d'hommes."
Vous connaissez ce mot ingénu du cardinal de Richelieu, écrit dans son testament politique, que les rois doivent s'abstenir avec grand soin de se servir des gens de probité, parce qu'ils ne peuvent en tirer parti. Plus de deux mille ans auparavant, il y avait sur les bords du Pont-Euxin un petit roi qui professait la même doctrine d'une manière encore plus énergique. Ses favoris avaient fait mourir quelques-uns de ses amis par de fausses accusations. Il s'en aperçut; un jour que l'un d'eux portait devant lui une nouvelle délation: "Je te ferais mourir, lui dit-il, si des scélérats tels que toi n'étaient pas nécessaires aux despotes." On assure que ce prince était un des meilleurs qui aient existé.
Mais c'est en Angleterre que le machiavélisme a poussé cette doctrine royale au plus haut degré de perfection.
Je ne doute pas qu'il y ait beaucoup de marchands à Londres qui se piquent de quelque bonne foi dans les affaires de leur négoce; mais il y a à parier que ces honnêtes gens trouvent tout naturel que les membres du parlement britannique vendent publiquement au roi George leur conscience et les droits du peuple, comme ils vendent eux-mêmes les productions de leurs manufactures.
Pitt déroule aux yeux de ce parlement la liste de ses bassesses et de ses forfaits: "tant pour la trahison, tant pour les assassinats des représentants du peuple et des patriotes, tant pour la calomnie, tant pour la famine, tant pour la corruption, tant pour la fabrication de la fausse monnaie"; le sénat écoute avec un sang-froid admirable, et approuve le tout avec soumission.
En vain, la voix d'un seul homme s'élève avec l'indignation de la vertu contre tant d'infamies; le ministre avoue ingénument qu'il ne comprend rien à des maximes si nouvelles pour lui, et le sénat rejette la motion.
Stanhope, ne demande point acte à tes indignes collègues de ton opposition à leurs crimes; la postérité te le donnera, et leur censure est pour toi le plus beau titre à l'estime de ton siècle même.
Que conclure de tout ce que je viens de dire? Que l'immoralité est la base du despotisme, comme la vertu est l'essence de la République.
La révolution, qui tend à l'établir, n'est que le passage du règne du crime à celui de la justice; de là les efforts continuels des rois ligués contre nous et de tous les conspirateurs pour perpétuer chez nous les préjugés et les vices de la monarchie.
Tout ce qui regrettait l'ancien régime, tout ce qui ne s'était lancé dans la carrière de la révolution que pour arriver à un changement de dynastie, s'est appliqué, dès le commencement, à arrêter les progrès de la morale publique; car quelle différence y avait-il entre les amis de d'Orléans ou d'York et ceux de Louis XVI, si ce n'est, de la part des premiers, peut-être un plus haut degré de lâcheté et d'hypocrisie?
Les chefs des factions qui partagèrent les deux premières législatures, trop lâches pour croire à la République, trop corrompus pour la vouloir, ne cessèrent de conspirer pour effacer du coeur des hommes les principes éternels que leur propre politique les avait d'abord obligés de proclamer. La conjuration se déguisait alors sous la couleur de ce perfide modérantisme qui, protégeant le crime et tuant la vertu, nous ramenait par un chemin oblique et sûr à la tyrannie.
Quand l'énergie républicaine eut confondu ce lâche système et fondé la démocratie, l'aristocratie et l'étranger formèrent le plan de tout outrer et de tout corrompre. Ils se cachèrent sous les formes de la démocratie, pour la déshonorer par des travers aussi funestes que ridicules, et pour l'étouffer dans son berceau.
On attaqua la liberté en même temps par le modérantisme et par la fureur. Dans ce choc de deux factions opposées en apparence, mais dont les chefs étaient unis par des noeuds secrets, l'opinion publique était dissoute, la représentation avilie, le peuple nul; et la révolution ne semblait être qu'un combat ridicule pour décider à quels fripons resterait le pouvoir de déchirer et de vendre la patrie.
La marche des chefs de parti qui semblaient les plus divisés fut toujours à peu près la même. Leur principal caractère fut une profonde hypocrisie.
Lafayette invoquait la Constitution pour relever la puissance royale. Dumouriez invoquait la Constitution pour protéger la faction girondine contre la Convention nationale. Au mois d'août 1792, Brissot et les Girondins voulaient faire de la Constitution un bouclier, pour parer le coup qui menaçait le trône. Au mois de janvier suivant, les mêmes conspirateurs réclamaient la souveraineté du peuple pour arracher la royauté à l'opprobre de l'échafaud, et pour allumer la guerre civile dans les assemblées sectionnaires. Hébert et ses complices réclamaient la souveraineté du peuple pour égorger la Convention nationale et anéantir le gouvernement républicain.
Brissot et les Girondins avaient voulu armer les riches contre le peuple; la faction d'Hébert, en protégeant l'aristocratie, caressait le peuple pour l'opprimer par lui-même.
Danton, le plus dangereux des ennemis de la patrie, s'il n'en avait été le plus lâche; Danton, ménageant tous les crimes, lié à tous les complots, promettant aux scélérats sa protection, aux patriotes sa fidélité, habile à expliquer ses trahisons par des prétextes de bien public, à justifier ses vices par ses défauts prétendus, faisait inculper par ses amis, d'une manière insignifiante ou favorable, les conspirateurs près de consommer la ruine de la République, pour avoir occasion de les défendre lui-même, transigeait avec Brissot, correspondait avec Ronsin, encourageait Hébert, et s'arrangeait à tout événement pour profiter également de leur chute ou de leur succès, et pour rallier tous les ennemis de la liberté contre le gouvernement républicain.
C'est surtout dans ces derniers temps que l'on vit se développer dans toute son étendue l'affreux système, ourdi par nos ennemis, de corrompre la morale publique. Pour mieux y réussir, ils s'en étaient eux-mêmes établis les professeurs; ils allaient tout flétrir, tout confondre, par un mélange odieux de la pureté de nos principes avec la corruption de leurs coeurs.
Tous les fripons avaient usurpé une espèce de sacerdoce politique, et rangeaient dans la classe des profanes les fidèles représentants du peuple et tous les patriotes. On tremblait alors de proposer une idée juste; ils avaient interdit au patriotisme l'usage du bon sens: il y eut un moment où il était défendu de s'opposer à la ruine de la patrie, sous peine de passer pour mauvais citoyen: le patriotisme n'était plus qu'un travestissement ridicule ou l'audace de déclamer contre la Convention. Grâce à cette subversion des idées révolutionnaires, l'aristocratie, absoute de tous ses crimes, tramait très patriotiquement le massacre des représentants du peuple et la résurrection de la royauté; gorgés des trésors de la tyrannie, les conjurés prêchaient la pauvreté; affamés d'or et de domination, ils prêchaient l'égalité avec insolence pour la faire haïr; la liberté était pour eux l'indépendance du crime; la révolution, un trafic; le peuple, un instrument; la patrie, une proie. Le peu de bien même qu'ils s'efforçaient de faire était un stratagème perfide pour nous faire plus aisément des maux irréparables. S'ils se montraient quelquefois sévères, c'était pour acquérir le droit de favoriser les ennemis de la liberté, et de proscrire ses amis. Couverts de tous les crimes, ils exigeaient des patriotes, non seulement l'infaillibilité, mais la garantie de tous les caprices de la fortune, afin que personne n'osât plus servir la patrie. Ils tonnaient contre l'agiotage et partageaient avec les agioteurs la fortune publique; ils parlaient contre la tyrannie, pour mieux servir les tyrans. Les tyrans de l'Europe accusaient, par leur organe, la Convention nationale de tyrannie. On ne pouvait pas proposer au peuple de rétablir la royauté, ils voulaient le pousser à détruire son propre gouvernement; on ne pouvait pas lui dire qu'il devait appeler ses ennemis, on lui disait qu'il fallait chasser ses défenseurs; on ne pouvait pas lui dire de poser les armes, on le décourageait par de fausses nouvelles; on comptait pour rien ses succès, et on exagérait ses échecs avec une coupable malignité.
On ne pouvait pas lui dire: Le fils du tyran, ou un autre Bourbon, ou bien l'un des fils du roi George, te rendrait heureux; mais on lui disait: Tu es malheureux. On lui traçait le tableau de la disette qu'ils cherchaient eux-mêmes à amener; on lui disait que les oeufs, que le sucre n'étaient pas abondants. On ne lui disait pas que sa liberté valait quelque chose; que l'humiliation de ses oppresseurs et tous les autres effets de la révolution n'étaient pas des biens méprisables; qu'il combattait encore; que la ruine de ses ennemis pouvait seule assurer son bonheur...; mais il sentait tout cela. Enfin, ils ne pouvaient pas asservir le peuple français par la force ni par son propre consentement; ils cherchaient à l'enchaîner par la subversion, par la révolte, par la corruption des moeurs.
Ils ont érigé l'immoralité, non seulement en système, mais en religion; ils ont cherché à éteindre tous les sentiments religieux de la nature par leurs exemples, autant que par leurs préceptes. Le méchant voudrait dans son coeur qu'il ne restât pas sur la terre un seul homme de bien, afin de n'y plus rencontrer un seul accusateur, et de pouvoir y respirer en paix. Ceux-ci allèrent chercher dans les esprits et dans les coeurs tout ce qui sert d'appui à la morale, pour l'en arracher, et pour y étouffer l'accusateur invisible que la nature y a caché.
Les tyrans, satisfaits de l'audace de leurs émissaires, s'empressèrent d'étaler aux yeux de leurs sujets les extravagances qu'ils avaient achetées; et, feignant de croire que c'était là le peuple français, ils semblèrent leur dire: "Que gagneriez-vous à secouer notre joug? vous le voyez, les républicains ne valent pas mieux que nous." Les tyrans ennemis de la France avaient ordonné un plan qui devait, si leurs espérances avaient été parfaitement remplies, embraser tout à coup notre République et élever une barrière insurmontable entre elle et les autres peuples; les conjurés l'exécutèrent. Les mêmes fourbes qui avaient invoqué la souveraineté du peuple pour égorger la Convention nationale, alléguèrent la haine de la superstition pour nous donner la guerre civile et l'athéisme.
Que voulaient-ils, ceux qui, au sein des conspirations dont nous étions environnés, au milieu des embarras d'une telle guerre, au moment où les torches de la discorde civile fumaient encore, attaquèrent tout à coup tous les cultes par la violence, pour s'ériger eux-mêmes en apôtres fougueux du néant et en missionnaires fanatiques de l'athéisme? Quel était le motif de cette grande opération tramée dans les ténèbres de la nuit, à l'insu de la Convention nationale, par des prêtres, par des étrangers et par des conspirateurs? Etait-ce l'amour de la patrie? La patrie leur a déjà infligé le supplice des traîtres. Etait-ce la haine des prêtres? Les prêtres étaient leurs amis. Etait-ce l'horreur du fanatisme? C'était le seul moyen de lui offrir des armes. Etait-ce le désir de hâter le triomphe de la Raison? Mais on ne cessait de l'outrager par des violences absurdes et par des extravagances concertées pour la rendre odieuse: on ne semblait la reléguer dans les temples que pour la bannir de la République.
On servait la cause des rois ligués contre nous, des rois qui avaient eux-mêmes annoncé d'avance ces événements, et qui s'en prévalaient avec succès pour exciter contre nous le fanatisme des peuples par des manifestes et par des prières publiques. Il faut voir avec quelle sainte colère M. Pitt nous oppose ces faits, et avec quel soin le petit nombre d'hommes intègres qui existe au parlement d'Angleterre les rejette sur quelques hommes méprisables, désavoués et punis par vous.
Cependant, tandis que ceux-ci remplissaient leur mission, le peuple anglais jeûnait pour expier les péchés payés par M. Pitt, et les bourgeois de Londres portaient le deuil du culte catholique, comme ils avaient porté celui du roi Capet et de la reine Antoinette.
Admirable politique du ministre de George, qui faisait insulter l'Etre suprême par ses émissaires, et voulait le venger par les baïonnettes anglaises et autrichiennes! J'aime beaucoup la piété des rois, et je crois fermement à la religion de M. Pitt. Il est certain du moins qu'il a trouvé de bons amis en France; car, suivant tous les calculs de la prudence humaine, l'intrigue dont je parle devait allumer un incendie rapide dans toute la République, et lui susciter de nouveaux ennemis au dehors.
Heureusement, le génie du peuple français, sa passion inaltérable pour la liberté, la sagesse avec laquelle vous avez averti les patriotes de bonne foi qui pouvaient être entraînés par l'exemple dangereux des inventeurs hypocrites de cette machination, enfin le soin qu'ont pris les prêtres eux-mêmes de désabuser le peuple sur leur propre compte, toutes ces causes ont prévenu la plus grande partie des inconvénients que les conspirateurs en attendaient. C'est à vous de faire cesser les autres, et de mettre à profit, s'il est possible, la perversité même de nos ennemis, pour assurer le triomphe des principes et de la liberté.
Ne consultez que le bien de la patrie et les intérêts de l'humanité. Toute institution, toute doctrine qui console et qui élève les âmes doit être accueillie; rejetez toutes celles qui tendent à les dégrader et à les corrompre. Ranimez, exaltez tous les sentiments généreux et toutes les grandes idées morales qu'on a voulu éteindre; rapprochez par le charme de l'amitié et par le lien de la vertu les hommes qu'on a voulu diviser. Qui donc t'a donné la mission d'annoncer au peuple que la Divinité n'existe pas, ô toi qui te passionnes pour cette aride doctrine, et qui ne te passionnas jamais pour la patrie? Quel avantage trouves-tu à persuader à l'homme qu'une force aveugle préside à ses destinées et frappe au hasard le crime et la vertu, que son âme n'est qu'un souffle léger qui s'éteint aux portes du tombeau?
L'idée de son néant lui inspirera-t-elle des sentiments plus purs et plus élevés que celle de son immortalité? Lui inspirera-t-elle plus de respect pour ses semblables et pour lui-même, plus de dévouement pour la patrie, plus d'audace à braver la tyrannie, plus de mépris pour la mort ou pour la volupté? Vous qui regrettez un ami vertueux, vous aimez à penser que la plus belle partie de lui-même a échappé au trépas! Vous qui pleurez sur le cercueil d'un fils ou d'une épouse, êtes-vous consolé par celui qui vous dit qu'il ne reste plus d'eux qu'une vile poussière? Malheureux qui expirez sous les coups d'un assassin, votre dernier soupir est un appel à la justice éternelle! L'innocence sur l'échafaud fait pâlir le tyran sur son char de triomphe: aurait-elle cet ascendant, si le tombeau égalait l'oppresseur et l'opprimé? Malheureux sophiste! de quel droit viens-tu arracher à l'innocence le sceptre de la raison, pour le remettre dans les mains du crime, jeter un voile funèbre sur la nature, désespérer le malheur, réjouir le vice, attrister la vertu, dégrader l'humanité? Plus un homme est doué de sensibilité et de génie, plus il s'attache aux idées qui agrandissent son être et qui élèvent son coeur; et la doctrine des hommes de cette trempe devient celle de l'univers. Eh! comment ces idées ne seraient-elles point des vérités? Je ne conçois pas du moins comment la nature aurait pu suggérer à l'homme des fictions plus utiles que toutes les réalités; et si l'existence de Dieu, si l'immortalité de l'âme n'étaient que des songes, elles seraient encore la plus belle de toutes les conceptions de l'esprit humain.
Je n'ai pas besoin d'observer qu'il ne s'agit pas ici de faire le procès à aucune opinion philosophique en particulier, ni de contester que tel philosophe peut être vertueux, quelles que soient ses opinions, et même en dépit d'elles, par la force d'un naturel heureux ou d'une raison supérieure. Il s'agit de considérer seulement l'athéisme comme national, et lié à un système de conspiration contre la République.
Eh! que vous importent à vous, législateurs, les hypothèses diverses par lesquelles certains philosophes expliquent les phénomènes de la nature? Vous pouvez abandonner tous ces objets à leurs disputes éternelles: ce n'est ni comme métaphysiciens, ni comme théologiens, que vous devez les envisager. Aux yeux du législateur, tout ce qui est utile au monde et bon dans la pratique, est la vérité.
L'idée de l'Etre suprême et de l'immortalité de l'âme est un rappel continuel à la justice; elle est donc sociale et républicaine. La Nature a mis dans l'homme le sentiment du plaisir et de la douleur qui le force à fuir les objets physiques qui lui sont nuisibles, et à chercher ceux qui lui conviennent. Le chef-d'oeuvre de la société serait de créer en lui, pour les choses morales, un instinct rapide qui, sans le secours tardif du raisonnement, le portât à faire le bien et à éviter le mal; car la raison particulière de chaque homme, égarée par ses passions, n'est souvent qu'un sophiste qui plaide leur cause, et l'autorité de l'homme peut toujours être attaquée par l'amour-propre de l'homme. Or, ce qui produit ou remplace cet instinct précieux, ce qui supplée à l'insuffisance de l'autorité humaine, c'est le sentiment religieux qu'imprime dans les âmes l'idée d'une sanction donnée aux préceptes de la morale par une puissance supérieure à l'homme. Aussi je ne sache pas qu'aucun législateur se soit jamais avisé de nationaliser l'athéisme; je sais que les plus sages mêmes d'entre eux se sont permis de mêler à la vérité quelques fictions, soit pour frapper l'imagination des peuples ignorants, soit pour les attacher plus fortement à leurs institutions. Lycurgue et Solon eurent recours à l'autorité des oracles; et Socrate lui-même, pour accréditer la vérité parmi ses concitoyens, se crut obligé de leur persuader qu'elle lui était inspirée par un génie familier.
Vous ne conclurez pas de là sans doute qu'il faille tromper les hommes pour les instruire, mais seulement que vous êtes heureux de vivre dans un siècle et dans un pays dont les lumières ne vous laissent d'autre tâche à remplir que de rappeler les hommes à la nature et à la vérité.
Vous vous garderez bien de briser le lien sacré qui les unit à l'auteur de leur être. Il suffit même que cette opinion ait régné chez un peuple, pour qu'il soit dangereux de la détruire. Car les motifs des devoirs et les bases de la moralité s'étant nécessairement liés à celte idée, l'effacer, c'est démoraliser le peuple. Il résulte du même principe qu'on ne doit jamais attaquer un culte établi qu'avec prudence et avec une certaine délicatesse, de peur qu'un changement subit et violent ne paraisse une atteinte portée à la morale, et une dispense de la probité même. Au reste, celui qui peut remplacer la Divinité dans le système de la vie sociale est à mes yeux un prodige de génie; celui qui, sans l'avoir remplacée, ne songe qu'à la bannir de l'esprit des hommes, me paraît un prodige de stupidité ou de perversité.
Qu'est-ce que les conjurés avaient mis à la place de ce qu'ils détruisaient? Rien, si ce n'est le chaos, le vide et la violence. Ils méprisaient trop le peuple pour prendre la peine de le persuader; au lieu de l'éclairer, ils ne voulaient que l'irriter, l'effaroucher ou le dépraver.
Si les principes que j'ai développés jusqu'ici sont des erreurs, je me trompe du moins avec tout ce que le monde révère: prenons ici les leçons de l'histoire. Remarquez, je vous prie, comment les hommes qui ont influé sur la destinée des Etats furent déterminés vers l'un ou l'autre des deux systèmes opposés par leur caractère personnel et par la nature même de leurs vues politiques. Voyez-vous avec quel art profond César, plaidant dans le sénat romain en faveur des complices de Catilina, s'égare dans une digression contre le dogme de l'immortalité de l'âme, tant ces idées lui paraissent propres à éteindre dans le coeur des juges l'énergie de la vertu, tant la cause du crime lui paraît liée à celle de l'athéisme. Cicéron, au contraire, invoquait contre les traîtres et le glaive des lois et la foudre des dieux. Socrate mourant entretient ses amis de l'immortalité de l'âme. Léonidas aux Thermopyles, soupant avec ses compagnons d'armes, au moment d'exécuter le dessein le plus héroïque que la vertu humaine ait jamais conçu, les invite pour le lendemain à un autre banquet dans une vie nouvelle. Il y a loin de Socrate à Chaumette, et de Léonidas au Père Duchesne. Un grand homme, un véritable héros s'estime trop lui-même pour se complaire dans l'idée de son anéantissement. Un scélérat, méprisable à ses propres yeux, horrible à ceux d'autrui, sent que la nature ne peut lui faire de plus beau présent que le néant.