Kitabı oku: «Introduction à la vie dévote», sayfa 13
CHAPITRE XIII.
Avis pour conserver la chasteté
Ayez toujours une grande attention sur vous, pour éloigner promptement tout ce qui peut porter quelque attrait à la volupté, car c'est un mal qui se prend insensiblement, et qui par de petits commencemens, fait de grands progrès. En un mot, il est plus aisé de le fuir, que de le guérir.
La chasteté est ce trésor que saint Paul dit que nous possédons dans des vases bien fragiles; et véritablement elle tient beaucoup de la fragilité de ces vases qui, pour peu qu'ils se heurtent les uns contre les autres, courent risque de se casser. L'eau la plus fraîche que l'on veut conserver dans un vase, y perd bientôt la fraîcheur, si quelque animal y a tant soit peu touché. Ne permettez donc jamais, Philothée, et défendez-vous à vous-même tous ces badinages extérieurs des mains, également contraires à la modestie chrétienne, et au respect que l'on doit à la qualité ou à la vertu d'une personne: car bien que peut-être on puisse absolument conserver un cœur chaste parmi ces actions qui viennent plutôt de légèreté que de malice, et qui ne sont pas ordinaires, cependant la chasteté en reçoit toujours quelque mauvaise atteinte. Au reste, vous jugez assez que je ne parle pas de ces attouchemens malhonnêtes qui ruinent entièrement la chasteté.
La chasteté dépend du cœur comme de son origine, et sa pratique extérieure consiste à régler et à purifier les sens; c'est pourquoi elle se perd par tous les sens extérieurs, comme par les pensées de l'esprit et par les désirs du cœur. Ainsi toute sensation que l'on se permet sur un objet déshonnête et avec esprit de déshonnêteté, est véritablement une impudicité; jusque là que l'Apôtre disoit aux premiers chrétiens: mes frères, que la fornication ne se nomme pas même entre vous. Les abeilles, non-seulement ne touchent pas à un cadavre pourri, mais fuient encore la mauvaise vapeur qui en exhale. Observez, je vous prie, ce que la Sainte-Ecriture nous dit de l'Epouse des Cantiques; tout y est mystérieux: La myrrhe distille de ses mains, et vous savez que cette liqueur préserve de la corruption; ses lèvres sont bandées d'un ruban vermeil, et cela nous apprend que la pudeur rougit des paroles tant soit peu malhonnêtes; ses yeux sont comparés aux yeux de la colombe, à cause de leur netteté; elle a des pendans d'oreilles qui sont d'or, et ce précieux métal nous marque la pureté; son nez est comparé à un cèdre du Liban, dont l'odeur est exquise et le bois incorruptible. Que veut dire tout cela? telle doit être l'ame dévote, chaste, nette, pure et honnête en tous ses sens extérieurs.
A ce propos, je veux vous apprendre un mot bien remarquable, que Jean Cassien, un ancien Père, assure être sorti de la bouche de saint Basile, qui parlant de soi-même, dit un jour avec beaucoup d'humilité: je ne sais ce que sont les femmes, cependant je ne suis pas vierge. Certes la chasteté se peut perdre en autant de manières qu'il y a de sortes d'impudicités, lesquelles, à proportion qu'elles sont grandes ou petites, l'affoiblissent ou la blessent dangereusement, ou la font entièrement périr. Il y a de certaines libertés indiscrètes, badines et sensuelles, qui, à proprement parler, ne violent pas la chasteté, mais qui l'affoiblissent, qui l'amollissent et qui en ternissent l'éclat. Il y a d'autres libertés non-seulement indiscrètes, mais vicieuses; non-seulement badines, mais déshonnêtes; non-seulement sensuelles, mais charnelles, qui du moins blessent mortellement la chasteté: je dis du moins, parce qu'elle périt entièrement, si cela va jusqu'au dernier effet du plaisir voluptueux. Alors la chasteté périt d'une manière plus indigne que méchante, et plus malheureuse que quand elle se perd par la fornication, même par l'adultère et par l'inceste; car, quoique ces dernières espèces de la brutale volupté soient de grands péchés, les autres, comme dit Tertullien dans son livre de la pudicité, sont des monstres d'iniquité et de péché. Or Cassien ne croit pas, ni moi non plus, que saint Basile ait voulu s'accuser d'un dérèglement pareil, quand il dit qu'il n'étoit pas vierge; et je crois avec raison qu'il n'entendoit parler que des seules pensées voluptueuses qui ne font que salir l'imagination, l'esprit et le cœur: donc la chasteté a toujours été si chère aux ames généreuses, qu'elles en ont été extrêmement jalouses.
N'ayez jamais de commerce avec des personnes dont vous connoîtrez que les mœurs soient gâtées par la volupté, surtout quand l'impudence est jointe à l'impureté, ce qui arrive presque toujours.
L'on prétend que les boucs touchant seulement de la langue les amandiers, qui sont doux de leur espèce, en rendent le fruit amer; et ces ames brutales et infectes ne parlent guère à personne, ni de même sexe, ni de sexe différent, qu'elles ne fassent un grand tort à la pudeur: semblables aux basilics qui portent leur venin dans leurs yeux et dans leur haleine.
Au contraire, faites une bonne liaison avec les personnes chastes et vertueuses; occupez-vous souvent de la lecture des Livres sacrés, car la parole de Dieu est chaste, et rend chastes ceux qui l'aiment. C'est pourquoi David la compare à cette pierre précieuse qu'on appelle topaze, et dont la propriété spéciale est d'amortir le cœur de la concupiscence.
Tenez-vous toujours auprès de Jésus-Christ crucifié, soit spirituellement par la méditation, soit réellement et corporellement par la sainte communion. Vous savez que ceux qui couchent sur l'herbe nommée Agnus-castus, prennent insensiblement des dispositions favorables à la chasteté; pensez donc que, reposant votre cœur sur Notre-Seigneur, qui est véritablement l'agneau immaculé, vous trouverez bientôt votre ame, votre cœur et vos sens entièrement purifiés de tous les plaisirs sensuels.
CHAPITRE XIV.
De la pauvreté d'esprit au milieu des richesses
Bienheureux sont les pauvres d'esprit! car le royaume des cieux est à eux. Malheureux donc sont les riches d'esprit, car la misère de l'enfer est à eux. Celui-là est riche d'esprit, qui a les richesses dans son esprit, ou son esprit dans les richesses. Celui-là au contraire est pauvre d'esprit, qui n'a ni les richesses dans son esprit, ni son esprit dans les richesses. Les alcions font leurs nids comme une pomme, et n'y laissent qu'une très-petite ouverture par en haut: ils les placent sur le bord de la mer, et les font si fermes et si impénétrables, que l'eau, venant les surprendre, ne peut y entrer; mais tenant toujours le dessus, ils demeurent au milieu de la mer, sur la mer, et maîtres de la mer. Votre cœur, chère Philothée, doit être comme cela, ouvert seulement au Ciel, et impénétrable aux richesses et aux biens périssables de ce monde. Si vous en avez, gardez-vous d'y attacher votre cœur: qu'il tienne toujours le dessus, et que parmi les richesses il soit sans richesses et maître des richesses. Non, ne mettez pas cet esprit céleste dans les biens terrestres; faites qu'il les domine toujours, qu'il soit sur eux et non pas dans eux.
Il y a bien de la différence entre avoir du poison et être empoisonné. Les apothicaires ont presque tous des poisons pour s'en servir en diverses occurrences; mais ils ne sont pas pour cela empoisonnés, parce qu'ils n'ont pas ces poisons dans leur corps, mais dans leur boutique. Ainsi pouvez-vous avoir des richesses sans être empoisonnée par elles: ce sera si vous les avez dans votre maison ou dans votre bourse, et non dans votre cœur. Etre riche en effet et pauvre en affection, c'est le grand bonheur du chrétien; car par ce moyen il a les avantages de la richesse pour ce monde, et le mérite de la pauvreté pour l'autre.
Hélas! Philotée, jamais personne ne confessera qu'il soit avare; chacun désavoue cette bassesse d'ame: on s'excuse sur le nombre des enfans, sur la prudence qui exige qu'on prenne les moyens de s'établir: jamais on n'en a trop. Il se trouve toujours quelque bon motif d'en avoir davantage; et même les plus avares, non-seulement n'avouent pas qu'ils le soient, mais encore en conscience ils ne pensent pas l'être: non, ils n'y songent pas; car l'avarice est une fièvre qui tient du prodige; on la sent d'autant moins qu'elle est plus violente et plus ardente. Moïse vit le feu sacré brûler un buisson sans le consumer; mais, au contraire, le feu profane de l'avarice consume et dévore l'avare, sans le brûler aucunement. Au moins il se vante, parmi les plus grandes ardeurs, qu'il respire la plus douce fraîcheur du monde, et tient que son altération insatiable est une soif toute naturelle et toute bonne.
Si vous désirez continuellement, fortement et d'une manière inquiète les biens que vous n'avez pas, vous avez beau dire que vous ne voulez pas les avoir injustement, vous ne laisserez pas pour cela d'être vraiment avare. Celui qui désire continuellement, avidement et avec inquiétude de boire, encore qu'il ne veuille boire que de l'eau, témoigne suffisamment qu'il a la fièvre.
O Philotée! je ne sais si c'est un désir juste de désirer avoir justement ce qu'un autre possède justement; car il semble que par ce désir nous voulons nous accommoder en incommodant les autres. Celui qui possède un bien justement n'a-t-il pas plus de raison de le garder justement que nous de l'avoir justement? Et pourquoi donc étendons-nous notre désir sur son bien pour l'en priver? Assurément, quand ce désir seroit juste, il ne seroit pas charitable; car nous ne voudrions pas que quelqu'un désirât, même justement, ce que nous voulons garder justement. Ce fut le péché d'Achab, qui voulut avoir justement la vigne de Naboth, que celui-ci voulut encore plus justement garder; il la désira ardemment, long-temps, avec inquiétude; et partant il offensa Dieu.
Attendez, chère Philotée, pour désirer le bien du prochain, qu'il commence à désirer de s'en défaire; car alors son désir rendra le vôtre non-seulement juste, mais charitable: oui, car je veux bien que vous ayez soin d'accroître vos moyens et vos facultés, pourvu que ce soit, non-seulement justement, mais encore doucement et charitablement.
Si vous affectionnez beaucoup les biens que vous avez, si vous en êtes fort préoccupée, y attachant votre cœur et vos pensées, et craignant d'une crainte vive et inquiète de les perdre, croyez-moi, vous avez encore quelque sorte de fièvre; car les fiévreux boivent l'eau qu'on leur donne avec un certain empressement et une sorte d'attention et de joie que ceux qui sont sains n'ont pas accoutumé d'avoir. Il n'est pas possible de se plaire beaucoup à une chose, et de ne pas y mettre beaucoup d'affection. S'il vous arrive de perdre des biens, et que vous sentiez que votre cœur s'en désole beaucoup, croyez, Philotée, que vous y avez beaucoup d'affection; car rien ne témoigne tant l'affection que l'on a pour la chose perdue, que l'affliction que cause la perte.
Ne désirez donc pas d'un désir déterminé le bien que vous n'avez pas; ne mettez pas fort avant votre cœur dans celui que vous avez; ne vous désolez pas des pertes qui vous arriveront, et alors vous aurez quelque sujet de croire qu'étant riche en effet, vous ne l'êtes pas d'affection; mais que vous êtes pauvre d'esprit, et par conséquent bienheureuse, puisque le royaume des Cieux vous appartient.
CHAPITRE XV.
Comment il faut pratiquer la pauvreté réelle au milieu des richesses
Le peintre Parrhasius peignit le peuple athénien d'une manière fort ingénieuse, le représentant avec son caractère changeant, frivole, colère, injuste, inconstant, courtois, clément, généreux, hautain, fier et humble, brave et timide, tout cela ensemble. Pour moi, chère Philotée, je voudrois aussi faire entrer dans votre cœur la richesse et la pauvreté tout ensemble, un grand soin et un grand mépris des choses temporelles.
Ayez beaucoup plus de soin de rendre vos biens utiles et fructueux que n'en ont même les mondains. Dites-moi, les jardiniers des grands princes ne sont-ils pas plus appliqués et plus diligens à cultiver et à embellir les jardins dont ils sont chargés, que s'ils en avoient la propriété? Pourquoi cela? parce que sans doute, ils considèrent ces jardins-là comme les jardins des princes et des rois, auxquels ils veulent plaire par leurs bons services. Philothée, les biens que nous avons ne sont pas à nous; Dieu nous les a donnés à cultiver; il veut que nous les fassions valoir; et partant, c'est lui rendre notre service agréable que d'en avoir toujours bien soin. Mais il faut que ce soit un soin plus grand et plus solide que celui que les mondains ont de leur fortune; car ils ne travaillent que pour l'amour d'eux-mêmes, et nous, nous devons travailler pour l'amour de Dieu. Or, comme l'amour de soi-même est un amour violent, soucieux, empressé, le soin qui en résulte est aussi un soin plein de trouble, d'inquiétude et de peine; et comme l'amour de Dieu est doux, paisible et tranquille, le soin qu'il donne, même quand il s'applique aux biens du monde, est un soin aimable, doux et gracieux. Ayons donc ce soin gracieux de la conservation, et je dirai aussi de l'accroissement de nos biens temporels, lorsque quelque juste occasion s'en présentera, et que notre condition le demandera; car Dieu veut que nous en usions ainsi pour son amour.
Mais prenez garde que l'amour-propre ne vous abuse; car quelquefois il contrefait si bien l'amour de Dieu, qu'on diroit que c'est lui. Or, pour empêcher qu'il ne vous trompe, et que ce soin des biens temporels ne se convertisse en avarice, outre ce que j'ai dit au chapitre précédent, il est nécessaire de pratiquer très-souvent la pauvreté réelle et effective au milieu de tous les biens et de toutes les richesses que Dieu nous a donnés. Renoncez donc toujours à quelque partie de vos biens, en les donnant de bon cœur aux pauvres; car donner ce qu'on a, c'est s'appauvrir d'autant, et plus vous donnerez, plus vous vous appauvrirez. Il est vrai que Dieu vous le rendra, non-seulement en l'autre monde, mais encore en celui-ci, puisqu'il n'y a rien qui fasse tant prospérer temporellement que l'aumône; mais en attendant que Dieu vous le rende, vous serez toujours appauvrie de cela. O le saint et riche appauvrissement que celui qui se fait par l'aumône!
Aimez les pauvres et la pauvreté; et par cet amour vous deviendrez vraiment pauvre, car il est dit dans l'Ecriture que nous devenons semblables aux choses que nous aimons. L'amitié rend tout égal entre les amis. Qui est infirme, disoit saint Paul, avec qui je ne sois infirme? Il pouvoit dire aussi, qui est pauvre, avec qui je ne sois pauvre? parce que l'affection qu'il portoit au prochain le faisoit tel que ceux qu'il aimoit. Si donc vous aimez les pauvres, vous participerez vraiment à leur pauvreté, et serez pauvre comme eux.
Or, si vous aimez les pauvres, mettez-vous souvent parmi eux, prenez plaisir à les voir chez vous et à les visiter chez eux. Conversez volontiers avec eux, soyez bien aise qu'ils vous approchent dans les églises, dans les rues et ailleurs. Soyez pauvre de la langue avec eux, leur parlant comme leur égale. Mais soyez riche des mains, leur donnant de votre fortune, comme plus abondante que la leur.
Voulez-vous faire encore davantage, chère Philothée? ne vous contentez pas d'être pauvre comme les pauvres, mais soyez plus pauvre que les pauvres. Et comment cela? Le serviteur est moindre que son maître; rendez-vous donc servante des pauvres, allez les servir dans leurs lits quand ils sont malades, je dis de vos propres mains; soyez leur cuisinière, et à vos propres dépens; soyez leur lingère et leur blanchisseuse O Philothée! ce service vaut mieux qu'une couronne. Je ne puis assez admirer l'ardeur avec laquelle ce conseil fut pratiqué par saint Louis, l'un des plus grands rois que le soleil ait vus; mais je dis grand roi en toute sorte de grandeur: il avoit une table où des pauvres étoient nourris et servis de sa main; il en faisoit venir presque tous les jours trois à la sienne, et souvent il mangeoit leurs restes avec un plaisir extrême, par affection pour eux. Quand il visitoit les hôpitaux des malades (ce qu'il faisoit très-souvent), il se mettait ordinairement à servir ceux qui avoient les maux les plus horribles, les lépreux, les hommes rongés d'ulcères et autres semblables, et il leur rendait tous ces services nu-tête et genoux en terre, respectant en leur personne le Sauveur du monde, et les chérissant d'un amour aussi tendre qu'auroit fait une douce mère envers son enfant. Sainte Elisabeth, fille du roi de Hongrie se mêloit ordinairement avec les pauvres, et pour se récréer s'habilloit quelquefois en pauvre femme parmi ses dames, leur disant: Si j'étois pauvre, je m'habillerois ainsi. O mon Dieu! Philothée, que ce prince et cette princesse étoient pauvres en leurs richesses, et qu'ils étoient riches en leur pauvreté!
Bienheureux sont ceux qui sont ainsi pauvres, car le royaume du Ciel leur appartient. J'ai eu faim, et vous m'avez nourri; j'ai eu froid, et vous m'avez vêtu: possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde: tel sera le langage que leur tiendra le roi des pauvres et des rois au jour de son grand jugement.
Il n'est personne qui n'éprouve de temps en temps quelque privation et quelque désagrément. C'est un hôte qui arrivera et qu'on voudroit bien traiter, et il n'y aura pas moyen pour l'heure. Ce sont de beaux habits qu'on voudra avoir dans un lieu pour y paroître convenablement, et ils se trouveront dans un autre. Ou bien il arrive que tous les vins de la cave tournent et se gâtent, et qu'il n'en reste plus que de mauvais et de verts. On se trouve aux champs dans une bicoque, où tout manque; on n'a ni lit, ni chambre, ni table, ni service. Enfin, tout riche qu'on soit, il est facile d'avoir souvent besoin de quelque chose. Or, c'est là véritablement être pauvre de ce qui nous manque. Philothée, soyez bien aise de ces rencontres, acceptez-les de bon cœur, souffrez-les gaîment.
Quand il arrivera quelque accident qui vous appauvrira, soit de beaucoup, soit de peu, comme font les tempêtes, les incendies, les inondations, les sécheresses, les vols, les procès; oh! ce sera alors le véritable temps de pratiquer la pauvreté, recevant avec douceur ces diminutions de revenus, et vous accommodant avec patience et courage à cet appauvrissement. Esaü se présenta à son père avec ses mains couvertes de poil, et Jacob en fit autant: mais parce que le poil qui couvroit les mains de Jacob ne tenoit pas à sa peau, mais à ses gants, on pouvoit le lui ôter, sans aucunement l'écorcher, ni le faire souffrir; au contraire, parce que le poil des mains d'Esaü tenoit à sa peau, naturellement toute velue, quiconque eût voulu l'en dépouiller, lui eût causé beaucoup de douleur, et eût éprouvé de sa part une vive résistance. Quand notre fortune nous tient au cœur, si la tempête, si les larrons, si les chicaneurs nous en arrachent une partie, quel trouble, quelle impatience n'en avons-nous pas! Mais quand nos biens ne tiennent qu'aux soins que Dieu veut que nous en ayons, et non à notre cœur, alors si on nous les arrache, nous n'en perdons pas pour cela le calme et la raison. C'est la même différence qu'entre les bêtes et les hommes par rapport à leurs robes; car les robes des animaux tiennent à leur chair, mais celles des hommes y sont seulement appliquées, en sorte qu'ils peuvent les mettre et les ôter quand il leur plaît.
CHAPITRE XVI.
Comment il faut pratiquer la richesse d'esprit au milieu de la pauvreté réelle
Mais si vous êtes vraiment pauvre, très-chère Philothée, ô Dieu! tâchez de l'être encore d'esprit: faites de nécessité vertu, et employez cette pierre précieuse de la pauvreté pour ce qu'elle vaut. Elle paroît obscure aux yeux du monde, et il n'en sait pas la valeur; cependant l'éclat en est admirable, et elle est d'un grand prix.
Ayez courage, vous êtes en bonne compagnie: Notre-Seigneur, la sainte Vierge, les apôtres, tant de saints et de saintes ont été pauvres; et pouvant être riches, ils ont dédaigné de l'être. Combien y a-t-il de grands du monde, qui, à travers mille difficultés, sont allés chercher avec empressement la sainte pauvreté dans les cloîtres et les hôpitaux! Ils ont pris beaucoup de peine pour la trouver; témoins saint Alexis, sainte Paule, saint Paulin, sainte Angèle, et tant d'autres. Et voilà, Philothée, que plus gracieuse et plus prévenante, elle vient d'elle-même se présenter chez vous; vous la rencontrez sans la chercher, vous l'obtenez sans aucune peine; oh! embrassez-la donc comme la chère amie de Jésus-Christ, qui naquit, vécut et mourut avec la pauvreté qui fut sa nourrice toute sa vie.
Votre pauvreté, Philothée, a deux grands avantages, par le moyen desquels elle peut vous faire beaucoup mériter. Le premier est qu'elle ne vous est point arrivée par votre choix, mais par la seule volonté de Dieu, qui vous a faite pauvre, sans que votre volonté propre y ait aucunement contribué. Or, ce que nous recevons purement de la volonté de Dieu lui est toujours très-agréable, pourvu que nous le recevions de bon cœur, et pour l'amour de sa sainte volonté; où il y a moins du nôtre, il y a plus de Dieu. La simple et pure acceptation de la volonté de Dieu rend un état très-méritoire.
Le second avantage de cette pauvreté, c'est qu'elle est une pauvreté vraiment pauvre. Une pauvreté louée, caressée, estimée, secourue et assistée tient de la richesse, ou du moins cesse d'être pauvre; mais une pauvreté méprisée, rejetée, reprochée et délaissée est vraiment une pauvreté pauvre. Or, telle est pour l'ordinaire la pauvreté des séculiers; car, parce qu'ils ne sont pas pauvres par choix, mais par nécessité, on n'en tient pas grand compte. Et par cela même qu'on n'en tient pas grand compte, leur pauvreté est plus pauvre que celle des religieux, bien que celle-ci ait une grande excellence et se rende très-recommandable à cause du vœu et de l'intention qui l'a fait choisir.
Ne vous plaignez donc pas, ma chère Philothée, de votre pauvreté; car on ne se plaint que de ce qui déplaît, et si la pauvreté vous déplaît, vous n'êtes plus pauvre d'esprit, mais riche d'affection.
Ne vous désolez pas de n'être pas si bien secourue qu'il seroit nécessaire; car en cela consiste l'excellence de la pauvreté. Vouloir être pauvre, et ne pas vouloir en recevoir d'incommodité, c'est une trop grande ambition, car c'est vouloir l'honneur de la pauvreté et la commodité des richesses.
N'ayez point de honte d'être pauvre, ni de demander l'aumône à titre de charité. Recevez avec humilité ce qu'on vous donnera; supportez le refus avec douceur. Rappelez-vous souvent le voyage que la sainte Vierge fit en Egypte pour y porter son cher enfant, et combien de mépris, de fatigues et de misère il lui fallut endurer. Si vous vivez comme cela, vous serez très-riche dans votre pauvreté.