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Kitabı oku: «Introduction à la vie dévote», sayfa 16

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CHAPITRE XXIV.
Des compagnies et de la solitude

Rechercher les compagnies, et les fuir, ce sont deux excès blâmables dans la dévotion des gens du monde, qui est celle dont je parle ici. Car fuir les compagnies, c'est marquer du dédain et du mépris pour le prochain; et les rechercher, c'est donner dans l'inutilité et l'oisiveté. Il faut aimer le prochain comme soi-même; pour montrer qu'on l'aime, il ne faut pas éviter d'être avec lui; et pour témoigner qu'on s'aime soi-même, il faut se plaire avec soi-même: Or on y est quand on est seul: Pense à toi, dit saint Bernard, et puis aux autres. Si donc rien ne vous presse de faire des visites, ou d'en recevoir chez vous, demeurez en vous-même, et entretenez-vous avec votre cœur. Mais si quelque visite vous arrive, ou que vous ayez de bons motifs pour en faire, allez au nom de Dieu, Philothée, et voyez votre prochain de bon cœur et de bon œil.

On appelle mauvaises compagnies celles qui sont animées de quelque mauvaise intention, ou bien quand ceux qui s'y trouvent sont vicieux, libres et dissolus. Pour celles-là, il faut s'en détourner tout-à-fait, comme les abeilles se détournent d'un amas de frelons et de taons. Car, comme ceux qui ont été mordus par des chiens enragés ont la sueur, l'haleine et la salive dangereuses, principalement pour les enfans et les personnes délicates; de même le commerce des gens vicieux et libres en paroles ne peut avoir que de grands dangers, surtout pour ceux dont la dévotion est encore tendre et délicate.

Il y a des compagnies qui ne sont aucunement utiles, si ce n'est pour se récréer et se reposer un peu des occupations sérieuses. Quant à celles-là, comme il ne faut pas y donner trop de temps, aussi peut-on y consacrer le loisir destiné à la récréation.

Il en est d'autres qui ne sont que d'honnêteté, comme sont les visites mutuelles; et certaines assemblées qui se font pour honorer le prochain; et quant à celles-là, s'il ne faut pas y mettre trop d'importance, aussi ne faut-il pas les mépriser d'une manière incivile; mais y satisfaire avec modestie et prudence, afin d'éviter également l'impolitesse et la légèreté.

Restent les compagnies utiles, comme sont celles des personnes vertueuses et dévotes. O Philothée! ce vous sera toujours un grand bien d'en rencontrer souvent de pareilles. La vigne plantée parmi les oliviers porte des raisins onctueux, et qui ont le goût de l'olive; de même, une ame qui se trouve souvent parmi des gens de bien ne peut faire autrement que de participer à leurs vertus. Les bourdons seuls ne peuvent point faire de miel, mais avec les abeilles ils aident à le faire: c'est donc un grand moyen de nous bien exercer à la dévotion que de converser souvent avec les ames dévotes.

En toute compagnie et conversation, la naïveté, la simplicité, la douceur, la retenue, sont ce qu'il y a de préférable. Il est des gens qui mettent tant d'artifice à la moindre parole et au moindre mouvement, que chacun en est ennuyé; et comme celui qui ne voudroit jamais se promener qu'en comptant ses pas, ni parler qu'en chantant, seroit insupportable à tout le monde; de même ceux qui prennent une contenance affectée, et qui ne font rien qu'en cadence, sont extrêmement fâcheux dans le monde; et l'on peut assurer qu'il y a toujours en eux plus ou moins de présomption. Il faut pour l'ordinaire qu'une douce joie domine dans nos rapports avec le prochain. Aussi louoit-on beaucoup saint Romuald et saint Antoine de ce que, nonobstant toutes leurs austérités, ils avoient toujours sur la physionomie et dans leurs discours l'expression de la joie, de la gaîté et de la politesse. Riez avec ceux qui rient, réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent; je vous le dis encore une fois avec l'Apôtre: Réjouissez-vous toujours, mais en Notre-Seigneur, et que votre modestie paroisse aux yeux de tous. Pour vous réjouir en Notre-Seigneur, il faut que le sujet soit non-seulement licite, mais convenable; ce que je dis, parce qu'il y a des choses licites qui pourtant ne conviennent pas; et afin que votre modestie paroisse, gardez-vous des méchancetés, qui bien certainement sont toujours répréhensibles. Faire tomber l'un, noircir l'autre, piquer celui-ci, faire du mal à un fou, ce sont des risées et des joies sottes et méchantes.

Mais toujours, outre la solitude intérieure en laquelle vous pouvez vous retirer au milieu même des plus grandes conversations, ainsi que je l'ai dit au chapitre douze de la seconde partie, vous devez beaucoup aimer la solitude extérieure et réelle; non pas pour aller dans les déserts comme sainte Marie égyptienne, saint Paul, saint Antoine, saint Arsène et tant d'autres solitaires; mais pour demeurer un peu dans votre chambre, dans votre jardin, ou ailleurs, et pouvoir plus librement recueillir votre esprit en vous-même, et récréer votre ame par de bonnes méditations et de saintes pensées, ou bien par un peu de bonne lecture; c'est ce que faisoit le grand saint Grégoire, évêque de Nazianze, ainsi que nous le voyons par ses écrits: «Je me promenois, dit-il, seul avec moi-même vers l'heure où le soleil se couche, et je passois doucement le temps sur les rivages de la mer; car j'ai coutume de prendre cette petite récréation pour me reposer et me distraire des ennuis ordinaires de la vie.» Et là-dessus il rapporte la bonne pensée qu'il eut, et que je vous ai citée ailleurs. C'étoit aussi la pratique de saint Ambroise: «Souvent, dit saint Augustin, étant entré dans sa chambre, dont on ne refusoit l'entrée à personne, je me plaisois à le regarder lire; et après avoir attendu quelque temps, je m'en retournois sans mot dire, pour ne pas le déranger, pensant que le peu de temps qui restoit à ce grand pasteur pour délasser et récréer son esprit ne devoit pas lui être ôté.» Aussi, après que les apôtres eurent un jour raconté à Notre-Seigneur les succès qu'ils avoient eus dans une mission: Venez, leur dit le Sauveur, retirons-nous dans la solitude, et prenez-y un peu de repos.

CHAPITRE XXV.
De la bienséance des habits

Saint Paul veut que les femmes chrétiennes (il en faut dire autant des hommes) soient revêtues d'habits convenables, se parant avec modestie et retenue. Or, la bienséance des habits et des autres ornemens dépend de la matière, de la forme et de la propreté.

Quant à la propreté, elle doit presque toujours être la même dans nos habits, sur lesquels, autant qu'il est possible, il ne faut laisser aucune sorte de souillure et de tache. La propreté extérieure représente en quelque façon la pureté intérieure, c'est pour cela que Dieu exige une grande pureté corporelle en ceux qui approchent de ses autels, et dans ceux qui sont plus particulièrement consacrés à son service.

Quant à la matière et à la forme des habits, la bienséance résulte de plusieurs circonstances: du temps, de l'âge, des qualités, des compagnies et des occasions. On se pare ordinairement mieux les jours de fête, selon la grandeur du jour qu'on célèbre; dans les temps consacrés à la pénitence, comme le carême, l'on se néglige beaucoup; dans les noces, on porte des robes nuptiales; dans les assemblées funèbres, des robes de deuil; auprès des princes on rehausse son état; dans l'intérieur de la famille on doit l'oublier; la femme mariée peut et doit se parer, quand elle est avec son mari et qu'elle sait qu'il le désire; mais si elle fait de même pendant son absence, on lui demandera à quoi bon tant de soin et de recherche. On permet plus d'ajustement aux filles, parce qu'il leur est permis de vouloir plaire à plusieurs, quoique ce ne soit qu'afin d'en gagner un par un saint mariage. On ne trouve pas non plus mauvais que les veuves à marier se parent un peu, pourvu qu'elles ne se donnent point les airs de la première jeunesse: d'autant qu'ayant déjà passé par l'état du mariage, et les regrets du veuvage, on s'attend à les trouver d'un esprit mûr et rassis. Mais quant aux vraies veuves, c'est-à-dire celles qui le sont vraiment de cœur, nul ornement ne leur est convenable, sinon l'humilité, la modestie et la dévotion. Car si elles veulent être recherchées, elles ne sont pas de vraies veuves; et si elles ne le veulent pas, pourquoi tant de prétentions? Qui ne veut point recevoir d'hôtes, n'a qu'à ôter l'enseigne de son logis. On se moque toujours des vieilles gens qui veulent faire les jolis; c'est une folie qui n'est supportable tout au plus que dans la jeunesse.

Soyez propre, Philothée, qu'il n'y ait rien sur vous de traînant et de mal rangé. C'est mépriser ceux avec qui l'on est que de les aller voir en habit désagréable; mais gardez-vous surtout des afféteries, vanités, curiosités et sottes recherches; tenez-vous toujours, tant qu'il vous sera possible, du côté de la simplicité et de la modestie: c'est le plus grand ornement de la beauté, et la meilleure excuse de la laideur. Saint Pierre avertit principalement les jeunes femmes de ne point porter leurs cheveux si crêpés, frisés, bouclés et apprêtés. Les hommes qui sont assez lâches pour s'amuser à de telles sottises, sont partout décriés comme étant moins hommes que femmes; et les femmes elles-mêmes que la vanité entête, sont tenues pour foibles en vertu; du moins, si elles en ont, il n'y paroît guère parmi tant de fatras et de bagatelles. On dit qu'on n'y pense pas mal; mais je réplique, comme je l'ai fait ailleurs, que le diable y en pense toujours. Pour moi, je voudrais qu'un dévot et une dévote fussent toujours les mieux habillés de la compagnie, mais les moins pompeux et affectés; et qu'ils fussent, comme il est dit dans le Proverbe, parés de grâces, de bienséance et de dignité. Saint Louis dit d'un seul mot, qu'on doit se vêtir selon son état, en sorte que les sages et les prudens ne puissent pas dire, vous en faites trop, et les jeunes gens, vous en faites trop peu. Que si les jeunes ne veulent point se contenter de la bienséance, alors il faut s'en tenir à l'avis des sages.

CHAPITRE XXVI.
De parler, et premièrement comment il faut parler de Dieu

Les médecins prennent une grande connoissance de la santé ou de la maladie d'une personne par l'inspection de sa langue; et nos paroles sont aussi de vrais indices des qualités de notre ame. Par tes paroles, dit le Sauveur, tu seras justifié, et par tes paroles tu seras condamné.

Nous portons soudain la main sur la douleur que nous sentons, et la langue sur l'amour que nous avons. Si donc, Philothée, vous avez bien l'amour de Dieu, vous parlerez souvent de Dieu dans les conversations particulières que vous aurez avec vos parens, vos amis et vos voisins. Oui, car la bouche du juste méditera la sagesse, et sa langue parlera de justice. Et comme les abeilles ont toujours dans leur petite trompe quelque peu du miel qu'elles distillent, de même aussi votre bouche conservera le goût des bonnes pensées qu'elle aura exprimées; votre plus douce jouissance sera de faire couler sur vos lèvres les louanges de Dieu, et vous éprouverez quelque chose de cette douceur délicieuse que saint François avoit, dit-on, à la bouche toutes les fois qu'il prononçoit le nom du Seigneur.

Mais parlez toujours de Dieu comme de Dieu, c'est-à-dire avec respect et dévotion; non point en faisant la suffisante et la prêcheuse, mais avec un grand esprit de douceur, de charité et d'humilité; distillant, comme l'épouse des Cantiques, le miel délicieux de la dévotion, et le versant goutte à goutte, tantôt dans l'oreille de l'un, tantôt dans l'oreille de l'autre, priant Dieu au fond de votre ame qu'il lui plaise de faire passer cette sainte rosée jusque dans le cœur de ceux qui vous écoutent.

Surtout il faut faire cet office angélique doucement et agréablement, non par manière de correction, mais par manière d'inspiration; car c'est merveille, comme la douceur est une bonne manière de proposer les choses et une puissante amorce pour attirer les cœurs.

Ne parlez donc jamais de Dieu, ni de la dévotion, par manière d'acquit et d'entretien, mais toujours avec attention et dévotion. Ce que je dis pour vous garantir d'une dangereuse vanité qui se trouve en plusieurs personnes faisant profession de piété, lesquelles disent à tout propos des paroles saintes et ferventes par forme de discours, et sans y penser nullement; et qui, après les avoir dites, se croient telles que leurs paroles semblent l'indiquer, ce qui malheureusement n'est pas.

CHAPITRE XXVII.
De l'honnêteté des paroles, et du respect que l'on doit aux personnes

Si quelqu'un ne pèche point en paroles, dit l'apôtre saint Jacques, il est un homme parfait. Gardez-vous soigneusement de toute parole déshonnête; car encore que vous ne les disiez pas avec mauvaise intention, toujours est-il que ceux qui les entendent peuvent les prendre d'une autre manière. La parole déshonnête tombant dans un cœur foible, s'étend et se dilate comme une goutte d'huile sur du drap; et quelquefois elle saisit tellement le cœur, qu'elle le remplit de mille pensées et tentations coupables. Car si le poison du corps entre par la bouche, le poison du cœur entre par l'oreille; et la langue qui le produit est vraiment meurtrière, puisque bien qu'à l'aventure le venin qu'elle a jeté n'ait pas produit son effet, à cause du contre-poison qui se sera trouvé dans les cœurs, toujours est-il qu'il n'a pas tenu à sa malice qu'elle ne les ait fait mourir. Et qu'on ne dise pas qu'on n'y a pas pensé; car Notre-Seigneur, qui connoît les pensées, a dit, que la bouche parle de l'abondance du cœur. Et si nous n'y pensons pas mal, le démon néanmoins y en pense beaucoup, et se sert toujours secrètement de ces mauvais mots pour en transpercer le cœur de quelqu'un. On dit que ceux qui ont mangé de l'herbe qu'on nomme angélique ont toujours l'haleine douce et agréable; et ceux qui ont bien dans le cœur l'honnêteté et la chasteté, qui est par excellence la vertu angélique, ont toujours à la bouche des paroles pures, chastes et honnêtes. Quant aux choses grossières et folles, l'Apôtre ne veut pas seulement qu'on les nomme, nous assurant que rien ne corrompt tant les bonnes mœurs que les mauvais discours.

Que si ces paroles déshonnêtes sont dites à couvert, avec finesse et subtilité, elles sont encore infiniment plus dangereuses; car, comme plus un dard est pointu, plus il entre aisément dans nos corps, de même plus un mauvais mot est aigu, plus il pénètre dans nos cœurs; et ceux qui pensent être fort aimables en disant de telles paroles en compagnie, ne savent pas pourquoi les compagnies sont faites; car elles doivent être comme des essaims d'abeilles réunies pour faire le miel de quelque doux et vertueux entretien, et non comme un tas de guêpes attachées à quelque pourriture. Si donc quelque fat vient vous dire des paroles messéantes, témoignez que vos oreilles en sont offensées, soit en vous détournant, soit en usant de quelqu'autre moyen, selon que la prudence vous le suggérera.

C'est une des plus mauvaises qualités qu'un esprit puisse avoir que d'être moqueur. Dieu hait extrêmement ce vice et en a fait autrefois des châtimens exemplaires. Rien n'est si contraire à la charité, et encore plus à la dévotion, que le mépris du prochain; or, la dérision et la moquerie n'ont jamais lieu sans ce mépris. Aussi est-ce un fort grand péché; et les docteurs ont raison de dire que la moquerie est la plus grande offense que l'on puisse faire au prochain en paroles, parce que les autres offenses n'empêchent pas toujours d'estimer celui qui est offensé, tandis que celle-ci est toujours accompagnée de dédain et de mépris.

Quant aux jeux de paroles qui se font entre honnêtes gens avec une gaîté douce et modeste, ils appartiennent à la vertu que les Grecs appellent eutrapélie, et que nous pouvons nommer bonne conversation: c'est une manière aimable de se récréer à l'occasion des travers et des petites imperfections humaines dont personne n'est exempt. Il se faut garder seulement de passer de la plaisanterie à la moquerie; car la moquerie provoque à rire par mépris du prochain, au lieu que la plaisanterie provoque à rire par la liberté, l'enjoûment et la franchise de cœur, joints à la gentillesse de quelques mots. Il est rapporté de saint Louis, que, quand les religieux qu'il avoit à sa cour vouloient parler de choses sérieuses après dîner, Ce n'est pas le moment, leur disoit-il, de raisonner de la sorte, mais bien de se récréer de quelques bons mots: que chacun dise donc librement et honnêtement ce qu'il voudra. Et en cela il vouloit donner occasion à la noblesse qui étoit autour de lui de recevoir quelque marque de sa bonté. Du reste, Philothée, passons tellement le temps par récréation, que nous nous assurions toujours la sainte éternité par dévotion.

CHAPITRE XXVIII.
Des jugemens téméraires

Ne jugez point, et vous ne serez point jugés, dit le Sauveur de nos ames; ne condamnez point, et vous ne serez point condamnés. Non, dit le saint apôtre, ne jugez point avant le temps, jusqu'à ce que le Seigneur vienne révéler le secret des ténèbres, et manifester les conseils des cœurs. Oh! que les jugemens téméraires sont désagréables à Dieu! Les jugemens des enfans des hommes sont téméraires, parce qu'ils ne sont pas juges les uns des autres, et qu'en jugeant ils usurpent l'office de Notre-Seigneur. Ils sont téméraires, parce que la principale malice du péché vient de l'intention et de la disposition du cœur, qui est pour nous le secret des ténèbres. Ils sont téméraires, parce que chacun a bien assez à faire de se juger soi-même, sans entreprendre encore de juger son prochain. C'est une chose également nécessaire pour n'être point jugé, de ne point juger les autres et de se juger soi-même; car, comme Notre-Seigneur nous défend l'un, l'Apôtre nous ordonne l'autre, en disant: Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés. Mais, ô Dieu! nous faisons tout le contraire; car, ce qui nous est défendu, nous ne cessons de le faire, jugeant à tout propos le prochain; et ce qui nous est commandé, qui est de nous juger nous-mêmes, nous ne le faisons jamais.

Selon les diverses causes des jugemens téméraires, il y faut apporter divers remèdes. Il y a des cœurs aigres, amers et âpres de leur nature qui rendent pareillement aigre et amer tout ce qu'ils reçoivent, et qui, selon l'expérience du Prophète, convertissent le jugement en absynthe, ne jugeant jamais du prochain qu'en toute rigueur et âpreté. Ceux-ci ont grandement besoin de tomber entre les mains d'un bon médecin spirituel; car cette amertume de cœur leur étant naturelle, elle est difficile à vaincre; et bien qu'en soi elle ne soit pas péché, mais seulement une imperfection, elle est néanmoins dangereuse, parce qu'elle introduit et fait régner dans l'ame le jugement téméraire et la médisance. Quelques-uns jugent témérairement, non par aigreur, mais par orgueil, s'imaginant que plus ils rabaissent l'honneur d'autrui, plus ils relèvent le leur; esprits arrogans ou présomptueux, qui s'admirent eux-mêmes, et se placent si haut dans leur propre estime, qu'ils voient tout le reste comme chose petite et basse. Je ne suis pas comme le reste des hommes, disoit le sot pharisien. D'autres n'ont pas cet orgueil manifeste, mais seulement une certaine petite complaisance à considérer le mal d'autrui, pour savourer et faire savourer plus doucement le bien contraire dont ils se croient doués; et cette complaisance est si secrète et imperceptible, que, si on n'a bonne vue, on ne peut la discerner, et ceux mêmes qui en sont atteints ne la connoissent pas, à moins qu'on ne la leur montre. D'autres, pour se flatter et s'excuser eux-mêmes, et pour adoucir les remords de leur conscience, jugent fort volontiers que les autres sont vicieux du vice qu'ils ont contracté, ou de quelque autre aussi grand, se persuadant que la multitude des criminels rend leur péché moins blâmable. Plusieurs s'adonnent au jugement téméraire pour le seul plaisir de philosopher et de gloser sans fin sur l'humeur, la conduite et les mœurs des personnes, se faisant de cela comme un exercice et un jeu d'esprit. Que si par malheur ils rencontrent quelquefois juste en leurs conjectures, alors l'audace et la manie de juger s'accroît tellement en eux, que l'on a bien de la peine à les retenir. Beaucoup jugent par passion, pensant toujours bien de ce qu'ils aiment, et toujours mal de ce qu'ils haïssent, sinon en un cas tout-à-fait étonnant, et néanmoins véritable, où l'excès de l'amour porte à mal juger de ce qu'on aime: effet monstrueux d'un amour grossier, imparfait, troublé et malade; maudite jalousie, qui, comme chacun sait, sur un simple regard, sur le moindre geste, condamne les personnes de trahison et de parjure. Enfin, la crainte, l'ambition et mille autres foiblesses d'esprit, contribuent souvent à ces vains soupçons et à ces jugemens téméraires.

Mais quels remèdes à tant de maux? On dit que ceux qui ont bu du suc d'une herbe d'Ethiopie, appelée ophiusa, croient voir partout des serpens et autres choses effroyables, et que pour les guérir il faut leur faire prendre du vin de palmier; de même ceux qui ont avalé l'orgueil, l'envie, l'ambition, la haine, ne voient rien qu'ils ne trouvent mauvais et blâmable; et pour les guérir je leur dis: Buvez le plus que vous pourrez du vin sacré de la charité; elle vous délivrera de ces mauvaises humeurs qui vous font faire tant de jugemens bizarres. La charité craint de rencontrer le mal; tant s'en faut-il qu'elle l'aille chercher. Et quand elle le rencontre, elle s'en détourne et le dissimule: ainsi, au premier bruit qui lui en vient, elle ferme les yeux pour ne pas le voir; et puis elle croit par une sainte simplicité que ce n'étoit pas le mal, mais seulement l'ombre et comme le fantôme du mal. Que si néanmoins elle est forcée de reconnoître que c'est lui-même, elle s'en distrait aussitôt, et tâche d'en oublier la figure.

La charité est le grand remède à tous les maux, mais spécialement à celui-ci. Toutes choses paroissent jaunes à ceux qui ont la jaunisse, et l'on dit que pour les guérir de ce mal, il leur faut faire porter de la feuille de pavot sous la plante des pieds. Certes, ce péché de jugement téméraire est une jaunisse spirituelle, qui fait paroître toutes choses mauvaises aux yeux de ceux qui en sont atteints; mais qui en veut guérir, doit appliquer le remède non aux yeux, mais aux pieds de l'ame, c'est-à-dire non à l'entendement, mais aux affections. Si donc vous avez de la douceur et de la charité dans le cœur, tous vos jugemens seront doux et charitables; et en voici trois exemples admirables que je vous présente.

Isaac avoit dit que Rebecca étoit sa sœur, et Abimélech qui s'aperçut de quelques démonstrations d'amitié entre eux, fort tendres et très-familières, jugea que c'étoit sa femme: un œil malin eût jugé que c'étoit sa maîtresse, ou que si elle étoit sa sœur, il étoit lui-même un incestueux; mais Abimélech prit le parti charitable qu'il pouvoit prendre sur un tel fait. Voilà comme l'on doit juger favorablement du prochain autant que l'on peut; et si une action avoit cent aspects différens, il faudroit la regarder uniquement par le plus bel endroit. Saint Joseph ne pouvoit douter que la sainte Vierge ne fût enceinte; mais parce qu'il connoissoit son éminente sainteté, et sa vie toute pure, toute angélique, il ne se permit pas le plus léger soupçon contre elle, quelque violens que fussent ses préjugés: ainsi il prit la résolution, en la quittant, d'en laisser tout le jugement à Dieu. L'Esprit divin nous fait remarquer dans l'Evangile, qu'il en usa de la sorte parce qu'il étoit un homme juste. Or l'homme juste, qui ne peut absolument excuser ni le fait, ni l'intention d'une personne dont il connoît la probité, n'en veut pas juger et tâche même d'ôter cela de son esprit, et en laisse le jugement à Dieu. Le Sauveur crucifié, ne pouvant excuser entièrement le péché de ceux qui l'avoient attaché à la croix, voulut au moins en diminuer la malice par la raison de leur ignorance: de même quand nous ne pouvons excuser le péché, rendons-le au moins digne de compassion, en l'attribuant à la cause la plus supportable qu'il puisse avoir, comme à l'ignorance ou à la foiblesse.

Mais ne peut-on donc jamais juger le prochain? Non certes, jamais: c'est Dieu, Philothée, qui juge les criminels, dans les jugemens de la justice humaine. Toutefois il se sert de la voix des magistrats pour se rendre intelligible à nos oreilles; ils sont comme ses interprètes et ses oracles, et ne doivent rien prononcer que ce qu'ils ont appris de lui. Que s'ils font autrement, et suivent leurs propres passions, alors c'est vraiment eux qui jugent, et qui par conséquent seront jugés; car il est défendu aux hommes, en tant qu'hommes, de juger les autres.

Voir ou connoître une chose, ce n'est pas en juger; car tout jugement, au moins selon la phrase de l'Ecriture, présuppose quelque difficulté, grande ou petite, vraie ou apparente, qu'il faut décider. C'est pourquoi elle dit que ceux qui n'ont pas la foi sont déjà jugés, parce qu'il n'y a point de doute sur leur condamnation. Ce n'est donc pas mal fait de douter du prochain? Non, car il n'est pas défendu de douter, mais de juger. Toutefois, il n'est permis ni de douter ni de soupçonner, qu'autant que de bonnes raisons nous y contraignent; autrement les doutes et les soupçons sont téméraires. Si quelque œil méchant eût vu Jacob, quand il embrassa Rachel auprès du puits, ou qu'il eût vu Rebecca recevoir des bracelets et des pendans d'oreilles d'Eliézer, homme inconnu dans ce pays-là, il eût sans doute mal pensé de ces deux modèles de vertu, mais c'eût été bien à tort; car quand une action est de soi-même indifférente, c'est faire un soupçon téméraire que d'en tirer une mauvaise conséquence, à moins que plusieurs circonstances ne donnent crédit à ce soupçon. C'est aussi un jugement téméraire que de prendre occasion d'un acte pour blâmer la personne qui en est l'auteur; mais ceci, je le dirai bientôt plus clairement.

Enfin, ceux qui ont bien soin de leur conscience ne sont guère sujets aux jugemens téméraires; car, comme les abeilles, en voyant les brouillards et les temps nébuleux, se retirent dans leurs ruches et y préparent leur miel, de même les bonnes ames ne laissent pas courir leurs pensées sur les sujets embrouillés et parmi les actions équivoques du prochain; mais pour ne pas les rencontrer, elles se renferment au dedans d'elles-mêmes, et prennent au fond de leur cœur de bonnes résolutions pour leur propre amendement.

C'est le fait d'une ame inutile de s'amuser à examiner la vie d'autrui: j'excepte ceux qui sont chargés de la conduite des autres, soit dans la famille, soit dans l'état; car une bonne partie de leur conscience consiste à surveiller celle d'autrui. Qu'ils fassent donc leur devoir avec amour: passé cela, qu'ils se tiennent en repos et ne s'occupent que d'eux-mêmes.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
350 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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