Kitabı oku: «La Main Sur Le Cœur»

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LA MAIN SUR LE CŒUR

Copyright © 2018, Ines Johnson. Tous droits réservés.

Ce roman est une œuvre de fiction. Les personnages, les lieux et les situations sont purement imaginaires. Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait fortuite ou involontaire. Toute reproduction ou distribution de cette publication sous quelque forme que ce soit, même partielle, sans l’autorisation écrite de l’auteur est interdite, sauf pour les distributeurs autorisés.

Imprimé aux États-Unis.

Première édition : octobre 2018.

Version originale révisée par Alyssa Breck.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie Viala.

TABLE DES MATIÈRES

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Épilogue

CHAPITRE 1

Fran regardait le point sur l’écran. Il formait des pics comme s’il grimpait au sommet de la plus haute montagne, avant de redescendre en un instant comme un homme au parachute défectueux. Puis il remontait et le cycle recommençait.

Fran ne pensait pas pouvoir trouver une meilleure métaphore de sa vie.

Il observa les quelques battements suivants sur l’électrocardiogramme. Son pouls était stable et vigoureux. Pour l’instant. Mais Fran savait, tout comme le médecin qui surveillait son cœur, que ces battements pouvaient s’interrompre à tout moment.

« On dirait bien que rien n’a bougé, caporal DeMonti. »

La voix du docteur Nelson était aussi stable et monochrome que le point sur l’écran qu’il observait. Il griffonna quelques mots au crayon à papier sur son bloc-notes, son regard allant d’une machine à une autre avant de revenir à sa montre. Sans jamais se poser sur Fran.

Fran avait l’habitude d’être ignoré par ceux qui se sentaient supérieurs à lui. Quand il était caporal dans l’armée américaine, il avait fait de son mieux pour atteindre un rang plus élevé. Il était passé à deux doigts d’être promu sergent. Jusqu’à ce qu’une mission tourne très mal.

C’est pour cela que, non, l’attitude peu attentive du médecin ne le dérangeait pas. Ce qui le dérangeait, en revanche, c’était qu’il utilise un crayon à papier au lieu d’un stylo. Le graphite qui marquait la feuille manquait de permanence aux yeux de Fran. Il pouvait être effacé d’un simple coup de la gomme rose à l’autre bout du crayon. Tout comme la vie de Fran pouvait être effacée par un faux mouvement. Si les éclats d’obus logés dans sa poitrine se déplaçaient d’à peine quelques millimètres, ils lui perceraient le cœur et son existence même serait effacée. Rétractée de la page de la vie.

« Malheureusement, il est encore trop dangereux d’essayer de les retirer, dit le médecin en relevant enfin les yeux vers Fran. Tout ce que nous pouvons faire, c’est continuer votre traitement et prier. »

Fran était toujours choqué d’entendre un médecin préconiser la prière. Il aurait cru que la plupart des hommes et des femmes de sciences préféraient le tangible au spirituel. Mais il avait souvent tort. Au moins, il était soigné à l’hôpital militaire. La plupart des médecins qui exerçaient ici s’étaient trouvés dans des situations dans lesquelles leur survie ne pouvait être attribuée qu’à un pouvoir supérieur. C’est pour cela qu’ils n’hésitaient pas à faire appel au Seigneur lorsque leurs esprits ne pouvaient résoudre un problème physique.

Fran savait très bien que le Seigneur représentait sa meilleure chance de survie. Il ne rechignait donc pas à suivre le traitement qu’on lui préconisait. Il aurait simplement préféré y voir un peu plus clair dans les plans du Seigneur. Prévoyait-Il de bientôt rappeler Fran à ses côtés ? Ou sa volonté était-elle plutôt de le laisser s’ébattre un peu plus longtemps ?

Fran préférait les plans robustes. Mais il connaissait le dicton : l’homme pense, Dieu rit.

Il ne pensait pas que Dieu se riait de lui. Il refusait de croire le Créateur capable de ce genre de blague cruelle.

Quand Fran sortit de la salle d’examen, quelques-unes des femmes présentes dans les couloirs lui sourirent, essayant de croiser son regard. À l’œil nu, il avait l’air en parfaite santé. Il n’avait pas perdu de membre ni gagné de cicatrice visible, si ce n’est sur son torse. Non, sa blessure était plus profonde. Elle dépassait même le métal dans sa poitrine. Sa blessure avait touché son âme.

Tout était de sa faute.

Fran et son escadron travaillaient sur un projet destiné à améliorer les conditions de vie de femmes et d’enfants quand c’était arrivé. L’explosion qui avait planté des éclats d’obus dans son torse n’avait fait aucune victime, mais elle avait emporté six moyens de subsistance, ainsi que le kamikaze qui avait sacrifié sa vie au nom d’une cause erronée.

Quant aux survivants, leurs vies en étaient sorties changées à jamais. Et, juste au moment où ils commençaient à se reconstruire au ranch du Campanule, une autre bombe avait explosé dans leurs vies. Non, vraiment, tout cela ne pouvait être une blague. C’était bien trop cruel.

Fran quitta l’hôpital militaire et traversa la ville en direction du ranch. Le paysage qui se déployait sous ses yeux lui réchauffa le cœur. Le Montana était tout bonnement magnifique.

Fran avait grandi à New York. Ses montagnes étaient des gratte-ciels. Ses champs, de l’asphalte. Il n’y avait là-bas rien de comparable à la beauté majestueuse de la nature s’élevant jusqu’aux cieux.

L’Afghanistan lui avait fait le même effet. Dans ce pays supposément désertique se trouvaient des montagnes escarpées et des vallées profondes. La neige couronnait les pics aux pentes abruptes. Les vallées étaient fertiles, permettant agriculture et élevage.

Il avait été choqué de trouver de la beauté, de la générosité dans cet endroit décrit comme ignoble. Mais tout le monde ne tenait pas dans ce portrait. Les gens bien qui composaient ce peuple essayaient de se faire discrets. La plupart du temps, cependant, ils n’y parvenaient pas, et le pinceau de la violence venait colorer leurs vies.

Fran tourna à l’entrée du ranch. Quand son chef d’escadron avait acheté le ranch, les soldats l’avaient bien vite renommé le ranch du Cœur Violet. Les luxuriantes feuilles violettes de la campanule ressemblaient à ce symbole décerné aux combattants blessés par l’ennemi. Chacun des hommes de son escadron avait été blessé et, maintenant qu’ils étaient ici pour se soigner, un nouveau coup leur était infligé.

Fran et les hommes de son escadron devaient se marier d’ici quelques semaines s’ils voulaient rester au ranch qui avait commencé à guérir leurs blessures et leur avait rendu une raison de vivre. Le problème, c’est que peu de femmes accepteraient d’être enchaînées pour le reste de leurs jours à un groupe de guerriers blessés. Surtout si l’un d’entre eux ne pouvait même pas leur donner son cœur parce qu’il pouvait cesser de battre à tout moment.

Fran devrait donc bientôt quitter le ranch. Mais pas sans s’assurer que tous les autres étaient bien installés. Puisque c’était sa faute s’ils avaient tous perdu une part d’eux-mêmes, il leur devait bien ça. Il ferait en sorte qu’ils profitent tous de la sécurité qu’ils méritaient. Et, qui sait, peut-être trouveraient-ils même l’amour.

C’était un joli rêve. Un rêve qu’il avait un jour eu. Mais dont il savait qu’il ne deviendrait jamais réalité maintenant que son torse cachait une bombe à retardement.

CHAPITRE 2

Éva inspira profondément pour se calmer. Pourtant, ses doigts tremblaient toujours. Elle leva le stylo du bout de papier, secoua la main et réessaya.

Elle refit les calculs mentalement. Elle n’avait pas le droit à l’erreur au moment d’écrire les chiffres et le montant équivalent en mots. C’était un gros chèque. Le plus gros qu’elle ait écrit de toute sa vie.

Après avoir vérifié trois fois, puis trois fois de plus, elle reposa le stylo. Il s’éloigna d’elle en roulant, mais elle le laissa faire. Elle n’avait plus besoin de son encre. L’argent était dépensé, et son compte en banque était désormais vide. Mais cela en valait la peine.

Elle détacha le chèque du carnet avec précaution. Il portait le numéro un. C’était la première fois qu’elle en écrivait un. Elle avait toujours payé en liquide. C’était le premier compte-chèques avec lequel elle allait écrire des chèques et pas simplement les encaisser. Et elle venait d’écrire le premier.

Éva le tendit à la femme au regard doux et au sourire patient assise derrière le comptoir. Celle-ci vérifia le chèque.

Éva retint sa respiration. Elle ne pouvait pas se permettre la moindre erreur. Elle n’avait pas les moyens de mettre un centime de plus dans ce chèque.

« Tout a l’air en ordre, ma grande. »

Les épaules d’Éva se détendirent visiblement en entendant cette confirmation.

« Voilà votre emploi du temps. »

La responsable des admissions tendit à Éva une feuille A5 sur laquelle le numéro des salles, l’intitulé des cours et le nom des professeurs étaient imprimés en lignes claires.

« Vous êtes attendue en cours lundi, madame Lopez.

 Oui, répondit Éva dans un souffle. Oui, je serai là.

 Profite bien de tes cours, ma puce.

 Vous aussi. Enfin, merci. Passez une bonne journée. »

Éva s’éloigna du guichet des inscriptions, son emploi du temps serré contre sa poitrine. Derrière elle, une longue file d’étudiants patientait pour s’inscrire. Ils avaient l’air ennuyés et fatigués. Aucun d’entre eux ne semblait empli du même enthousiasme qu’elle. Probablement parce que la plupart bénéficiaient de bourses ou d’aides financières, ou avaient des parents qui pouvaient payer leur scolarité.

Mais pas Éva. Elle avait mérité jusqu’au moindre centime qu’elle venait de verser. Cela lui avait pris trois ans, mais elle avait réussi. Elle avait assez économisé pour payer son premier semestre à l’université. Pas à distance : elle aurait cours sur un véritable campus. Et pas seulement quelques cours du soir. Elle était inscrite à une université d’état.

Elle ne pensait pas ça par snobisme. Enfin, si, un peu. Pour la première fois de sa vie, elle faisait partie de l’élite. Elle aurait juste aimé que ses parents puissent la voir. Sans savoir comment, elle sentait qu’ils l’observaient de là-haut, leurs regards emplis de fierté.

Elle y était arrivée. Elle avait réalisé son rêve. Ses parents le lui avaient dit dès son premier jour de maternelle : l’éducation était la clef de ses rêves, la clef de tous les possibles.

Éva ne savait pas exactement ce qu’elle voulait faire de ses études ; elle savait juste qu’elle voulait en faire. Elle adorait suivre des cours, assise derrière une table pendant qu’un professeur faisait des miracles au tableau.

Les trois années qui s’étaient écoulées depuis sa sortie du lycée avaient été lugubres. Mais, bientôt, elle serait de retour dans une salle de classe, là où était sa place. À ce moment-là, tout deviendrait possible.

Éva grimpa dans un autobus et commença le long trajet qui la ramènerait chez elle. Chez elle, c’était plus loin que les quartiers sympas qui entouraient l’université. Plus loin que les résidences chics du quartier des affaires. Chez elle, c’était une cité délabrée dans un quartier tout sauf chic dont les habitants gagnaient souvent moins par heure que le minimum légal.

Le bus n’allait pas jusqu’à sa cité. Il déposa Éva devant l’église. Elle s’y était rendue plusieurs fois ces derniers mois, depuis qu’elle avait emménagé ici. Quel que soit l’endroit où elle vivait, Éva se débrouillait toujours pour trouver une église. Même si elle ne connaissait personne, elle se sentait toujours chez elle là-bas.

« Bonjour, mademoiselle Lopez. »

Éva se retourna en entendant la voix du vieil homme. Un sourire éclaira son visage.

« Bonjour, pasteur Patel. »

Éva s’approcha en tendant la main au pasteur, qui repoussa son geste pour la serrer dans ses bras. Éva accepta son étreinte avec gratitude. Les câlins du pasteur Patel lui rappelaient ceux de son père.

« Cela fait quelques semaines que je ne t’avais pas vue, lui reprocha le pasteur.

— J’ai fait des heures supplémentaires pour mettre de l’argent de côté. Mais vous me verrez plus souvent maintenant. J’aurais plus de temps libre le week-end. J’ai réussi. Je suis inscrite à l’université.

— Oh ! C’est une excellente nouvelle, mon enfant. »

Il lui frotta les épaules affectueusement, comme sa mère avait l’habitude de le faire.

« J’aurais tout de même préféré que tu acceptes la bourse de l’église. »

Éva secoua la tête. Outre la nécessité d’une bonne éducation, le père d’Éva lui avait également appris qu’ils n’acceptaient pas la charité. Tout ce qu’ils obtenaient, c’était à la sueur de leur front. Ils faisaient des dons à l’Église et aux moins fortunés. Pour le reste, il y avait la famille. C’était comme ça que les Lopez fonctionnaient.

« Bien, maintenant que tu es étudiante à l’université, dit le pasteur Patel, tu viendras bien témoigner auprès des autres jeunes demain ? »

Éva hésita. Elle n’était pas sûre d’avoir quoi que ce soit à enseigner à qui que ce soit pour l’instant. Elle avait déjà du mal à convaincre son frère et sa sœur d’écouter les conseils qu’elle avait à leur donner. Elle savait que le pasteur Patel ne la laisserait pas refuser. Alors elle accepta. Après une dernière étreinte, il la laissa repartir.

Éva descendit la rue à vive allure. Il était facile de deviner pourquoi le bus n’allait pas jusqu’à son quartier. Le bitume était jonché de morceaux de verre. Une puanteur émanait de certaines allées. Des hommes traînaient au coin des rues l’après-midi, bien avant la fin de la journée de travail. L’un d’entre eux était d’ailleurs un peu trop petit pour être considéré comme un homme.

« Carlos ! » appela Éva.

Le garçon ne réagit pas, mais elle savait qu’il l’avait entendue.

Éva se dirigea vers son frère d’un pas décidé. Elle se retint de justesse de remonter le pantalon qui lui tombait sur les fesses. Où était la ceinture qu’elle lui avait achetée le mois précédent ? Il se retourna avec un regard méfiant. Les types autour de lui commencèrent à ricaner.

« Je suis avec des potes, dit-il.

— Eh bien, c’est l’heure de rentrer faire tes devoirs. »

Les autres garçons ricanèrent de plus belle.

« Allez, écoute donc ta jolie sœur, gamin. Et quand tu auras fini de bosser pour l’école, j’aurai du vrai boulot pour toi. »

Éva interrompit le voyou d’un seul regard. Mais le mauvais œil ne fonctionnait que sur la famille.

Carlos suivit sa sœur. Elle savait qu’elle lui avait mis la honte. Mais il valait mieux que ces types le voient comme un fils à maman, ou plutôt comme un frère à sa sœur. Elle était prête à ruiner sa réputation si cela le protégeait de la rue.

« Tu n’iras nulle part en traînant dans la rue, dit-elle après avoir traversé.

— Parce que l’école m’amènera quelque part ? Regarde où ça t’a menée. »

Carlos désigna le quartier d’un geste. Tout autour d’elle ne se trouvaient que différentes nuances de brun, des immeubles à la poussière dans les rues, en passant par la crasse sur le visage des enfants.

« Tout ça changera bientôt, dit Éva. Un diplôme, c’est une porte de sortie. Tu verras. »

Le problème, c’est qu’il faudrait au moins deux ans pour qu’il voie le résultat de cette logique. Elle espérait simplement qu’il lui laisserait le temps de lui montrer qu’elle avait raison. Et en attendant, elle ne laisserait pas la rue s’emparer de son petit frère.

CHAPITRE 3

Fran gara sa camionnette devant le pavillon quatre pièces niché dans un coin du ranch dans lequel il s’était installé à son arrivée. Il avait été le premier à venir vivre au ranch après leur démobilisation un an plus tôt. Il pensait au départ qu’ils s’installeraient tous au pavillon mais, à mesure que les autres hommes étaient arrivés au ranch, leurs douleurs toujours présentes, ils avaient tous recherché leur propre espace.

Dylan avait choisi le pavillon à deux chambres voisin de celui de Fran. Reed, Sean et Xavier s’étaient installés dans les maisons mitoyennes au bout de la route.

Fran leva les yeux vers l’endroit qu’il appelait « chez lui » depuis un an. C’était une maison confortable, mais trop grande pour lui. Il supposait qu’un de ses camarades y emménagerait après avoir trouvé une épouse. Qui sait, peut-être même que l’un d’entre eux fonderait une famille qui pourrait remplir toutes les pièces.

Voilà bien un autre rêve que Fran ne pourrait jamais réaliser. Il ne pouvait pas envisager de mettre un enfant au monde alors qu’il ne pourrait pas être là pour prendre soin de lui, pour la voir grandir. Alors qu’il devrait laisser sa femme seule avec toutes ces responsabilités. Il n’était pas ce genre d’homme.

Il lui faudrait bientôt commencer à faire ses cartons. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, il lui suffirait de prendre des nouvelles des autres pour s’assurer qu’ils étaient sur la voie du mariage qui leur garantirait une place au ranch.

La porte de la maison de Dylan s’ouvrit, laissant échapper des aboiements et jappements avant tout humain. Le premier dehors fut Étoile, un carlin au dos couvert de plaques dégarnies. Ce chien avait tendance à marcher de côté, comme s’il ne voulait pas que les autres remarquent ses imperfections.

Juste derrière lui se trouvait Stevie, un rottweiler à moitié aveugle à la magnifique fourrure bleu-gris. Il gardait le nez collé à Étoile pour mieux se repérer.

Bonbon, le golden retriever, passa la porte d’un pas lent. Il releva la tête en repérant l’odeur de Fran, dont le moral remonta en voyant le chien. Ils se rejoignirent à mi-chemin. Vu de l’extérieur, Bonbon avait l’air en parfaite santé. Mais il souffrait de diabète, ce qui le ralentissait de temps en temps.

Fran se pencha pour caresser la tête du chien. Ils s’étaient beaucoup rapprochés depuis son arrivée quelques semaines plus tôt. Le diabète pouvait être compliqué à gérer chez un chien, mais ce n’était pas le bout du monde. Maggie, l’épouse de Dylan, prenait soin de tous ses chiens blessés. En la voyant faire, tous les soldats avaient pu voir que leurs blessures ne les empêchaient pas d’être aimés.

« Tu es rentré. »

Fran releva les yeux et vit Dylan descendre les marches du porche, un chien dans les bras. Pirouette, un terrier irlandais, avait perdu ses pattes arrière quelques semaines plus tôt. Dylan le posa par terre et attacha un fauteuil roulant à son arrière-train.

Quand Dylan se redressa, Fran aperçut sa prothèse. C’était une vision inhabituelle. Dylan portait généralement de longs pantalons qui couvraient ses jambes et cachaient sa blessure. Mais, depuis son mariage, il avait commencé à s’accepter tel qu’il était et à porter des shorts et des bermudas qui laissaient sa prothèse scintiller au soleil.

« Comment ça s’est passé ? demanda Dylan. Qu’est-ce que le docteur a dit ? »

Avant que Fran ne puisse répondre, Maggie passa la tête par la porte. Tous les chiens se tournèrent vers elle, queue battante et langue pendante. Dylan suivit le mouvement. Il garda la langue dans sa bouche, mais son sourire s’élargit.

« Mon cœur, n’oublie pas de récupérer les médicaments de Bonbon quand tu iras en ville. »

Dylan attira sa femme dans ses bras. Il déposa un baiser dans le creux entre sa joue et son nez. Maggie sourit dans son étreinte. Elle tourna la tête et son regard atterrit sur Fran.

Fran aurait voulu détourner les yeux, mais son regard s’abreuvait de cette affection qu’il ne recevrait probablement jamais lui-même.

« Fran, tu es rentré, dit Maggie. Qu’a dit le docteur ? Il y a eu du changement ? »

C’était aussi pour cela que Fran ne pouvait pas se mettre en couple. Maggie n’était même pas sa partenaire, et pourtant ses yeux brillaient d’espoir. L’espoir qu’il ait miraculeusement guéri. Il était peu probable que cela arrive un jour. Il avait déjà de la chance d’être encore en vie.

Fran secoua la tête et se prépara à recevoir leur compassion et leur bonne volonté.

« J’ai entendu parler de quelques spécialistes, dit Dylan. On ira les voir.

— Et je continuerai à prier pour toi, dit Maggie. On ne va pas laisser tomber. »

Bonbon se frotta à la jambe de Fran, qui se pencha pour donner son attention au chien tandis que ses amis essayaient en vain de lui sauver la vie.

« En attendant, continua Dylan, il faut que tu commences à te chercher une épouse. Il ne nous reste plus beaucoup de temps si on veut tous rester au ranch. »

Fran ne chercha pas à discuter. Dylan était son supérieur hiérarchique et n’hésiterait pas à lui donner des ordres. Même si Fran ne se sentirait pas obligé de suivre cet ordre-là. Il préféra donc hocher la tête et changer de conversation.

« Reed m’a dit qu’il avait pas mal de succès sur une application de rencontres, dit-il.

— C’est complètement dingue, dit Dylan. Mais à situation désespérée, mesures désespérées, pas vrai ?

— Je vous retrouve tout à l’heure. »

Fran se retourna pour partir, Bonbon à sa suite, puis se tourna une dernière fois vers Maggie.

« Ça ne te dérange pas qu’il m’accompagne ?

— Pas du tout, répondit Maggie avec un sourire. Il faut juste l’empêcher de trop s’exciter. Et surveiller qu’il ne mange rien qu’il ne soit pas censé manger.

— Comme d’habitude, » conclut Fran pour rassurer la propriétaire du chien.

Ils descendirent le chemin ensemble. Le ranch s’étendait autour d’eux. Fran aperçut Xavier sur le dos de l’un des chevaux de thérapie. Les chevaux aidaient les soldats à renforcer les membres qu’ils avaient perdus, mais le seul fait de se trouver sur leur dos leur redonnait aussi une sensation de puissance. Le tour de Fran viendrait le lendemain. Il aurait aimé pouvoir aller plus vite qu’un simple trot. Mais, dans son état, il devait se montrer prudent.

Au lieu de chevaucher aux quatre vents, Fran passait beaucoup de temps dans les jardins. Le travail de la terre était bon pour le corps, mais aussi pour l’esprit. Voir des plantes pousser grâce à ses soins lui mettait du baume au cœur.

« Fran, attends-moi ! » l’appela Reed.

Reed sortait de la salle à manger de la grande maison dans laquelle ils prenaient la plupart de leurs repas ensemble, même si chaque pavillon disposait de sa propre cuisine. Il agitait son téléphone de sa main valide. La manche de sa chemise était roulée et épinglée à son coude, là où s’arrêtait son avant-bras, qu’il avait laissé derrière lui dans une explosion en Afghanistan.

« Regarde-moi ça. »

Reed mit son téléphone sous le nez de Fran.

« Déjà cinquante réponses. »

Sur l’écran défilaient les photos de nombreuses femmes. C’était le docteur Patel qui leur avait parlé de cette application, qui avait été conçue par un membre de sa famille. Le psychologue avait participé à la mise au point de l’algorithme.

« Et elles veulent toutes te rencontrer ? demanda Fran.

— Pas simplement me rencontrer. Elles veulent m’épouser. Dire qu’on pensait que ça allait être compliqué ! »

Reed tenait son téléphone dans le creux de la paume, balayant les profils à droite et à gauche du bout du pouce. Cet homme ne laissait pas grand-chose le ralentir ou l’abattre, et surtout pas un membre manquant.

« T’épouser ? De parfaites inconnues veulent t’épouser ? Elles sont au courant pour… tu sais quoi ? »

Reed cliqua sur sa photo de profil. Elle le montrait clairement. Il était en uniforme, avec un bras en moins.

« La seule chose qu’une femme aime plus qu’un homme en uniforme, c’est une âme blessée qu’elle pense pouvoir guérir. »

Fran soupira, mais pas parce que Reed se comportait comme un blaireau. Fran savait que son ami s’attendait vraiment à trouver l’amour dans cette affaire. Reed était quelqu’un d’optimiste, parfois presque trop.

« Cette appli calcule la compatibilité jusqu’à quatre-vingt-dix-neuf pour cent. Si je n’arrive pas à trouver la femme de ma vie là-dessus, c’est qu’elle n’existe pas. J’en ai sélectionné cinq. Je suis compatible à quatre-vingt-dix-huit pour cent avec celle-là. »

Reed lui montra la photo d’une jolie femme. Le portrait était bien composé, comme celui d’un mannequin. Elle était blonde avec des yeux vert pâle, et un petit peu trop de maquillage au goût de Fran.

« Elle est pour ainsi dire parfaite, dit Reed. Je l’ai invitée à prendre un verre ce week-end. Mais elle n’est pas en ville, elle devrait rentrer à la fin du mois. »

Fran ne savait pas vraiment que dire. Il n’arrivait pas à déterminer s’il devait retirer Reed de la liste des soldats à caser, ou s’il devrait au contraire le surveiller d’encore plus près pour s’assurer que son avenir était réellement établi. Fran était déterminé à voir tous les autres hommes bien installés et autorisés à rester au ranch après son départ. Peut-être que ces histoires de mariage arrangé pouvaient fonctionner, surtout si toutes les personnes impliquées savaient dès le départ dans quoi elles s’engageaient.

Reed continua à détailler à Fran tous les traits de cette femme. Mais quelque chose d’autre avait attiré son attention. Sean Jeffries était en train de descendre les marches du bâtiment réservé aux soins, une grange qu’ils avaient réaménagée pour le docteur Patel ainsi que pour les infirmières et le reste du personnel qui venait s’occuper d’eux et des animaux thérapeutiques. Sean retint la porte, faisant bien attention à placer son visage afin que seul son bon côté soit visible par la personne qui sortait.

Cette personne, c’était Ruhi Patel, la fille du docteur Patel. Ruhi était infirmière et venait souvent aider son père à s’occuper des soldats qui vivaient au ranch ou s’y rendaient pour des soins.

Ruhi et le docteur Patel discutaient en descendant les marches. Sean regardait ses pieds. Mais Fran le vit jeter quelques regards à la jeune infirmière.

Fran soupira. Il soupçonnait depuis longtemps que Sean en pinçait pour Ruhi. Si c’était le cas, il n’accepterait jamais de se trouver une épouse sur une application de rencontre. Ce qui signifiait que Sean devrait lui aussi quitter le ranch.

Le docteur Patel releva les yeux et aperçut les deux hommes. Il leur fit signe d’approcher.

« Je vois que vous utilisez l’application, dit-il à Reed.

— J’ai un rencard la semaine prochaine avec quelqu’un avec qui j’ai soixante-douze pour cent de compatibilité, » répondit Reed en levant son téléphone pour montrer une brune au visage rond.

Il semblait bien qu’il avait déjà oublié le mannequin et ses quatre-vingt-dix-huit pour cent de compatibilité.

« Je trouve ça criminel, ce qu’ils vous forcent tous à faire, dit Ruhi. Vous obliger à vous marier juste pour garder votre foyer.

— Je pensais que tu croyais aux mariages arrangés, dit Reed.

— Ça, c’est du mariage forcé. C’est illégal.

— Personne ne nous force à quoi que ce soit, répondit Reed. On n’est pas obligé de le faire si on n’a pas envie. On peut vivre ailleurs et venir ici pour les soins. »

Sean détourna les yeux. Fran savait qu’il n’avait nulle part où aller, ce qui voulait dire que, dans son cas, la situation était forcée. Fran ne voulait pas partir non plus. Il adorait se réveiller tous les matins sur le ranch. Mais il n’avait pas le choix. Son cœur ne le laisserait pas rester.

« Mon père essaye de me trouver quelqu’un depuis que je suis adolescente, dit Ruhi. Les mariages arrangés ne m’intéressent pas. Je ne suis pas sûre de vouloir me marier tout court. À notre époque, ce n’est plus nécessaire. »

La façon dont Sean avala sa salive indiqua à Fran qu’il ne se contentait pas d’en pincer pour elle. Il avait l’air d’être complètement amoureux. Cela risquait de devenir un problème.

« Et vous, Francisco ? demanda le docteur Patel. Vous recherchez aussi une épouse ?

— Je ne peux donner mon cœur à personne. Il est déjà brisé. »

Il avait dit ça avec un sourire, espérant déclencher quelques rires. Il n’en récolta aucun. Tous connaissaient sa situation.

« C’est un peu cliché, mais on dit que l’amour guérit toutes les blessures, » dit le docteur Patel.

Fran aurait voulu lui répondre que l’amour ne pouvait pas déplacer des morceaux de métal, mais il garda sa langue dans sa poche et hocha la tête.

« Si vous n’êtes pas prêt pour l’amour, peut-être pouvez-vous au moins donner un peu de votre temps pour inspirer la prochaine génération ? C’est le jour des jeunes à l’église demain. Quelque chose me dit que votre point de vue, en particulier au sujet des bienfaits d’une bonne éducation, pourrait éclairer quelques jeunes âmes. »

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