Kitabı oku: «Les vacances / Каникулы. Книга для чтения на французском языке», sayfa 2

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MARGUERITE, avec vivacité

Qu’il a plus d’esprit que toi et qu’il pouvait te jouer un tour innocent, sans que tu aies le droit de t’en fâcher.

LÉON, piqué

Aussi35 je ne m’en fâche pas, mesdemoiselles; soyez assurées que je saurai respecter l’esprit et la sagesse de votre protégé.

MARGUERITE, vivement

Un protégé qui deviendra bientôt un protecteur.

JACQUES, à Marguerite avec vivacité

Et qui ne se mettra pas derrière toi quand il y aura un danger à courir.

LÉON, avec colère

De quoi et de qui veux-tu parler, polisson?

JACQUES, vivement

D’un poltron et d’un égoïste.»

Camille, craignant que la dispute ne devînt sérieuse, prit la main de Léon et lui dit affectueusement:

«Léon, nous perdons notre temps; et toi, qui es le plus sage et le plus intelligent de nous tous, dirige-nous pour notre pauvre cabane si en retard, et distribue à chacun de nous l’ouvrage qu’il doit faire.

– Je me mets sous tes ordres», s’écria Jacques, qui regrettait sa vivacité.

Léon, que la petite flatterie de Camille avait désarmé, se sentit tout à fait radouci par la déférence de Jacques, et, oubliant la parole trop vive que celui-ci venait de prononcer, il courut aux outils, donna à chacun sa tâche, et tous se mirent à l’ouvrage avec ardeur. Pendant deux heures ils travaillèrent avec une activité digne d’un meilleur sort; mais leurs pièces de bois ne tenaient pas bien, les planches se détachaient, les clous se tordaient. Ils recommençaient avec patience et courage le travail mal fait, mais ils avançaient peu. Le petit Jacques semblait vouloir racheter ses paroles par un zèle au-dessus de son âge. Il donna plusieurs excellents conseils, qui furent suivis avec succès. Enfin, fatigués et suants, ils laissèrent leur maison jusqu’au lendemain, après avoir jeté un regard d’envie sur celle de Jacques déjà presque achevée. Jacques, qui avait semblé mal à l’aise depuis la querelle, les quitta pour rentrer, disait-il, et il alla droit chez son père, qui le reçut en riant.

M. DE TRAYPI

Eh bien, mon Jacquot, nous avons été serrés de près! J’ai bien manqué d’être pris! si tu ne t’étais pas jeté entre le fourré où j’étais et Jean, il m’aurait attrapé tout de même. C’est égal, nous avons bien avancé la besogne; j’ai demandé à Martin de tout finir pendant notre dîner, et demain ils seront bien surpris de voir que ton ouvrage s’est fait en dormant.

– Oh! non, papa, je vous en prie, dit Jacques en jetant ses petits bras autour du cou de son père. Laissez ma maison et faites finir celle de mes pauvres cousins.

– Comment! dit le père avec surprise, toi qui tenais tant à attraper Léon (il l’a mérité, il faut l’avouer), tu veux que je laisse ton ouvrage pour faire le sien!

JACQUES

Oui, mon cher papa, parce que j’ai été méchant pour lui, et cela me fait de la peine de le taquiner, depuis qu’il a été bon pour moi: car il pouvait et devait me battre pour ce que je lui ai dit, et il ne m’a même pas grondé.»

Et Jacques raconta à son papa la scène qui avait eu lieu au jardin.

M. DE TRAYPI

Et pourquoi l’as-tu accusé d’égoïsme et de poltronnerie, Jacques? Sais-tu que c’est un terrible reproche? Et en quoi l’a-t-il mérité?

JACQUES

Vous savez, papa, que le matin, lorsque nous nous sommes sauvés et cachés dans le bois, Camille et Madeleine, nous entendant remuer, ont cru que c’étaient des loups ou des voleurs. Jean s’est jeté devant elles, et Léon s’est mis derrière, et je voyais à travers les feuilles, à son air effrayé, que, si nous bougions encore, il se sauverait, au lieu d’aider Jean à les secourir. C’est cela que je voulais lui reprocher, papa, et c’était très méchant à moi, car c’était vrai.

M. DE TRAYPI, l’embrassant en souriant

Tu es un bon petit garçon, mon petit Jacquot; ne recommence pas une autre fois; et moi je vais faire finir leur maison pour être de moitié dans ta pénitence.»

Jacques embrassa bien fort son papa et courut tout joyeux rejoindre ses cousins, cousines et amies, qui s’amusaient tranquillement sur l’herbe.

Le lendemain, quand les enfants, accompagnés cette fois de Sophie et de Marguerite, allèrent à leur jardin surprise de les voir toutes deux entièrement finies, et même ornées de portes et de fenêtres! Ils s’arrêtèrent tout stupéfaits. Sophie, Jacques et Marguerite les regardaient en riant.

«Comment cela s’est-il fait? dit enfin Léon. Par quel miracle notre maison se trouve-t-elle achevée?

– Parce qu’il était temps de faire finir une plaisanterie qui aurait pu mal tourner, dit M. de Traypi sortant de dedans le bois. Jacques m’a raconté ce qui s’était passé hier, et m’a demandé de vous venir en aide comme je l’avais fait pour lui dès le commencement. D’ailleurs, ajouta-t-il en riant, j’ai eu peur d’une seconde poursuite comme celle d’hier. J’ai eu toutes les angoisses d’un coupable. Deux fois j’ai été à deux pas de mes poursuivants. Toi, Jean, tu me premais, sans la présence de Jacques, et toi, Léon, tu m’as effleuré en passant près d’un buisson où je m’étais blotti.

JEAN

Comment, c’est vous, mon oncle, qui nous avez fait si bien courir? Vous pouvez vous vanter d’avoir de fameuses jambes, de vraies jambes de collégien.

M. DE TRAYPI, riant

Ah! c’est qu’au temps de ma jeunesse je passais pour le meilleur, le plus solide coureur de tout le collège. Il m’en reste quelque chose.»

Les enfants remercièrent leur oncle d’avoir fait terminer leurs maisons. Léon embrassa le petit Jacques, qui lui demanda tout bas pardon. «Tais-toi, lui répondit Léon, rougissant légèrement: ne parlons plus de cela.» C’est que Léon sentait que l’observation de Jacques avait été vraie. Et il se promit de ne plus la mériter à l’avenir.

Il s’agissait maintenant de meubler les maisons; chacun des enfants demanda et obtint une foule de trésors, comme tabourets, vieilles chaises, tables de rebut, bouts de rideaux, porcelaines et cristaux ébréchés36. Tout ce qu’ils pouvaient attraper était porté dans les maisons.

«Venez voir, criait Léon, le beau tapis que nous avons sous notre table.

– Et nous, au lieu de tapis, nous avons une toile cirée, répondait Sophie.

– Venez essayer notre banc: il est aussi commode que les fauteuils du salon, disait Jean.

– Venez voir notre armoire pleine de tasses, de verres et d’assiettes, disait Marguerite.

– Voyez notre coffre plein de provisions: il y a des confitures, du sucre, des biscuits, des cerises, du chocolat, disait Camille.

– Et voyez comme nous avons été gens sages, nous autres, disait Jacques; pendant que vous nous faites mal au cœur avec vos sucreries, nous nous fortifions l’estomac avec nos provisions: pain, fromage, jambon, beurre, œufs, vin.

– Ah! tant mieux, s’écria Madeleine; lorsque nous vous inviterons à déjeuner ou à goûter, vous apporterez le salé et nous le sucré.»

Chaque jour ajoutait quelque chose à l’agrément des cabanes; M. de Rugès et M. de Traypi s’amusaient à les embellir au-dedans et au-dehors. À la fin des vacances elles étaient devenues de charmantes maisonnettes; l’intervalle des planches avait été bouché avec de la mousse au-dedans comme au-dehors; les fenêtres étaient garnies de rideaux; les planches qui formaient le toit avaient été recouvertes de mousse, rattachée par des bouts de ficelle pour que le vent ne l’emportât pas37. Le terrain avait été recouvert de sable fin. Quand il fallut se quitter, les cabanes entrèrent pour beaucoup dans les regrets de la séparation. Mais les vacances devaient durer près de deux mois: on n’était encore qu’au troisième jour et l’on avait le temps de s’amuser.

III. Visite au moulin

«Je propose une grande promenade au moulin, par les bois, dit M. de Rugès. Nous irons voir la nouvelle mécanique établie par ma sœur de Fleurville, et pendant que nous examinerons les machines, vous autres enfants vous jouerez sur l’herbe, où l’on vous préparera un bon goûter de campagne: pain bis, crème fraîche, lait caillé38, fromage, beurre et galette de ménage. Que ceux qui m’aiment me suivent!39»

Tous l’entourèrent au même instant.

«Il paraît que tout le monde m’aime, reprit M. de Rugès en riant. Allons, marchons en avant!

– Hé, hé, pas si vite, les petits! Nous autres gens sages et essoufflés, nous serions trop humiliés de rester en arrière.»

Les enfants, qui étaient partis au galop, revinrent sur leurs pas et se groupèrent autour de leurs parents.

La promenade fut charmante, la fraîcheur du bois tempérait la chaleur du soleil; de temps en temps on s’asseyait, on causait, on cueillait des fleurs, on trouvait quelques fraises.

«Nous voici près du fameux chêne où j’ai laissé ma poupée, dit Marguerite; je n’oublierai jamais le chagrin que j’ai éprouvé lorsque, en me couchant, je me suis aperçue que ma poupée, ma jolie poupée, était restée dans le bois pendant l’orage.

– Quelle poupée? dit Jean; je ne connais pas cette histoire-là.

– Il y a longtemps de cela, dit Marguerite. La méchante Jeannette me l’avait volée.

JEAN

Jeannette la meunière?

MARGUERITE

Oui, précisément, et sa maman l’a bien fouettée, je t’assure; nous l’entendions crier à plus de deux cents pas.

JACQUES

Oh! raconte-nous cela, Marguerite. Voilà maman, papa, ma tante et mes oncles pour quelque temps; nous pouvons entendre ton histoire.»

Marguerite s’assit sur l’herbe, sous ce même chêne où sa poupée était restée oubliée par elle; elle leur raconta toute l’histoire et comment la poupée avait été retrouvée chez Jeannette, qui l’avait volée.

«Cette Jeannette est une bien méchante fille, dit Jacques, qui avait écouté avec une indignation croissante, les narines, gonflées, les yeux étincelants, les lèvres serrées. Je suis enchanté que sa maman l’ait si bien corrigée. Est-elle devenue bonne depuis?

SOPHIE

Bonne! Ah oui! C’est la plus méchante fille de l’école.

MARGUERITE

Maman dit que c’est une voleuse.

CAMILLE

Marguerite! Marguerite! Ce n’est pas bien, ce que tu dis là. Tu fais tort à une pauvre fille qui est peut-être honteuse et repentante de ses fautes passées.

MARGUERITE

Ni honteuse ni repentante, je t’en réponds.

CAMILLE

Comment le sais-tu?

MARGUERITE

Parce que je vois bien à son air impertinent, à son nez en l’air40 quand elle passe devant nous, parce qu’à l’église elle se tient très mal, elle se couche sur son banc, elle bâille, elle cause, elle rit; et puis elle a un air faux et méchant.

MADELEINE

Cela, c’est vrai, je l’ai même dit à sa mère.

LÉON

Et que lui a dit la mère Léonard?

MADELEINE

Rien, je pense, puisqu’elle a continué comme avant.

SOPHIE

Et tu ne dis pas que la mère t’a répondu: «Qu’est-ce que ça vous regarde, mam’selle?41 Je ne me mêle pas de vos affaires: ne vous occupez pas des nôtres.»

JEAN

Comment! elle a osé te répondre si grossièrement? Si j’avais été là, je l’aurais joliment rabrouée42 et sa Jeannette aussi.

MADELEINE, souriant

Heureusement que tu n’étais pas là. La mère Léonard se serait prise de querelle43 avec toi et t’aurait dit quelque grosse injure.

JEAN

Injure! Ah bien! je lui aurais donné une volée de coups de poing et de coups de pied; je suis fort sur la savate44, va! Je l’aurais mise en marmelade45 en moins de deux minutes.

LÉON, levant les épaules

Vantard, va! C’est elle qui t’aurait rossé46.

JEAN

Rossé! moi! veux-tu que je te fasse voir si je sais donner une volée en moins de rien?»

Et Jean se lève, ôte sa veste et se met en position de bataille. Jacques lui offre de lui servir de second.

Tous les enfants se mettent à rire. Jean se sent un peu ridicule, remet son habit et rit de lui-même avec les autres. Léon persifle Jacques, qui riposte en riant; Marguerite le soutient; Léon commence à devenir rouge et à se fâcher. Camille, Madeleine, Sophie et Jean se regardent du coin de l’œil et cherchent par leurs plaisanteries à arrêter la querelle commençante; leurs efforts ne réussissent pas; Jacques et Marguerite taquinent Léon, malgré les signes que leur sont Camille et Madeleine.

Léon se lève et veut chasser Jacques, qui, plus leste que lui, court, tourne autour des arbres, lui échappe toujours et revient toujours à sa place. Léon s’essuie le front, il est en nage et tout à fait en colère.

«Viens donc m’aider, dit-il à Jean. Tu es là comme un grand paresseux à me regarder courir.

JEAN

À ton aide, pour quoi faire?

LÉON

Pour attraper ce mauvais gamin, pardi47!

JEAN, froidement

Et après?

LÉON

Après…, après…, pour m’aider à lui donner une leçon.

JEAN, de même

Une leçon de quoi?

LÉON

De respect, de politesse pour moi, qui ai presque le double de son âge.

JEAN

De respect! Ha! ha! ha! Quel homme respectable tu fais en vérité!

MARGUERITE

Ne faudrait-il pas que nous nous prosternassions devant toi?48

JEAN

Dans tous les cas, lors même que Jacques t’aurait offensé, je serais honteux de me mettre avec toi contre lui, pauvre petit qui a, comme tu le dis très bien, la moitié de ton âge. Ce serait un peu lâche, dis donc, Léon, comme trois ou quatre contre un?

LÉON

Tu es ennuyeux, toi, avec tes grands sentiments, ta sotte générosité.

JEAN

Tu appelles grands sentiments et générosité que deux grands garçons de treize ans et de onze ans ne se réunissent pas pour battre un pauvre enfant de sept ans qui ne leur a rien fait?

LÉON

Ce n’est rien, de me taquiner comme il le fait depuis un quart d’heure?

JEAN

Ah bah! Tu l’as taquiné aussi. Défends-toi tout seul. Tant pis pour toi, s’il est plus fort que toi à la course et au coup de langue.»

Jacques avait écouté sans mot dire. Sa figure intelligente et vive laissait voir tout ce qui se passait en son cœur de reconnaissance et d’affection pour Jean, de regret d’avoir blessé Léon. Il se rapprocha petit à petit, et au dernier mot de Jean il fit un bond vers Léon et lui dit:

«Pardonne-moi, Léon, de t’avoir fâché; j’ai eu tort, je le sens; et j’ai entraîné Marguerite à mal faire, comme moi; elle en est bien fâchée, comme moi aussi: n’est-ce pas, Marguerite?

MARGUERITE

Certainement, Jacques, j’en suis bien fâchée; et Léon voudra bien nous excuser en pensant que, toi et moi étant les plus petits, nous nous sentons les plus faibles, et qu’à défaut de nos bras nous cherchons à nous venger par notre langue des taquineries des plus forts.»

Léon ne dit rien, mais il donna la main à Marguerite, puis à Jacques.

Les papas et les mamans, qui étaient assis et causaient plus loin, se levèrent pour continuer la promenade. Les enfants les suivirent; Jacques s’approcha de Jean et lui dit avec tendresse:

«Jean, je t’aime, et je t’aimerai toujours.

MARGUERITE

Et moi aussi, Jean, je t’aime, et je te remercie d’avoir défendu mon cher Jacques contre Léon.»

Et elle ajouta tout bas à l’oreille de Jean: «Je n’aime pas Léon».

Jean sourit, l’embrassa et lui répondit tout bas:

«Tu as tort; il est bon, je t’assure.

MARGUERITE

Il fait toujours comme s’il était méchant.

JEAN

C’est qu’il est vif, il ne faut pas le fâcher.

MARGUERITE

Il se fâche toujours.

JEAN

Avoue que, Jacques et toi, vous vous amusez à le taquiner.»

Jacques et Marguerute se regardèrent, sourirent, et avouèrent que Léon les agaçait avec son air moqueur, et qu’ils aimaient à le contrarier49.

«Eh bien, dit Jean, essayez de ne pas le contrarier, et vous verrez qu’il ne se fâchera pas et qu’il ne sera pas méchant.»

Tout en causant, on approcha du moulin; les enfants virent avec surprise une foule de monde assemblée tout autour; une grande agitation régnait dans cette foule; on allait et venait, on se formait en groupes, on courait d’un côté, on revenait avec précipitation de l’autre. Il était clair que quelque chose d’extraordinaire se passait au moulin.

« Serait-il arrivé un malheur, et d’où peut venir cette agitation? dit Mme de Rosbourg.

– Approchons, nous saurons bientôt ce qui en est», répondit Mme de Fleurville.

Les enfants regardaient d’un œil curieux et inquiet. En approchant on entendit des cris, mais ce n’étaient pas des cris de douleur, c’étaient des explosions de colère, des imprécations, des reproches. Bientôt on put distinguer des uniformes de gendarmes; une femme, un homme et une petite fille se débattaient contre deux de ces braves militaires qui cherchaient à les maintenir. La petite fille et sa mère poussaient des cris aigus et lamentables; le père jurait, injuriait tout le monde. Les gendarmes, tout en y mettant la plus grande patience, ne les laissaient pas échapper. Bientôt les enfants purent reconnaître le père Léonard, sa femme et Jeannette.

«Voyons, ma bonne femme, laissez-vous faire, ne nous obligez pas à vous garrotter50! disait un gendarme. N’y a pas à dire, nous avons ordre de vous amener: il faudra bien que vous veniez. Le devoir avant tout.

MÈRE LÉONARD

Plus souvent que je viendrai, gueux de gendarmes51, tueurs du pauvre monde! Pas si bête que de marcher vers la prison, où vous me laisseriez pourrir jusqu’au jugement dernier.

LE GENDARME

Allons, mère Léonard, soyez raisonnable; donnez le bon exemple à votre fille.

MÈRE LÉONARD

Je m’en moque bien52, de ma fille. C’est elle, la sotte, l’imbécile, qui nous a fait prendre. Faites-en ce que vous voudrez, je n’en ai aucun souci.

– Vas-tu me laisser, grand fainéant53? criait le père Léonard à un autre gendarme qui le tenait au collet. Attends que je t’aplatisse d’un croc-en-jambe, filou, bête brute!»

Les gendarmes ne répondaient pas à ces invectives54 et à bien d’autres injures que nous passons sous silence. Voyant que leurs efforts pour faire marcher les prisonniers étaient vains, ils firent signe à un troisième gendarme. Celui-ci tira de sa poche un paquet de petites courroies55. Malgré les cris perçants de Jeannette et de sa mère et les imprécations du père, les gendarmes leur lièrent les mains, les pieds, et les assirent ainsi garrottés sur un banc, pendant que l’un d’eux allait chercher une charrette pour les transporter à la prison de la ville.

Mme de Fleurville et ses compagnes étaient restées un peu à l’écart avec les enfants. MM. de Rugès et de Traypi s’étaient approchés des gendarmes pour savoir la cause de cette arrestation. Léon et Jean les avaient suivis.

«Pourquoi arrêtez-vous la famille Léonard, gendarmes? demanda M. de Rugès. Qu’ont-ils fait?

– C’est pour vol, monsieur, répondit poliment le gendarme en touchant son chapeau; il y a longtemps qu’on porte plainte contre eux, mais ils sont habiles; nous ne pouvions pas les prendre. Enfin, l’autre jour, au marché, la petite s’est trahie et nous a mis sur la voie.

M. DE RUGÈS

Comment cela?

LE GENDARME

Il paraîtrait qu’ils ont volé une pièce de toile56 qui était à blanchir sur l’herbe. Ils l’ont cachée dans leur huche à pain, sous de la farine: mais, dans la nuit, la petite s’est dit: «Puisque mon père et ma mère ont volé la toile de la femme Martin, je puis bien aussi leur en voler un morceau; ça fait que j’aurai de quoi acheter des gâteaux et des sucres d’orge.» La voilà qui se lève et qui en coupe un bon bout. C’était la veille du marché. Le lendemain, la petite se dit: «Ce n’est pas tout d’avoir la toile, il faut encore que je la vende.» Et la voilà qui, sans rien dire à père et mère, part pour le marché et offre sa toile à la fille Chartier. «Combien en as-tu? lui dit la fille Chartier. «– J’en ai bien six mètres, de quoi faire deux chemises, répond la petite Léonard. – Combien que tu veux la vendre? – Ah! pas cher, je vous la donnerai bien pour une pièce de cinq francs. – Tope là57, et je te la prends; tiens, voilà la pièce et donne-moi la toile.» Les voici bien contentes toutes les deux, la petite Léonard d’avoir cinq francs, la fille Chartier d’avoir de quoi faire deux chemises et pas cher. Mais, quand elle la rapporte chez elle, qu’elle la montre à sa mère et qu’elle la déploie pour mesurer si le compte y est, ne voilà-t-il pas que la farine s’envole de tous côtés; la chambre en était blanche; la mère et la fille Chartier étaient tout comme des meunières. «Qu’est-ce que c’est que ça? disent-elles. Cette toile a donc été blanchie à la farine? Faut la secouer. Viens, Lucette, secouons-la dans la rue; ce sera bien vite fait.» Les voilà qui secouent devant leur porte, quand passe la mère Martin. «Où allez-vous donc, que vous avez l’air si affairée? lui demanda la mère Chartier. – Ah! je vais porter plainte à la gendarmerie: on m’a volé ma belle pièce de toile cette nuit. Faut que je tâche de la rattraper. – Et moi je viens d’en acheter un bout qui n’est pas cher, dit la mère Chartier. – Tiens, dit l’autre en la regardant, mais c’est tout comme la mienne. Qu’est-ce que vous lui faites donc à votre toile? – Je la secoue; elle était si pleine de farine que nous en étions aveuglées, Lucette et moi. – Tiens, tiens! de la toile enfarinée? Mais où donc l’avez-vous eue? – C’est la petite Léonard qui me l’a vendue comme ça. – La petite Léonard? Où a-t-elle pu avoir de la toile aussi fine?… Mais!… laissez-moi donc voir le bout; cela ressemble terriblement à la mienne.» La mère Martin prend la toile, l’examine, arrive au bout et reconnaît une marque qu’elle avait faite à sa pièce. Les voilà toutes trois bien étonnées: la mère Martin bien contente d’être sur la piste de sa toile; la mère Chartier bien attrapée d’avoir donné sa pièce de cinq francs pour un bout de toile qui était volée; elles arrivent toutes trois chez moi et me racontent ce qui vient d’arriver. «Toute votre toile y est-elle? je dis à la femme Martin. – Pour ça non! répond-elle. Il y en avait près de cinquante mètres. – Alors il faut tâcher de ravoir les quarante-quatre mètres qui vous manquent, mère Martin. Laissez-moi faire; je crois bien que je vous les retrouverai. Nous allons bien surveiller le marché; si la femme ou le père Léonard y apporte votre toile, je les arrête; s’ils n’y viennent pas ou qu’ils y viennent avec rien que leurs sacs de farine, j’irai demain avec mes camarades faire une reconnaissance au moulin. Puisque c’est la petite Léonard qui vous en a vendu un bout, c’est que l’autre bout est au moulin. – Mais si elle la vend à quelque voisin? dit la mère Martin. – N’ayez pas peur, ma bonne femme, elle n’osera pas; tout le monde chez vous sait que votre toile est volée. – Je crois bien qu’on le sait, dit la mère Martin, je l’ai dit à tout le village, et j’ai envoyé mon garçon et ma petite le dire partout dans les environs, de crainte qu’elle ne soit vendue par là. – Vous voyez bien qu’il n’y a pas de danger», que je lui réponds. Et je me mets en quête58 avec les camarades. Rien au marché, rien dans la ville. Alors nous sommes venus ce matin faire notre visite au moulin, avec un ordre d’arrêter, s’il y a lieu. Nous avons cherché partout; nous ne trouvions rien. Les Léonard nous agonissaient d’injures. Enfin, je me rappelle la farine que secouaient les femmes Chartier, et l’idée me vient d’ouvrir la huche; elle était pleine de farine; je fouille dedans avec le fourreau de mon sabre. Les Léonard crient que je leur gâte leur farine; je fouille tout de même, et voilà-t-il pas que j’accroche un bout de la toile; je tire, il en venait toujours. C’était toute la pièce de la mère Martin. Les Léonard veulent s’échapper; mais les camarades gardaient les portes et les fenêtres. On les prend; ils se débattent. J’arrête aussi la petite, qui crie qu’elle est innocente. Je raconte l’histoire de la toile enfarinée. La petite Léonard se trouble, pleure; la mère s’élance sur elle et la frappe à la joue; le père en fait autant sur le dos. Si les camarades et moi nous ne l’avions retirée d’entre leurs mains, ils l’auraient mise en pièces59. Tout cela a duré un bout de temps, monsieur; le monde s’est rassemblé; il y en a plus que je ne voudrais, car c’est toujours pénible de voir une jeune fille comme ça déshonorée, et des parents qui ont mené leur fille à mal.

– Vous êtes un brave et digne soldat, dit M. de Rugès en lui tendant la main; le sentiment d’humanité que vous manifestez à l’égard de ces gens qui vous ont accablé d’injures est noble et généreux.»

Le gendarme prit la main de M. de Rugès et la serra avec émotion.

«Notre devoir est souvent pénible à accomplir, et peu de gens le comprennent; c’est un bonheur pour nous de rencontrer des hommes justes comme vous, monsieur.»

Léon et Jean avaient écouté avec attention le récit du gendarme. Les dames et les enfants s’étaient aussi rapprochés et avaient pu l’entendre également, de sorte que Léon et Jean n’eurent rien à leur apprendre. Les Léonard avaient recommencé leurs injures et leurs cris; ces dames pensèrent que, n’ayant rien à faire pour les Léonard, il était plus sage de s’éloigner, de crainte que les enfants ne fussent trop impressionnés de ce qu’ils entendaient. On avait été obligé d’éloigner Jeannette de ses parents, qui, tout garrottés qu’ils étaient, voulaient encore la maltraiter. Mmes de Fleurville et de Rosbourg, et le reste de la compagnie, se dirigèrent vers une partie de la forêt assez élognée du moulin pour qu’on ne pût rien voir ni entendre de ce qui s’y passait. Les enfants étaient restés tristes et silencieux, sous l’impression pénible de la scène du moulin. M. de Rugès demanda à faire une halte60 et à étaler sur l’herbe61 les provisions que portait l’âne qui les suivait; ce moyen de distraction réussit très bien. Les enfants ne se firent pas prier62; ils firent honneur au repas rustique; crème, lait caillé, beurre, galette, fraises des bois, tout fut mangé. Ils causèrent beaucoup de Jeannette et de ses parents.

LÉON

Comment Jeannette a-t-elle pu devenir assez mauvaise pour voler et vendre cette toile avec tant d’effronterie?

MADAME DE FLEURVILLE

Parce que son père et sa mère lui donnaient l’exemple du vol et du mensonge. Bien des fois ils m’ont volé du bois, du foin63, du blé, et ils se faisaient toujours aider par Jeannette64. Tout naturellement, elle a voulu profiter de ces vols pour elle-même.

CAMILLE

Mais comment osait-elle aller à l’église et au catéchisme? Comment ne craignait-elle pas que le bon Dieu la punît de sa méchanceté!

MADAME DE FLEURVILLE

Elle se tenait très mal à l’église; elle bâillait, elle détirait ses bras65, elle se roulait sur son banc: ce qui prouve bien qu’elle n’y allait pas pour prier, mais pour faire comme tout le monde.

MADELEINE

Mais au catéchisme elle devait apprendre que c’est très mal de voler.

MADAME DE FLEURVILLE

Elle l’apprenait, mais elle n’y faisait pas attention.

JEAN

Eh, mon Dieu! c’est comme nous: si nous faisions tout ce que dit notre catéchisme, nous ne ferions jamais rien de mal.

LÉON

Dis-donc, Jean, parle pour toi; ne dis pas nous: moi, d’abord, je fais tout ce que me dit le catéchisme.

JACQUES

Ah! par exemple, non.

LÉON

Est-ce que tu y comprends quelque chose, toi, gamin! Tu parles toujours sans savoir ce que tu dis.

JACQUES

Est-ce ton catéchisme qui t’ordonne de répondre comme tu le fais? Est-ce bien lui qui te conseille de me battre quand tu es en colère, de dire des gros mots66 et bien d’autres choses encore?

LÉON

Imbécile, va! si je ne méprisais ta petitesse, je te ferais changer de ton.

JACQUES

Tu méprises ma petitesse et tu crains papa et mon oncle, sans quoi....

M. DE TRAYPI , sévèrement

Jacques, tais-toi; tu provoques toujours Léon, qui n’est pas endurant, tu le sais.

JACQUES

Oh oui! je le sais, papa, et j’ai tort; mais,… mais,… c’était si tentant....

M. DE TRAYPI

Comment? tentant de dire des choses désagréables à ton grand cousin?

JACQUES

Papa, c’est précisément parce qu’il est grand; et comme vous étiez là pour me protéger....

M. DE TRAYPI , sévèrement

Tu t’es laissé aller67. Ce n’est pas bien, Jacques; ne recommence pas.

M. DE RUGÈS

À ton tour, Léon, tu mérites un reproche bien plus sévère que Jacques, parce que tu es plus grand.

LÉON

Je n’ai rien fait de mal, papa, ce me semble68.

M. DE RUGÈS

Tu as été orgueilleux, impatient et maussade; tâche de ne pas recommencer non plus, toi; si je me mêle de tes discussions, ce ne sera pas pour te soutenir.

– Et pour tout oublier, dit Mme de Fleurville en se levant, je propose une partie de cache-cache, de laquelle nous serons tous, petits et grands, jeunes et vieux.

– Bravo, bravo! ce sera bien amusant, s’écrièrent tous les enfants. Voyons, qui est-ce qui l’est?

– Il faut l’être deux, dit Mme de Rosbourg; ce serait trop difficile de prendre étant seul.

– Ce sera moi et ma sœur de Fleurville, dit M. de Traypi; ensuite de Rugès avec Mme de Rosbourg; puis ceux qui se laisseront prendre. Une, deux, trois. La partie commence: le but est à l’arbre près duquel nous nous trouvons.»

Toute la bande se dispersa pour se cacher dans des buissons ou derrière des arbres.

«Défendu de grimper aux arbres! cria Mme de Traypi.

– Hou! hou! crièrent plusieurs voix de tous les côtés.

– C’est fait, dit M. de Traypi. Prenez de ce côté, ma sœur; je prendrai de l’autre.»

Ils partirent tout doucement chacun de leur côté, marchant sur la pointe des pieds, regardant derrière les arbres, examinant les buissons.

«Attention, mon frère! cria Mme de Fleurville, j’entends craquer les branches de votre côté.

– Ah! j’en tiens un», s’écria M. de Traypi en s’élançant dans un buisson.

Mais il avait parlé trop vite; Camille et Jean étaient partis comme des flèches et arrivèrent au but avant que M. de Traypi eût pu les rejoindre. Pendant ce temps Mme de Fleurville avait découvert Léon et Madeleine, elle se mit à leur poursuite; M. de Traypi accourut à son aide; pendant qu’ils les poursuivaient, Marguerite et Jacques les croisèrent en courant vers le but. Mme de Fleurville, croyant ceux-ci plus faciles à prendre, abandonna Léon et Madeleine à M. de Traypi et courut après Marguerite et Jacques; mais, tout jeunes qu’ils étaient, ils couraient mieux qu’elle, qui en avait perdu l’habitude, et ils arrivèrent haletants et en riant au but, au moment où elle allait les atteindre.

Essoufflée, fatiguée, elle se jeta sur l’herbe en riant, et y resta quelques instants pour reprendre haleine69. Elle alla ensuite rejoindre son frère, qui faisait vainement tous ses efforts pour attraper Léon, Madeleine et les grands; quant à Sophie, elle n’était pas encore trouvée. À force d’habileté et de persévérance, M. de Traypi finit par les prendre tous malgré leurs ruses, leurs cris, leurs efforts inouïs pour arriver au but. Sophie manquait toujours.

«Sophie, Sophie, criait-on, fais hou! qu’on sache de quel côté tu es.»

Personne ne répondait.

L’inquiétude commençait à gagner Mme de Fleurville.

«Il n’est pas possible qu’elle ne réponde pas si elle est réellement cachée, dit-elle; je crains qu’il ne lui soit arrivé quelque chose70.

35.aussi – вот почему, поэтому
36.cristaux m pl ébréchés – надтреснутый хрусталь
37.pour que le vent ne l’emportât pas – чтобы ветер ее не снес
38.lait m caillé – простокваша
39.que ceux qui m’aiment me suivent – пусть те, кто меня любит, идут за мной
40.à son nez en l’air – по ее носу, задранному вверх
41.qu’est-ce que ça vous regarde, mam’selle – какое вам до этого дело, мам’зель
42.je l’aurais joliment rabrouée – я бы ее быстро поставил на место
43.se serait prise de querelle – ввязалась бы в ссору
44.je suis fort sur la savate – у меня здорово получаются удары башмаком
45.je l’aurais mise en marmelade – я бы ее усмирил
46.c’est elle qui t’aurait rossé – она сама бы тебя поколотила
47.pardi – уст. конечно, черт возьми
48.ne faudrait-il pas que nous nous prosternassions devant toi – ирон. может, нам пасть ниц перед тобой
49.ils aimaient à le contrarier (= ils voulaient le contrarier) – им хотелось ему противоречить
50.garrotter – связывать
51.gueux de gendarmes – негодяи
52.je m’en moque bien – мне наплевать
53.grand fainéant – бездельник
54.ces invectives – эта брань
55.courroie f – ремень
56.une pièce de toile – отрез ткани
57.tope là – по рукам
58.je me mets en quête – я бросаюсь на поиски
59.ils l’auraient mise en pièces – они бы ее разорвали на кусочки
60.faire une halte – сделать привал
61.étaler sur l’herbe – разложить на траве
62.les enfants ne se firent pas prier – детей не надо было уговаривать
63.du foin – сено
64.ils se faisaient toujours aider par Jeannette – им всегда помогала Жаннет
65.détirait ses bras – потягивалась
66.dire des gros mots – говорить грубости, непристойности
67.tu t’es laissé aller – ты поволил себе лишнее
68.ce me semble (= il me semble) – кажется
69.reprendre haleine – передохнуть
70.je crains qu’il ne lui soit arrivé quelque chose – боюсь, как бы с ней что-нибудь не случилось

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Yaş sınırı:
0+
Litres'teki yayın tarihi:
07 ekim 2021
Yazıldığı tarih:
1858
Hacim:
220 s. 1 illüstrasyon
ISBN:
978-5-9925-1531-2
Telif hakkı:
КАРО
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