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Kitabı oku: «La vie de Rossini, tome I», sayfa 9

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CHAPITRE VII
GUERRE DE L'HARMONIE CONTRE LA MÉLODIE

Je demande la permission de placer ici une digression qui abrégera beaucoup les discussions auxquelles nous allons être conduits par la vie orageuse que Rossini va mener, et par les succès disputés qui formèrent son lot aussitôt que les pédants l'eurent honoré de leur haine, et que tous les compositeurs quelconques, grands et petits, se furent ligués contre lui.

L'envie une fois réveillée à Bologne contre Rossini, ne lui permit plus d'obtenir les succès faciles de sa première jeunesse.

Rossini se moque des pédants; mais s'il eut toujours assez de mépris pour les individus, l'espèce tout entière ne laissa pas que d'avoir beaucoup d'influence sur ses ouvrages, et une influence fatale.

Pour éclaircir l'idée, assez obscure, que les littérateurs de toutes les nations se sont faite du mot goût, on en est souvent revenu à la signification simple de ce mot. Les plaisirs du goût, dans le sens propre, sont ceux que sent un enfant auquel sa mère vient de donner une belle pêche.

Je m'empare, au profit de l'art musical, de ce joli enfant, si joyeux en ouvrant sa belle pêche: le goût des sucreries et des saveurs douces disparaîtra bientôt chez lui; je le vois, à peine arrivé à seize ans, s'abreuver de bière avec délices, et cependant cette liqueur est d'un goût assez âpre, et qui offense d'abord, mais elle a beaucoup de piquant. Les sucreries sembleraient fades à ce jeune écolier que je vois demander de la bière avec tant d'empressement, en quittant une partie de barres.

Quelques années plus tard, ce n'est plus seulement la bière qui lui plaît; l'éloignement qu'il éprouve pour ce qu'il appelle les saveurs insipides, lui fait demander un mets allemand, le saur-craut; ce mot baroque veut dire choux aigre. Il y a loin de là à la pêche, dont le parfum délicieux faisait son bonheur à trois ans. Pour terminer ma comparaison par des noms plus nobles, je rappellerai que le grand Frédéric, l'ami de Voltaire, parvenu à un âge avancé, avait un tel goût pour la cuisine fortement assaisonnée et les épices, que l'honneur de dîner à la table du roi était devenu une corvée pour les jeunes officiers français que la mode faisait courir aux revues de Potsdam.

A mesure que l'homme vieillit, il perd le goût des fruits et des sucreries, qui charmaient son enfance, et contracte celui des choses piquantes et fortes. Boire de l'eau-de-vie serait un supplice pour un marmot de six ans, s'il n'était pas tout fier de faire usage du verre de papa.

Cette soif toujours croissante pour les aliments d'un goût piquant, cet éloignement pour ceux qui n'ont qu'une saveur douce et suave, voilà l'image, peut-être un peu trop vulgaire, mais d'ailleurs fort exacte, des révolutions de la musique de l'an 1730 à l'année 1823. Je compare la mélodie simple et charmante pour l'oreille, aux fruits parfumés et doux qui font tant de plaisir dans l'enfance. L'harmonie, au contraire, représente les mets piquants, âpres, fortement assaisonnés, dont le goût blasé éprouve le besoin en avançant dans la vie. C'est vers l'an 1730 que les Leo47, les Vinci48, les Pergolèse49, inventèrent, à Naples, les chants les plus doux, les mélodies les plus suaves, les cantilènes les plus voluptueuses dont il ait été donné à l'oreille humaine d'avoir la jouissance.

Je supprime les détails historiques, qui, en arrêtant l'attention, diminueraient la clarté du point de vue général que je veux faire remarquer au lecteur.

De 1730 à 1823, le peuple musical, semblable à un jeune enfant qui devient un brillant jeune homme, et ensuite un vieillard un peu blasé, s'est toujours éloigné du genre doux et suave, pour courir au genre piquant et fort. On pourrait dire qu'il a laissé les pêches et leur délicieux parfum pour demander du saur-craut, des sauces épicées et du kirsch waser, aux grands compositeurs chargés de ses plaisirs, et qu'il paie avec de la gloire. Toutes ces comparaisons ne sont pas bien nobles, je l'avoue, mais elles me semblent claires.

Cette révolution, qui occupe un intervalle de quatre-vingt-dix ans dans les annales de l'esprit humain, a eu des périodes différentes et successives. Où s'arrêtera-t-elle? Je l'ignore: tout ce que je sais, c'est qu'à chaque période (et chacune d'elles a duré douze ou quinze ans, à peu près le temps qu'un grand compositeur est à la mode) à chaque période, dis-je, on a cru être arrivé au terme de la révolution.

Moi-même, je suis probablement aussi dupe de mes sensations, qu'aucun de mes devanciers, en proclamant que la perfection de l'union de la mélodie antique avec l'harmonie moderne, c'est le style de Tancrède. Je suis la dupe d'un magicien qui a donné les plaisirs les plus vifs à ma première jeunesse, et, par contre-coup, je suis injuste envers la Gazza ladra et Otello, qui me présentent des sensations moins douces, moins enchanteresses, mais plus piquantes et peut-être plus fortes.

Je prie le lecteur d'avoir cette profession de foi sous les yeux, toutes les fois que je me sers des mots délicieux, sublime, parfait. Dans les moments de froide philosophie et de respect pour les gens secs, je sens bien tout le ridicule dont ces mots sont susceptibles, mais je les emploie pour abréger.

On dit en France, pour indiquer une nuance d'opinion: c'est un patriote de 89; je me dénonce moi-même comme étant un Rossiniste de 1815. Ce fut l'année où l'on admira le plus en Italie le style et la musique de Tancrède50.

Un amateur de 1780, préférant à tout, comme de juste, le style de Paisiello et de Cimarosa, trouverait probablement Tancrède aussi bruyant et aussi surchargé d'effets d'orchestre que me semblent l'être Otello et la Gazza ladra.

Loin de prétendre à une impartialité ridicule et impossible dans les arts, je proclame hardiment un principe qui me semble, du reste, tout à fait à la mode: je me déclare partial. L'impartialité dans les arts est, comme la raison en amour, le partage des cœurs froids ou faiblement épris. Je suis donc partial autant que peut l'être un bon homme de lettres. La différence, c'est que je ne veux faire pendre personne, pas même M. Maria Weber, l'auteur du Freyschütz, l'opéra allemand qui fait fureur dans ce moment aux rives de la Sprée et de l'Oder.

Un partisan du Freyschütz verra en moi un bon homme impossible à ennuyer, et qui a ses raisons pour admirer le genre simple. Il m'appliquera la phrase que je fais plus ou moins jolie, suivant que je suis plus ou moins bien né, et dont je me sers pour énoncer mon opinion sur les gens que charmait, vers l'an 1750, un opéra comique de Galuppi, avec ses longs récitatifs.

Je crois que pour être clair, je n'ai rien de mieux à faire que de placer ici la liste des enchanteurs qui ont passé successivement en Italie pour avoir atteint le dernier terme de l'art et la perfection du vrai beau.

A chaque nouveau génie qui paraissait, il s'engageait une dispute générale fort vive, et surtout impossible à terminer, entre les gens de quarante ans qui avaient vu de meilleurs temps, et les jeunes gens de vingt; car un homme de talent écrit toujours dans le style (dans le mélange proportionnel de mélodie et d'harmonie) qu'il trouve à la mode à son entrée dans le monde51.

Voici la liste des grands artistes dont le nom a successivement servi d'anathèmes pour leurs successeurs immédiats:

52 Souvent les premiers opéras d'un maestro restent les meilleurs. Le génie musical se développe de fort bonne heure; mais il faut bien accorder quatre ou cinq ans à l'opinion publique pour qu'un compositeur fasse décidément négliger l'homme de talent qui l'a précédé. Je pense que c'est vers l'âge de vingt-cinq ans que les compositeurs célèbres dont je donne la liste, ont commencé à être fort à la mode.


Je mets ces deux grands noms ensemble, par l'effet combiné de l'éloignement des lieux, de la difficulté de lire Mozart, et du mépris des Italiens pour les artistes étrangers: on peut dire que Mozart et Rossini ont débuté ensemble en Italie vers l'an 1812.

Aujourd'hui il y a un maestro qui fait oublier l'auteur de Tancrède: c'est celui de la Gazza ladra, de Zelmire, de Sémiramis, de Mosè, d'Otello; c'est le Rossini de 182053.

Je supplie que l'on me permette une seconde comparaison.

Voyez deux rivières majestueuses prendre leur source en des contrées éloignées, parcourir des régions fort différentes, et cependant finir par confondre leurs eaux: tels sont le Rhône et la Saône. Le Rhône tombe des glaciers du mont Saint-Gothard, entre la Suisse et l'Italie. La Saône prend sa source dans le nord de la France; le Rhône parcourt en bondissant la vallée étroite et pittoresque du Valais; la Saône arrose les fertiles campagnes de la Bourgogne. Ces grands cours d'eau viennent enfin se réunir sous les murs de Lyon, pour former ce fleuve majestueux et rapide, le plus beau de France, qui va passer si vivement sous les arcades du pont Saint-Esprit, et faire trembler le plus hardi nautonier.

Telle est l'histoire des deux écoles de musique, l'allemande et l'italienne; elles ont pris naissance en lieux bien distants, Dresde et Naples. Alexandre Scarlatti créa l'école d'Italie, Bach créa l'école allemande54.

Ces deux grands courants d'opinions et de plaisirs différents, représentés aujourd'hui par Rossini et Weber, vont probablement se confondre pour ne former qu'une seule école; et leur réunion à jamais mémorable doit peut-être avoir lieu sous nos yeux, dans ce Paris qui, malgré les censeurs et les rigueurs, est plus que jamais la capitale de l'Europe55.

Placés par le hasard au point de la réunion, debout sur le promontoire élevé qui sépare encore ces courants majestueux, observons les derniers mouvements de leurs ondes immenses, et les derniers tourbillons qu'elles forment avant de se réunir à jamais.

D'un côté je vois Rossini donnant Zelmire à Vienne en 1823; de l'autre je vois Maria Weber triompher le même jour à Berlin avec le Freyschütz.

Dans l'école italienne de 1815, et dans l'opéra de Tancrède, que je prends comme le représentant de cette école, afin d'éviter toute idée vague ou obscure, les accompagnements ne nuisent pas au chant.

Rossini trouva ce juste degré de clair-obscur harmonique qui irrite doucement l'oreille sans la fatiguer. En me servant du mot irriter, j'ai parlé le langage des physiologistes. L'expérience prouve que l'oreille a toujours besoin (en Europe du moins) de se reposer sur un accord parfait; tout accord dissonant lui déplaît, l'irrite (ici faire une expérience sur le piano voisin), et lui donne le besoin de revenir à l'accord parfait.

CHAPITRE VIII
IRRUPTION DES CŒURS SECS. – IDÉOLOGIE DE LA MUSIQUE

L'harmonie doit-elle se faire remarquer par elle-même, et détourner notre attention de la mélodie, ou simplement augmenter l'effet de celle-ci?

J'avoue que je suis pour ce dernier parti. Je vois que dans les beaux-arts, les grands effets sont produits, en général, par une seule chose extrêmement belle, et non par la réunion de plusieurs choses médiocrement touchantes. Le cœur humain n'a que des émotions peu vives lorsque ses jouissances sont entremêlées de la nécessité de choisir entre deux plaisirs de nature différente. Si je sens le besoin d'entendre de l'harmonie magnifique, je vais à une symphonie de Haydn, de Mozart ou de Beethoven; je vais au Mariage secret, ou au Roi Théodore, si j'aime la mélodie. Si je désire jouir de ces deux plaisirs réunis autant que possible je vais voir à la Scala, Don Juan ou Tancrède. J'avoue que si je pénètre plus avant dans la nuit de l'harmonie, la musique a moins de charmes pour moi.

Il faut un tour de force pour être incorrect en écrivant une phrase de mélodie; rien n'est au contraire plus facile que de faire des fautes en notant dix mesures d'harmonie.

La science est nécessaire pour écrire de l'harmonie. Voilà la nécessité fatale qui a donné prétexte aux sots et aux pédants de toutes les couleurs, pour s'immiscer dans la musique.

Sans vouloir faire contre les savants une mauvaise épigramme, les gens qui connaissent le monde avoueront avec moi que si aujourd'hui l'Histoire de Charles XII de Voltaire se présentait incognito à l'Académie des Inscriptions pour avoir le prix, les savants académiciens ne seraient frappés, dans ce charmant ouvrage, que de quelques inexactitudes de détail, et certes il serait malheureux: tel paraît, aux yeux des pédants en musique, un ouvrage de Rossini. Je leur rends justice; ils sont de bonne foi quand ils l'injurient56.

La science du chant, telle qu'elle est aujourd'hui au Conservatoire de Paris, enseigne à produire une suite de mots bien enchaînés d'après les règles de la syntaxe; mais du reste, ces mois n'offrent aucun sens.

Rossini, au contraire, opprimé qu'il était par le nombre et la vivacité des sentiments et des nuances de sentiment qui se présentaient à la fois à son esprit, a fait quelques petites fautes de grammaire. Dans ses partitions originales il les a presque toujours notées avec une croix +, en écrivant à côté: Per soddisfazione de' pedanti. Un élève, après six mois de Conservatoire, voit ces négligences, qui souvent sont des essais.

Il nous reste à donner un coup d'œil à l'état actuel de la grammaire musicale. Ces fautes de Rossini sont-elles de véritables fautes? Qui a fait cette grammaire? sont-ce des gens supérieurs en génie à Rossini? Il ne s'agit pas ici, comme pour les langues, de noter avec une scrupuleuse fidélité les usages d'une nation; les gens qui ont écrit la langue musicale sont en trop petit nombre pour qu'il y ait, à proprement parler, un usage général. La musique attend son Lavoisier. Cet homme de génie fera des expériences sur le cœur humain et sur l'organe de l'ouïe lui-même. Tout le monde sait que le bruit d'une scie que l'on aiguise, d'un morceau de liège que l'on coupe, de deux orgues de Barbarie jouant des airs différents, ou simplement d'un papier que l'on chiffonne, suffit pour mettre aux abois certaines personnes à nerfs délicats.

Il y a des oppositions ou des accords de sons dont les effets agréables sont aussi marqués que l'est, dans un sens opposé, le cri du liège que l'on coupe ou du papier que l'on chiffonne.

Le Lavoisier de la musique, auquel j'accorde libéralement un cœur très sensible à ces effets, se livrera à plusieurs années d'expériences, après quoi il déduira de ses expériences les règles de la musique.

Dans son ouvrage, au mot colère, il nous présentera les vingt cantilènes qui lui semblent exprimer le mieux le sentiment de la colère; il en fera de même pour la jalousie, l'amour heureux, les tourments de l'absence, etc.

Souvent l'accompagnement rappelle à notre imagination une nuance de sentiment que la voix seule ne pourrait pas exprimer.

L'homme supérieur dont j'invoque la présence donnera les airs qu'il aura choisis comme exprimant le mieux la colère, avec leurs accompagnements. Font-ils plus d'effets avec ou sans accompagnements? Jusqu'à quel point peut-on compliquer ces accompagnements?

Toutes ces grandes questions, résolues par des expériences, établiront enfin une véritable théorie de la musique, basée sur la nature du cœur humain en Europe, et sur les habitudes de l'oreille.

La plupart des règles qui oppriment dans ce moment le génie des musiciens, ressemblent à la philosophie de Platon ou de Kant; ce sont des billevesées mathématiques inventées avec plus ou moins d'esprit et d'imagination, mais dont chacune a grand besoin d'être soumise au creuset de l'expérience57. Ce sont des règles impérieuses qui ne sont appuyées sur rien58, ce sont des conséquences qui ne partent d'aucun principe; mais par malheur il en est de l'autorité de ces règles comme de celle des rois; elles sont environnées de beaucoup de gens en crédit, qui ont le plus grand intérêt du monde à soutenir leur infaillibilité. Si l'on ébranle le respect pour les règles, si l'on a la scandaleuse témérité de vouloir examiner le droit qu'elles ont d'être des règles, que deviendra l'importance et la vanité d'un professeur au Conservatoire?

Voulez-vous savoir ce qui arrive aux plus spirituels d'entre eux?

Les esprits justes, M. Cherubini par exemple, arrivés à une certaine époque de leur carrière, s'aperçoivent qu'il y a absence de fondements dans l'édifice qu'ils élèvent; la peur les saisit; ils quittent l'étude du langage du cœur pour s'enfoncer dans un examen philosophique. Au lieu d'élever de belles colonnes ou des portiques élégants, ils perdent le temps de leur jeunesse à pousser en terre des fouilles profondes. Quand enfin ils sortent tout poudreux de ces tranchées obscures, leur tête est surchargée de vérités mathématiques; mais le beau temps de la jeunesse est passé, et leur cœur se trouve vide des sentiments dont la présence met en état d'écrire de la musique, comme le duetto d'Armide:

 
Amor possente nome.
 

Il y a des accords qui sont d'un effet évident, d'une expression pour ainsi dire parlante: il ne faut que les entendre une fois pour convenir de leur qualité. C'est une expérience que je conseille fort aux amateurs qui ont une âme. Le précipice dont ils ont à se garder, c'est l'impatience naturelle à tous les hommes, qui leur fera prendre le roman de la science pour son histoire.

Rien n'est pénible comme d'examiner, de douter, quand on a des plaisirs. Plus ceux de la musique sont entraînants et voluptueux, et plus les doutes sont pénibles et odieux. Dans cette position de l'âme, la moindre théorie brillante séduit et entraîne59. Comme en idéologie il faut savoir à chaque instant retenir notre intelligence qui veut courir; de même, dans la théorie des arts, il faut retenir l'âme, qui sans cesse veut jouir et non examiner60.

Il est un autre écueil, c'est celui contre lequel vont faire naufrage les âmes sèches61. Lorsqu'elles se mettent à la chasse des vérités sur cette matière, elles perdent la vue à moitié route, et prennent misérablement le difficile pour le beau.

N'est-ce point ainsi qu'a fini un des plus savants génies musicaux de l'époque actuelle?

On sent bien que je ne puis m'avancer que jusqu'au bord de ces grandes questions. Je ne puis en esquisser tout au plus que la partie morale, que celle qui est fondée sur les rapports que ces problèmes ont avec les passions du cœur humain et les habitudes de notre imagination européenne.

Comme il faut commencer une fois, peut-être un jour oserai-je donner au public un ouvrage scientifique sur ces grandes vérités. Outre qu'il sera fort malaisé à comprendre, j'ai peur qu'il ne soit fort ridicule. Je voudrais qu'il me fût possible de n'admettre à la lecture de cet ouvrage que les gens qui viennent de pleurer à Otello.

Je vais présenter quelques conséquences intelligibles de la science dans son état actuel. Les vérités les plus démontrées sont encore mêlées avec les assertions les plus téméraires et les moins prouvées. En raisonnant juste, d'après une telle science, on arrive sans cesse à des conséquences absurdes, et que la plus petite épinette suffit pour démentir.

Mais si vous aviez passé quatre ans à chercher des diamants dans une mine obscure, ne seriez-vous pas disposé à prendre pour des diamants superbes, et d'une aussi belle eau que le Régent, des morceaux de verre que des charlatans adroits vous feraient entrevoir au fond des sombres galeries de cette mine? L'orgueil naturel à l'homme pervertit en ce cas l'organe de la vue. Il faudrait une rare grandeur d'âme pour avouer qu'on a perdu quatre ans, et que l'on n'a jamais vu bien distinctement ce que des charlatans ou des professeurs de Conservatoire vous ont présenté à chaque journée de ces quatre ans, en vous disant: Ne voyez-vous pas bien clairement que tel accord est incompatible avec tel autre? et en vous liant à chaque fois par votre assentiment.

En compliquant les accompagnements, on diminue la liberté du chanteur; il ne lui est plus possible de songer à divers agréments qu'il lui eût été loisible de faire s'il y avait eu un moindre nombre d'accords dans l'accompagnement. Avec des accompagnements à l'allemande, le chanteur qui hasarde des agréments court risque à chaque instant de sortir de l'harmonie.

Après Tancrède, Rossini est devenu toujours plus compliqué.

Il a imité Haydn et Mozart, comme Raphaël, quelques années après être sorti de l'école du Pérugin, se mit à chercher la force sur les traces de Michel-Ange. Au lieu d'offrir aux hommes de la grâce et des plaisirs, il entreprit de leur faire peur.

L'orchestre de Rossini a fait tort de plus en plus au chant de ses acteurs. Toutefois ses accompagnements pèchent plutôt par la quantité que par la qualité, comme ceux des Allemands: j'entends que les accompagnements allemands ôtant toute liberté au chanteur, l'empêchent de faire les ornements que son génie lui aurait inspirés. Un Davide, par exemple, est impossible avec une instrumentazione allemande. Elle taquine la mélodie, comme disait Grétry; elle défend impérieusement au chanteur de se prévaloir de tous les moyens d'expression de son art. (Les couleurs qui chargent la palette de Davide sont les ornements et les fioriture de tous les genres.)

Cette différence dans la nature des accompagnements, en apparence également bruyants, distingue encore l'école allemande de l'école d'Italie62.

Aujourd'hui un compositeur pourrait battre Rossini et le faire oublier, en écrivant dans le style de Tancrède, bien différent du style de Mosè, d'Elisabetta, de Maometto, de la Gazza ladra.

Nous verrons plus tard quelques anecdotes relatives à la cour de Naples, qui ont forcé Rossini à changer de style. Je ne pense pas que ce grand artiste donnât d'autres raisons de son changement, si par extraordinaire il voulait une fois en sa vie parler de musique d'un ton sérieux. Il pourrait alléguer cependant que plusieurs de ses derniers opéras ont été écrits pour des salles immenses et fort bruyantes. A San Carlo et à la Scala, trois mille cinq cents spectateurs sont placés commodément. Le parterre lui-même est assis fort à l'aise sur de larges banquettes à dossier que l'on renouvelle tous les deux ans. Souvent aussi Rossini a dû écrire pour des voix fatiguées. S'il les eût laissées scoperte, chantant seules, avec peu d'accompagnements, ou s'il leur eût donné à exécuter des chants larges et soutenus (spianati e sostenuti), il aurait eu à craindre que les fautes de chant ne fussent trop évidentes, trop distinctement entendues, et fatales au maestro comme au chanteur. Un jour qu'on lui reprochait à Venise l'absence de beaux chants bien développés sur des mesures lentes: «Dunque non sapete per che cani io scrivo? répondit-il. Donnez-moi des Crivelli, et vous verrez.» Il est à peu près convenu que pour les grandes salles il faut multiplier les morceaux d'ensemble. La Gazza ladra, écrite pour l'immense salle de la Scala, paraît d'un effet plus dur qu'elle ne l'est réellement, jouée dans une petite salle fort silencieuse comme Louvois, et par un orchestre qui méprise les nuances et regarde le piano comme un signe de faiblesse63.

47.Auteur de cet air sublime et si célèbre dans les annales de la musique antique, le Misero pargoletto de Demophon.
48.Voir l'Artaxerce de Métastase, le chef-d'œuvre de Vinci.
49.Dans le genre pathétique, on n'a jamais surpassé l'air: Se cerca, se dice, de l'Olympiade. La Servante Maîtresse est un opéra buffa admirable; il ne faudrait qu'y mettre des accompagnements et en ôter les récitatifs, pour faire courir tout Paris. Voilà un grand avantage des nations étrangères, les chants de Pergolèse n'ont pas pour elles le ridicule d'être des choses passées de mode.
  Les portraits de nos grands-pères, avec leurs habits brodés à la Louis XV, sont ridicules; les fraises et les armures de nos aïeux du temps de François Ier nous les rendent au contraire vénérables, dans ces grands portraits qui nous regardent d'un air sévère.
50.En musique tout comme en littérature, un ouvrage peut avoir un fort bon style et des idées assez communes, et vice versa. Je préfère le style de Rossini, mais je trouve plus de génie à Cimarosa. Le premier final du Matrimonio segreto offre la perfection du style et des idées.
51.Avoir du goût, même en littérature, veut toujours dire habiller ses idées à la dernière mode, à la dernière mode de la très-bonne compagnie. M. l'abbé Delille avait un goût parfait en 1786.
53.Voici les époques exactes de quelques grands maîtres: Alexandre Scarlatti, né à Messine en 1650, meurt en 1730. C'est le fondateur de l'art musical moderne. – Bach, 1685, 1750. – Porpora, né en 1685, mort en 1767. – Durante, 1663, 1755. – Léo, 1694, 1745. – Galuppi, 1703, 1785. – Pergolèse, 1704, 1737. – Handel, 1684, 1759. – Vinci, 1705, 1732. – Hasse, 1705, 1783. – Jomelli, 1714, 1774. – Benda, mort en 1714. – Guglielmi, 1727, 1804. – Piccini, 1728, 1800. – Sacchini, 1735, 1786. – Sarti, 1730, 1802 – Paisiello, 1741, 1815. – Anfossi 1736, 1775. – Traetta, 1738, 1779. – Zingarelli, né en 1752. – Mayer, 1760. – Cimarosa, 1754, 1801. – Mozart, 1756, 1792. – Rossini, 1791. – Beethoven, 1772. – Paër, 1774. – Pavesi, 1785. – Mosca, 1778. – Generali, 1786. – Morlachi, né en 1788. – Pacini, né en 1800. – Caraffa, 1793. – Mercadante, 1800. – Kreutzer, de Vienne, né en 1800, l'espoir de l'école allemande.
54.Je ne garde pas toutes les avenues contre la critique.
55.Il faudrait, il est vrai, que le théâtre de l'Opéra-Buffa fût organisé d'une manière à peu près raisonnable. Il paraît qu'en 1828, le but secret est de le faire tomber. On veut nous lasser d'Otello, de Roméo et de Tancrède; il nous manque madame Fodor et un ténor.
56.Voir l'Abeille de 1821, et la Pandore du 23 juillet et du 12 août 1823.
57.Bacon dirait aussi de la musique: Humano ingenio non plumæ addendæ, sed potius plumbum et pondera.
58.Voir les Raisonnements ascétiques de Socrate, p. 200 du Platon de M. Cousin, t. I.
59.C'est l'histoire des jeunes Allemands. Leurs âmes candides s'enflamment de l'amour de la vertu; on profite de ce moment d'entraînement pour leur faire accepter une logique non prouvée, et partant ridicule.
60.A la bonne heure, suivez la route la plus agréable, ayez des plaisirs; mais alors ne dogmatisez pas.
61.The blunt minded.
62.Dans vingt ans d'ici, le public de Paris ayant fait d'immenses progrès en musique et en non affectation, tout ce que je viens de dire paraîtra suranné, et l'on osera pénétrer bien plus avant. M. Massimino sera l'un des principaux auteurs de cette révolution. Sa manière d'enseigner est digne de toutes sortes d'éloges. Voir la brochure de M. Imbinbo.
63.En parlant avec la généralité que l'on trouve dans ce chapitre, je sais bien que je prête le flanc à la critique de mauvaise foi. Pour lui ôter l'arme de la plaisanterie, et rendre ses attaques réellement difficiles, il aurait fallu augmenter de cinquante pages de phrases incidentes et explicatives, ce chapitre, déjà peut-être assez ennuyeux: c'est ce que je décline de faire; et, avec une vertu vraiment romaine, je m'immole pour le salut de mon lecteur.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
271 s. 2 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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