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Kitabı oku: «Le rouge et le noir», sayfa 4

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– Je pensais, monsieur, lui dit-il un jour, qu’il y aurait une haute inconvenance à ce que le nom d’un bon gentilhomme tel qu’un Rênal parût sur le sale registre du libraire.

Le front de M. de Rênal s’éclaircit.

– Ce serait aussi une bien mauvaise note, continua Julien, d’un ton plus humble, pour un pauvre étudiant en théologie, si l’on pouvait un jour découvrir que son nom a été sur le registre d’un libraire loueur de livres. Les libéraux pourraient m’accuser d’avoir demandé les livres les plus infâmes; qui sait même s’ils n’iraient pas jusqu’à écrire après mon nom les titres de ces livres pervers.

Mais Julien s’éloignait de la trace. Il voyait la physionomie du maire reprendre l’expression de l’embarras et de l’humeur. Julien se tut. Je tiens mon homme, se dit-il.

Quelques jours après, l’aîné des enfants interrogeant Julien sur un livre annoncé dans la Quotidienne, en présence de M. de Rênal:

– Pour éviter tout sujet de triomphe au parti jacobin dit le jeune précepteur, et cependant me donner les moyens de répondre à M. Adolphe, on pourrait faire prendre un abonnement chez le libraire par le dernier de vos gens.

– Voilà une idée qui n’est pas mal, dit M. de Rênal évidemment fort joyeux.

– Toutefois il faudrait spécifier, dit Julien, de cet air grave et presque malheureux qui va si bien à de certaines gens, quand ils voient le succès des affaires qu’ils ont le plus longtemps désirées, il faudrait spécifier que le domestique ne pourra prendre aucun roman. Une fois dans la maison, ces livres dangereux pourraient corrompre les filles de madame, et le domestique lui-même.

– Vous oubliez les pamphlets politiques, ajouta M. de Rênal, d’un air hautain. Il voulait cacher l’admiration que lui donnait le savant mezzo-termine inventé par le précepteur de ses enfants.

La vie de Julien se composait ainsi d’une suite de petites négociations, et leur succès l’occupait beaucoup plus que le sentiment de préférence marquée qu’il n’eût tenu qu’à lui de lire dans le coeur de Mme de Rênal.

La position morale où il avait été toute sa vie se renouvelait chez M. le maire de Verrières. Là, comme à la scierie de son père, il méprisait profondément les gens avec qui il vivait, et en était haï. Il voyait chaque jour dans les récits faits par le sous-préfet, par M. Valenod, par les autres amis de la maison, à l’occasion de choses qui venaient de se passer sous leurs yeux, combien leurs idées ressemblaient peu à la réalité. Une action lui semblait-elle admirable? c’était celle-là précisément qui attirait le blâme des gens qui l’environnaient. Sa réplique intérieure était toujours: Quels monstres ou quels sots! Le plaisant, avec tant d’orgueil, c’est que souvent il ne comprenait absolument rien à ce dont on parlait.

De la vie, il n’avait parlé avec sincérité qu’au vieux chirurgien-major; le peu d’idées qu’il avait étaient relatives aux campagnes de Bonaparte en Italie, ou à la chirurgie. Son jeune courage se plaisait au récit circonstancié des opérations les plus douloureuses; il se disait: Je n’aurais pas sourcillé.

La première fois que Mme de Rênal essaya avec lui une conversation étrangère à l’éducation des enfants, il se mit à parler d’opérations chirurgicales; elle pâlit et le pria de cesser.

Julien ne savait rien au-delà. Ainsi, passant sa vie avec Mme de Rênal, le silence le plus singulier s’établissait entre eux dès qu’ils étaient seuls. Dans le salon, quelle que fût l’humilité de son maintien, elle trouvait dans ses yeux un air de supériorité intellectuelle envers tout ce qui venait chez elle. Se trouvait-elle seule un instant avec lui, elle le voyait visiblement embarrassé. Elle en était inquiète, car son instinct de femme lui faisait comprendre que cet embarras n’était nullement tendre.

D’après je ne sais quelle idée prise dans quelque récit de la bonne société, telle que l’avait vue le vieux chirurgien-major, dès qu’on se taisait dans un lieu où il se trouvait avec une femme, Julien se sentait humilié comme si ce silence eût été son tort particulier. Cette sensation était cent fois plus pénible dans le tête-à-tête. Son imagination remplie des notions les plus exagérées, les plus espagnoles, sur ce qu’un homme doit dire quand il est seul avec une femme, ne lui offrait dans son trouble que des idées inadmissibles. Son âme était dans les nues, et cependant il ne pouvait sortir du silence le plus humiliant. Ainsi son air sévère, pendant ses longues promenades avec Mme de Rênal et les enfants, était augmenté par les souffrances les plus cruelles. Il se méprisait horriblement. Si par malheur il se forçait à parler, il lui arrivait de dire les choses les plus ridicules. Pour comble de misère, il voyait et s’exagérait son absurdité, mais ce qu’il ne voyait pas, c’était l’expression de ses yeux; ils étaient si beaux et annonçaient une âme si ardente, que, semblables aux bons acteurs, ils donnaient quelquefois un sens charmant à ce qui n’en avait pas. Mme de Rênal remarqua que, seul avec elle, il n’arrivait jamais à dire quelque chose de bien que lorsque, distrait par quelque événement imprévu, il ne songeait pas à bien tourner un compliment. Comme les amis de la maison ne la gâtaient pas en lui présentant des idées nouvelles et brillantes, elle jouissait avec délices des éclairs d’esprit de Julien.

Depuis la chute de Napoléon, toute apparence de galanterie est sévèrement bannie des moeurs de la province. On a peur d’être destitué. Les fripons cherchent un appui dans la congrégation; et l’hypocrisie a fait les plus beaux progrès même dans les classes libérales. L’ennui redouble. Il ne reste d’autre plaisir que la lecture et l’agriculture.

Mme de Rênal, riche héritière d’une tante dévote mariée à seize ans à un bon gentilhomme, n’avait de sa vie éprouvé ni vu rien qui ressemblât le moins du monde à l’amour. Ce n’était guère que son confesseur, le bon curé Chélan, qui lui avait parlé de l’amour, à propos des poursuites de M. Valenod, et il lui en avait fait une image si dégoûtante, que ce mot ne lui représentait que l’idée du libertinage le plus abject. Elle recardait comme une exception, ou même comme tout à fait hors de nature, l’amour tel qu’elle l’avait trouvé dans le très petit nombre de romans que le hasard avait mis sous ses yeux. Grâce à cette ignorance, Mme de Rênal, parfaitement heureuse, occupée sans cesse de Julien, était loin de se faire le plus petit reproche.

CHAPITRE VIII. PETITS ÉVÉNEMENTS

Then there were sighs, the deeper for suppression,

And stolen glances, sweeter for the theft,

And burning blushes, though for no transgression.

Don Juan C. I, st 74.

L’angélique douceur que Mme de Rênal devait à son caractère et à son bonheur actuel n’était un peu altérée que quand elle venait à songer à sa femme de chambre Élisa. Cette fille fit un héritage, alla se confesser au curé Chélan et lui avoua le projet d’épouser Julien. Le curé eut une véritable joie du bonheur de son ami, mais sa surprise fut extrême, quand Julien lui dit d’un air résolu que l’offre de Mlle Élisa ne pouvait lui convenir.

– Prenez garde, mon enfant, à ce qui se passe dans votre coeur, dit le curé fronçant le sourcil; je vous félicite de votre vocation, si c’est à elle seule que vous devez le mépris d’une fortune plus que suffisante. Il y a cinquante-six ans sonnés que je suis curé de Verrières, et cependant, suivant toute apparence, je vais être destitué. Ceci m’afflige, et toutefois j ai huit cents livres de rente. Je vous fais part de ce détail afin que vous ne vous fassiez pas d’illusions sur ce qui vous attend dans l’état de prêtre. Si vous songez à faire la cour aux hommes qui ont la puissance, votre perte éternelle est assurée. Vous pourrez faire fortune, mais il faudra nuire aux misérables, flatter le sous-préfet, le maire, l’homme considéré et servir ses passions: cette conduite, qui dans le monde s’appelle savoir-vivre, peut, pour un laïc, n’être pas absolument incompatible avec le salut, mais, dans notre état, il faut opter il s’agit de faire fortune dans ce monde ou dans l’autre, il n’y a pas de milieu. Allez, mon cher ami, réfléchissez, et revenez dans trois jours me rendre une réponse définitive. J’entrevois avec peine, au fond de votre caractère, une ardeur sombre qui ne m’annonce pas la modération et la parfaite abnégation des avantages terrestres nécessaires à un prêtre; j’augure bien de votre esprit; mais, permettez-moi de vous le dire, ajouta le bon curé, les larmes aux yeux, dans l’état de prêtre, je tremblerai pour votre salut.

Julien avait honte de son émotion, pour la première fois de sa vie, il se voyait aimé; il pleurait avec délices et alla cacher ses larmes dans les grands bois au-dessus de Verrières.

Pourquoi l’état où je me trouve? se dit-il enfin; je sens que je donnerais cent fois ma vie pour ce bon curé Chélan et cependant il vient de me prouver que je ne suis qu’un sot. C’est lui surtout qu’il m’importe de tromper, et il me devine. Cette ardeur secrète dont il me parle, c’est mon projet de faire fortune. Il me croit indigne d’être prêtre, et cela précisément quand je me figurais que le sacrifice de cinquante louis de rentes allait lui donner la plus haute idée de ma piété et de ma vocation.

A l’avenir, continua Julien, je ne compterai que sur les parties de mon caractère que j’aurai éprouvées. Qui m’eût dit que je trouverais du plaisir à répandre des larmes! que j’aimerais celui qui me prouve que je ne suis qu’un sot!

Trois jours après, Julien avait trouvé le prétexte dont il eût dû se munir dès le premier jour; ce prétexte était une calomnie, mais qu’importe? Il avoua au curé, avec beaucoup d’hésitation, qu’une raison qu’il ne pouvait lui expliquer parce qu’elle nuirait à un tiers, l’avait détourné tout d’abord de l’union projetée. C’était accuser la conduite d’Élisa. M. Chélan trouva dans ses manières un certain feu tout mondain, bien différent de celui qui eût dû animer un jeune lévite.

– Mon ami, lui dit-il encore, soyez un bon bourgeois de campagne, estimable et instruit, plutôt qu’un prêtre sans vocation.

Julien répondit à ces nouvelles remontrances, fort bien, quant aux paroles: il trouvait les mots qu’eût employés un jeune séminariste fervent; mais le ton dont il les prononçait, mais le feu mal caché qui éclatait dans ses yeux alarmaient M. Chélan.

Il ne faut pas trop mal augurer de Julien; il inventait correctement les paroles d’une hypocrisie cauteleuse et prudente. Ce n’est pas mal à son âge. Quant au ton et aux gestes, il vivait avec des campagnards, il avait été privé de la vue des grands modèles. Par la suite, à peine lui eut-il été donné d’approcher de ces messieurs, qu’il fut admirable pour les gestes comme pour les paroles.

Mme de Rênal fut étonnée que la nouvelle fortune de sa femme de chambre ne rendît pas cette fille plus heureuse; elle la voyait aller sans cesse chez le curé, et en revenir les larmes aux yeux; enfin Élisa lui parla de son mariage.

Mme de Rênal se crut malade; une sorte de fièvre l’empêchait de trouver le sommeil; elle ne vivait que lorsqu’elle avait sous les yeux sa femme de chambre ou Julien. Elle ne pouvait penser qu’à eux et au bonheur qu’ils trouveraient dans leur ménage. La pauvreté de cette petite maison où l’on devrait vivre avec cinquante louis de rentes, se peignait à elle sous des couleurs ravissantes. Julien pourrait très bien se faire avocat à Bray, la sous-préfecture à deux lieues de Verrières; dans ce cas elle le verrait quelquefois.

Mme de Rênal crut sincèrement qu’elle allait devenir folle; elle le dit à son mari, et enfin tomba malade. Le soir même, comme sa femme de chambre la servait, elle remarqua que cette fille pleurait. Elle abhorrait Élisa dans ce moment, et venait de la brusquer, elle lui en demanda pardon. Les larmes d’Élisa redoublèrent; elle lui dit que si sa maîtresse le lui permettait, elle lui conterait tout son malheur.

– Dites répondit Mme de Rênal.

– Eh bien, madame, il me refuse; des méchants lui auront dit du mal de moi, il les croit.

– Qui vous refuse? dit Mme de Rênal respirant à peine.

– Eh qui, madame, si ce n’est M. Julien? répliqua la femme de chambre, en sanglotant. M. le curé n’a pu vaincre sa résistance; car M. le curé trouve qu’il ne doit pas refuser une honnête fille, sous prétexte qu’elle a été femme de chambre. Après tout, le père de M. Julien n’est autre chose qu’un charpentier; lui-même comment gagnait-il sa vie avant d’être chez madame?

Mme de Rênal n’écoutait plus, l’excès du bonheur lui avait presque ôté l’usage de la raison. Elle se fit répéter plusieurs fois l’assurance que Julien avait refusé d’une façon positive, et qui ne permettait plus de revenir à une résolution plus sage.

– Je veux tenter un dernier effort, dit-elle à sa femme de chambre, je parlerai à M. Julien.

Le lendemain après le déjeuner, Mme de Rênal se donna la délicieuse volupté de plaider la cause de sa rivale, et de voir la main et la fortune d’Élisa refusées constamment pendant une heure.

Peu à peu Julien sortit de ses réponses compassées, et finit par répondre avec esprit aux sages représentations de Mme de Rênal. Elle ne put résister au torrent de bonheur qui inondait son âme après tant de jours de désespoir. Elle se trouva mal tout à fait. Quand elle fut remise et bien établie dans sa chambre, elle renvoya tout le monde. Elle était profondément étonnée.

Aurais-je de l’amour pour Julien? se dit-elle enfin.

Cette découverte, qui dans tout autre moment l’aurait plongée dans les remords et dans une agitation profonde ne fut pour elle qu’un spectacle singulier, mais comme indifférent. Son âme, épuisée par tout ce qu’elle venait d’éprouver, n’avait plus de sensibilité au service des passions.

Mme de Rênal voulut travailler, et tomba dans un profond sommeil, quand elle se réveilla elle ne s’effraya pas autant qu’elle l’aurait dû. Elle était trop heureuse pour pouvoir prendre en mal quelque chose. Naïve et innocente, jamais cette bonne provinciale n’avait torturé son âme, pour tâcher d’en arracher un peu de sensibilité à quelque nouvelle nuance de sentiment ou de malheur. Entièrement absorbée, avant l’arrivée de Julien, par cette masse de travail qui, loin de Paris, est le lot d’une bonne mère de famille, Mme de Rênal pensait aux passions, comme nous pensons à la loterie: duperie certaine et bonheur cherché par les fous.

La cloche du dîner sonna; Mme de Rênal rougit beaucoup quand elle entendit la voix de Julien, qui amenait les enfants. Un peu adroite depuis qu’elle aimait, pour expliquer sa rougeur, elle se plaignit d’un affreux mal de tête.

– Voilà comme sont toutes les femmes, lui répondit M. de Rênal, avec un gros rire. Il y a toujours quelque chose à raccommoder à ces machines-là!

Quoique accoutumée à ce genre d’esprit, ce ton de voix choqua Mme de Rênal. Pour se distraire, elle regarda la physionomie de Julien, il eût été l’homme le plus laid, que dans cet instant il lui eût plu.

Attentif à copier les allures des gens de coeur, dès les premiers beaux jours du printemps, M. de Rênal s’établit à Vergy, c’est le village rendu célèbre par l’aventure tragique de Gabrielle. A quelques centaines de pas des ruines si pittoresques de l’anciens église gothique, M. de Rênal possède un vieux château avec ses quatre tours, et un jardin dessiné comme celui des Tuileries, avec force bordures de bois et allées de marronniers taillés deux fois par an. Un champ voisin, planté de pommiers servait de promenade. Huit ou dix noyers magnifiques étaient au bout du verger; leur feuillage immense s’élevait peut-être à quatre-vingts pieds de hauteur.

Chacun de ces maudits noyers, disait M. de Rênal quand sa femme les admirait me coûte la récolte d’un demi-arpent, le blé ne peut venir sous leur ombre.

La vue de la campagne sembla nouvelle à Mme de Rênal, son admiration allait jusqu’aux transports. Le sentiment dont elle était animée lui donnait de l’esprit et de la résolution. Dès le surlendemain de l’arrivée à Vergy M. de Rênal étant retourné à la ville, pour les affairés de la mairie, Mme de Rênal prit des ouvriers à ses frais. Julien lui avait donné l’idée d’un petit chemin sablé, qui circulerait dans le verger et sous les grands noyers, et permettrait aux enfants de se promener dès le matin, sans que leurs souliers fussent mouillés par la rosée. Cette idée fut mise à exécution, moins de vingt-quatre heures après avoir été conçue. Mme de Rênal passa toute la journée gaiement avec Julien à diriger les ouvriers.

Lorsque le maire de Verrières revint de la ville, il fut bien surpris de trouver l’allée faite. Son arrivée surprit aussi Mme de Rênal; elle avait oublié son existence. Pendant deux mois, il parla avec humeur de la hardiesse qu’on avait eue de faire, sans le consulter, une réparation aussi importante; mais Mme de Rênal l’avait exécutée à ses frais, ce qui le consolait un peu.

Elle passait ses journées à courir avec ses enfants dans le verger, et à faire la chasse aux papillons. On avait construit de grands capuchons de gaze claire, avec lesquels on prenait les pauvres lépidoptères. C’est le nom barbare que Julien apprenait à Mme de Rênal. Car elle avait fait venir de Besançon le bel ouvrage de M. Godart; et Julien lui racontait les moeurs singulières de ces insectes.

On les piquait sans pitié avec des épingles dans un grand cadre de carton arrangé aussi par Julien.

Il y eut enfin entre Mme de Rênal et Julien un sujet de conversation, il ne fut plus exposé à l’affreux supplice que lui donnaient les moments de silence.

Ils se parlaient sans cesse, et avec un intérêt extrême quoique toujours de choses fort innocentes. Cette vie active, occupée et gaie, était du goût de tout le monde, excepté de Mlle Élisa, qui se trouvait excédée de travail. Jamais dans le carnaval, disait-elle, quand il y a bal à Verrières, madame ne s’est donné tant de soins pour sa toilette; elle change de robes deux ou trois fois par Jour.

Comme notre intention est de ne flatter personne, nous ne nierons point que Mme de Rênal, qui avait une peau superbe, ne se fît arranger des robes qui laissaient les bras et la poitrine fort découverts. Elle était très bien faite, et cette manière de se mettre lui allait à ravir.

– Jamais vous n’avez été si jeune, madame, lui disaient ses amis de Verrières qui venaient dîner à Vergy. (C’est une façon de parler du pays.)

Une chose singulière qui trouvera peu de croyance parmi nous, c’était sans intention directe que Mme de Rênal se livrait à tant de soins. Elle y trouvait du plaisir; et, sans y songer autrement, tout le temps qu’elle ne passait pas à la chasse aux papillons avec les enfants et Julien, elle travaillait avec Élisa à bâtir des robes. Sa seule course à Verrières fut causée par l’envie d’acheter de nouvelles robes d’été qu’on venait d’apporter de Mulhouse.

Elle ramena à Vergy une jeune femme de ses parentes. Depuis son mariage, Mme de Rênal s’était liée insensiblement avec Mme Derville qui autrefois avait été sa compagne au Sacré-Coeur.

Mme Derville riait beaucoup de ce qu’elle appelait les idées folles de sa cousine: seule, jamais je n’y penserais, disait-elle. Ces idées imprévues qu’on eût appelées saillies à Paris, Mme de Rênal en avait honte comme d’une sottise, quand elle était avec son mari; mais la présence de Mme Derville lui donnait du courage. Elle lui disait d’abord ses pensées d’une voix timide; quand ces dames étaient longtemps seules, l’esprit de Mme de Rênal s’animait, et une longue matinée solitaire passait comme un instant et laissait les deux amies fort gaies. A cc voyage, la raisonnable Mme Derville trouva sa cousine beaucoup moins gaie et beaucoup plus heureuse.

Julien, de son côté, avait vécu en véritable enfant depuis son se jour à la campagne, aussi heureux de courir à la suite des papillons que ses élèves. Après tant de contrainte et de politique habile, seul, loin des regards des hommes, et, par instinct, ne craignant point Mme de Rênal, il se livrait au plaisir d’exister, si vif à cet âge, et au milieu des plus belles montagnes du monde.

Dès l’arrivée de Mme Derville il sembla à Julien qu’elle était son amie; il se hâta de lui montrer le point de vue que l’on a de l’extrémité de la nouvelle allée sous les grands noyers; dans le fait il est égal, si ce n’est supérieur à ce que la Suisse et les lacs d’Italie peuvent offrir de plus admirable. Si l’on monte la côte rapide qui commence à quelques pas de là, on arrive bientôt à de grands précipices bordés par des bois de chênes, qui s’avancent presque jusque sur la rivière. C’est sur les sommets de ces rochers coupés à pic, que Julien, heureux, libre, et même quelque chose de plus, roi de la maison, conduisait les deux amies, et jouissait de leur admiration pour ces aspects sublimes.

– C’est pour moi comme de la musique de Mozart disait Mme Derville.

La jalousie de ses frères, la présence d’un père despote et rempli d’humeur, avaient gâté aux yeux de Julien les campagnes des environs de Verrières. A Vergy il ne trouvait point de ces souvenirs amers; pour la première fois de sa vie il ne voyait point d’ennemi. Quand M. de Rênal était à la ville, ce qui arrivait souvent, il osait lire; bientôt, au lieu de lire la nuit, et encore en ayant soin de cacher sa lampe au fond d’un vase à fleurs renversé, il put se livrer au sommeil, le jour dans l’intervalle des leçons des enfants, il venait dans ces rochers avec le livre, unique règle de sa conduite et objet de ses transports. Il y trouvait à la fois bonheur, extase et consolation dans les moments de découragement.

Certaines choses que Napoléon dit des femmes, plusieurs discussions sur le mérite des romans à la mode sous son règne, lui donnèrent alors, pour la première fois, quelques idées que tout autre jeune homme de son âge aurait eues depuis longtemps.

Les grandes chaleurs arrivèrent. On prit l’habitude de passer les soirées sous un immense tilleul à quelques pas de la maison. L’obscurité y était profonde. Un soir, Julien parlait avec action, il jouissait avec délices du plaisir de bien parler et à des femmes jeunes; en gesticulant, il toucha la main de Mme de Rênal qui était appuyée sur le dos d’une de ces chaises de bois peint que l’on place dans les jardins.

Cette main se retira bien vite, mais Julien pensa qu’il était de son devoir d’obtenir que l’on ne retirât pas cette main quand il la touchait. L’idée d’un devoir à accomplir, et d’un ridicule ou plutôt d’un sentiment d’infériorité à encourir si l’on n’y parvenait pas, éloigna sur-le-champ tout plaisir de son coeur.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
630 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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