Kitabı oku: «Vie de Henri Brulard, tome 2», sayfa 9
CHAPITRE XLVI 224
Le soir, en y réfléchissant, je ne revenais pas de mon étonnement: Quoi! n'est-ce que ça? me disais-je.
Cet étonnement un peu niais et cette exclamation m'ont suivi toute ma vie. Je crois que cela tient à l'imagination; je fais cette découverte, ainsi que beaucoup d'autres, en 1836, en écrivant ceci.
Parenthèse. – Souvent je me dis, mais sans regret: Que de belles occasions j'ai manquées! Je serais riche, du moins j'aurais de l'aisance! Mais je vois, en 1836, que mon plus grand plaisir est de rêver; mais rêver à quoi? Souvent à des choses qui m'ennuient. L'activité des démarches nécessaires pour amasser 10.000 francs de rente est impossible pour moi. De plus, il faut flatter, ne déplaire à personne, etc. Ce dernier est presque impossible pour moi.
Hé bien! M. le comte de Cauchain était lieutenant ou sous-lieutenant au 6e de dragons en même temps que moi, il passait pour intrigant, habile, ne perdant pas une occasion pour plaire aux gens puissants, etc., ne faisant pas un pas qui n'eût son but, etc. Le général Cauchain, son oncle, avait pacifié la Vendée, je crois, et ne manquait pas de crédit. M. de Cauchain quitta le régiment pour entrer dans la carrière consulaire, il a eu probablement toutes les qualités qui me manquent, il est consul à Nice, comme moi à Cività-Vecchia. Voilà qui doit me consoler de n'être pas intrigant, ou du moins adroit, prudent, etc. J'ai eu le rare plaisir de faire toute ma vie à peu près ce qui me plaisait, et je suis aussi avancé qu'un homme froid, adroit, etc. M. de Cauchain m'a fait politesse quand je passai à Nice en décembre 1833. Peut-être a-t-il de plus que moi d'avoir de la fortune, mais probablement il l'a héritée de son oncle, et d'ailleurs il est chargé d'une vieille femme. Je ne changerais pas, c'est-à-dire: je ne voudrais pas que mon âme entrât dans son corps.
Je ne dois donc pas me plaindre du destin. J'ai eu un lot exécrable de sept à dix-sept [ans], mais, depuis le passage du Mont-Saint-Bernard (à 2.491 mètres au-dessus de l'océan225), je n'ai plus eu à me plaindre du destin; j'ai, au contraire, à m'en louer.
En 1804, je désirais cent louis et ma liberté; en 1836, je désire avec passion six mille francs et ma liberté. Ce qui est au-delà ferait bien peu pour mon bonheur. Ce n'est pas à dire que je ne voulusse tâter de 25.000 francs et ma liberté pour avoir une bonne voiture à ressorts bien liants, mais les voleries du cocher me donneraient peut-être plus d'humeur que la voiture de plaisir.
Mon bonheur est de n'avoir rien à administrer; je serais fort malheureux si j'avais 100.000 francs de rente en terres et maisons. Je vendrais tout bien vite à perte, ou du moins les trois-quarts, pour acheter de la rente. Le bonheur, pour moi, c'est de ne commander à personne et de n'être pas commandé, je crois donc que j'ai bien fait de ne pas épouser Mlle Rietti ou Mlle Diane. – Fin de la parenthèse226.
Je me souviens que j'eus un extrême plaisir en entrant à Etrouble et à Aoste. Quoi! le passage du Saint-Bernard, n'est-ce que ça? me disais-je sans cesse. J'avais même le tort de le dire haut quelquefois, et enfin le capitaine Burelviller me malmena; malgré mon innocence, il prit cela pour une blague (id est: bravade). Fort souvent, mes naïvetés ont fait le même effet.
Un mot ridicule ou seulement exagéré a souvent suffi pour gâter les plus belles choses pour moi: par exemple, à Wagram, à côté de la pièce de canon, quand les herbes prenaient feu, ce colonel blagueur de mes amis qui dit: «C'est une bataille de géants!»L'impression de grandeur fut irrémédiablement enlevée pour toute la journée.
Mais, grand Dieu! qui lira ceci? Quel galimatias! Pourrai-je enfin revenir à mon récit? Le lecteur sait-il maintenant s'il en est à 1800, au premier début d'un fou dans le monde, ou aux réflexions sages d'un homme de cinquante-trois227 ans!
Je remarquai, avant de quitter mon rocher, que la canonnade de Bard faisait un tapage effrayant; c'était le sublime, un peu trop voisin pourtant du danger. L'âme, au lieu de jouir purement, était encore un peu occupée à se tenir.
J'avertis, une fois pour toutes, le brave homme, unique peut-être, qui aura le courage de me lire, que toutes les belles réflexions de ce genre sont de 1836. J'en eusse été bien étonné en 1800; peut-être, malgré ma solidité sur Helvétius et Shakespeare, ne les eussé-je pas comprises.
Il m'est resté un souvenir net et fort sérieux du rempart qui faisait ce grand feu sur nous. Le commandant de ce fortin, situé providentiellement, comme diraient les bons écrivains de 1836, croyait arrêter le général Bonaparte228.
Je crois que le logement du soir fut chez un curé, déjà fort malmené par les vingt-cinq ou trente mille hommes qui avaient passé avant le capitaine Burelviller et son élève. Le capitaine, égoïste et méchant, jurait; il me semble que le curé me fit pitié, je lui parlai latin, pour diminuer sa peur. C'était un gros péché, c'est en petit le crime de ce vil coquin de Bourmont à Waterloo. Par bonheur, le capitaine ne m'entendit pas.
Le curé, reconnaissant, m'apprit que: Donna voulait dire femme, cattiva, mauvaise, et qu'il fallait dire: quante sono miglia di qua a Ivrea? quand je voulais savoir combien il y avait de milles d'ici à Ivrée.
Ce fut là le commencement de mon italien.
Je fus tellement frappé de la quantité de chevaux morts et d'autres débris d'armée que je trouvai de Bard à Ivrée, qu'il ne m'en est point resté de souvenir distinct. C'était pour la première fois que je trouvais cette sensation, si renouvelée depuis: me trouver entre les colonnes d'une armée de Napoléon. La sensation présente absorbait tout, absolument comme le souvenir de la première soirée où Giul m'a traité en amant. Mon souvenir n'est qu'un roman fabriqué à cette occasion.
Je vois encore le premier aspect d'Ivrée aperçue à trois quarts de lieue, un peu sur la droite, et à gauche des montagnes à distance, peut-être le Mont Rose et les monts de Bielle, peut-être ce rezegon de Lebk (sic), que je devais tant adorer plus tard.
Il devenait difficile non pas d'avoir un billet de logement des habitants terrifiés, mais de défendre ce logement contre les partis de trois ou quatre soldats rôdant pour piller. J'ai quelque idée du sabre mis à la main pour défendre une porte de notre maison, que des chasseurs à cheval voulaient enlever pour en faire un bivouac.
Le soir, j'eus une sensation que je n'oublierai jamais. J'allai au spectacle, malgré le capitaine qui, jugeant bien de mon enfantillage et de mon ignorance des armes, mon sabre étant trop pesant pour moi, avait peur, sans doute, que je ne me fisse tuer à quelque coin de rue. Je n'avais point d'uniforme, c'est ce qu'il y a de pis entre les colonnes d'une armée …
Enfin, j'allai au spectacle; on donnait le Matrimonio segreto de Cimarosa, l'actrice qui jouait Caroline avait une dent de moins sur le devant. Voilà tout ce qui me reste d'un bonheur divin.
Je mentirais et ferais du roman si j'entreprenais de le détailler.
A l'instant, mes deux grandes actions: 1° avoir passé le Saint-Bernard, 2° avoir été au feu, disparurent. Tout cela me sembla grossier et bas. J'éprouvai quelque chose comme mon enthousiasme de l'église au-dessus de Rolle, mais bien plus pur et bien plus vif. Le pédantisme de Julie d'Etange me gênait dans Rousseau, au lieu que tout fut divin dans Cimarosa.
Dans les intervalles du plaisir, je me disais: Et me voici jeté dans un métier grossier, au lieu de vouer ma vie à la musique!!
La réponse était, sans nulle mauvaise humeur: Il faut vivre, je vais voir le monde, devenir un brave militaire, et après un an ou deux je reviens à la musique, mes uniques amours. Je me disais de ces paroles emphatiques.
Ma vie fut renouvelée et tout mon désappointement de Paris enterré à jamais. Je venais de voir distinctement où était le bonheur. Il me semble aujourd'hui que mon grand malheur devait être: je n'ai pas trouvé le bonheur à Paris, où je l'ai cru pendant si longtemps, où est-il donc? Ne serait-il point dans nos montagnes du Dauphiné? Alors, mes parents auraient raison, et je ferais mieux d'y retourner.
La soirée d'Ivrée détruisit à jamais le Dauphiné dans mon esprit. Sans les belles montagnes que j'avais vues le matin en arrivant, peut-être Berland, Saint-Ange et Taillefer229 n'auraient-ils pas été battus pour toujours.
Vivre en Italie et entendre de cette musique devint la base de tous mes raisonnements.
Le lendemain matin, en cheminant auprès de nos chevaux avec le capitaine, qui avait six pieds, j'eus l'enfance de parler de mon bonheur, il me répondit par des plaisanteries grossières sur la facilité de mœurs des actrices. Ce mot était cher et sacré pour moi, à cause de Mlle Kably, et de plus, ce matin-là, j'étais amoureux de Caroline (du Matrimonio). Il me semble que nous eûmes un différend sérieux, avec quelque idée de duel de ma part.
Je ne comprends rien à ma folie; c'est comme ma provocation à l'excellent Joinville (maintenant M. le baron Joinville, intendant militaire à Paris), je ne pouvais pas soutenir mon sabre en ligne horizontale.
La paix faite avec le capitaine, nous fûmes, ce me semble, occupés de la bataille du Tessin, où il me semble que nous fûmes mêlés, mais sans danger. Je n'en dis pas davantage, de peur de faire du roman; cette bataille, ou combat, me fut contée en grands détails peu de mois après par M. Guyardet, chef de bataillon à la 6me ou 9me légère, le régiment de cet excellent Maçon, mort à Leipzig vers 1809, ce me semble. Le récit de M. Guyardet fait, ce me semble, à Joinville, en ma présence, complète mes souvenirs et j'ai peur de prendre l'impression de ce récit pour un souvenir.
Je ne me rappelle pas même si le combat du Tessin compta dans mon esprit pour la seconde vue du feu, dans tous les cas ce ne put être230 que le feu du canon; peut-être eûmes-nous peur d'être sabrés, nous trouvant, avec quelque cavalerie, ramenés par l'ennemi. Je ne vois de clair que la fumée du canon ou de la fusillade. Tout est confus.
Excepté le bonheur le plus vif et le plus fou, je n'ai réellement rien à dire d'Ivrée à Milan. La vue du paysage me ravissait. Je ne le trouvais pas la réalisation du beau, mais quand, après le Tessin, jusqu'à Milan, la fréquence des arbres et la force de la végétation, et même les tiges du maïs, ce me semble, empêchaient de voir à cent pas, à droite et à gauche, je trouvais que c'était là le beau.
Tel a été pour moi Milan, et pendant vingt ans (1800 à 1820). A peine si cette image adorée commence à se séparer du beau. Ma raison me dit: Mais le vrai beau, c'est Naples et le Pausilippe, par exemple, ce sont les environs de Dresde, les murs abattus de Leipsick, l'Elbe à Altona, le lac de Genève, etc. C'est ma raison qui dit cela, mon cœur ne sent que Milan et la campagne luxuriante qui l'environne231.
CHAPITRE XLVII 232
Milan
Un matin, en entrant à Milan, par une charmante matinée de printemps, et quel printemps! et dans quel pays du monde! je vis Martial à trois pas de moi, sur la gauche de mon cheval. Il me semble le voir233 encore, c'était Corsia del Giardino, peu après la rue des Bigli, au commencement de la Corsia di Porta Nova.
Il était en redingote bleue avec un chapeau bordé d'adjudant général.
Il fut fort aise de me voir.
«On vous croyait perdu, me dit-il.
– Le cheval a été malade à Genève, répondis-je, je ne suis parti que le …234
– Je vais vous montrer la maison, ce n'est qu'à deux pas.»
Je saluai le capitaine Burelviller: je ne l'ai jamais revu.
Martial revint sur ses pas et me conduisit à la Casa d'Adda235.
La façade de la Casa d'Adda n'était point finie, la plus grande partie était alors en briques grossières, comme San Lorenzo, à Florence. J'entrai dans une cour magnifique. Je descendis de cheval fort étonné et admirant tout. Je montai par un escalier superbe. Les domestiques de Martial détachèrent mon portemanteau et emmenèrent mon cheval.
Je montai avec lui et bientôt me trouvai dans un superbe salon donnant sur la Corsia. J'étais ravi, c'était pour la première fois que l'architecture produisait son effet sur moi. Bientôt on apporta d'excellentes côtelettes pannées. Pendant plusieurs années ce plat m'a rappelé Milan.
Cette ville devint pour moi le plus beau lieu de la terre. Je ne sens pas du tout le charme de ma patrie; j'ai, pour le lieu où je suis né, une répugnance qui va jusqu'au dégoût physique (le mal de mer). Milan a été pour moi, de 1800 à 1821, le lieu où j'ai constamment désiré habiter.
J'y ai passé quelques mois de 1800; ce fut le plus beau temps de ma vie. J'y revins tant que je pus en 1801 et 1802, étant en garnison à Brescia et à Bergame, et enfin, j'y ai habité par choix de 1815 à 1821. Ma raison seule me dit, même en 1836, que Paris vaut mieux. Vers 1803 ou 1804, j'évitais, dans le cabinet de Martial, de lever les veux vers une estampe qui dans le lointain présentait le dôme de Milan, le souvenir était trop tendre et me faisait mal.
Nous pouvions être à la fin de mai ou au commencement de juin, lorsque j'entrai dans la Casa d'Adda (ce mot est resté sacré pour moi).
Martial fut parfait et réellement a toujours été parfait pour moi. Je suis fâché de n'avoir pas vu cela davantage de son vivant; comme il avait étonnamment de petite vanité, je ménageais cette vanité.
Mais ce que je lui disais alors par usage du monde, naissant chez moi, et aussi par amitié, j'aurais dû le lui dire par amitié passionnée et par reconnaissance.
Il n'était pas romanesque, et moi je poussais cette faiblesse jusqu'à la folie; l'absence de cette folie le rendait plat à mes yeux. Le romanesque chez moi s'étendait à l'amour, à la bravoure, à tout. Je redoutais le moment de donner l'étrenne à un portier, de peur de ne pas lui donner assez, et d'offenser sa délicatesse. Il m'est arrivé souvent de ne pas oser donner l'étrenne à un homme trop bien vêtu, de peur de l'offenser, et j'ai dû passer pour avare. C'est le défaut contraire de la plupart des sous-lieutenants que j'ai connus: eux pensaient à escamoter une mancia.
Voici un intervalle de bonheur fou et complet, je vais sans doute battre un peu la campagne en en parlant. Peut-être vaudrait-il mieux m'en tenir à la ligne précédente.
Depuis la fin de ami jusqu'au mois d'octobre ou de novembre que je fus reçu sous-lieutenant au 6me régiment de dragons à Rapallo ou Roncanago, entre Brescia et Crémone, je trouvai cinq ou six mois de bonheur céleste et complet236.
On ne peut pas apercevoir distinctement la partie du ciel trop voisine du soleil, par un effet semblable j'aurais grand'peine à faire une narration raisonnable de mon amour pour Angela Pietragrua. Comment faire un récit un peu raisonnable de tant de folies? Par où commencer? Comment rendre cela un peu intelligible? Voilà déjà que j'oublie l'orthographe, comme il m'arrive dans les grands transports de passion, et il s'agit pourtant de choses passées il y a trente-six ans.
Daignez me pardonner, lecteur bénévole! Mais plutôt, si vous avez plus de trente ans ou si, avec trente ans, vous êtes du parti prosaïque, fermez le livre!
Le croira-t-on, mais tout semblera absurde dans mon récit de cette année 1800. Cet amour si céleste, si passionné, qui m'avait entièrement enlevé à la terre pour me transporter dans le pays des chimères, mais des chimères les plus célestes, les plus délicieuses, les plus à souhait, n'arriva à ce qu'on appelle le bonheur qu'en septembre 1811.
Excusez du peu, onze ans, non pas de fidélité, mais d'une sorte de constance.
La femme que j'aimais, et dont je me croyais en quelque sorte aimé, avait d'autres amants, mais elle me préférerait à rang égal, me disais-je! J'avais d'autres maîtresses. (Je me suis promené un quart d'heure avant d'écrire.) Comment raconter raisonnablement ces temps-là? J'aime mieux renvoyer à un autre jour.
En me réduisant aux formes raisonnables, je ferais trop d'injustice à ce que je veux raconter.
Je ne veux pas dire ce qu'étaient les choses, ce que je découvre pour la première fois à peu près en 1836, ce qu'elles étaient; mais, d'un autre côté, je ne puis écrire ce qu'elles étaient pour moi en 1800: le lecteur jetterait le livre.
Quel parti prendre? comment peindre le bonheur fou?
Le lecteur a-t-il jamais été amoureux fou? A-t-il jamais eu la fortune de passer une nuit avec cette maîtresse qu'il a le plus aimée en sa vie?
Ma foi, je ne puis continuer, le sujet surpasse le disant.
Je sens bien que je suis ridicule, ou plutôt incroyable. Ma main ne peut écrire, je renvoie à demain.
Peut-être il serait mieux de passer net ces six mois-là.
Comment peindre l'excessif bonheur que tout me donnait? C'est impossible pour moi.
Il ne me reste qu'à tracer un sommaire, pour ne pas interrompre tout-à-fait le récit.
Je suis comme un peintre qui n'a plus le courage de peindre un coin de son tableau. Pour ne pas gâter le reste, il ébauche à la moitié ce qu'il ne peut pas peindre.
O lecteur, excusez ma mémoire, ou plutôt sautez cinquante pages.
Voici le sommaire de ce que, à trente-six ans d'intervalle, je ne puis raconter sans le gâter horriblement.
Je passerais dans d'horribles douleurs les cinq, dix, vingt ou trente ans qui me restent à vivre qu'en ce moment je ne dirais pas: Je ne veux pas recommencer.
D'abord, ce bonheur d'avoir pu faire ma vie. Un homme médiocre, au-dessous du médiocre, si vous voulez, mais bon et gai, ou plutôt heureux lui-même alors, avec lequel je vécus.
Tout ceci, ce sont des découvertes que je fais en écrivant. Ne sachant comment peindre, je fais l'analyse de ce que je sentis alors.
Je suis très froid aujourd'hui, le temps est gris, je souffre un peu.
Rien ne peut empêcher la folie.
En honnête homme qui abhorre d'exagérer, je ne sais comment faire.
J'écris ceci et j'ai toujours tout écrit comme Rossini écrit la musique; j'y pense, écrivant chaque matin ce qui se trouve devant moi dans le libretto. Je lis dans un livre que je reçois aujourd'hui:
«Ce résultat n'est pas toujours sensible pour les contemporains, pour ceux qui l'opèrent et l'éprouvent; mais, à distance et au point de vue de l'histoire, on peut remarquer à quelle époque un peuple perd l'originalité de son caractère,»etc. (M. Villemain, Préface, page X.)
On gâte des sentiments si tendres à les raconter en détail237.
ANNEXES
I
PREMIER ESSAI D'AUTOBIOGRAPHIE 238
MÉMOIRES DE HENRI B
LIVRE 1
CHAPITRE 1
Quoique ma première enfance ait été empoisonnée par bien des amertumes, grâce au caractère espagnol et altier de mes parents, depuis deux ou trois ans je trouve une certaine douceur à m'en rappeler les détails. Il a fallu plus de quarante années d'expérience pour que je pusse pardonner à mes parents leurs injustices atroces.
Je suis né à Grenoble le 23 janvier 1783, au sein d'une famille qui aspirait à la noblesse, c'est-à-dire qu'on ne badinait pas avec les préjugés nécessaires à la conservation des ordres privilégiés. La religion catholique était vénérée dans la maison comme l'indispensable appui du trône. Quoique bourgeoise au fond, la famille dont je porte le nom avait deux branches. Le capitaine B[eyle], chef de la branche aînée, qui était fort riche, avait la croix de Saint-Louis et ne manqua pas d'émigrer, chose peu difficile, car Grenoble n'est qu'à neuf lieues de Chambéry, capitale de la Savoie.
Cet excellent capitaine [Beyle], le meilleur homme du monde, avec sa voix glapissante et ses éloges éternels de nos princes, ne s'était jamais marié, non plus que ses cinq ou six sœurs. Mon père, chef de la branche cadette, comptait bien hériter d'une trentaine de mille livres de rente, et comme mon père était un homme à imagination, il m'admit de bonne heure à la création des châteaux en Espagne qu'il élevait sur cette fortune à venir, dont plus tard une loi de la Terreur nous priva presque entièrement. N'était-ce pas celle du 17 germinal an III? Ce nom a retenti dans toute mon enfance, mais voici trente-trois ans que je n'y pense plus du tout. Grâce à la manie exagérante et noblifiante de la famille, peut-être que, même sans la loi de germinal sur les successions, cette fortune de trente mille francs de rente se serait réduite à douze ou quinze. Cela était encore fort considérable pour la province vers 1789.
Ma mère était une femme de beaucoup d'esprit, elle était adorée de son père. Henriette Gagnon avait un caractère généreux et décidé; j'ai compris cela plus tard. J'eus le malheur de la perdre lorsque j'avais sept ans, et elle trente-trois. J'en étais amoureux fou, je ne sais si elle s'en apercevait; elle mourut en couches en prononçant mon nom et me recommandant à sa sœur cadette, Séraphie, la plus méchante des dévotes. Tout le bonheur dont j'aurais pu jouir disparut avec ma mère. La tristesse la plus sombre et la plus plate s'empara de la famille. Mon père, qui adorait d'autant plus sa femme que celle-ci ne l'aimait point, fut hébété par la douleur. Cet état dura cinq ou six ans, il s'en tira un peu en étudiant la Chimie de Maquart, puis celle de Fourcroy. Ensuite, il prit une grande passion pour l'agriculture et gagna deux ou trois cent mille francs à acheter des domaines (ou terres); puis vint la passion de bâtir des maisons, où il dérangea sa fortune, enfin sa passion pour les Bourbons qui le firent adjoint du maire de Grenoble et chevalier de la Légion d'honneur. Mon père négligea tellement ses affaires pour celles de l'Etat qu'il passa une fois dix-huit mois sans aller à son domaine (ou terre) de Claix, qu'il faisait cultiver par des domestiques, et où avant les honneurs Bourboniens il allait deux ou trois fois la semaine. Dans les derniers temps, mon père était fort jaloux de moi; comme j'avais fait la campagne de Moscou avec une petite place à la cour de Napoléon, que j'adorais, j'étais en quelque sorte à la tête du parti bonapartiste (1816). Mais je m'égare. Mon père avait assuré en 1814 à mon ami, M. Félix Faure, aujourd'hui pair de France (né à Grenoble vers 1782), qu'il me laisserait dix mille francs de rente. Félix grava cette somme sur ma montre. Sans cette assurance, j'aurais pris un état en 1814: filateur de coton à Plancy, en Champagne, ou avocat à Paris. En 1814, j'allai m'amuser en Italie, où j'ai passé sept ans; mon père, à sa mort, m'a laissé un capital de 3.900 francs. J'étais alors amoureux fou de Mme D. Pendant le premier mois qui suivit cette nouvelle, je n'y pensai pas trois fois. Cinq ou six ans plus tard, j'ai cherché en vain à m'en affliger.
Le lecteur me trouvera mauvais fils, il aura raison. Je n'ai connu mon père, de sept ans à quinze, que par les injustices abominables qu'il exécutait sur moi, à la demande de ma tante Séraphie, dont, à force d'ennui intérieur, il était peut-être un peu devenu amoureux. J'entrevois à peine cela aujourd'hui en y réfléchissant. Dans l'éducation sévère des familles suivant les mœurs de l'ancien régime, où par-dessus tout les parents songeaient à se faire respecter et craindre, les enfants étaient comme collés tout près de la base de statues de quatre-vingts pieds de haut. Dans une si mauvaise position, leur œil ne pouvait que porter les jugements les plus faux sur les proportions de ces statues.
Je ne me rappelle plus l'origine du sentiment du juste, qui est fort vif en moi. C'était non pas comme a moi désagréables, mais comme injustes, que les arrêts de ma tante Séraphie, appuyés par l'autorité de mon père, me faisaient verser des larmes de rage. Deux ou trois fois la semaine, je passais une heure à me répéter à voix basse: «Monstres! Monstres! Monstres!»
Pourquoi diable ma tante m'avait-elle pris en grippe? Je ne puis le deviner. Peut-être ma mère, mourant en couches avec le plus grand courage et toute sa tête, avait-elle fait jurer à son mari, au nom de son fils aîné, de ne jamais se remarier. Quand j'avais trente ans, des témoins oculaires, entre autres l'excellente Mme Romagnier, amie que nous venons de perdre il y a deux ou trois ans, me parlaient encore de la haine passionnée et folle que j'avais inspirée à ma dévote de tante.
J'étais républicain forcené, rien de plus simple: mes parents étaient ultra et dévots au dernier degré; on appelait cela en 1793 être aristocrate.
Comme marquant par ses propos pleins d'imagination et de force, mon père fut mis en prison pendant vingt-deux mois par le représentant du peuple Amar. On juge de l'horreur que mon républicanisme inspirait dans la famille. J'avais fait encore un petit drapeau tricolore que je promenais seul en triomphe dans les pièces non habitées de notre grand appartement, les jours de victoires républicaines. Ce devaient être alors celles du traître Pichegru. On me guettait, on me surprenait, on m'accablait des mots de monstre, mes parents pleuraient de rage et moi d'enthousiasme, «Il est beau, il est doux, m'écriai-je une fois, de souffrir pour la Patrie!»Je crois qu'on me battit, ce qui, du reste, était fort rare, on me déchira mon drapeau. Je me crus un martyr de la patrie, j'aimai la liberté avec fureur. J'appelais ainsi, ce me semble, l'ensemble des cérémonies que je voyais souvent exécuter dans les rues, elles étaient touchantes et imposantes, il faut l'avouer. J'avais deux ou trois maximes que j'écrivais partout et que je suis fâché d'avoir si complètement oubliées. Elles me faisaient verser des larmes d'attendrissement, en voici une qui me revient:
Vivre libre ou mourir, que je préférais de beaucoup, comme éloquence, à: la liberté ou la mort, qu'on voulait lui substituer. J'adorais l'éloquence; dès l'âge de six ans, je crois, mon père m'avait inoculé son enthousiasme pour J. – J. Rousseau, que plus tard il exécra comme anti-roi …
Depuis ce grand courant dans mes idées, je ne travaille plus. 1er avril 1836.
Prose du 31 mars: Stabat mater, vieux couplets barbares en latin rimé, mais du moins absence d'esprit à la Marmontel. (Notes de Stendhal.)
«Voyage: le bateau à vapeur jusqu'à Marseille. Acheter six foulards à Livourne et vingt paires de gants jaunes chez Gagiati, à Rome.
Suite, voyage: Absolument la malle-poste à Marseille, fût-ce celle de Toulouse et Bordeaux, pour éviter le dégoût de Valence et Lyon, Semur et Auxerre, de moi trop connus. Mauvais commencement. – Probablement, le détour de Florence, en arrivant à Livourne, ne me plaira pas. – Peut-être aller en Angleterre, du moins à Bruxelles, peut-être à Edimbourg.
Plan: profiter de mon temps dans le voyage de Paris. Dire jamais Omar bien changé. 2°, régime, pour éviter les soupers. Voir beaucoup M. de La Touche, Balzac, si je puis, pour la littérature; M. Chasles, un peu Levavasseur; mesdames d'Anjou (assidument), Tillaux, Tascher et Jules, Ancelot, Menti, Coste, Julie. C'est l'assiduité qu'il faut. – Si je restais à Paris, c'est dans les premiers deux mois que je puis fonder les salons du reste of my life.– Je ne sens de transport que pour Giul. – Un logement au midi, rue Taitbout. Qu'est-ce, pour trois mois, que 200 francs de plus en logement?»
Stendhal quitta Cività-Vecchia après le 5 mai 1836; le 16 mai, il était à Marseille, et il arriva à Paris le 25 mai. Il fit durer son congé trois ans, et ne rentra à Cività-Vecchia qu'en juin 1839.