Kitabı oku: «Masques De Cristal», sayfa 3

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Il s’appuya au bord de la piste et attendit qu’elle s’approche pour dégainer un beau sourire.

«Tu patines depuis combien d’années? lui demanda-t-il.

–J'ai commencé le patinage artistique à cinq ans, mais j’ai abandonné durant ma première année à l’université. Je viens ici de temps en temps pour me changer les idées et bouger un peu. Ce n’est pas bon pour la santé de rester assis des heures dans un bureau ou un tribunal. Et puis, j’aime trop patiner. Et toi?

–Je jouais au hockey quand j'étais à peine plus qu’un petit garçon. Mais ça fait longtemps que j’ai arrêté pour me consacrer à la musique.

–On ne le croirait pas à te voir.

–Je pense que c’est comme le vélo: tu recommences après des années et on dirait que tu es monté dessus quelques jours avant. Ce serait mieux qu’on aille parler ailleurs maintenant: on peut prendre un verre ici, au bar.»

4

Sac à dos à l’épaule, Loreley se dirigea vers la sortie du centre sportif, où elle savait que Sonny l’attendait. Elle s’était rafraîchie en vitesse et avait lâché ses cheveux.

Elle parcourut le couloir, rendit les clés du casier à la réception et se retrouva dans le vaste lobby aux couleurs dominantes jaune, bleu et rouge. Et là, elle s’arrêta.

Sonny était occupé avec deux jeunes qui lui demandaient un autographe sur leurs patins. Une jeune femme voulut faire un selfie avec lui. Quelqu’un l’avait reconnu même sans sa queue basse dans la nuque, avec son chapeau en laine et une écharpe qui cachait son bouc. En l’invitant à la rejoindre à la patinoire, elle n’avait pas pris en considération que, depuis les récents événements, le visage de Sonny avait été publié dans plusieurs revues et quotidiens.

On n’avait vraiment pas besoin de ça!

Si elle sortait de là avec lui, elle courrait le risque qu’un fan curieux les immortalise ensemble et elle se retrouverait sur les réseaux sociaux le jour suivant, avec de nombreuses allusions à une éventuelle liaison. Peut-être que Johnny y croirait; c’était la dernière chose qu’elle voulait.

Elle réfléchit quelques secondes; puis, poussée par le désir de fuir, elle se joignit à un petit groupe de personnes qui prenaient la sortie. Avant de refermer la porte en verre qui donnait sur l'extérieur, elle se tourna vers Sonny, qui la regardait maintenant d’un air perdu, avec dans la main le feutre qu’il avait utilisé pour les autographes.

La petite brune à côté de lui réclama son attention en lui montrant la surface du patin où il devait apposer sa signature, mais il l’ignora: il continuait à fixer Loreley.

Elle hocha très légèrement la tête.

Désolée, Sonny! lui dit-elle en remuant à peine les lèvres et en écartant les bras. On se verra une autre fois. Elle sortit ensuite d’un pas rapide et ne ralentit que lorsqu’elle fut à bonne distance du bâtiment bleu et rouge.

Elle marcha le long de la jetée et s’arrêta dans le petit parc jouxtant le centre sportif, l'Hudson River Park, bien que la journée ne se prête pas vraiment à une promenade: de gros nuages couvraient le ciel, annonçant une averse. Elle sentait déjà l’humidité dans l’air, mais elle se fichait d’être mouillée.

Elle était encore déboussolée par sa rencontre avec Sonny. Et continuait à se répéter qu’elle devait oublier ce qu’il s’était passé et poursuivre sa vie comme avant, mais elle n’y arrivait pas.

Dans tous les cas, elle tenait trop à Johnny pour risquer de le perdre à cause d’une stupide frasque de poivrote: elle devait y remédier avant qu’il ne soit trop tard. Mais que pouvait-elle faire?

Elle s’assit sur un banc pour reposer ses jambes. Elle sourit en secouant la tête: après son comportement, Sonny allait probablement se tenir à l'écart. Elle avait mis de la bonne volonté à éclaircir la situation, mais le destin avait décidé que ce n’était pas encore le bon moment.

Loreley franchit le seuil de la maison à six heures et le silence absolu l'accueillit. Sur le canapé d’angle, où elle trouvait généralement Johnny étendu le soir, les coussins étaient à leur place. Elle l’appela à voix haute. Ne recevant aucune réponse, elle alla contrôler qu’il ne travaillait pas dans son bureau: chaque fois qu’il s’enfermait là, il s’isolait du reste du monde. Elle alluma, mais tout était comme il l’avait laissé le matin, jusqu’au sweat-shirt jeté sur le bras du fauteuil. Elle trouva la chambre à coucher vide également.

Il n’était pas encore rentré.

Elle ramassa une paire de chaussettes noires de Johnny sur le sol et les jeta dans le panier de linge sale: il ne perdrait jamais sa mauvaise habitude de les laisser traîner partout dans la pièce.

Après avoir enfilé un tablier, elle alla à la cuisine pour tenter de préparer un dîner qu’il pourrait considérer comme tel. Elle sortit du poisson du frigo et enleva les écailles sous l’eau courante afin qu’elles ne se répandent pas partout, comme le lui avait appris Mira, sa domestique, qui était chez ses parents ce week-end. Loreley voulait profiter de son absence pour passer une soirée seule avec son compagnon, comme au début de leur relation. Elle pela quelques pommes de terre, les coupa en cubes et les mit dans un plat avec le poisson, espérant ne pas en faire de la purée ou du charbon de bois.

Après avoir tout enfourné, elle prit une douche rapide, mit de la lingerie en dentelle et des bas auto-fixants, et revêtit une courte robe bleue, à la coupe diagonale. Elle coiffa ses cheveux vers l’arrière, sur la nuque, et les coinça dans une barrette ouvragée. Elle termina par une légère touche de maquillage.

Elle dressa soigneusement la table, plaçant un vase en verre et une bougie allumée au centre.

Le temps passait, mais pas l'ombre d’un Johnny. Elle l'attendit patiemment. Le dîner refroidissait et la bougie avait fondu de moitié.

Un message arriva sur son téléphone à huit heures:

Ne m’attends pas, je mange dehors avec Ethan.

Elle soupira: d’habitude, il sortait avec Ethan après le dîner, une fois par semaine pour ne pas “perdre leur amitié”, comme il disait pour justifier ses soirées avec lui. Elle espéra que cette exception ne deviendrait pas une constante. Il n’avait même pas perdu son temps à lui téléphoner avant qu’elle ne se mette aux fourneaux, chose qui lui pesait comme il le savait. Elle devait se résigner à se mettre à table seule. Elle se sentit déçue: pour une fois qu’elle avait l'impression d’avoir préparé un plat correct, Johnny n’était pas là pour l’apprécier.

Loreley ne perdit pas de temps à débarrasser: elle mit le poisson et les pommes de terre dans un récipient, qu’elle rangea dans le frigo, et alla se coucher. Elle était vraiment fatiguée et devait encore récupérer le sommeil perdu la nuit précédente pour étudier l’affaire Wallace.

Le matin qui suivit, elle vit Johnny à côté d’elle, qui dormait en ronflant: cela lui arrivait quand il buvait trop. Étrange qu’elle ne l’ait pas entendu rentrer.

Qui sait à quelle heure il était revenu!

Elle regarda le réveil: neuf heures et demie. Elle repoussa les couvertures et entendit Johnny marmonner un juron avant de se tourner de l’autre côté: il ne travaillait pas le samedi et s’il voulait dormir, il était libre de le faire.

Loreley enfila sa robe de chambre bleue en épais satin et, après s’être rafraîchie le visage, alla à la cuisine. Elle se sentait ralentie dans ses mouvements ce matin, comme si elle était encore sous l’effet du sommeil. Elle avait pourtant beaucoup dormi cette nuit. Elle avait besoin d’une bonne dose de café pour se réveiller complètement.

Elle allait le verser dans la tasse quand elle sentit une présence derrière elle. Elle se retourna et vit Johnny; ses cheveux courts étaient dressés sur l’avant de son crâne et le blanc de ses yeux était rougi, entourés de cernes bien visibles qui révélaient une insomnie.

«Tu m’en verses un peu aussi? lui demanda-t-il en se grattant une joue à la barbe naissante.

–Je ne pensais pas que tu te lèverais maintenant.»

Elle l’entendit murmurer quelque chose d’incompréhensible mais évita de lui faire répéter. Il se réveillait parfois de mauvaise humeur et ce devait être le cas ce matin, parce qu’au-delà de son expression sérieuse, il ne lui avait même pas donné le bref et coutumier bisou de bonjour.

Johnny but son café debout et posa brutalement la tasse sur la table.

«Qu’est-ce que tu veux manger? lui demanda-t-elle en le regardant, perplexe.

–Je n’ai pas faim.

–Tu peux me dire ce que tu as ce matin? lui demanda-t-elle en croisant les bras et en se plantant devant lui.

–Problèmes de boulot.

–Je peux savoir?

–Je sais que tu ne me laisseras pas tranquille tant que je ne te l'aurai pas dit. Il se gratta la nuque. Je dois travailler sur un projet, mais pour le faire au mieux, je dois voir l’endroit en personne.

–Et où est le problème?

Il émit un bruit qui ressemblait à un rire sarcastique.

–Où est le problème…, répéta-t-il irrité. Le problème est que cet endroit se trouve à Paris.

Loreley le regarda, alarmée.

–Paris? Ne me dis pas que tu dois de nouveau partir!

–Ce n’est pas certain, mais il y a beaucoup de probabilités que je doive y aller. Et ça ne me va pas du tout de refaire un voyage aussi rapidement après la dernière fois.

–Quand le sauras-tu pour de bon?

–D’ici mercredi. Si ça se passe comme je le pense, je devrai partir le week-end prochain.

–Tu es rentré de Californie depuis quand? Même pas trois semaines… Et tu t’en vas de nouveau!

–Los Angeles n’a rien à voir avec le boulot, tu le sais. Je suis déjà agacé, n’en remets pas une couche!

Loreley tenta de garder son calme.

–Je mets un survêtement et je vais courir: j'ai besoin de me défouler, lui annonça-t-il avec un pied déjà hors de la cuisine.

–Je prépare quelque chose entretemps: j'ai faim, et tu l'auras peut-être aussi en rentrant de ta course.»

Johnny se dirigea vers la chambre et Loreley se concentra sur le petit-déjeuner. Comment faisait-on des pancakes? Ah oui: œufs, farine, sucre… Et quelque chose d’autre. Bon sang, elle ne se rappelait plus très bien! Elle prit son téléphone, fit une recherche sur internet et trouva la recette une minute plus tard. Elle la lut rapidement et se mit immédiatement au travail.

Alors qu’elle grillait le pain, elle entendit la sonnerie de son téléphone privé. Elle éteignit le grille-pain et courut répondre. Elle bondit de joie en reconnaissant la voix de son interlocuteur.

«Salut ma belle. Je t'ai manqué?

–Hans, comment tu vas? Tu es où? Elle s’assit sur un tabouret, à côté du comptoir de la cuisine.

–Je vais bien, ne t'inquiète pas. Ester et moi sommes rentrés à la maison.

–Vraiment? Il était temps!

Elle imagina qu’il souriait.

–Ne sois pas jalouse…

–Je ne le suis pas. Et Ester, où est-elle?

–Près de moi, elle te salue.

–Moi aussi. Je suis contente que vous soyez de nouveau en ville.

–Nous un peu moins, mais c’est comme ça. Je t’ai appelée pour te dire que maman voudrait qu’on aille manger chez elle, demain. Ça lui ferait plaisir de nous revoir tous ensemble.

–Si ça va pour toi, aucun problème pour moi: je le dis à Johnny et je tiens au courant.

–J'espère te voir demain.

–J'espère aussi. Salut!»

Le téléphone encore à la main, Loreley commença à réfléchir à comment parler de l'invitation à Johnny. Le samedi, il aimait aller se balader en moto, et regarder des matchs de football le dimanche. En deux ans de cohabitation, les fois où ses parents l’avaient vu se comptaient sur les doigts de la main, bien qu’ils vivent tout près: leurs maisons n’étaient séparées que par Central Park, de son côté le plus court. Le convaincre d’accepter l’invitation allait être tout sauf facile.

Comme elle l’avait bien imaginé, toute sa nature diplomatique et sa stratégie d’avocate furent nécessaires pour convaincre Johnny de l’accompagner. Elle fit pression sur le fait qu’Ester et Hans avaient été déçus de son absence à leur mariage, et que le minimum qu’il puisse faire pour remédier à ce manquement serait d’être présent au repas que ses parents organisaient pour le retour à la maison des jeunes mariés.

«Tu veux me faire culpabiliser pour quelque chose qui ne dépendait pas de moi?

–Je te suggère juste comment agir pour ne pas heurter les sentiments de ma famille.

Elle le vit soupirer et se lever de table.

–D’accord! Mais je le fais pour toi, lui dit-il en la pointant du doigt. Tu as de la chance que les Giants ne jouent pas cette semaine…

Loreley s’approcha de lui et l'enlaça avec enthousiasme, puis leva la main derrière ses épaules et forma un “v” de son index et de son majeur: Victoire!

–Merci! Demande-moi tout ce que tu veux et je te satisferai.»

***

À neuf heures pile le jour suivant, Loreley était accrochée à Johnny, assise derrière lui sur une moto de grosse cylindrée, pour une balade dans les rues de New York: il y avait peu de trafic un dimanche à cette heure, loin de Manhattan.

“Demande-moi tout ce que tu veux et je te satisferai” lui avait-elle dit la veille: elle aurait dû imaginer que la proposition serait un tour en moto, sa deuxième passion après le football. En outre, il savait combien elle détestait les deux-roues et elle soupçonnait que cette manoeuvre était destinée à l'obliger à retourner la faveur.

Elle détestait le casque intégral qui lui collait les cheveux sur la tête, gâchant sa coiffure. Elle avait parfois l'impression de ne pas pouvoir respirer normalement et cela la rendait nerveuse au point de faire osciller la moto. Bien que Johnny lui ait recommandé d'accompagner le mouvement du véhicule de son corps dans les tournants au lieu de s'y opposer, ce n'était pas chose facile pour elle.

Presque trois heures s'écoulèrent avant que cette torture ne s'achève. Quand Loreley remit enfin pied à terre, elle avait l'impression de léviter.

Il était midi moins dix. Elle fila à la maison pour prendre une douche rapide, renonçant à se pomponner: elle enfila une paire d'épais jeans, un chandail bleu clair et une paire de bottines en daim.

John monta à la maison alors qu'elle était déjà prête. Il ne prit pas de douche: ils étaient déjà en retard. Il ôta juste son blouson pour en mettre un autre un peu plus élégant, et changea de chaussures.

Ils coupèrent par le parc dans la voiture de Loreley et arrivèrent du côté opposé, dans l'East Side de Manhattan.

Ce fut Hans qui leur ouvrit la porte.

Loreley l'embrassa. «Salut, grand frère!

–Eh, je ne suis pas parti de la maison si longtemps que ça, dit-il en se laissant enlacer.

–C'est quoi toutes ces sensibleries? grommela Albert, le père. Vous êtes en retard et j'ai faim. Tu sais que je ne supporte pas d'attendre pour manger.

–C'est ma faute. Je l'ai emmenée faire un tour en moto et on a pris du retard, intervint John.

–Quoi? Albert semblait furieux. Comment as-tu pu emmener ma petite sur cet engin infernal?» lâcha-t-il encore. Son imposante stature domina le jeune homme, le faisant passer pour une brindille à côté de lui.

Loreley leva les yeux au ciel. «Johnny, mon père déteste les motos encore plus que moi.

–Tu dois bien avoir pris ça de quelqu'un, lui murmura-t-il avec une grimace de déception. J'ai été très prudent et j'ai pris mon temps» se défendit-il.

Ellen Lehmann s'approcha de son mari. «Tu es toujours le même râleur, lui reprocha-t-elle d'un ton qui semblait à peine contenir son irritation. Venez manger, allez, tout est prêt» ajouta-t-elle en souriant à ses invités.

«Loreley, comme je suis contente de te revoir, lui dit sa belle-soeur en l'embrassant. Viens t'asseoir à côté de moi.»

Une fois la mauvaise humeur initiale passée, les conversations entre les jeunes furent joyeuses, tandis que celle entre leurs hôtes semblait réduite à quelques phrases de politesse.

De temps à autre, Loreley regardait tour à tour sa mère et son père, et la sensation de tension qu'elle percevait entre eux lui coupait l'appétit. Johnny, au contraire, mangeait sans se perdre en compliments, comme il le faisait à la maison. Elle essayait toujours de suivre son rythme et se retrouvait avec un poids sur l'estomac; cette fois cependant, elle grignota et refusa le dessert.

Mais son estomac la dérangeait. Elle avait même eu une sensation de nausée quelques heures auparavant. Peut-être la balade en moto.

Le repas terminé, ils levèrent leur verre pour trinquer au retour des époux. Au tintement des verres, succéda un baiser du couple célébré.

«Je suis tellement contente pour toi, dit Loreley à sa belle-soeur en sortant sur la terrasse clôturée de grandes fenêtres: tout autour, un ornement de plantes à feuilles persistantes arrivait jusqu'au plafond. Les hommes avaient pris place sur le canapé du séjour pour se ravitailler en alcools forts.

–Je le suis aussi. Tu verras que le bon moment arrivera bientôt pour toi aussi.

–Je ne l'attends pas avec impatience, je t'assure. Et lui n'a de toute façon pas l'intention de se remarier: pas à court terme du moins!

–Et qui a parlé de John? Je faisais référence à un éventuel homme inconnu.

–Ester, je t'en prie!

–Je plaisante, va! Mais c'est vrai que tu pourrais trouver quelqu'un de plus disposé que lui à s'engager.

–Je ne pense pas encore à faire le grand saut pour l'instant.

–Quand tu te retrouveras devant le bon, tu réussiras à faire la même chose que moi.

–Toi, tu en es convaincue! Je dois d'abord penser à ma carrière: je suis encore en rodage. Elle éprouvait de l'angoisse à l'idée de devoir fonder une famille avec de nombreux enfants avant que son travail ne décolle.

–À propos, comment ça va avec ce type que tu défends? J'ai lu les journaux…

–Et bien, on élabore une ligne de défense qui diminue les années de condamnation probable. Les faits disent qu'il est coupable et il semble donc qu'il ira en prison, mais je dois trouver un élément clé pour qu'il y reste le moins possible.

–Il suffirait d'une négociation pour arriver à l'objectif, commenta l'autre. Je me trompe? Je l'ai vu faire dans un film.

Loreley sourit.

–Il ne veut pas en entendre parler. Peter Wallace n'arrive pas encore à réaliser que sa Lindsay est morte. Il affirme qu'il l'a seulement giflée et qu'elle était encore en vie et en bonne santé quand il est parti. Mais les preuves le contredisent. Je n'ai parlé qu'une fois avec lui, pour tenter d'en savoir plus, mais j'ai eu l'impression de me cogner contre un mur de silence et de réticence.

–Ce ne sera pas simple de connaître la vérité s'il n'est pas disposé à collaborer.

–Ça t'ennuie qu'on change de sujet? Je voudrais éviter de trop penser au travail ce soir.

–Ça ne m'ennuie pas du tout.»

Ester leva les yeux vers le coin de ciel que l'on entrevoyait au-dessus des hauts immeubles face à elles.

Il y eut un instant de silence, durant lequel Loreley observa le profil de sa belle-soeur, ses longs cheveux bruns lâchés sur ses épaules, le regard perdu là-haut, à penser à Dieu sait quoi. Ne sachant que dire d'autre, elle lança le premier sujet qui lui vint à l'esprit. «Ta ville te manque? lui demanda-t-elle.

Ester eut un bref sursaut.

–Non… Enfin, je ne saurais pas te dire. J'ai parfois des images, des scènes qui me la rappellent, mais je ne suis pas nostalgique, pas au point de vouloir absolument y retourner. Par contre, mon frère me manque beaucoup, même si je me souviens peu de lui. Elle fit une courte pause et enroula une longue mèche de cheveux autour de son index. Je voudrais tellement pouvoir le revoir, mais je ne sais pas où il est, ni comment il a fini.

–Il doit bien y avoir un indice quelque part.

–Juste le message qu'il a laissé à Hans avant de disparaître, où il dit qu'il veut me confier à lui.

Un message pour Hans écrit par Jack? se demanda-t-elle perplexe.

Hans ne lui en avait pas parlé. Elle n'avait jamais compris la raison qui avait poussé Jack à partir aussi rapidement, et plus d'une année s'était écoulée désormais depuis que c'était arrivé.

–Faisons quelque chose de sympathique: allons casser les pieds de nos hommes dans le séjour» proposa-t-elle à Ester.

***

Lorsqu'elle quitta la tiédeur du bureau, l'air froid de fin octobre la tira de l'état de confusion dans lequel elle était depuis plusieurs heures: elle s'était levée ce matin avec une nausée qui lui avait fait sauter le repas. Elle était probablement en train de tomber malade, peut-être de ce malaise qui précède la vraie grippe.

Elle leva les yeux: des nuages menaçants obscurcissaient le ciel du soir et les arbres dépouillés semblaient des prolongements décharnés du sol dirigés vers le haut. Le vent fort la contraignit à fermer sa veste et à mieux nouer son écharpe de soie autour de son cou. Elle n'aimait pas l'hiver, sauf pour Noël et les amusantes parties de patinage sur glace.

Elle rejoignit un taxi qui déchargeait un client un peu plus loin et se fit porter à la maison. Alors qu'elle ouvrait la porte, elle sentit une odeur de nourriture. Elle enleva son manteau et le posa avec son sac sur le canapé, puis se rendit à la cuisine. Mira, vêtue de son habituelle blouse bleue et d'un grand tablier blanc, mettait la table.

«Tu as faim? lui demanda la gouvernante en se retournant pour lui parler: ses petits yeux bleus souriaient, tout comme ses lèvres fines.

Loreley avait souhaité qu'elle la tutoie: elle détestait le formalisme et les révérences, elle devait déjà les supporter au tribunal.

–Pas vraiment. Johnny est rentré?

–Il est enfermé dans son bureau. Le dîner est presque prêt.

–Je vais le prévenir.»

Il fallut un moment pour le tirer de son travail de dessin, mais Johnny dévora ensuite un gros steak grillé et une quantité de légumes qu'elle aurait mangé en deux fois.

À un certain point, Loreley écarta son assiette avec une grimace de dépit: elle ne comprenait pas pourquoi voir Johnny manger autant la dérangeait tellement ce soir-là.

Elle se leva en s'excusant et se dirigea vers la salle de bain pour prendre une douche. Quand la chaleur de l'eau la détendit, laissant place à ses pensées, elle ne s'y opposa pas. Elle vagabonda longtemps dans le passé, à l'époque de l'université, de Davide, de la première rencontre avec Johnny et de son avenir avec lui. Un avenir à long terme… Devenir une vraie famille.

Mais à quoi était-elle en train de penser, bon sang?!

Johnny ne lui avait jamais laissé entendre qu'il voulait en créer une avec elle. Il avait déjà été marié et il avait fui au bout de quelques années seulement. Durant leur mariage, ils avaient mis une fille au monde, dont il parlait peu, à la différence de beaucoup de pères qui…

Elle interrompit le cours de ses pensées avec un frisson. Elle ouvrit grand la bouche et l'eau coula dans sa gorge. Elle toussa pour la faire sortir tandis qu'elle fermait le robinet. Il fallut d'interminables secondes avant qu'elle puisse à nouveau respirer normalement. Elle s'appuya sur le mur carrelé, écartant ses cheveux mouillés de son visage. Elle devait recommencer à prendre la pilule ce jour-là et rien n'était venu. Pourquoi? Elle avait lu quelque part que le flux pouvait diminuer jusqu'à disparaître avec certains types de contraceptifs. Oui, ce devait être ça.

Et si quelque chose ne s'était pas déroulé comme prévu? se demanda-t-elle en essorant ses cheveux d'un geste nerveux.

Ce doute la tracassa au point de la pousser à se sécher à la hâte et à se rhabiller. Elle ne pouvait pas attendre le lendemain et rester dans l'incertitude ou elle ne fermerait pas l'oeil de la nuit.

Une fois prête, elle dit à Johnny qu'elle avait oublié d'acheter ses analgésiques et sortit en courant.

Quelques minutes plus tard, elle atteignait la pharmacie la plus proche, de l'autre côté de la rue. Elle entra et demanda un test de grossesse: c'était absurde de s'inquiéter autant, mais elle savait qu'il pouvait y avoir une marge d'erreur.

Quand elle retourna à la maison, elle trouva Johnny étendu sur le canapé, occupé à regarder un match de football; elle en profita pour se dévêtir et s'enfermer dans la salle de bain sans être dérangée: personne ne pourrait décoller Johnny de là, même avec la perspective de plusieurs heures de sexe effréné.

Elle suivit les instructions sur la boîte et attendit le résultat. Elle aurait dû faire le test le matin, mais le soir elle risquait au maximum un résultat négatif, jamais un faux positif. Au cas où, elle recommencerait le matin suivant.

Assise sur le tabouret, elle s'imagina les réactions possibles de Johnny si le résultat s'avérait positif. Ils n'avaient jamais parlé mariage, encore moins d'avoir des enfants. Ce serait vraiment un coup dur pour tous les deux.

Elle regarda sa montre, puis l'indicateur du test…

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