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Kitabı oku: «Actes et Paroles, Volume 1», sayfa 12

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II
POUR LA LIBERTE DE LA PRESSE CONTRE L'ARRESTATION DES ECRIVAINS

[Note: M. Crespel-Delatouche avait interpelle le gouvernement sur la suppression de onze journaux frappes d'interdit le 25 juin, sur l'arrestation et la detention au secret, dix jours durant, du directeur de l'un des journaux supprimes, M. Emile de Girardin, etc. Les mesures attaquees furent defendues par le ministre de la justice; elles furent combattues par les representants Vesin, Valette, Dupont (de Bussac), Germain Sarrut et Lenglet. Le general Cavaignac, apres le discours de Victor Hugo, declara qu'il ne voulait entrer dans aucune explication et qu'il laissait a l'assemblee le soin de le defendre ou de l'accuser. L'assemblee declara la discussion close et passa a l'ordre du jour. (Note de l'editeur.)]

M. VICTOR HUGO. – Je sens que l'assemblee est impatiente de clore le debat, aussi ne dirai-je que quelques mots. (Parlez! parlez!)

Je suis de ceux qui pensent aujourd'hui plus que jamais, depuis hier surtout, que le devoir d'un bon citoyen, dans les circonstances actuelles, est de s'abstenir de tout ce qui peut affaiblir le pouvoir dont l'ordre social a un tel besoin. (Tres bien!)

Je renonce donc a entrer dans ce que cette discussion pourrait avoir d'irritant, et ce sacrifice m'est d'autant plus facile que j'ai le meme but que vous, le meme but que le pouvoir executif; ce but que vous comprenez, il peut se resumer en deux mots, armer l'ordre social et desarmer ses ennemis. (Adhesion.)

Ma pensee est, vous le voyez, parfaitement claire, et je demande au gouvernement la permission de lui adresser une question; car il est resulte un doute dans mon esprit des paroles de M. le ministre de la justice.

Sommes-nous dans l'etat de siege, ou sommes-nous dans la dictature?

C'est la, a mon sens, la question.

Si nous sommes dans l'etat de siege, les journaux supprimes ont le droit de reparaitre en se conformant aux lois. Si nous sommes dans la dictature, il en est autrement.

M. DEMOSTHENE OLLIVIER. – Qui donc aurait donne la dictature?

M. VICTOR HUGO. – Je demande au chef du pouvoir executif de s'expliquer.

Quant a moi, je pense que la dictature a dure justement, legitimement, par l'imperieuse necessite des circonstances, pendant quatre jours. Ces quatre jours passes, l'etat de siege suffisait.

L'etat de siege, je le declare, est necessaire, mais l'etat de siege est une situation legale et definie, et il me parait impossible de conceder au pouvoir executif la dictature indefinie, lorsque vous n'avez pretendu lui donner que l'etat de siege.

Maintenant, si le pouvoir executif ne croit pas l'autorite dont l'assemblee l'a investi suffisante, qu'il le declare et que l'assemblee avise. Quant a moi, dans une occasion ou il s'agit de la premiere et de la plus essentielle de nos libertes, je ne manquerai pas a la defense de cette liberte. Defendre aujourd'hui la societe, demain la liberte, les defendre l'une avec l'autre, les defendre l'une par l'autre, c'est ainsi que je comprends mon mandat comme representant, mon droit comme citoyen et mon devoir comme ecrivain. (Mouvement.)

Si le pouvoir donc desire etre investi d'une autorite dictatoriale, qu'il le dise, et que l'assemblee decide.

LE GENERAL CAVAIGNAC, chef du pouvoir executif, president du conseil. – Ne craignez rien, monsieur, je n'ai pas besoin de tant de pouvoir; j'en ai assez, j'en ai trop de pouvoir; calmez vos craintes. (Marques d'approbation.)

M. VICTOR HUGO. – Dans votre interet meme, permettez-moi de vous le dire, a vous homme du pouvoir, moi homme de la pensee… (Interruption prolongee.)

J'ai besoin d'expliquer une expression sur laquelle l'assemblee pourrait se meprendre.

Quand je dis homme de la pensee, je veux dire homme de la presse, vous l'avez tous compris. (Oui! oui!)

Eh bien, dans l'interet de l'avenir encore plus que dans l'interet du present, quoique l'interet du present me preoccupe autant qu'aucun de vous, croyez-le bien, je dis au pouvoir executif: Prenez garde! l'immense autorite dont vous etes investi…

LE GENERAL CAVAIGNAC. – Mais non!

UN MEMBRE A GAUCHE. – Faites une proposition. (Rumeurs diverses.)

M. LE PRESIDENT. – Il est impossible de continuer a discuter si l'on se livre a des interpellations particulieres.

M. VICTOR HUGO. – Que le pouvoir me permette de le lui dire, – je reponds a l'interruption de l'honorable general Cavaignac, – dans les circonstances actuelles, avec la puissance considerable dont il est investi, qu'il prenne garde a la liberte de la presse, qu'il respecte cette liberte! Que le pouvoir se souvienne que la liberte de la presse est l'arme de cette civilisation que nous defendons ensemble. La liberte de la presse etait avant vous, elle sera apres vous. (Agitation.)

Voila ce que je voulais repondre a l'interruption de l'honorable general Cavaignac.

Maintenant je demande au pouvoir de se prononcer sur la maniere dont il entend user de l'autorite que nous lui avons confiee. Quant a moi, je crois que les lois existantes, energiquement appliquees, suffisent. Je n'adopte pas l'opinion de M. le ministre de la justice, qui semble penser que nous nous trouvons dans une sorte d'interregne legal, et qu'il faut attendre, pour user de la repression judiciaire, qu'une nouvelle loi soit faite par vous. Si ma memoire ne me trompe pas, le 24 juin, l'honorable procureur general pres la cour d'appel de Paris a declare obligatoire la loi sur la presse du 16 juillet 1828. Remarquez cette contradiction. Y a-t-il pour la presse une legislation en vigueur? Le procureur general dit oui, le ministre de la justice dit non. (Mouvement.) Je suis de l'avis du procureur general.

La presse, a l'heure qu'il est, et jusqu'au vote d'une loi nouvelle, est sous l'empire de la legislation de 1828. Dans ma pensee, si l'etat de siege seul existe, si nous ne sommes pas en pleine dictature, les journaux supprimes ont le droit de reparaitre en se conformant a cette legislation. (Agitation.) Je pose la question ainsi et je demande qu'on s'explique sur ce point. Je repete que c'est une question de liberte, et j'ajoute que les questions de liberte doivent etre dans une assemblee nationale, dans une assemblee populaire comme celle-ci, traitees, je ne dis pas avec menagement, je dis avec respect. (Adhesion.)

Quant aux journaux, je n'ai pas a m'expliquer sur leur compte, je n'ai pas d'opinion a exprimer sur eux, cette opinion serait peut-etre pour la plupart d'entre eux tres severe. Vous comprenez que plus elle est severe, plus je dois la taire; je ne veux pas prendre la parole pour les attaquer quand ils n'ont pas la parole pour se defendre. (Mouvement.) Je me sers a regret de ces termes, les journaux supprimes; l'expression supprimes ne me parait ni juste, ni politique; suspendus etait le veritable mot dont le pouvoir executif aurait du se servir. (Signe d'assentiment de M. le ministre de la justice.) Je n'attaque pas en ce moment le pouvoir executif, je le conseille. J'ai voulu et je veux rester dans les limites de la discussion la plus moderee. Les discussions moderees sont les discussions utiles. (Tres bien!)

J'aurais pu dire, remarquez-le, que le pouvoir avait attente a la propriete, a la liberte de la pensee, a la liberte de la personne d'un ecrivain; qu'il avait tenu cet ecrivain neuf jours au secret, onze jours dans un etat de detention qui est reste inexplique. (Mouvements divers.)

Je n'ai pas voulu entrer et je n'entrerai pas dans ce cote irritant, je le repete, de la question. Je desire simplement obtenir une explication, afin que les journaux puissent savoir, a l'issue de cette seance, ce qu'ils peuvent attendre du pouvoir qui gouverne le pays.

Dans ma conviction, les laisser reparaitre sous l'empire rigide de la loi, ce serait a la fois une mesure de vraie justice et une mesure de bonne politique; de justice, cela n'a pas besoin d'etre demontre; de bonne politique, car il est evident pour moi qu'en presence de l'etat de siege, et sous la pression des circonstances actuelles, ces journaux modereraient d'eux-memes la premiere explosion de leur liberte. Or c'est cette explosion qu'il serait utile d'amortir dans l'interet de la paix publique. L'ajourner, ce n'est que la rendre plus dangereuse par la longueur meme de la compression. (Mouvement.) Pesez ceci, messieurs.

Je demande formellement a l'honorable general Cavaignac de vouloir bien nous dire s'il entend que les journaux interdits peuvent reparaitre immediatement sous l'empire des lois existantes, ou s'ils doivent, en attendant une legislation nouvelle, rester dans l'etat ou ils sont, ni vivants ni morts, non pas seulement entraves par l'etat de siege, mais confisques par la dictature. (Mouvement prolonge.)

III
L'ETAT DE SIEGE

[Note: Le representant Lichtenberger avait fait une proposition relative a la levee de l'etat de siege avant la discussion sur le projet de constitution. Le comite de la justice, par l'organe de son rapporteur, disait qu'il n'y avait pas lieu de prendre en consideration la proposition. Le representant Ledru-Rollin la defendit, le representant Saureau la defendit egalement, le representant Demanet parla dans le meme sens. Le general Cavaignac, president du conseil, presenta dans ce debat des considerations a la suite desquelles Victor Hugo demanda la parole. La discussion fut close apres son discours. La proposition du representant Lichtenberger ne fut pas adoptee. (Note de l'editeur.)]

2 septembre 1848.

M. VICTOR HUGO. – Au point ou la discussion est arrivee, il semblerait utile de remettre la continuation dela discussion a lundi. (Non! non! Parlez! parlez!) Je crois que l'assemblee ne voudra pas fermer la discussion avant qu'elle soit epuisee. (Non! non!)

Je ne veux, dis-je, repondre qu'un mot au chef du pouvoir executif, mais il me parait impossible de ne pas replacer la question sur son veritable terrain.

Pour que la constitution soit sainement discutee, il faut deux choses: que l'assemblee soit libre, et que la presse soit libre. (Interruption.)

Ceci est, a mon avis, le veritable point de la question; l'etat de siege implique-t-il la suppression de la liberte de la presse? Le pouvoir executif dit oui; je dis non. Qui a tort? Si l'assemblee hesite a prononcer, l'histoire et l'avenir jugeront.

L'assemblee nationale a donne au pouvoir executif l'etat de siege pour comprimer l'insurrection, et des lois pour reprimer la presse. Lorsque le pouvoir executif confond l'etat de siege avec la suspension des lois, il est dans une erreur profonde, et il importe qu'il soit averti. (A gauche: Tres bien!)

Ce que nous avons a dire au pouvoir executif, le voici:

L'assemblee nationale a pretendu empecher la guerre civile, mais non interdire la discussion; elle a voulu desarmer les bras, mais non baillonner les consciences. (Approbation a gauche.)

Pour pacifier la rue, vous avez l'etat de siege; pour contenir la presse, vous avez les tribunaux. Mais ne vous servez pas de l'etat de siege contre la presse; vous vous trompez d'arme, et, en croyant defendre la societe, vous blessez la liberte. (Mouvement.)

Vous combattez pour des principes sacres, pour l'ordre, pour la famille, pour la propriete; nous vous suivrons, nous vous aiderons dans le combat; mais nous voulons que vous combattiez avec les lois.

Une voix. – Qui, nous?

M. VICTOR HUGO. – Nous, l'assemblee tout entiere. (A gauche: Tres bien! tres bien!)

Il m'est impossible de ne pas rappeler que la distinction a ete faite plusieurs fois et comprise et accueillie par vous tous, entre l'etat de siege et la suspension des lois.

L'etat de siege est un etat defini et legal, on l'a dit deja; la suspension des lois est une situation monstrueuse dans laquelle la chambre ne peut pas vouloir placer la France (mouvement), dans laquelle une grande assemblee ne voudra jamais placer un grand peuple! (Nouveau mouvement.)

Je ne puis admettre que le pouvoir executif comprenne ainsi son mandat. Quant a moi, je le declare, j'ai pretendu lui donner l'etat de siege, je l'ai arme de toute la force sociale pour la defense de l'ordre, je lui ai donne toute la somme de pouvoir que mon mandat me permettait de lui conferer; mais je ne lui ai pas donne la dictature, mais je ne lui ai pas livre la liberte de la pensee, mais je n'ai pas pretendu lui attribuer la censure et la confiscation! (Approbation sur plusieurs bancs. Reclamations sur d'autres.) C'est la censure et la confiscation qui, a l'heure qu'il est, pesent sur les organes de la pensee publique. (Oui! tres bien!) C'est la une situation incompatible avec la discussion de la constitution. Il importe, je le repete, que la presse soit libre, et la liberte de la presse n'importe pas moins a la bonte et a la duree de la constitution que la liberte de l'assemblee elle-meme.

Pour moi, ces deux points sont indivisibles, sont inseparables, et je n'admettrais pas que l'assemblee elle-meme fut suffisamment libre, c'est-a-dire suffisamment eclairee (exclamations) si la presse n'etait pas libre a cote d'elle, et si la liberte des opinions exterieures ne melait pas sa lumiere a la liberte de vos deliberations.

Je demande que M. le president du conseil vienne nous dire de quelle facon il entend definitivement l'etat de siege (Il l'a dit!); que l'on sache si M. le president du conseil entend par etat de siege la suspension des lois. Quant a moi, qui crois l'etat de siege necessaire, si cependant il etait defini de cette facon, je voterais a l'instant meme contre son maintien, car je crois qu'a la pla d'un peril passager, l'emeute, nous mettrions un immense malheur, l'abaissement de la nation. (Mouvement.) Que l'etat de siege soit maintenu et que la loi soit respectee, voila ce que je demande, voila ce que veut la societe qui entend conserver l'ordre, voila ce que veut la conscience publique qui entend conserver la liberte. (Aux voix! La cloture!)

IV
LA PEINE DE MORT

[Note: Ce discours fut prononce dans la discussion de l'article 5 du projet de constitution. Cet article etait ainsi concu: La peine de mort est abolie en matiere politique. Les representants Coquerel, Koenig et Buvignier proposaient par amendement de rediger ainsi cet article 5: La peine de mort est abolie. Dans la seance du 18 septembre cet amendement fut repousse par 498 voix contre 216.]

15 septembre 1848.

Je regrette que cette question, la premiere de toutes peut-etre, arrive au milieu de vos deliberations presque a l'improviste, et surprenne les orateurs non prepares.

Quant a moi, je dirai peu de mots, mais, ils partiront du sentiment d'une conviction profonde et ancienne.

Vous venez de consacrer l'inviolabilite du domicile, nous vous demandons de consacrer une inviolabilite plus haute et plus sainte encore, l'inviolabilite de la vie humaine.

Messieurs, une constitution, et surtout une constitution faite par la France et pour la France, est necessairement un pas dans la civilisation. Si elle n'est point un pas dans la civilisation, elle n'est rien. (Tres bien! tres bien!)

Eh bien, songez-y, qu'est-ce que la peine de mort? La peine de mort est le signe special et eternel de la barbarie. (Mouvement.) Partout ou la peine de mort est prodiguee, la barbarie domine; partout ou la peine de mort est rare, la civilisation regne. (Sensation.)

Messieurs, ce sont la des faits incontestables. L'adoucissement de la penalite est un grand et serieux progres. Le dix-huitieme siecle, c'est la une partie de sa gloire, a aboli la torture; le dix-neuvieme siecle abolira la peine de mort. (Vive adhesion. Oui! oui!)

Vous ne l'abolirez pas peut-etre aujourd'hui; mais, n'en doutez pas, demain vous l'abolirez, ou vos successeurs l'aboliront. (Nous l'abolirons! – Agitation.)

Vous ecrivez en tete du preambule de votre constitution: "En presence de Dieu", et vous commenceriez par lui derober, a ce Dieu, ce droit qui n'appartient qu'a lui, le droit de vie et de mort. (Tres bien! tres bien!) Messieurs, il y a trois choses qui sont a Dieu et qui n'appartiennent pas a l'homme: l'irrevocable, l'irreparable, l'indissoluble. Malheur a l'homme s'il les introduit dans ses lois! (Mouvement.) Tot ou tard elles font plier la societe sous leur poids, elles derangent l'equilibre necessaire des lois et des moeurs, elles otent a la justice humaine ses proportions; et alors il arrive ceci, reflechissez-y, messieurs, que la loi epouvante la conscience. (Sensation.)

Je suis monte a cette tribune pour vous dire un seul mot, un mot decisif, selon moi; ce mot, le voici. (Ecoutez! ecoutez!)

Apres fevrier, le peuple eut une grande pensee, le lendemain du jour ou il avait brule le trone, il voulut bruler l'echafaud. (Tres bien! – D'autres voix: Tres mal!)

Ceux qui agissaient sur son esprit alors ne furent pas, je le regrette profondement, a la hauteur de son grand coeur. (A gauche: Tres bien!) On l'empecha d'executer cette idee sublime.

Eh bien, dans le premier article de la constitution que vous votez, vous venez de consacrer la premiere pensee du peuple, vous avez renverse le trone. Maintenant consacrez l'autre, renversez l'echafaud. (Applaudissements a gauche. Protestations a droite.)

Je vote l'abolition pure, simple et definitive de la peine de mort.

V
POUR LA LIBERTE DE LA PRESSE ET CONTRE L'ETAT DE SIEGE

[Note: L'etat de siege fut leve le lendemain de ce discours.]

11 octobre 1848.

Si je monte a la tribune, malgre l'heure avancee, malgre les signes d'impatience d'une partie de l'assemblee (Non! non! Parlez!), c'est que je ne puis croire que, dans l'opinion de l'assemblee, la question soit jugee. (Non! elle ne l'est pas!) En outre, l'assemblee considerera le petit nombre d'orateurs qui soutiennent en ce moment la liberte de la presse, et je ne doute pas que ces orateurs ne soient proteges, dans cette discussion, par ce double respect que ne peuvent manquer d'eveiller, dans une assemblee genereuse, un principe si grand et une minorite si faible. (Tres bien!)

Je rappellerai a l'honorable ministre de la justice que le comite de legislation avait emis le voeu que l'etat de siege fut leve, afin que la presse fut ce que j'appelle mise en liberte.

M. ABBATUCCI. – Le comite n'a pas dit cela.

M. VICTOR HUGO. – Je n'irai pas aussi loin que votre comite de legislation, et je dirai a M. le ministre de la justice qu'il serait, a mon sens, d'une bonne politique d'alleger peu a peu l'etat de siege, et de le rendre de jour en jour moins pesant, afin de preparer la transition, et d'amener par degres insensibles l'heure ou l'etat de siege pourrait etre leve sans danger. (Adhesion sur plusieurs bancs.)

Maintenant, j'entre dans la question de la liberte de la presse, et je dirai a M. le ministre de la justice que, depuis la derniere discussion, cette question a pris des aspects nouveaux. Pour ma part, plus nous avancons dans l'oeuvre de la constitution, plus je suis frappe de l'inconvenient de discuter la constitution en l'absence de la liberte de la presse. (Bruit et interruptions diverses.)

Je dis dans l'absence de la liberte de la presse, et je ne puis caracteriser autrement une situation dans laquelle les journaux ne sont point places et maintenus sous la surveillance et la sauvegarde des lois, mais laisses a la discretion du pouvoir executif. (C'est vrai!)

Eh bien, messieurs, je crains que, dans l'avenir, la constitution que vous discutez ne soit moralement amoindrie. (Denegation. Adhesion sur plusieurs bancs.)

M. DUPIN (de la Nievre). – Ce ne sera pas faute d'amendements et de critiques.

M. VICTOR HUGO. – Vous avez pris, messieurs, deux resolutions graves dans ces derniers temps; par l'une, a laquelle je ne me suis point associe, vous avez soumis la republique a cette perilleuse epreuve d'une assemblee unique; par l'autre, a laquelle je m'honore d'avoir concouru, vous avez consacre la plenitude de la souverainete du peuple, et vous avez laisse au pays le droit et le soin de choisir l'homme qui doit diriger le gouvernement du pays. (Rumeurs.) Eh bien, messieurs, il importait dans ces deux occasions que l'opinion publique, que l'opinion du dehors put prendre la parole, la prendre hautement et librement, car c'etaient la, a coup sur, des questions qui lui appartenaient. (Tres bien!) L'avenir, l'avenir immediat de votre constitution amene d'autres questions graves. Il serait malheureux qu'on put dire que, tandis que tous les interets du pays elevent la voix pour reclamer ou pour se plaindre, la presse est baillonnee. (Agitation.)

Messieurs, je dis que la liberte de la presse importe a la bonne discussion de votre constitution. Je vais plus loin (Ecoutez! ecoutez!), je dis que la liberte de la presse importe a la liberte meme de l'assemblee. (Tres bien!) C'est la une verite… (Interruption.)

LE PRESIDENT. – Ecoutez, messieurs, la question est des plus graves.

M. VICTOR HUGO. – Il me semble que, lorsque je cherche a demontrer a l'assemblee que sa liberte, que sa dignite meme sont interessees a la plenitude de la liberte de la presse, les interrupteurs pourraient faire silence. (Tres bien!)

Je dis que la liberte de la presse importe a la liberte de cette assemblee, et je vous demande la permission d'affirmer cette verite comme on affirme une verite politique, en la generalisant.

Messieurs, la liberte de la presse est la garantie de la liberte des assemblees. (Oui! oui!)

Les minorites trouvent dans la presse libre l'appui qui leur est souvent refuse dans les deliberations interieures. Pour prouver ce que j'avance, les raisonnements abondent, les faits abondent egalement. (Bruit.)

VOIX A GAUCHE. – Attendez le silence! C'est un parti pris!

M. VICTOR HUGO. – Je dis que les minorites trouvent dans la presse libre … – et, messieurs, permettez-moi de vous rappeler que toute majorite peut devenir minorite, ainsi respectons les minorites (vive adhesion); – les minorites trouvent dans la presse libre l'appui qui leur manque souvent dans les deliberations interieures. Et voulez-vous un fait? Je vais vous en citer un qui est certainement dans la memoire de beaucoup d'entre vous.

Sous la restauration, un jour, un orateur energique de la gauche, Casimir Perier, osa jeter a la chambre des deputes cette parole hardie: Nous sommes six dans cette enceinte et trente millions au dehors. (Mouvement.)

Messieurs, ces paroles memorables, ces paroles qui contenaient l'avenir, furent couvertes, au moment ou l'orateur les prononca, par les murmures de la chambre entiere, et le lendemain par les acclamations de la presse unanime. (Tres bien! tres bien! Mouvement prolonge.)

Eh bien, voulez-vous savoir ce que la presse libre a fait pour l'orateur libre? (Ecoutez!) Ouvrez les lettres politiques de Benjamin Constant, vous y trouverez ce passage remarquable:

"En revenant a son banc, le lendemain du jour ou il avait parle ainsi, Casimir Perier me dit: "Si l'unanimite de la presse n'avait pas fait contre-poids a l'unanimite de la chambre, j'aurais peut-etre ete decourage."

Voila ce que peut la liberte de la presse, voila l'appui qu'elle peut donner! c'est peut-etre a la liberte de la presse que vous avez du cet homme courageux qui, le jour ou il le fallut, sut etre bon serviteur de l'ordre parce qu'il avait ete bon serviteur de la liberte.

Ne souffrez pas les empietements du pouvoir; ne laissez pas se faire autour de vous cette espece de calme faux qui n'est pas le calme, que vous prenez pour l'ordre et qui n'est pas l'ordre; faites attention a cette verite que Cromwell n'ignorait pas, et que Bonaparte savait aussi: Le silence autour des assemblees, c'est bientot le silence dans les assemblees. (Mouvement.)

Encore un mot.

Quelle etait la situation de la presse a l'epoque de la terreur?.. (Interruption.)

Il faut bien que je vous rappelle des analogies, non dans les epoques, mais dans la situation de la presse. La presse alors etait, comme aujourd'hui, libre de droit, esclave de fait. Alors, pour faire taire la presse, on menacait de mort les journalistes; aujourd'hui on menace de mort les journaux. (Mouvement.) Le moyen est moins terrible, mais il n'est pas moins efficace.

Qu'est-ce que c'est que cette situation? c'est la censure. (Agitation.) C'est la censure, c'est la pire, c'est la plus miserable de toutes les censures; c'est celle qui attaque l'ecrivain dans ce qu'il a de plus precieux au monde, dans sa dignite meme; celle qui livre l'ecrivain aux tatonnements, sans le mettre a l'abri des coups d'etat. (Agitation croissante.) Voila la situation dans laquelle vous placez la presse aujourd'hui.

M. FLOCON. – Je demande la parole.

M. VICTOR HUGO. – Eh quoi! messieurs, vous raturez la censure dans votre constitution et vous la maintenez dans votre gouvernement! A une epoque comme celle ou nous sommes, ou il y a tant d'indecision dans les esprits… (Bruit.)

LE PRESIDENT. – Il s'agit d'une des libertes les plus cheres au pays; je reclame pour l'orateur le silence et l'attention de l'assemblee. (Tres bien! tres bien!)

M. VICTOR HUGO. – Je fais remarquer aux honorables membres qui m'interrompent en ce moment qu'ils outragent deux libertes a la fois, la liberte de la presse, que je defends, et la liberte de la tribune, que j'invoque.

Comment! il n'est pas permis de vous faire remarquer qu'au moment ou vous venez de declarer que la censure etait abolie, vous la maintenez! (Bruit. Parlez! parlez!) Il n'est pas permis de vous faire remarquer qu'au moment ou le peuple attend des solutions, vous lui donnez des contradictions! Savez-vous ce que c'est que les contradictions en politique? Les contradictions sont la source des malentendus, et les malentendus sont la source des catastrophes. (Mouvement.)

Ce qu'il faut en ce moment aux esprits divises, incertains de tout, inquiets de tout, ce ne sont pas des hypocrisies, des mensonges, de faux semblants politiques, la liberte dans les theories, la censure dans la pratique; non, ce qu'il faut a tous dans ce doute et dans cette ombre ou sont les consciences, c'est un grand exemple en haut, c'est dans le gouvernement, dans l'assemblee nationale, la grande et fiere pratique de la justice et de la verite! (Agitation prolongee.)

M. le ministre de la justice invoquait tout a l'heure la necessite. Je prends la liberte de lui faire observer que la necessite est l'argument des mauvaises politiques; que, dans tous les temps, sous tous les regimes, les hommes d'etat, condamnes par une insuffisance, qui ne venait pas d'eux quelquefois, qui venait des circonstances memes, se sont appuyes sur cet argument de la necessite. Nous avons vu deja, et souvent, sous le regime anterieur, les gouvernants recourir a l'arbitraire, au despotisme, aux suspensions de journaux, aux incarcerations d'ecrivains. Messieurs, prenez garde! vous faites respirer a la republique le meme air qu'a la monarchie. Souvenez-vous que la monarchie en est morte. (Mouvement.)

Messieurs, je ne dirai plus qu'un mot… (Interruption.)

L'assemblee me rendra cette justice que des interruptions systematiques ne m'ont pas empeche de protester jusqu'au bout en faveur de la liberte de la presse.

Messieurs, des temps inconnus s'approchent; preparons-nous a les recevoir avec toutes les ressources reunies de l'etat, du peuple, de l'intelligence, de la civilisation francaise, et de la bonne conscience des gouvernants. Toutes les libertes sont des forces; ne nous laissons pas plus depouiller de nos libertes que nous ne nous laisserions depouiller de nos armes la veille du combat.

Prenons garde aux exemples que nous donnons! Les exemples que nous donnons sont inevitablement, plus tard, nos ennemis ou nos auxiliaires; au jour du danger, ils se levent et ils combattent pour nous ou contre nous.

Quant a moi, si le secret de mes votes valait la peine d'etre explique, je vous dirais: J'ai vote l'autre jour contre la peine de mort; je vote aujourd'hui pour la liberte.

Pourquoi? C'est que je ne veux pas revoir 93! c'est qu'en 93 il y avait l'echafaud, et il n'y avait pas la liberte.

J'ai toujours ete, sous tous les regimes, pour la liberte, contre la compression. Pourquoi? C'est que la liberte reglee par la loi produit l'ordre, et que la compression produit l'explosion. Voila pourquoi je ne veux pas de la compression et je veux de la liberte. (Mouvement. Longue agitation).

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Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
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