Kitabı oku: «Actes et Paroles, Volume 1», sayfa 32
Voyez maintenant ce qui arrive! La reaction contre la reaction commence. Dernierement, on a represente une piece ultra-reactionnaire; elle a ete sifflee. Et c'est dans ce moment que vous songeriez a vous donner tort en retablissant la censure! Vous releveriez a l'instant meme l'esprit d'opposition qui est au fond du caractere national!
Ce qui s'est passe pour la politique s'est passe aussi pour la morale. En realite, il s'est joue depuis dix-huit mois moins de pieces decolletees qu'il ne s'en jouait d'ordinaire sous l'empire de la censure. Le public sait que le theatre est libre; il est plus difficile. Voila la situation d'esprit ou est le public. Pourquoi donc vouloir faire mal ce que la foule fait bien?
Laissez la la censure, organisez; mais, je vous le repete, organisez la liberte.
ASSEMBLEE LEGISLATIVE
1849-1851
NOTE 10
PILLAGE DES IMPRIMERIES
Aux journees de juin 1848, Victor Hugo, apres avoir contribue a la victoire, etait venu au secours des vaincus. Apres le 13 juin 1849, il accepta le meme devoir. La majorite etait enivree par la colere, et voulait fermer les yeux sur les violences de son triomphe, notamment sur les imprimeries saccagees et pillees. Victor Hugo monta le 15 juin a la tribune. L'incident fut bref, mais significatif. Le voici tel qu'il est au Moniteur.
Permanence. – Seance du 15 juin 1849.
INTERPELLATION
La parole est a M. Victor Hugo.
M. VICTOR HUGO. – Messieurs, je demande a l'assemblee la permission d'adresser une question a MM. les membres du cabinet.
Cette assemblee, dans sa moderation et dans sa sagesse, voudra certainement que tous les actes de desordre soient reprimes, de quelque part qu'ils viennent. S'il faut en croire les details publies, des actes de violence regrettables auraient ete commis dans diverses imprimeries. Ces actes constitueraient de veritables attentats contre la legalite, la liberte et la propriete.
Je demande a M. le ministre de la justice, ou, en son absence, a MM. les membres du cabinet presents, si des poursuites ont ete ordonnees, si des informations sont commencees. (Tres bien! tres bien!)
PLUSIEURS MEMBRES. – Contre qui?
M. DUFAURE, ministre de l'interieur. – Messieurs, nous regrettons aussi amerement que l'honorable orateur qui descend de la tribune les actes a propos desquels il nous interpelle. Ils ont eu lieu, j'ose l'affirmer, spontanement, au milieu des emotions de la journee du 13 juin… (Interruptions a gauche.)
Je dis qu'ils ont eu lieu spontanement, c'est a ce sujet que j'ai ete interrompu. Rien n'avait prevenu l'autorite des actes de violence qui devaient etre commis dans les bureaux de quelques presses de Paris; je veux expliquer seulement comment l'autorite n'etait pas, n'a pas pu etre prevenue, comment l'autorite n'a pas pu les empecher.
On a dit dans des journaux qu'un aide de camp du general Changarnier avait preside a cette devastation. Je le nie hautement. Un aide de camp du general Changarnier a paru sur les lieux pour reprimer cet acte audacieux; il n'a pu le faire, tout ayant ete consomme; d'ailleurs, on ne l'ecoutait pas. J'ajoute qu'aussitot que nous avons ete prevenus de ces faits, ordre a ete donne de faire deux choses, de constater les degats et d'en rechercher les auteurs. On les recherche en ce moment, et je puis assurer a l'assemblee, qu'aussitot qu'ils seront decouverts, le droit commun aura son empire, la loi recevra son execution. (Tres bien! Tres bien!)
M. LE PRESIDENT. – L'incident est reserve.
A propos de cet incident, on lit dans le Siecle du 17 juin 1848:
M. Victor Hugo etait tres vivement blame aujourd'hui par un grand nombre de ses collegues pour la genereuse initiative qu'il a prise hier en fletrissant du haut de la tribune les actes condamnables commis contre plusieurs imprimeries de journaux. – Ce n'etait pas le moment, lui disait-on, de parler de cela, et dans tous les cas ce n'etait pas a nous a appeler sur ces actes l'attention publique; il fallait laisser ce soin a un membre de l'autre cote, et la chose n'eut pas eu le retentissement que votre parole lui a donne.
Nous etions loin de nous attendre a ce que l'honnete indignation exprimee par M. Victor Hugo, et la loyale reponse de M. le ministre de l'interieurpussent etre l'objet d'un blame meme indirect d'une partie quelconque de l'assemblee. Nous pensions que le sentiment du juste, le respect de la propriete devaient etre au-dessus de toutes les miserables agitations de parti. Nous nous trompions.
M. Victor Hugo racontait lui-meme aujourd'hui dans l'un des groupes qui se formaient ca et la dans les couloirs une reponse qu'il aurait ete amene a faire a l'un de ces moderes excessifs. – Si je rencontrais un tel dans la rue, je lui brulerais la cervelle, dit celui-la. – Vous vous calomniez vous-meme, repondit M. Victor Hugo, vous vouliez dire que vous feriez usage de votre arme contre lui, si vous l'aperceviez sur une barricade. – Non, non! disait l'autre en insistant, dans la rue, ici meme. – Monsieur, dit le poete indigne, vous etes le meme homme qui a tue le general Brea! – Il est difficile de dire l'impression profonde que ce mot a causee a tous les assistants, a l'exception de celui qui venait de provoquer cette reponse foudroyante.
NOTE 11
PROPOSITION MELUN. – ENQUETE SUR LA MISERE
Bureaux. – Juin 1849.
M. VICTOR HUGO. – J'appuie energiquement la proposition.
Messieurs, il est certain qu'a l'heure ou nous sommes, la misere pese sur le peuple. Quelles sont les causes de cette misere? Les longues agitations politiques, les lacunes de la prevoyance sociale, l'imperfection des lois, les faux systemes, les chimeres poursuivies et les realites delaissees, la faute des hommes, la force des choses. Voila, messieurs, de quelles causes est sortie la misere. Cette misere, cette immense souffrance publique, est aujourd'hui toute la question sociale, toute la question politique. Elle engendre a la fois le malaise materiel et la degradation intellectuelle; elle torture le peuple par la faim et elle l'abrutit par l'ignorance.
Cette misere, je le repete, est aujourd'hui la question d'etat. Il faut la combattre, il faut la dissoudre, il faut la detruire, non-seulement parce que cela est humain, mais encore parce que cela est sage. La meilleure habilete aujourd'hui, c'est la fraternite. Le grand homme politique d'a present serait un grand homme chretien.
Reflechissez, en effet, messieurs.
Cette misere est la, sur la place publique. L'esprit d'anarchie passe et s'en empare. Les partis violents, les hommes chimeriques, le communisme, le terrorisme surviennent, trouvent la misere publique a leur disposition, la saisissent et la precipitent contre la societe. Avec de la souffrance, on a sitot fait de la haine! De la ces coups de main redoutables ou ces effrayantes insurrections, le 15 mai, le 24 juin. De la ces revolutions inconnues et formidables qui arrivent, portant dans leurs flancs le mystere de la misere.
Que faire donc en presence de ce danger? Je viens de vous le dire. Oter la misere de la question. La combattre, la dissoudre, la detruire.
Voulez-vous que les partis ne puissent pas s'emparer de la misere publique? Emparez-vous-en. Ils s'en emparent pour faire le mal, emparez-vous-en pour faire le bien. Il faut detruire le faux socialisme par le vrai. C'est la votre mission.
Oui, il faut que l'assemblee nationale saisisse immediatement la grande question des souffrances du peuple. Il faut qu'elle cherche le remede, je dis plus, qu'elle le trouve! Il y a la une foule de problemes qui veulent etre muris et medites. Il importe, a mon sens, que l'assemblee nomme une grande commission centrale, permanente, metropolitaine, a laquelle viendront aboutir toutes les recherches, toutes les enquetes, tous les documents, toutes les solutions. Toutes les specialites economiques, toutes les opinions meme, devront etre representees dans cette commission, qui fera les travaux preparatoires; et, a mesure qu'une idee praticable se degagera de ses travaux, l'idee sera portee a l'assemblee qui en fera une loi. Le code de l'assistance et de la prevoyance sociale se construira ainsi piece a piece avec des solutions diverses, mais avec une pensee unique. Il ne faut pas disperser les etudes; tout ce grand ensemble veut etre coordonne. Il ne faut pas surtout separer l'assistance de la prevoyance, il ne faut pas etudier a part les questions d'hospices, d'hopitaux de refuges, etc. Il faut meler le travail a l'assistance, ne rien laisser degenerer en aumone. Il y a aujourd'hui dans les masses de la souffrance; mais il y a aussi de la dignite. Et c'est un bien. Le travailleur veut etre traite, non comme un pauvre, mais comme un citoyen. Secourez-les en les elevant.
C'est la, messieurs, le sens de la proposition de M. de Melun, et je m'y associe avec empressement.
Un dernier mot. Vous venez de vaincre; maintenant savez-vous ce qu'il faut que vous fassiez? Il faut, vous majorite, vous assemblee, montrer votre coeur a la nation, venir en aide aux classes souffrantes par toutes les lois possibles, sous toutes les formes, de toutes les facons, ouvrir les ateliers et les ecoles, repandre la lumiere et le bien-etre, multiplier les ameliorations materielles et morales, diminuer les charges du pauvre, marquer chacune de vos journees par une mesure utile et populaire; en un mot, dire a tous ces malheureux egares qui ne vous connaissaient pas et qui vous jugeaient mal: – Nous ne sommes pas vos vainqueurs, nous sommes vos freres.
NOTE 12
LA LOI SUR L'ENSEIGNEMENT
Bureaux. – Juin 1849.
M. VICTOR HUGO. – Je parle sur la loi. Je l'approuve en ce qu'elle contient un progres. Je la surveille en ce qu'elle peut contenir un peril.
Le progres, le voici. Le projet installe dans l'enseignement deux choses qui y sont nouvelles et qui sont bonnes, l'autorite de l'etat et la liberte du pere de famille. Ce sont la deux sources vives et fecondes d'impulsions utiles.
Le peril, je l'indiquerai tout a l'heure.
Messieurs, deux corporations redoutables, le clerge jusqu'a notre revolution, depuis notre revolution, l'universite, ont successivement domine l'instruction publique dans notre pays, je dirais presque ont fait l'education de la France.
Universite et clerge ont rendu d'immenses services; mais, a cote de ces grands services, il y a eu de grandes lacunes. Le clerge, dans sa vive ardeur pour l'unite de la foi, avait fini par se meprendre, et en etait venu, – ce fut la son tort du temps de nos peres, – a contrarier la marche de l'intelligence humaine et a vouloir eteindre l'esprit de progres qui est le flambeau meme de la France. L'universite, excellente par ses methodes, illustre par ses services, mais enfermee peut-etre dans des traditions trop etroites, n'a pas en elle-meme cette largeur d'idees qui convient aux grandes epoques que nous traversons, et n'a pas toujours fait penetrer dans l'enseignement toute la lumiere possible. Elle a fini par devenir, elle aussi, un clerge.
Les dernieres annees de la monarchie disparue ont vu une lutte acharnee entre ces deux puissances, l'universite et l'eglise, qui se disputaient l'esprit des generations nouvelles.
Messieurs, il est temps que cette guerre finisse et se change en emulation. C'est la le sens, c'est la le but du projet actuel. Il maintient l'universite dans l'enseignement, et il introduit l'eglise par la meilleure de toutes les portes, par la porte de la liberte. Comment ces deux puissances vont-elles se comporter? Se reconcilieront-elles? De quelle facon vont-elles combiner leurs influences? Comment vont-elles comprendre l'enseignement, c'est-a-dire l'avenir? C'est la, messieurs, la question. Chacun de ces deux clerges a ses tendances, tendances auxquelles il faut marquer une limite. Les esprits ombrageux, et en matiere d'enseignement je suis de ce nombre, pourraient craindre qu'avec l'universite seule l'instruction ne fut pas assez religieuse, et qu'avec l'eglise seule l'instruction ne fut pas assez nationale. Or religion et nationalite, ce sont la les deux grands instincts des hommes, ce sont la les deux grands besoins de l'avenir. Il faut donc, je parle en laique et en homme politique, il faut au-dessus de l'eglise et de l'universite quelqu'un pour les dominer, pour les conseiller, pour les encourager, pour les retenir, pour les departager. Qui? l'etat.
L'etat, messieurs, c'est l'unite politique du pays, c'est la tradition francaise, c'est la communaute historique et souveraine de tous les citoyens, c'est la plus grande voix qui puisse parler en France, c'est le pouvoir supreme, qui aie droit d'imposer a l'universite l'enseignement religieux, et a l'eglise l'esprit national.
Le projet actuel installe l'etat au sommet de la loi. Le conseil superieur d'enseignement, tel que le projet le compose, n'est pas autre chose. C'est en cela qu'il me convient.
Je regrette diverses lacunes dans le projet, l'enseignement superieur dont il n'est pas question, l'enseignement professionnel, qui est destine a reclasser les masses aujourd'hui declassees. Nous reviendrons sur ces graves questions.
Somme toute, tel qu'il est, en maintenant l'universite, en acceptant le clerge, le projet fait l'enseignement libre et fait l'etat juge. Je me reserve de l'examiner encore.
M. de Melun, qui soutint la predominance de l'eglise dans l'enseignement, fut nomme commissaire par 20 voix contre 18 donnees a M. Victor Hugo.
NOTE 13
DEMANDE EN AUTORISATION DE POURSUITES CONTRE LES REPRESENTANTS SOMMIER ET RICHARDET
Bureaux. – 31 juillet 1849.
M. VICTOR HUGO. – Messieurs, on invoque les idees d'ordre, le respect de l'autorite qu'il faut raffermir, la protection que l'assemblee doit au pouvoir, pour appuyer la demande en autorisation de poursuites. J'invoque les memes idees pour la combattre.
Et en effet, messieurs, quelle est la question? La voici:
Un delit de presse aurait ete commis, il y a quatre mois, dans un departement eloigne, dans une commune obscure, par un journal ignore. Depuis cette epoque, les auteurs presumes de ce delit ont ete nommes representants du peuple. Aujourd'hui on vous demande de les traduire en justice.
De deux choses l'une: ou vous accorderez l'autorisation, ou vous la refuserez. Examinons les deux cas.
Si vous accordez l'autorisation, de ce fait inconnu de la France, oublie de la localite meme ou il s'est produit, vous faites un evenement. Le fait etait mort, vous le ressuscitez; bien plus, vous le grossissez du retentissement d'un proces, de l'eclat d'un debat passionne, de la plaidoirie des avocats, des commentaires de l'opposition et de la presse. Ce delit, commis dans le champ de foire d'un village, vous le jetez sur toutes les places publiques de France. Vous donnez au petit journal de province tous les grands journaux de Paris pour porte-voix. Cet outrage au president de la republique, cet article que vous jugez venimeux, vous le multipliez, vous le versez dans tous les esprits, vous tirez l'offense a huit cent mille exemplaires.
Le tout pour le plus grand avantage de l'ordre, pour le plus grand respect du pouvoir et de l'autorite.
Si vous refusez l'autorisation, tout s'evanouit, tout s'eteint. Le fait est mort, vous l'ensevelissez, voila tout.
Eh bien! messieurs, je vous le demande, qui est-ce qui comprend mieux les interets de l'ordre et de l'autorite et le raffermissement du pouvoir, de nos adversaires qui accordent l'autorisation, ou de nous qui la refusons?
Cette question d'interet social videe et ecartee, permettez-moi de m'elever a des considerations d'une autre nature.
Dans quelle situation etes-vous?
Vous etes une majorite immense, compacte, triomphante, en presence d'une minorite vaincue et decimee. Je constate la situation et je la livre a votre appreciation politique. Le 13 juin a cree pour vous ce que vous appelez des necessites; en tout cas, ce sont des necessites bien fatales et bien douloureuses. Le 13 juin est un fait considerable, terrible, mysterieux, au fond duquel il vous importe, dites-vous, que la justice penetre, que le jour se fasse. Il faut, en effet, que le pays connaisse dans toute sa profondeur cet evenement d'ou a failli sortir une revolution. Vous avez pu aider la justice. Ce qu'elle vous a demande en fait de poursuites, vous avez pu le lui accorder. Vous avez ete prodigues, c'est mon sentiment.
Mais enfin, de ce cote, tout est fini. Trente-huit representants, c'est assez! c'est trop! Est-ce que le moment n'est pas venu d'etre genereux? Est-ce qu'ici la generosite n'est pas de la sagesse? Quoi! livrer encore deux representants, non plus pour les necessites de l'instruction de juin, mais pour un fait ignore, prescrit, oublie! Messieurs, je vous en conjure, moi qui ai toujours defendu l'ordre, gardez-vous de tout ce qui semblerait violence, reaction, rancune, parti-pris, coup de majorite! Il faut savoir se refuser a soi-meme les dernieres satisfactions de la victoire. C'est a ce prix que, de la situation de vainqueurs, on passe a la condition de gouvernants. Ne soyez pas seulement une majorite nombreuse, soyez une majorite grande!
Tenez, voulez-vous rassurer pleinement le pays? prouvez-lui votre force. Et savez-vous quelle est la meilleure preuve de la force? c'est la mesure. Le jour ou l'opinion publique dira: Ils sont vraiment moderes, la conscience des partis repondra: C'est qu'ils sont vraiment forts!
Je refuse l'autorisation de poursuites.
M. Amable Dubois combattit M. Victor Hugo. M. Amable Dubois fut nomme rapporteur par 14 voix contre 11 donnees a M. Victor Hugo.
NOTE 14.
DOTATION DE M. BONAPARTE
Bureaux. – 6 fevrier 1851.
En janvier 1851, immediatement apres le vote de defiance, M. Louis Bonaparte tendit la main a cette assemblee qui venait de le frapper, et lui demanda trois millions. C'etait une veritable dotation princiere. L'assemblee debattit cette pretention, d'abord dans les bureaux, puis en seance publique. La discussion publique ne dura qu'un jour et fut peu remarquable. La discussion prealable des bureaux, qui eut lieu le 6 fevrier, avait vivement excite l'attention publique, et, quand la question arriva au grand jour, elle avait ete comme epuisee par ce debat preliminaire.
Dans le 12e bureau particulierement, le debat fut vif et prolonge. A deux heures et demie, malgre la seance commencee, la discussion durait encore. Une grande partie des membres de l'assemblee, groupes derriere les larges portes vitrees du 12e bureau, assistaient du dehors a cette lutte ou furent successivement entendus MM. Leon Faucher, Sainte-Beuve, auteur de la redaction de defiance, Michel (de Bourges) et Victor Hugo.
M. Combarel de Leyval prit la parole le premier; M. Leon Faucher et apres lui M. Bineau, tous deux anciens ministres de Bonaparte, soutinrent vivement le projet de dotation. Le discours passionne de M. Leon Faucher amena dans le debat M. Victor Hugo.
M. VICTOR HUGO. – Ce que dit M. Leon Faucher m'oblige a prendre la parole. Je ne dirai qu'un mot. Je ne desire pas etre nomme commissaire; je suis trop souffrant encore pour pouvoir aborder la tribune, et mon intention n'etait pas de parler, meme ici.
Selon moi, l'assemblee, en votant la dotation il y a dix mois, a commis une premiere faute; en la votant de nouveau aujourd'hui, elle commettrait une seconde faute, plus grave encore.
Je n'invoque pas seulement ici l'interet du pays, les detresses publiques, la necessite d'alleger le budget et non de l'aggraver; j'invoque l'interet bien entendu de l'assemblee, j'invoque l'interet meme du pouvoir executif, et je dis qu'a tous ces points de vue, aux points de vue les plus restreints comme aux points de vue les plus generaux, voter ce qu'on vous demande serait une faute considerable.
Et en effet, messieurs, depuis le vote de la premiere dotation, la situation respective des deux pouvoirs a pris un aspect inattendu. On etait en paix, on est en guerre. Un serieux conflit a eclate.
Ce conflit, au dire de ceux-la memes qui soutiennent le plus energiquement le pouvoir executif, ce conflit est une cause de desordre, de trouble, d'agitation dont souffrent tous les interets; ce conflit a presque les proportions d'une calamite publique.
Or, messieurs, sondez ce conflit. Qu'y a-t-il au fond? La dotation.
Oui, sans la dotation, vous n'auriez pas eu les voyages, les harangues, les revues, les banquets de sous-officiers meles aux generaux, Satory, la place du Havre, la societe du Dix-Decembre, les cris de vive l'Empereur! et les coups de poing. Vous n'auriez pas eu ces tentatives pretoriennes qui tendaient a donner a la republique l'empire pour lendemain. Point d'argent, point d'empire.
Vous n'auriez pas eu tous ces faits etranges qui ont si profondement inquiete le pays, et qui ont du irresistiblement eveiller le pouvoir legislatif et amener le vote de ce qu'on a appele la coalition, coalition qui n'est au fond qu'une juxtaposition.
Rappelez-vous ce vote, messieurs; les faits ont ete apportes devant vous, vous les avez juges dans votre conscience, et vous avez solennellement declare votre defiance.
La defiance du pouvoir legislatif contre le pouvoir executif!
Or, comment le pouvoir executif, votre subordonne apres tout, a-t-il recu cet avertissement de l'assemblee souveraine?
Il n'en a tenu aucun compte. Il a mis a neant votre vote. Il a declare excellent ce cabinet que vous aviez declare suspect. Resistance qui a aggrave le conflit et qui a augmente votre defiance.
Et aujourd'hui que fait-il?
Il se tourne vers vous, et il vous demande les moyens d'achever quoi? Ce qu'il avait commence. Il vous dit: – Vous vous defiez de moi. Soit! payez toujours, je vais continuer.
Messieurs, en vous faisant de telles demandes, dans un tel moment, le pouvoir executif ecoute peu sa dignite. Vous ecouterez la votre et vous refuserez.
Ce qu'a dit M. Faucher des interets du pays, lorsqu'il a nomme M. Bonaparte, est-il vrai? Moi qui vous parle, j'ai vote pour M. Bonaparte. J'ai, dans la sphere de mon action, favorise son election. J'ai donc le droit de dire quelques mots des sentiments de ceux qui ont fait comme moi, et des miens propres. Eh bien! non, nous n'avons pas vote pour Napoleon, en tant que Napoleon; nous avons vote pour l'homme qui, muri par la prison politique, avait ecrit, en faveur des classes pauvres, des livres remarquables. Nous avons vote pour lui, enfin, parce qu'en face de tant de pretentions monarchiques nous trouvions utile qu'un prince abdiquat ses titres en recevant du pays les fonctions de president de la republique.
Et puis, remarquez encore ceci, ce prince, puisqu'on attache tant d'importance a rappeler ce titre, etait un prince revolutionnaire, un membre d'une dynastie parvenue, un prince sorti de la revolution, et qui, loin d'etre la negation de cette revolution, en etait l'affirmation. Voila pourquoi nous l'avions nomme. Dans ce condamne politique, il y avait une intelligence; dans ce prince, il y avait un democrate. Nous avons espere en lui.
Nous avons ete trompes dans nos esperances. Ce que nous attendions de l'homme, nous l'avons attendu en vain; tout ce que le prince pouvait faire, il l'a fait, et il continue en demandant la dotation. Tout autre, a sa place, ne le pourrait pas, ne le voudrait pas, ne l'oserait pas. Je suppose le general Changarnier au pouvoir. Il suivrait probablement la meme politique que M. Bonaparte, mais il ne songerait pas a venir vous demander 2 millions a ajouter a 1,200,000 francs, par cette raison fort simple qu'il ne saurait reellement, lui, simple particulier avant son election, que faire d'une pareille liste civile. M. Changarnier n'aurait pas besoin de faire crier vive l'Empereur! autour de lui. C'est donc le prince, le prince seul, qui a besoin de 2 millions. Le premier Napoleon lui-meme, dans une position analogue, se contenta de 500,000 francs, et, loin de faire des dettes, il payait tres noblement, avec cette somme, celles de ses generaux.
Arretons ces deplorables tendances; disons par notre vote: Assez! assez!
Qui a rouvert ce debat? Est-ce vous? Est-ce nous? Si ranimer cette discussion, c'est faire acte de mauvais citoyen, comme on vient de le dire, est-ce a nous qu'on peut adresser ce reproche? Non, non! Le mauvais citoyen, s'il y en a un, est ailleurs que dans l'assemblee.
Je termine ici ces quelques observations. Quand la majorite a vote la dotation la premiere fois, elle ne savait pas ce qui etait derriere.
Aujourd'hui vous le savez. La voter alors, c'etait de l'imprudence; la voter aujourd'hui, ce serait de la complicite.
Tenez, messieurs du parti de l'ordre, voulez-vous faire de l'ordre? acceptez la republique. Acceptez-la, acceptons-la tous purement, simplement, loyalement. Plus de princes, plus de dynasties, plus d'ambitions extra-constitutionnelles; je ne veux pas dire: plus de complots, mais je dirai plus de reves. Quand personne ne revera plus, tout le monde se calmera. Croyez-vous que ce soit un bon moyen de rassurer les interets et d'apaiser les esprits que de dire sans cesse tout haut: – Cela ne peut durer; et tout bas: – Preparons autre chose! – Messieurs, finissons-en. Toutes ces allures princieres, ces dotations tristement demandees et facheusement depensees, ces esperances qui vont on ne sait ou, ces aspirations a un lendemain dictatorial et par consequent revolutionnaire, c'est de l'agitation, c'est du desordre. Acceptons la republique. L'ordre, c'est le definitif.
On sait que l'assemblee refusa la dotation.