Kitabı oku: «Actes et Paroles, Volume 1», sayfa 9
IV
LE PAPE PIE IX
[Note: Ce discours, du reste assez mal accueilli, fut prononce dans la discussion de l'adresse en reponse au discours de la couronne, a propos du paragraphe 6 de cette adresse, qui etait ainsi concu: "Nous croyons, avec votre majeste, que la paix du monde est assuree. Elle est essentielle a tous les gouvernements et a tous les peuples. Cet universel besoin est la garantie des bons rapports qui existent entre les etats. Nos voeux accompagneront les progres que chaque pays pourra accomplir, dans son action propre et independante. Une ere nouvelle de civilisation et de liberte s'ouvre pour les etats italiens. Nous secondons de toute notre sympathie et de toutes nos esperances le pontife magnanime qui l'inaugure avec autant de sagesse que de courage, et les souverains qui suivent, comme lui, cette voie de reformes pacifiques ou marchent de concert les gouvernements et les peuples." Le paragraphe ainsi redige fut adopte a l'unanimite. A cette epoque, l'Italie criait: Vivo, Pio nono! Pie IX etait revolutionnaire. On a pu mesurer depuis la distance qu'il y avait entre le pape des Droits de l'homme et le pape du Syllabus. (Note de l'editeur.)]
13 janvier 1848.
Messieurs,
Les annees 1846 et 1847 ont vu se produire un evenement considerable.
Il y a, a l'heure ou nous parlons, sur le trone de saint Pierre un homme, un pape, qui a subitement aboli toutes les haines, toutes les defiances, je dirais presque toutes les heresies et tous les schismes; qui s'est fait admirer a la fois, j'adopte sur ce point pleinement les paroles de notre noble et eloquent collegue M. le comte de Montalembert, qui s'est fait admirer a la fois, non seulement des populations qui vivent dans l'eglise romaine, mais de l'Angleterre non catholique, mais de la Turquie non chretienne, qui a fait faire, enfin, en un jour, pourrait-on dire, un pas a la civilisation humaine. Et cela comment? De la facon la plus calme, la plus simple et la plus grande, en communiant publiquement, lui pape, avec les idees des peuples, avec les idees d'emancipation et de fraternite. Contrat auguste; utile et admirable alliance de l'autorite et de la liberte, de l'autorite sans laquelle il n'y a pas de societe, de la liberte sans laquelle il n'y a pas de nation. (Mouvement.)
Messieurs les pairs, ceci est digne de vos meditations. Approfondissez cette grande chose.
Cet homme qui tient dans ses mains les clefs de la pensee de tant d'hommes, il pouvait fermer les intelligences, il les a ouvertes. Il a pose l'idee d'emancipation et de liberte sur le plus haut sommet ou l'homme puisse poser une lumiere. Ces principes eternels que rien n'a pu souiller et que rien ne pourra detruire, qui ont fait notre revolution et lui ont survecu, ces principes de droit, d'egalite, de devoir reciproque, qui, il y a cinquante ans, etaient un moment apparus au monde, toujours grands sans doute, mais farouches, formidables et terribles sous le bonnet rouge, Pie IX les a transfigures, il vient de les montrer a l'univers rayonnants de mansuetude, doux et venerables sous la tiare. C'est que c'est la leur veritable couronne en effet! Pie IX enseigne la route bonne et sure aux rois, aux peuples, aux hommes d'etat, aux philosophes, a tous. Graces lui soient rendues! Il s'est fait l'auxiliaire evangelique, l'auxiliaire supreme et souverain, de ces hautes verites sociales que le continent, a notre grand et serieux honneur, appelle les idees francaises. Lui, le maitre des consciences, il s'est fait le serviteur de la raison. Il est venu, revolutionnaire rassurant, faire voir aux nations, a la fois eblouies et effrayees par les evenements tragiques, les conquetes, les prodiges militaires et les guerres de geants qui ont rempli la fin du dernier siecle et le commencement de celui-ci, il est venu, dis-je, faire voir aux nations que, pour feconder le sillon ou germe l'avenir des peuples libres, il n'est pas necessaire de verser le sang, il suffit de repandre les idees; que l'evangile contient toutes les chartes; que la liberte de tous les peuples comme la delivrance de tous les esclaves etait dans le coeur du Christ et doit etre dans le coeur de l'eveque; que, lorsqu'il le veut, l'homme de paix est un plus grand conquerant que l'homme de guerre, et un conquerant meilleur; que celui-la qui a dans l'ame la vraie charite divine, la vraie fraternite humaine, a en meme temps dans l'intelligence le vrai genie politique, et qu'en un mot, pour qui gouverne les hommes, c'est la meme chose d'etre saint et d'etre grand. (Adhesion.)
Messieurs, je ne parlerai jamais de l'ancienne papaute, de l'antique papaute, qu'avec veneration et respect; mais je dis cependant que l'apparition d'un tel pape est un evenement immense. (Interruption.)
Oui, j'y insiste, un pape qui adopte la revolution francaise (bruit), qui en fait la revolution chretienne, et qui la mele a cette benediction qu'il repand du haut du balcon Quirinal sur Rome et sur l'univers, urbi et orbi, un pape qui fait cette chose extraordinaire et sublime, n'est pas seulement un homme, il est un evenement.
Evenement social, evenement politique. Social, car il en sortira toute une phase de civilisation nouvelle; politique, car il en sortira une nouvelle Italie.
Ou plutot, je le dis, le coeur plein de reconnaissance et de joie, il en sortira la vieille Italie.
Ceci est l'autre aspect de ce grand fait europeen. (Interruption.Beaucoup de pairs protestent.)
Oui, messieurs, je suis de ceux qui tressaillent en songeant que Rome, cette vieille et feconde Rome, cette metropole de l'unite, apres avoir enfante l'unite de la foi, l'unite du dogme, l'unite de la chretiente, entre en travail encore une fois, et va enfanter peut-etre, aux acclamations du monde, l'unite de l'Italie. (Mouvements divers.)
Ce nom merveilleux, ce mot magique, l'Italie, qui a si longtemps exprime parmi les hommes la gloire des armes, le genie conquerant et civilisateur, la grandeur des lettres, la splendeur des arts, la double domination par le glaive et par l'esprit, va reprendre, avant un quart de siecle peut-etre, sa signification sublime, et redevenir, avec l'aide de Dieu et de celui qui n'aura jamais ete mieux nomme son vicaire, non-seulement le resume d'une grande histoire morte, mais le symbole d'un grand peuple vivant!
Aidons de toutes nos forces a ce desirable resultat. (Interruption. Les protestations redoublent.) Et puis, en outre, comme une pensee patriotique est toujours bonne, ayons ceci present a l'esprit, que nous, les mutiles de 1815, nous n'avons rien a perdre a ces remaniements providentiels de l'Europe, qui tendent a rendre aux nations leur forme naturelle et necessaire. (Mouvement.)
Je ne veux pas faire rentrer la chambre dans le detail de toutes ces questions. Au point ou la discussion est arrivee, avec la fatigue de l'assemblee, ce qu'on aurait pu dire hier n'est plus possible aujourd'hui; je le regrette, et je me borne a indiquer l'ensemble de la question, et a en marquer le point culminant. Il importe qu'il parte de la tribune francaise un encouragement grave, serieux, puissant, a ce noble pape, et a cette noble nation! un encouragement aux princes intelligents qui suivent le pretre inspire, un decouragement aux autres, s'il est possible! (Agitation.)
Ne l'oublions pas, ne l'oublions jamais, la civilisation du monde a une aieule qui s'appelle la Grece, une mere qui s'appelle l'Italie, et une fille ainee qui s'appelle la France. Ceci nous indique, a nous chambres francaises, notre droit qui ressemble beaucoup a notre devoir.
Messieurs les pairs, en d'autres temps nous avons tendu la main a la Grece, tendons aujourd'hui la main a l'Italie. (Mouvements divers. – Aux voix! aux voix!)
REUNIONS ELECTORALES
1848-1849
I
LETTRE AUX ELECTEURS
20 juin 1848.
Des electeurs ecrivent a M. Victor Hugo pour lui proposer la candidature a l'assemblee nationale constituante. Il repond:
Messieurs,
J'appartiens a mon pays, il peut disposer de moi.
J'ai un respect, exagere peut-etre, pour la liberte du choix; trouvez bon que je pousse ce respect jusqu'a ne pas m'offrir.
J'ai ecrit trente-deux volumes, j'ai fait jouer huit pieces de theatre; j'ai parle six fois a la chambre des pairs, quatre fois en 1846, le 14 fevrier, le 20 mars, le 1er avril, le 5 juillet, une fois en 1847, le 14 juin, une fois en 1848, le 13 janvier. Mes discours sont au Moniteur.
Tout cela est au grand jour. Tout cela est livre a tous. Je n'ai rien a y retrancher, rien a y ajouter.
Je ne me presente pas. A quoi bon? Tout homme qui a ecrit une page en sa vie est naturellement presente par cette page s'il y a mis sa conscience et son coeur.
Mon nom et mes travaux ne sont peut-etre pas absolument inconnus de mes concitoyens. Si mes concitoyens jugent a propos, dans leur liberte et dans leur souverainete, de m'appeler a sieger, comme leur representant, dans l'assemblee qui va tenir en ses mains les destinees de la France et de l'Europe, j'accepterai avec recueillement cet austere mandat. Je le remplirai avec tout ce que j'ai en moi de devouement, de desinteressement et de courage.
S'ils ne me designent pas, je remercierai le ciel, comme ce spartiate, qu'il se soit trouve dans ma patrie neuf cents citoyens meilleurs que moi.
En ce moment, je me tais, j'attends et j'admire les grandes actions que fait la providence.
Je suis pret, – si mes concitoyens songent a moi et m'imposent ce grand devoir public, a rentrer dans la vie politique; – sinon, a rester dans la vie litteraire.
Dans les deux cas, et quel que soit le resultat, je continuerai a donner, comme je le fais depuis vingt-cinq ans, mon coeur, ma pensee, ma vie et mon ame a mon pays.
Recevez, messieurs, l'assurance fraternelle de mon devouement et de ma cordialite.
II
PLANTATION DE L'ARBRE DE LA LIBERTE
PLACE DES VOSGES
C'est avec joie que je me rends a l'appel de mes concitoyens et que je viens saluer au milieu d'eux les esperances d'emancipation, d'ordre et de paix qui vont germer, melees aux racines de cet arbre de la liberte. C'est un beau et vrai symbole pour la liberte qu'un arbre! La liberte a ses racines dans le coeur du peuple, comme l'arbre dans le coeur de la terre; comme l'arbre, elle eleve et deploie ses rameaux dans le ciel; comme l'arbre, elle grandit sans cesse et couvre les generations de son ombre. (Acclamations.)
Le premier arbre de la liberte a ete plante, il y a dix-huit cents ans, par Dieu meme sur le Golgotha. (Acclamations.) Le premier arbre de la liberte, c'est cette croix sur laquelle Jesus-Christ s'est offert en sacrifice pour la liberte, l'egalite et la fraternite du genre humain. (Bravos et longs applaudissements.)
La signification de cet arbre n'a point change depuis dix-huit siecles; seulement, ne l'oublions pas, a temps nouveaux devoirs nouveaux. La revolution que nos peres ont faite il y a soixante ans a ete grande par la guerre, la revolution que vous faites aujourd'hui doit etre grande par la paix. La premiere a detruit, la seconde doit organiser. L'oeuvre d'organisation est le complement necessaire de l'oeuvre de destruction; c'est la ce qui rattache intimement 1848 a 1789. Fonder, creer, produire, pacifier; satisfaire a tous les droits, developper tous les grands instincts de l'homme, pourvoir a tous les besoins des societes; voila la tache de l'avenir. Or, dans les temps ou nous sommes, l'avenir vient vite. (Applaudissements.)
On pourrait presque dire que l'avenir n'est plus demain, il commence des aujourd'hui. (Bravo!) A l'oeuvre donc, a l'oeuvre, travailleurs par le bras, travailleurs par l'intelligence, vous tous qui m'ecoutez et qui m'entourez! mettez a fin cette grande oeuvre de l'organisation fraternelle de tous les peuples, conduits au meme but, rattaches a la meme idee, et vivant du meme coeur. Soyons tous des hommes de bonne volonte, ne menageons ni notre peine ni nos sueurs. Repandons sur le peuple qui nous entoure, et de la sur le monde entier, la sympathie, la charite et la fraternite. Depuis trois siecles, le monde imite la France. Depuis trois siecles, la France est la premiere des nations. Et savez-vous ce que veut dire ce mot, la premiere des nations? Ce mot veut dire, la plus grande; ce mot veut dire aussi, la meilleure. (Acclamations.)
Mes amis, mes freres, mes concitoyens, etablissons dans le monde entier, par la grandeur de nos exemples, l'empire de nos idees! Que chaque nation soit heureuse et fiere de ressembler a la France! (Bravo!)
Unissons-nous dans une pensee commune, et repetez avec moi ce cri: Vive la liberte universelle! Vive la republique universelle! (Vive la republique! Vive Victor Hugo! – Longues acclamations.)
III
REUNION DES AUTEURS DRAMATIQUES
Je suis profondement touche des sympathies qui m'environnent. Des voix aimees, des confreres celebres m'ont glorifie bien au dela du peu que je vaux. Permettez-moi de les remercier de cette cordiale eloquence a laquelle je dois les applaudissements qui ont accueilli mon nom; permettez-moi, en meme temps, de m'abstenir de tout ce qui pourrait ressembler a une sollicitation de suffrages. Puisque la nation est en train de chercher son ideal, voici quel serait le mien en fait d'elections. Je voudrais les elections libres et pures; libres, en ce qui touche les electeurs; pures, en ce qui touche les candidats.
Personnellement, je ne me presente pas. Mes raisons, vous les connaissez, je les ai publiees; elles sont toutes puisees dans mon respect pour la liberte electorale. Je dis aux electeurs: Choisissez qui vous voudrez et comme vous voudrez; quant a moi, j'attends, et j'applaudirai au resultat quel qu'il soit. Je serai fier d'etre choisi, satisfait d'etre oublie. (Approbation.)
Ce n'est pas que je n'aie aussi, moi, mes ambitions. J'ai une ambition pour mon pays, – c'est qu'il soit puissant, heureux, riche, prospere, glorieux, sous cette simple formule, Liberte, egalite, fraternite; c'est qu'il soit le plus grand dans la paix, comme il a ete le plus grand dans la guerre. (Bravo! bravo!) Et puis, j'ai une ambition pour moi, – c'est de rester ecrivain libre et simple citoyen.
Maintenant, s'il arrive que mon pays, connaissant ma pensee et ma conscience qui sont publiques depuis vingt-cinq ans, m'appelle, dans sa confiance, a l'assemblee nationale et m'assigne un poste ou il faudra veiller et peut-etre combattre, j'accepterai son vote comme un ordre et j'irai ou il m'enverra. Je suis a la disposition de mes concitoyens. Je suis candidat a l'assemblee nationale comme tout soldat est candidat au champ de bataille. (Acclamations.)
Le mandat de representant du peuple sera a la fois un honneur et un danger; il suffit que ce soit un honneur pour que je ne le sollicite pas, il suffit que ce soit un danger pour que je ne le refuse pas. (Longues acclamations.)
Vous m'avez compris. Maintenant je vais vous parler de vous.
Il y a, en ce moment, en France, a Paris, deux classes d'ouvriers qui, toutes deux, ont droit a etre representees dans l'assemblee nationale. L'une … a Dieu ne plaise que je parle autrement qu'avec la plus cordiale effusion de ces braves ouvriers qui ont fait de si grandes choses et qui en feront de plus grandes encore. Je ne suis pas de ceux qui les flattent, mais je suis de ceux qui les aiment. Ils sauront completer la haute idee qu'ils ont donnee au monde de leur bon sens et de leur vertu. Ils ont montre le courage pendant le combat, ils montreront la patience apres la victoire. Cette classe d'ouvriers, dis-je, a fait de grandes choses, elle sera noblement et largement representee a l'assemblee constituante, et, pour ma part, je reserve aux ouvriers de Paris dix places sur mon bulletin.
Mais je veux, je veux pour l'honneur de la France, que l'autre classe d'ouvriers, les ouvriers de l'intelligence, soit aussi noblement et largement representee. Le jour ou l'on pourrait dire: Les ecrivains, les poetes, les artistes, les hommes de la pensee, sont absents de la representation nationale, ce serait une sombre et fatale eclipse, et l'on verrait diminuer la lumiere de la France! (Bravo!)
Il faut que tous les ouvriers aient leurs representants a l'assemblee nationale, ceux qui font la richesse du pays et ceux qui font sa grandeur; ceux qui remuent les paves et ceux qui remuent les esprits! (Acclamations.)
Certes, c'est quelque chose que d'avoir construit les barricades de fevrier sous la mousqueterie et la fusillade, mais c'est quelque chose aussi que d'etre sans cesse, sans treve, sans relache, debout sur les barricades de la pensee, expose aux haines du pouvoir et a la mitraille des partis. (Applaudissements.)Les ouvriers, nos freres, ont lutte trois jours; nous, travailleurs de l'intelligence, nous avons lutte vingt ans.
Avisez donc a ce grand interet. Que l'un de vous parle pour vous, que votre drapeau, qui est le drapeau meme de la civilisation, soit tenu au milieu de la melee par une main ferme et illustre. Faites prevaloir les idees! Montrez que la gloire est une force! (Bravo!) Meme quand les revolutions ont tout renverse, il y a une puissance qui reste debout, la pensee. Les revolutions brisent les couronnes, mais n'eteignent pas les aureoles. (Longs applaudissements.)
Un des auteurs presents ayant demande a M. Victor Hugo ce qu'il ferait si un club marchait sur l'assemblee constituante, M. Victor Hugo replique:
Je prie M. Theodore Muret de ne point oublier que je ne me presente pas; je vais lui repondre cependant, mais je lui repondrai comme electeur et non comme candidat. (Mouvement d'attention.) Dans un moment ou le systeme electoral le plus large et le plus liberal que les hommes aient jamais pu, je ne dis pas realiser, mais rever, appelle tous les citoyens a deposer leur vote, tous, depuis le premier jusqu'au dernier, – je me trompe, il n'y a plus maintenant ni premier, ni dernier, – tous, veux-je dire, depuis ce qu'on appelait autrefois le premier jusqu'a ce qu'on appelait autrefois le dernier; dans un moment ou de tous ces votes reunis va sortir l'assemblee definitive, l'assemblee supreme qui sera, pour ainsi dire, la majeste visible de la France, s'il etait possible qu'a l'heure ou ce senat prendra possession de la plenitude legitime de son autorite souveraine, il existat dans un coin quelconque de Paris une fraction, une coterie, un groupe d'hommes, je ne dirai pas assez coupables, mais assez insenses, pour oser, dans un paroxysme d'orgueil, mettre leur petite volonte face a face et de front avec la volonte auguste de cette assemblee qui sera le pays meme, je me precipiterais au-devant d'eux, et je leur crierais: Malheureux! arretez-vous, vous allez devenir de mauvais citoyens! (Bravo! bravo!) Et s'il ne m'etait pas donne de les retenir, s'ils persistaient dans leur tentative d'usurpation impie, oh! alors je donnerais, s'il le fallait, tout le sang que j'ai dans les veines, et je n'aurais pas assez d'imprecations dans la voix, pas assez d'indignation dans l'ame, pas assez de colere dans le coeur, pour ecraser l'insolence des dictatures sous la souverainete de la nation! (Immenses acclamations.)
IV
VICTOR HUGO A SES CONCITOYENS
Mes concitoyens,
Je reponds a l'appel des soixante mille electeurs qui m'ont spontanement honore de leurs suffrages aux elections de la Seine. Je me presente a votre libre choix.
Dans la situation politique telle qu'elle est, on me demande toute ma pensee. La voici:
Deux republiques sont possibles.
L'une abattra le drapeau tricolore sous le drapeau rouge, fera des gros sous avec la colonne, jettera bas la statue de Napoleon et dressera la statue de Marat, detruira l'institut, l'ecole polytechnique et la legion d'honneur, ajoutera a l'auguste devise: Liberte, Egalite, Fraternite, l'option sinistre: ou la Mort; fera banqueroute, ruinera les riches sans enrichir les pauvres, aneantira le credit, qui est la fortune de tous, et le travail, qui est le pain de chacun, abolira la propriete et la famille, promenera des tetes sur des piques, remplira les prisons par le soupcon et les videra par le massacre, mettra l'Europe en feu et la civilisation en cendre, fera de la France la patrie des tenebres, egorgera la liberte, etouffera les arts, decapitera la pensee, niera Dieu; remettra en mouvement ces deux, machines fatales qui ne vont pas l'une sans l'autre, la planche aux assignats et la bascule de la guillotine; en un mot, fera froidement ce que les hommes de 93 ont fait ardemment, et, apres l'horrible dans le grand que nos peres ont vu, nous montrera le monstrueux dans le petit.
L'autre sera la sainte communion de tous les francais des a present, et de tous les peuples un jour, dans le principe democratique; fondera une liberte sans usurpations et sans violences, une egalite qui admettra la croissance naturelle de chacun, une fraternite, non de moines dans un couvent, mais d'hommes libres; donnera a tous l'enseignement comme le soleil donne la lumiere, gratuitement; introduira la clemence dans la loi penale et la conciliation dans la loi civile; multipliera les chemins de fer, reboisera une partie du territoire, en defrichera une autre, decuplera la valeur du sol; partira de ce principe qu'il faut que tout homme commence par le travail et finisse par la propriete, assurera en consequence la propriete comme la representation du travail accompli, et le travail comme l'element de la propriete future; respectera l'heritage, qui n'est autre chose que la main du pere tendue aux enfants a travers le mur du tombeau; combinera pacifiquement, pour resoudre le glorieux probleme du bien-etre universel, les accroissements continus de l'industrie, de la science, de l'art et de la pensee; poursuivra, sans quitter terre pourtant et sans sortir du possible et du vrai, la realisation sereine de tous les grands reves des sages; batira le pouvoir sur la meme base que la liberte, c'est-a-dire sur le droit; subordonnera la force a l'intelligence; dissoudra l'emeute et la guerre, ces deux formes de la barbarie; fera de l'ordre la loi des citoyens, et de la paix la loi des nations; vivra et rayonnera; grandira la France, conquerra le monde; sera, en un mot, le majestueux embrassement du genre humain sous le regard de Dieu satisfait.
De ces deux republiques, celle-ci s'appelle la civilisation, celle-la s'appelle la terreur. Je suis pret a devouer ma vie pour etablir l'une et empecher l'autre.