Kitabı oku: «Actes et Paroles, Volume 2: Pendant l'exil 1852-1870», sayfa 18
IV
CONGRES DES ETUDIANTS
Un congres des etudiants se fait en Belgique. Victor Hugo est prie d'y assister.
Bruxelles, 23 octobre 1865.
Votre honorable invitation me parvient au moment de mon depart pour Guernesey. C'est un regret pour moi de ne pouvoir assister a votre noble et touchante reunion.
Votre congres d'etudiants prend une genereuse initiative. Vous etes dans le sens du siecle et vous marchez. Vous prouvez le mouvement. C'est bien.
Par la fraternite des ecoles, vous faites l'annonce de la fraternite des peuples, vous realisez aujourd'hui ce que nous revons pour demain. Qui serait l'avant-garde si ce n'est vous, jeunes gens? L'union des nations, ce grand but, lointain encore, des penseurs et des philosophes, est, des a l'instant, visible en vous. J'applaudis a votre oeuvre de concorde et a cette paix des hommes deja signee entre nos enfants. J'aime dans la jeunesse sa ressemblance avec l'avenir.
Une porte est ouverte devant nous. Sur cette porte on lit: Paix et liberte! Passez-y les premiers; vous en etes dignes, c'est l'arc de triomphe du progres.
Je suis avec vous du fond du coeur.
VICTOR HUGO.
1866
Le Droit a la liberte – Le droit a la vie. Le droit a la patrie.
I
LA LIBERTE
Hauteville-House, 19 mars 1866.
A M. CLEMENT DUVERNOIS
Monsieur,
Vous souhaitez, en termes magnifiques et avec l'accent d'une sympathie fiere, la bienvenue a mon livre, les Travailleurs de la mer. Je vous remercie.
Vous, intelligence eminente et conscience ferme, vous faites partie d'un vaillant groupe puissamment commande. Vous arborez l'eternel drapeau, vous jetez l'eternel cri, vous revendiquez l'eternel droit: liberte!
La liberte, c'est la aujourd'hui l'immense soif des consciences. La liberte est de tous les partis, etant le mode vital de la pensee. Toute ame veut la liberte comme toute prunelle veut la lumiere. Aussi, des le premier jour, la foule s'est tournee vers vous.
Je veux, comme vous, la liberte; je partage a cette heure son exil.
J'ai ecrit: Le jour ou la liberte rentrera, je rentrerai. J'attends la liberte avec une grande patience personnelle et une grande impatience nationale.
La France sans la liberte, c'est encore la deesse, ce n'est plus l'ame.
En quoi je differe de vous, le voici: je suis un revolutionnaire. Pour moi la revolution continue.
Tous les deux ou trois mille ans, le progres a besoin d'une secousse; l'alanguissement humain le gagne, et un quid divinum est necessaire. Il lui faut une nouvelle impulsion presque initiale. Dans l'histoire, telle que la courte memoire des peuples nous la donne, la reaction chantee par Homere, de l'Europe sur l'Asie, a ete la premiere secousse, le christianisme a ete la seconde, la revolution francaise est la troisieme.
Toute revolution a un caractere double, et c'est a cela qu'on la reconnait; c'est une formation sous une elimination.
On ne peut vouloir l'une sans vouloir l'autre, cette double acceptation caracterise le revolutionnaire.
Les revolutions ne creent point, elles sont des explosions de calorique latent, pas autre chose. Elles mettent hors de l'homme le fait eternel et interieur dont la sortie est devenue necessaire. C'est pour l'humanite une question d'age. Ce fait, elles le degagent; on le croit nouveau parce qu'on le voit; auparavant on le sentait. S'il etait nouveau, il serait injuste; il ne peut y avoir rien de nouveau dans le droit. L'element qui apparait et se revele principe, telle est l'eclosion magnifique des revolutions; le droit occulte devient droit public; il passe de l'etat confus a l'etat precis; il couvait, il eclate; il etait sentiment, il devient evidence. Cette simplicite sublime est propre aux actes de souverainete du progres.
Les deux dernieres grandes secousses du progres ont mis en lumiere et dresse a jamais au-dessus des societes modifiables les deux grands faits de l'homme: le christianisme a degage l'egalite; la revolution francaise a degage la liberte.
La ou ces deux faits manquent, la vie n'est pas.
Etre tous freres, etre tous libres, c'est vivre; ce sont les deux mouvements de poumons de la civilisation.
Egalite, liberte, aspiration et respiration du genre humain.
Cela pose, il est etrange d'entendre raisonner sur les libertes accessoires et sur les libertes necessaires.
L'un dit: Vous respirerez quand on pourra.
L'autre dit: Vous respirerez comme on voudra.
Les libertes, cette enonciation est un non-sens. La liberte est. Elle a cela de commun avec Dieu, qu'elle exclut le pluriel.
Elle aussi, elle dit: sum qui sum.
Tenez donc haut votre drapeau. Votre cri liberte, c'est le verbe meme de la civilisation. C'est le sublime fiat lux de l'homme, c'est le profond et mysterieux appel qui fera lever l'astre. L'astre est derriere l'horizon, et il vous entend. Courage!
Pardonnez au solitaire si, provoque par vos eloquentes et graves paroles et par votre puissant mot de ralliement, il est sorti un moment de son silence. Je me hate d'y rentrer, mais auparavant, monsieur, laissez-moi vous serrer la main.
VICTOR HUGO.
II
LE CONDAMNE A MORT DE JERSEY BRADLEY
LETTRE A UN AMI
Bruxelles, 27 juillet 1866.
Je suis en voyage, et vous aussi. Je ne sais ou vous adresser ma lettre. Vous arrivera-t-elle? La votre pourtant m'est parvenue, mais pas un des journaux dont vous me parlez. Vous me demandez d'intervenir; mais je ne sais pas le premier mot de cette lugubre affaire Bradley. Et puis, helas! que dire? Bradley n'est qu'un detail; son supplice se perd dans le grand supplice universel. La civilisation, en ce moment, est sur le chevalet. En Angleterre, on retablit la fusillade; en Russie, la torture; en Allemagne, le banditisme. A Paris, abaissement de la conscience politique, de la conscience litteraire, de la conscience philosophique. La guillotine francaise travaille de facon a piquer d'honneur le gibet anglais.
Partout le progres est remis en question. Partout la liberte est reniee. Partout l'ideal est insulte. Partout la reaction prospere sous ses divers pseudonymes, bon ordre, bon gout, bon sens, bonnes lois, etc.; mots qui sont des mensonges.
Jersey, la petite ile, etait en avant des grands peuples. Elle etait libre, honnete, intelligente, humaine. Il parait que Jersey, voyant que le monde recule, tient a reculer, elle aussi. Paris a decapite Philippe, Jersey va pendre Bradley. Emulation en sens inverse du progres.
Jersey affirmait le progres; Jersey va affirmer la reaction.
Le 11 aout, fete dans l'ile. On etranglera un homme. Jersey tient a avoir, comme un roi de Prusse ou un empereur de Russie, son acces de ferocite. O pauvre petit coin de terre!
Quel dementi a Dieu, qui a tant fait pour ce charmant pays! Quelle ingratitude envers cette douce, sereine et bienfaisante nature! Un gibet a Jersey! Qui est heureux devrait etre clement.
J'aime Jersey, je suis navre.
Publiez ma lettre si vous voulez. Tout aujourd'hui s'efforce d'etouffer la lumiere. Ne nous lassons pas cependant; et, si le present est sourd, jetons dans l'avenir, qui nous entendra, les protestations de la verite et de l'humanite contre l'horrible nuit.
V.H.
III
LA CRETE
Un cri m'arrive d'Athenes.
Dans la ville de Phidias et d'Eschyle un appel m'est fait, des voix prononcent mon nom.
Qui suis-je pour meriter un tel honneur? Rien. Un vaincu.
Et qui est-ce qui s'adresse a moi? Des vainqueurs.
Oui, candiotes heroiques, opprimes d'aujourd'hui, vous etes les vainqueurs de l'avenir. Perseverez. Meme etouffes, vous triompherez. La protestation de l'agonie est une force. C'est l'appel devant Dieu, qui casse … quoi? les rois.
Ces toutes-puissances que vous avez contre vous, ces coalitions de forces aveugles et de prejuges tenaces, ces antiques tyrannies armees, ont pour principal attribut une remarquable facilite de naufrage. La tiare en poupe, le turban en proue, le vieux navire monarchique fait eau. Il sombre a cette heure au Mexique, en Autriche, en Espagne, en Hanovre, en Saxe, a Rome, et ailleurs. Perseverez.
Vaincus, vous ne pouvez l'etre.
Une insurrection etouffee n'est point un principe supprime.
Il n'y a pas de faits accomplis. Il n'y a que le droit.
Les faits ne s'accomplissent jamais. Leur inachevement perpetuel est l'en-cas laisse au droit. Le droit est insubmersible. Des vagues d'evenements passent dessus; il reparait. La Pologne noyee surnage. Voila quatre vingt-quatorze ans que la politique europeenne charrie ce cadavre, et que les peuples regardent flotter, au-dessus des faits accomplis, cette ame.
Peuple de Crete, vous aussi vous etes une ame.
Grecs de Candie, vous avez pour vous le droit, et vous avez pour vous le bon sens. Le pourquoi d'un pacha en Crete echappe a la raison. Ce qui est vrai de l'Italie est vrai de la Grece. Venise ne peut etre rendue a l'une sans que la Crete soit rendue a l'autre. Le meme principe ne peut affirmer d'un cote, et mentir de l'autre. Ce qui est la l'aurore ne peut etre ici le sepulcre.
En attendant, le sang coule, et l'Europe laisse faire. Elle en prend l'habitude. C'est aujourd'hui le tour du sultan. Il extermine une nationalite.
Existe-t-il un droit divin turc, venerable au droit divin chretien? Le meurtre, le vol, le viol, s'abattent a cette heure sur Candie comme ils se ruaient, il y a six mois, sur l'Allemagne. Ce qui ne serait pas permis a Schinderhannes est permis a la politique. Avoir l'epee au cote et assister tranquillement a des massacres, cela s'appelle etre homme d'etat. Il parait que la religion est interessee a ce que les turcs fassent paisiblement l'egorgement de Candie, et que la societe serait ebranlee si, entre Scarpento et Cythere, on ne passait point les petits enfants au fil de l'epee. Saccager les moissons et bruler les villages est utile. Le motif qui explique ces exterminations et les fait tolerer est au-dessus de notre penetration. Ce qui s'est fait en Allemagne cet ete nous etonne egalement. Une des humiliations des hommes qu'un long exil a rendus stupides – j'en suis un – c'est de ne point comprendre les grandes raisons des assassins actuels.
N'importe. La question cretoise est desormais posee.
Elle sera resolue, et resolue, comme toutes les questions de ce siecle, dans le sens de la delivrance.
La Grece complete, l'Italie complete, Athenes au sommet de l'une, Rome au sommet de l'autre; voila ce que nous, France, nous devons a nos deux meres.
C'est une dette, la France l'acquittera. C'est un devoir, la France le remplira.
Quand?
Perseverez.
VICTOR HUGO.
Hauteville-House, 2 decembre 1866.
1867
La Turquie sur la Crete. L'Angleterre sur l'Irlande. Le Mexique recule. Le Portugal avance. Maximilien. – John Brown. – Hernani. Garibaldi. – Mentana. – Louis Bonaparte. Les petits enfants pauvres.
I
LA CRETE
LE PEUPLE CRETOIS A VICTOR HUGO
Omalos (Eparchie de Cydonie), Crete, 16 janvier 1867.
Un souffle de ton ame puissante est venu vers nous et a seche nos pleurs.
Nous avions dit a nos enfants: Par dela les mers il est des peuples genereux et forts, qui veulent la justice et briseront nos fers.
Si nous perissons dans la lutte, si nous vous laissons orphelins, errant dans la montagne avec vos meres affamees, ces peuples vous adopteront et vous n'aurez plus a souffrir.
Cependant, nous regardions en vain vers l'occident. De l'occident, aucun secours ne nous venait. Nos enfants disaient: Vous nous avez trompes. Ta lettre est venue, plus precieuse pour nous que la meilleure armee.
Car elle affirme notre droit.
C'est parce que nous savions notre droit que nous nous sommes souleves.
Pauvres montagnards, a peine armes, nous n'avions pas la pretention de vaincre a nous seuls ces deux grands empires allies contre nous, l'Egypte et la Turquie.
Mais nous voulions faire appel a l'opinion publique, seule maitresse, nous a-t-on dit, du monde actuel, faire appel aux grandes ames qui, comme toi, dirigent cette opinion.
Grace aux decouvertes de la science, la force materielle appartient aujourd'hui a la civilisation.
Il y a quatre siecles l'Europe etait impuissante contre les barbares.
Aujourd'hui, elle leur fait la loi.
Aussi n'y aura-t-il plus d'oppression dans l'humanite quand l'Europe le voudra.
Pourquoi donc, en vue des cotes italiennes, au centre de la Mediterranee, a trente heures de la France, laisse-t-elle subsister un pacha? comme au temps ou les turcs assiegeaient Otrante en Italie, Vienne en Allemagne!
L'esclavage de la race noire vient d'etre aboli en Amerique. Mais le notre est bien plus odieux, bien plus insupportable que ne l'etait celui des negres. Malgre toutes les chartes, un turc est toujours un maitre plus dur qu'un citoyen des Etats-Unis.
Si tu pouvais connaitre l'histoire de chacune de nos familles, comme tu connais celle de notre malheureux pays, tu y verrais partout l'exil, la persecution, la mort, le pere egorge par le sabre de nos tyrans, la mere enlevee a ses petits enfants pour le plus avilissant des esclavages, les soeurs souillees, les freres blesses ou tues.
A ceux qui nous laissent tant souffrir et qui pourraient nous sauver, nous ne dirons que ceci: Vous ne savez donc pas la verite?
Quand deux vaisseaux, l'un anglais, l'autre russe, ont debarque au Piree quelques-unes de nos familles, il y avait la des etrangers. Ces etrangers ont vu que nous n'avions pas exagere nos souffrances.
Poete, tu es lumiere. Nous t'en conjurons, eclaire ceux qui nous ignorent, ceux que des imposteurs ont prevenus contre notre sainte cause.
Poete, notre belle langue le dit, tu es createur, createur des peuples, comme les chantres antiques.
Par tes chants splendides des Orientales, tu as deja grandement travaille a creer le peuple hellene moderne.
Acheve ton oeuvre.
Tu nous appelles vainqueurs. C'est par toi que nous vaincrons.
Au nom du peuple cretois, et par delegation des capitaines du pays, Le commandant des quatre departements de la Canee,
J. ZIMBRAKAKIS.
Hauteville-House, 17 fevrier 1867.
En ecrivant ces lignes, j'obeis a un ordre venu de haut; a un ordre venu de l'agonie.
Il m'est fait de Grece un deuxieme appel.
Une lettre, sortie du camp des insurges, datee d'Omalos, eparchie de Cydonie, teinte du sang des martyrs, ecrite au milieu des ruines, au milieu des morts, au milieu de l'honneur et de la liberte, m'arrive. Elle a quelque chose d'heroiquement imperatif. Elle porte cette suscription: Le peuple cretois a Victor Hugo. Cette lettre me dit: Continue ce que tu as commence.
Je continue, et, puisque Candie expirante le veut, je reprends la parole.
Cette lettre est signee: Zimbrakakis.
Zimbrakakis est le heros de cette insurrection candiote dont Zirisdani est le traitre.
A de certaines heures vaillantes, les peuples s'incarnent dans des soldats, qui sont en meme temps des esprits; tel fut Washington, tel fut Botzaris, tel est Garibaldi.
Comme John Brown s'est leve pour les noirs, comme Garibaldi s'est leve pour l'Italie, Zimbrakakis se leve pour la Crete.
S'il va jusqu'au bout, et il ira, soit qu'il succombe comme John Brown, soit qu'il triomphe comme Garibaldi, Zimbrakakis sera grand.
Veut-on savoir ou en est la Crete? Voici des faits.
L'insurrection n'est pas morte. On lui a repris la plaine, mais elle a garde la montagne.
Elle vit, elle appelle, elle crie au secours.
Pourquoi la Crete s'est-elle revoltee? Parce que Dieu l'avait faite le plus beau pays du monde, et les turcs le plus miserable; parce qu'elle a des produits et pas de commerce, des villes et pas de chemins, des villages et pas de sentiers, des ports et pas de cales, des rivieres et pas de ponts, des enfants et pas d'ecoles, des droits et pas de lois, le soleil et pas de lumiere. Les turcs y font la nuit.
Elle s'est revoltee parce que la Crete est Grece et non Turquie, parce que l'etranger est insupportable, parce que l'oppresseur, s'il est de la race de l'opprime, est odieux, et, s'il n'en est pas, horrible; parce qu'un maitre baragouinant la barbarie dans le pays d'Etearque et de Minos est impossible; parce que tu te revolterais, France!
La Crete s'est revoltee et elle a bien fait.
Qu'a produit cette revolte? je vais le dire. Jusqu'au 3 janvier, quatre batailles, dont trois victoires. Apo corona, Vaffe, Castel Selino, et un desastre illustre, Arcadion! l'ile coupee en deux par l'insurrection, moitie aux turcs, moitie aux grecs; une ligne d'operations allant par Sciffo et Rocoli, de Kissamos a Lassiti et meme a Girapetra. Il y a six semaines, les turcs refoules n'avaient plus que quelques points du littoral, et le versant occidental des monts Psiloriti ou est Ambelirsa. En cette minute, le doigt leve de l'Europe eut sauve Candie. Mais l'Europe n'avait pas le temps. Il y avait une noce en cet instant-la, et l'Europe regardait le bal.
On connait ce mot, Arcadion, on connait peu le fait. En voici les details precis et presque ignores. Dans Arcadion, monastere du mont Ida, fonde par Heraclius, seize mille turcs attaquent cent quatrevingt-dix-sept hommes, et trois cent quarante-trois femmes, plus les enfants. Les turcs ont vingt-six canons et deux obusiers, les grecs ont deux cent quarante fusils. La bataille dure deux jours et deux nuits; le couvent est troue de douze cents boulets; un mur s'ecroule, les turcs entrent, les grecs continuent le combat, cent cinquante fusils sont hors de service, on lutte encore six heures dans les cellules et dans les escaliers, et il y a deux mille cadavres dans la cour. Enfin la derniere resistance est forcee; le fourmillement des turcs vainqueurs emplit le couvent. Il ne reste plus qu'une salle barricadee ou est la soute aux poudres, et dans cette salle, pres d'un autel, au centre d'un groupe d'enfants et de meres, un homme de quatrevingts ans, un pretre, l'igoumene Gabriel, en priere. Dehors on tue les peres et les maris; mais ne pas etre tues, ce sera la misere de ces femmes et de ces enfants, promis a deux harems. La porte, battue de coups de hache, va ceder et tomber. Le vieillard prend sur l'autel un cierge, regarde ces enfants et ces femmes, penche le cierge sur la poudre et les sauve. Une intervention terrible, l'explosion, secourt les vaincus, l'agonie se fait triomphe, et ce couvent heroique, qui a combattu comme une forteresse, meurt comme un volcan.
Psara n'est pas plus epique, Missolonghi n'est pas plus sublime.
Tels sont les faits. Qu'est-ce que font les gouvernements dits civilises? Qu'est-ce qu'ils attendent? Ils chuchotent: Patience, nous negocions.
Vous negociez! Pendant ce temps-la on arrache les oliviers et les chataigniers, on demolit les moulins a huile, on incendie les villages, on brule les recoltes, on envoie des populations entieres mourir de faim et de froid dans la montagne, on decapite les maris, on pend les vieillards, et un soldat turc, qui voit un petit enfant gisant a terre, lui enfonce dans les narines une chandelle allumee pour s'assurer s'il est mort. C'est ainsi que cinq blesses ont ete, a Arcadion, reveilles pour etre egorges.
Patience! dites-vous. Pendant ce temps-la les turcs entrent au village Mournies, ou il ne reste que des femmes et des enfants, et, quand ils en sortent, on ne voit plus qu'un monceau de ruines croulant sur un monceau de cadavres, grands et petits.
Et l'opinion publique? que fait-elle? que dit-elle? Rien. Elle est tournee d'un autre cote. Que voulez-vous? Ces catastrophes ont un malheur; elles ne sont pas a la mode.
Helas!
La politique patiente des gouvernements se resume en deux resultats: deni de justice a la Grece, deni de pitie a l'humanite.
Rois, un mot sauverait ce peuple. Un mot de l'Europe est vite dit.
Dites-le. A quoi etes-vous bons, si ce n'est a cela?
Non. On se tait, et l'on veut que tout se taise. Defense de parler de la Crete. Tel est l'expedient. Six ou sept grandes puissances conspirent contre un petit peuple. Quelle est cette conspiration? La plus lache de toutes. La conspiration du silence.
Mais le tonnerre n'en est pas.
Le tonnerre vient de la-haut, et, en langue politique, le tonnerre s'appelle revolution.
VICTOR HUGO.
II
LES FENIANS
Apres la Crete, l'Irlande se tourne vers l'habitant de Guernesey. Les femmes des Fenians condamnes lui ecrivent. De la une lettre de Victor Hugo a l'Angleterre.
A L'ANGLETERRE
L'angoisse est a Dublin. Les condamnations se succedent, les graces annoncees ne viennent pas. Une lettre que nous avons sous les yeux dit: – "… La potence va se dresser; le general Burke d'abord; viendront ensuite le capitaine Mac Afferty, le capitaine Mac Clure, puis trois autres, Kelly, Joice et Cullinane … Il n'y a pas une minute a perdre … Des femmes, des jeunes filles vous supplient … Notre lettre vous arrivera-t-elle a temps? … " Nous lisons cela, et nous n'y croyons pas. On nous dit: L'echafaud est pret. Nous repondons: Cela n'est pas possible. Calcraft n'a rien a voir a la politique. C'est deja trop qu'il existe a cote. Non, l'echafaud politique n'est pas possible en Angleterre. Ce n'est pas pour imiter les gibets de la Hongrie que l'Angleterre a acclame Kossuth; ce n'est pas pour recommencer les potences de la Sicile que l'Angleterre a glorifie Garibaldi. Que signifieraient les hourras de Londres et de Southampton? Supprimez alors tous vos comites polonais, grecs, italiens. Soyez l'Espagne.
Non, l'Angleterre, en 1867, n'executera pas l'Irlande. Cette Elisabeth ne decapitera pas cette Marie Stuart.
Le dix-neuvieme siecle existe.
Pendre Burke! Impossible. Allez-vous copier Tallaferro tuant John Brown, Chacon tuant Lopez, Geffrard tuant le jeune Delorme, Ferdinand tuant Pisacane?
Quoi! apres la revolution anglaise! quoi! apres la revolution francaise! quoi! dans la grande et lumineuse epoque ou nous sommes! il n'a donc ete rien dit, rien pense, rien proclame, rien fait, depuis quarante ans!
Quoi! nous presents, qui sommes plus que des spectateurs, qui sommes des temoins, il se passerait de telles choses! Quoi! les vieilles penalites sauvages sont encore la! Quoi! a cette heure, il se prononce de ces sentences: "Un tel, tel jour, vous serez traine sur la claie au lieu de votre supplice, puis votre corps sera coupe en quatre quartiers, lesquels seront laisses a la disposition de sa majeste qui en ordonnera selon son bon plaisir!" Quoi! un matin de mai ou de juin, aujourd'hui, demain, un homme, parce qu'il a une foi politique ou nationale, parce qu'il a lutte pour cette foi, parce qu'il a ete vaincu, sera lie de cordes, masque du bonnet noir, et pendu et etrangle jusqu'a ce que mort s'ensuive! Non! vous n'etes pas l'Angleterre pour cela.
Vous avez actuellement sur la France cet avantage d'etre une nation libre. La France, aussi grande que l'Angleterre, n'est pas maitresse d'elle-meme, et c'est la un sombre amoindrissement. Vous en tirez vanite. Soit. Mais prenez garde. On peut en un jour reculer d'un siecle. Retrograder jusqu'au gibet politique! vous, l'Angleterre! Alors, dressez une statue a Jeffryes.
Pendant ce temps-la, nous dresserons une statue a Voltaire.
Y pensez-vous? Quoi! vous avez Sheridan et Fox qui ont fonde l'eloquence parlementaire, vous avez Howard qui a aere la prison et attendri la penalite, vous avez Wilberforce qui a aboli l'esclavage, vous avez Rowland Hill qui a vivifie la circulation postale, vous avez Cobden qui a cree le libre echange, vous avez donne au monde l'impulsion colonisatrice, vous avez fait le premier cable transatlantique, vous etes en pleine possession de la virilite politique, vous pratiquez magnifiquement sous toutes les formes le grand droit civique, vous avez la liberte de la presse, la liberte de la tribune, la liberte de la conscience, la liberte de l'association, la liberte de l'industrie, la liberte domiciliaire, la liberte individuelle, vous allez par la reforme arriver au suffrage universel, vous etes le pays du vote, du poll, du meeting, vous etes le puissant peuple de l'habeas corpus. Eh bien! a toute cette splendeur ajoutez ceci, Burke pendu, et, precisement parce que vous etes le plus grand des peuples libres, vous devenez le plus petit!
On ne sait point le ravage que fait une goutte de honte dans la gloire. De premier, vous tomberiez dernier! Quelle est cette ambition en sens inverse? Quelle est cette soif de dechoir? Devant ces gibets dignes de la demence de George III, le continent ne reconnaitrait plus l'auguste Grande-Bretagne du progres. Les nations detourneraient leur face. Un affreux contre-sens de civilisation aurait ete commis, et par qui? par l'Angleterre! Surprise lugubre. Stupeur indignee. Quoi de plus hideux qu'un soleil d'ou, tout a coup, il sortirait de la nuit!
Non, non, non! je le repete, vous n'etes pas l'Angleterre pour cela.
Vous etes l'Angleterre pour montrer aux nations le progres, le travail, l'initiative, la verite, le droit, la raison, la justice, la majeste de la liberte! Vous etes l'Angleterre pour donner le spectacle de la vie et non l'exemple de la mort.
L'Europe vous rappelle au devoir.
Prendre a cette heure la parole pour ces condamnes, c'est venir au secours de l'Irlande; c'est aussi venir au secours de l'Angleterre.
L'une est en danger du cote de son droit, l'autre du cote de sa gloire.
Les gibets ne seront point dresses.
Burke, M'Clure, M'Afferty, Kelly, Joice, Cullinane, ne mourront point. Epouses et filles qui avez ecrit a un proscrit, il est inutile de vous couper des robes noires. Regardez avec confiance vos enfants dormir dans leurs berceaux. C'est une femme en deuil qui gouverne l'Angleterre. Une mere ne fera pas des orphelins, une veuve ne fera pas des veuves.
VICTOR HUGO.
Hauteville-House, 28 mai 1867.
Cette parole fut entendue. Les Fenians ne furent pas executes.