Kitabı oku: «Actes et Paroles, Volume 2: Pendant l'exil 1852-1870», sayfa 24
VI
AUX MARINS DE LA MANCHE
J'ai recu, des mains de l'honorable capitaine Harvey, la lettre collective que vous m'adressez; vous me remerciez d'avoir dedie, d'avoir donne a cette mer de la Manche, un livre. [Note: Les Travailleurs de la mer.] O vaillants hommes, vous faites plus que de lui donner un livre, vous lui donnez votre vie.
Vous lui donnez vos jours, vos nuits, vos fatigues, vos insomnies, vos courages; vous lui donnez vos bras, vos coeurs, les pleurs de vos femmes qui tremblent pendant que vous luttez, l'adieu des enfants, des fiancees, des vieux parents, les fumees de vos hameaux envolees dans le vent; la mer, c'est le grand danger, c'est le grand labeur, c'est la grande urgence; vous lui donnez tout; vous acceptez d'elle cette poignante angoisse, l'effacement des cotes; chaque fois qu'on part, question lugubre, reverra-t-on ceux qu'on aime? La rive s'en va comme un decor de theatre qu'une main emporte. Perdre terre, quel mot saisissant! on est comme hors des vivants. Et vous vous devouez, hommes intrepides. Je vois parmi vos signatures les noms de ceux qui, dernierement, a Dungeness, ont ete de si heroiques sauveteurs [note: Aldridge et Windham.]. Rien ne vous lasse. Vous rentrez au port, et vous repartez.
Votre existence est un continuel defi a l'ecueil, au hasard, a la saison, aux precipices de l'eau, aux pieges du vent. Vous vous en allez tranquilles dans la formidable vision de la mer; vous vous laissez echeveler par la tempete; vous etes les grands opiniatres du recommencement perpetuel; vous etes les rudes laboureurs du sillon bouleverse; la, nulle part la limite et partout l'aventure; vous allez dans cet infini braver cet inconnu; ce desert de tumulte et de bruit ne vous fait pas peur; vous avez la vertu superbe de vivre seuls avec l'ocean dans la rondeur sinistre de l'horizon; l'ocean est inepuisable et vous etes mortels, mais vous ne le redoutez pas; vous n'aurez pas son dernier ouragan et il aura votre dernier souffle. De la votre fierte, je la comprends. Vos habitudes de temerite ont commence des l'enfance, quand vous couriez tout nus sur les greves; meles aux vastes plis des marees montantes et brunis par le hale, grandis par la rafale, vieillis dans les orages, vous ne craignez pas l'ocean, et vous avez droit a sa familiarite farouche, ayant joue tout petits avec son enormite.
Vous me connaissez peu. Je suis pour vous une silhouette de l'abime debout au loin sur un rocher. Vous apercevez par instants dans la brume cette ombre, et vous passez. Pourtant, a travers vos fracas de houles et de bourrasques, l'espece de vague rumeur que peut faire un livre est venue jusqu'a vous. Vous vous tournez vers moi entre deux tempetes et vous me remerciez.
Je vous salue.
Je vais vous dire ce que je suis. Je suis un de vous. Je suis un matelot, je suis un combattant du gouffre. J'ai sur moi un dechainement d'aquilons. Je ruisselle et je grelotte, mais je souris, et quelquefois comme vous je chante. Un chant amer. Je suis un guide echoue, qui ne s'est pas trompe, mais qui a sombre, a qui la boussole donne raison et a qui l'ouragan donne tort, qui a en lui la quantite de certitude que produit la catastrophe traversee, et qui a droit de parler aux pilotes avec l'autorite du naufrage. Je suis dans la nuit, et j'attends avec calme l'espece de jour qui viendra, sans trop y compter pourtant, car si Apres-demain est sur, Demain ne l'est pas; les realisations immediates sont rares, et, comme vous, j'ai plus d'une fois, sans confiance, vu poindre la sinistre aurore. En attendant, je suis comme vous dans la tourmente, dans la nuee, dans le tonnerre; j'ai autour de moi un perpetuel tremblement d'horizon, j'assiste au va-et-vient de ce flot qu'on appelle le fait; en proie aux evenements comme vous aux vents, je constate leur demence apparente et leur logique profonde; je sens que la tempete est une volonte, et que ma conscience en est une autre, et qu'au fond elles sont d'accord; et je persiste, et je resiste, et je tiens tete aux despotes comme vous aux cyclones, et je laisse hurler autour de moi toutes les meutes du cloaque et tous les chiens de l'ombre, et je fais mon devoir, pas plus emu de la haine que vous de l'ecume.
Je ne vois pas l'etoile, mais je sais qu'elle me regarde, et cela me suffit.
Voila ce que je suis. Aimez-moi.
Continuons. Faisons notre tache; vous de votre cote, moi du mien; vous parmi les flots, moi parmi les hommes. Travaillons aux sauvetages. Oui, accomplissons notre fonction qui est une tutelle; veillons et surveillons, ne laissons se perdre aucun signal de detresse, tendons la main a tous ceux qui s'enfoncent, soyons les vigies du sombre espace, ne permettons pas que ce qui doit disparaitre revienne, regardons fuir dans les tenebres, vous le vaisseau-fantome, moi le passe. Prouvons que le chaos est navigable. Les surfaces sont diverses, et les agitations sont innombrables, mais il n'y a qu'un fond, qui est Dieu. Ce fond, je le touche, moi qui vous parle. Il s'appelle la verite et la justice. Qui tombe pour le droit tombe dans le vrai. Ayons cette securite. Vous suivez la boussole, je suis la conscience. O intrepides lutteurs, mes freres, ayons foi, vous dans l'onde, moi dans la destinee. Ou sera la certitude si ce n'est dans cette mobilite soumise au niveau? Votre devoir est identique au mien. Combattons, recommencons, perseverons, avec cette pensee que la haute mer se prolonge au dela de la vue humaine, que, meme hors de la vie, l'immense navigation continue, et qu'un jour nous constaterons la ressemblance de l'ocean ou sont les vagues avec la tombe ou sont les ames. Une vague qui pense, c'est l'ame humaine.
VICTOR HUGO.
VII
LES SAUVETEURS
Hauteville-House, 14 avril 1870.
Messieurs les connetables de Saint-Pierre-Port,
En ce moment de naufrages et de sinistres, il faut encourager les sauveteurs. Chacun, dans la mesure de ce qu'il peut, doit les honorer et les remercier. Dans les ports de mer, le sauvetage est toujours a l'ordre du jour.
J'ai en ma possession une bouee et une ceinture de sauvetage modeles, executees specialement pour moi par l'excellent fabricant Dixon, de Sunderland. M'en servir pour moi-meme, cela peut se faire attendre; il me semble meilleur d'en user des aujourd'hui, en offrant, comme publique marque d'estime, ces engins de conservation de la vie humaine a l'homme de cette ile auquel on doit le plus grand nombre de sauvetages.
Vous etes necessairement mieux renseignes que moi. Veuillez me le designer. J'aurai l'honneur de vous remettre immediatement la ceinture et la bouee pour lui etre transmises.
Recevez l'assurance de ma cordialite,
VICTOR HUGO.
A la suite de cette lettre, le capitaine Abraham Martin, maitre du port, a ete designe comme ayant opere dans sa vie environ quarante-cinq sauvetages. C'est a lui qu'ont ete remis les engins de sauvetage, sur lesquels M. Victor Hugo a ecrit de sa main:
Donne comme publique marque d'estime au capitaine Abraham Martin.
VIII
LE TRAVAIL EN AMERIQUE
Hauteville-House, 22 avril 1870.
Vous m'annoncez, general, une bonne nouvelle, la coalition des travailleurs en Amerique; cela fera pendant a la coalition des rois en France.
Les travailleurs sont une armee; a une armee il faut des chefs; vous etes un des hommes designes comme guides par votre double instinct de revolution et de civilisation.
Vous etes de ceux qui savent conseiller au peuple tout le possible, sans sortir du juste et du vrai.
La liberte est un moyen en meme temps qu'un but, vous le comprenez.
Aussi les travailleurs vous ont-ils elu pour leur representant en Amerique. Je vous felicite et les felicite.
Le travail est aujourd'hui le grand droit comme il est le grand devoir.
L'avenir appartient desormais a deux hommes, l'homme qui pense et l'homme qui travaille.
A vrai dire, ces deux hommes n'en font qu'un, car penser c'est travailler.
Je suis de ceux qui ont fait des classes souffrantes la preoccupation de leur vie. Le sort de l'ouvrier, partout, en Amerique comme en Europe, fixe ma plus profonde attention et m'emeut jusqu'a l'attendrissement. Il faut que les classes souffrantes deviennent les classes heureuses, et que l'homme qui jusqu'a ce jour a travaille dans les tenebres travaille desormais dans la lumiere.
J'aime l'Amerique comme une patrie. La grande republique de Washington et de John Brown est une gloire de la civilisation. Qu'elle n'hesite pas a prendre souverainement sa part du gouvernement du monde. Au point de vue social, qu'elle emancipe les travailleurs; au point de vue politique, qu'elle delivre Cuba.
L'Europe a les yeux fixes sur l'Amerique. Ce que l'Amerique fera sera bien fait. L'Amerique a ce double bonheur d'etre libre comme l'Angleterre et logique comme la France.
Nous l'applaudirons patriotiquement dans tous ses progres. Nous sommes les concitoyens de toute nation qui est grande.
General, aidez les travailleurs dans leur coalition puissante et sainte.
Je vous serre la main.
VICTOR HUGO.
IX
LE PLEBISCITE
Au printemps de 1870, Louis Bonaparte, sentant peut-etre on ne sait quel ebranlement mysterieux, eprouva le besoin de se faire etayer par le peuple. Il demanda a la nation de confirmer l'empire par un vote. On consulta de France Victor Hugo, on lui demanda de dire quel devait etre ce vote. Il repondit:
Non.
En trois lettres ce mot dit tout.
Ce qu'il contient remplirait un volume.
Depuis dix-neuf ans bientot, cette reponse se dresse devant l'empire.
Ce sphinx obscur sent que c'est la le mot de son enigme.
A tout ce que l'empire est, veut, reve, croit, peut et fait, Non suffit.
Que pensez-vous de l'empire? Je le nie.
Non est un verdict.
Un des proscrits de decembre, dans un livre, publie hors de France en 1853, s'est qualifie "la bouche qui dit Non".
Non a ete la replique a ce qu'on appelle l'amnistie.
Non sera la replique a ce qu'on appelle le plebiscite.
Le plebiscite essaye d'operer un miracle: faire accepter l'empire a la conscience humaine.
Rendre l'arsenic mangeable. Telle est la question.
L'empire a commence par ce mot: Proscription. Il voudrait bien finir par celui-ci: Prescription. Ce n'est qu'une toute petite lettre a changer. Rien de plus difficile.
S'improviser Cesar, transformer le serment en Rubicon et l'enjamber, faire tomber au piege en une nuit tout le progres humain, empoigner brusquement le peuple sous sa grande forme republique et le mettre a Mazas, prendre un lion dans une souriciere, casser par guet-apens le mandat des representants et l'epee des generaux, exiler la verite, expulser l'honneur, ecrouer la loi, decreter d'arrestation la revolution, bannir 89 et 92, chasser la France de France, sacrifier sept cent mille hommes pour demolir la bicoque de Sebastopol, s'associer a l'Angleterre pour donner a la Chine le spectacle de l'Europe vandale, stupefier de notre barbarie les barbares, detruire le palais d'Ete de compte a demi avec le fils de lord Elgin qui a mutile le Parthenon, grandir l'Allemagne et diminuer la France par Sadowa, prendre et lacher le Luxembourg, promettre Mexico a un archiduc et lui donner Queretaro, apporter a l'Italie une delivrance qui aboutit au concile, faire fusiller Garibaldi par des fusils italiens a Aspromonte et par des fusils francais a Mentana, endetter le budget de huit milliards, tenir en echec l'Espagne republicaine, avoir une haute cour sourde aux coups de pistolet, tuer le respect des juges par le respect des princes, faire aller et venir les armees, ecraser les democraties, creuser des abimes, remuer des montagnes, cela est aise. Mais mettre un e a la place d'un o, c'est impossible.
Le droit peut-il etre proscrit? Oui. Il l'est. Prescrit? Non.
Un succes comme le Deux-Decembre ressemble a un mort en ceci qu'il tombe tout de suite en pourriture et en differe en cela qu'il ne tombe jamais en oubli. La revendication contre de tels actes est de droit eternel.
Ni limite legale, ni limite morale. Aucune decheance ne peut etre opposee a l'honneur, a la justice et a la verite, le temps ne peut rien sur ces choses. Un malfaiteur qui dure ne fait qu'ajouter au crime de son origine le crime de sa duree.
Pour l'histoire, pas plus que pour la conscience humaine, Tibere ne passe jamais a l'etat de "fait accompli".
Newton a calcule qu'une comete met cent mille ans a se refroidir; de certains crimes enormes mettent plus de temps encore.
La voie de fait aujourd'hui regnante perd sa peine. Les plebiscites n'y peuvent rien. Elle croit avoir le droit de regner; elle n'a pas le droit.
C'est etrange, un plebiscite. C'est le coup d'etat qui se fait morceau de papier. Apres la mitraille, le scrutin. Au canon raye succede l'urne felee. Peuple, vote que tu n'existes pas. Et le peuple vote. Et le maitre compte les voix. Il en a tout ce qu'il a voulu avoir; et il met le peuple dans sa poche. Seulement il ne s'est pas apercu que ce qu'il croit avoir saisi est insaisissable. Une nation, cela n'abdique pas. Pourquoi? parce que cela se renouvelle. Le vote est toujours a recommencer. Lui faire faire une alienation quelconque de souverainete, extraire de la minute l'heredite, donner au suffrage universel, borne a exprimer le present, l'ordre d'exprimer l'avenir, est-ce que ce n'est pas nul de soi? C'est comme si l'on commandait a Demain de s'appeler Aujourd'hui.
N'importe, on a vote. Et le maitre prend cela pour un consentement. Il n'y a plus de peuple. Ces pratiques font rire les anglais. Subir le coup d'etat! subir le plebiscite! comment une nation peut-elle accepter de telles humiliations? L'Angleterre a en ce moment-ci le bonheur de mepriser un peu la France. Alors meprisez l'ocean. Xerces lui a donne le fouet.
On nous invite a voter sur ceci: le perfectionnement d'un crime.
L'empire, apres dix-neuf ans d'exercice, se croit tentant. Il nous offre ses progres. Il nous offre le coup d'etat accommode au point de vue democratique, la nuit de Decembre ajustee a l'inviolabilite parlementaire, la tribune libre emboitee dans Cayenne, Mazas modifie dans le sens de l'affranchissement, la violation de tous les droits arrangee en gouvernement liberal.
Eh bien, non.
Nous sommes ingrats.
Nous, les citoyens de la republique assassinee, nous, les justiciers pensifs, nous regardons avec l'intention d'en user, l'affaiblissement d'autorite propre a la vieillesse d'une trahison. Nous attendons.
Et en attendant, devant le mecanisme dit plebiscite, nous haussons les epaules.
A l'Europe sans desarmement, a la France, sans influence, a la Prusse sans contre-poids, a la Russie sans frein, a l'Espagne sans point d'appui, a la Grece sans la Crete, a l'Italie sans Rome, a Rome sans les Romains, a la democratie sans le peuple, nous disons Non.
A la liberte poinconnee par le despotisme, a la prosperite derivant d'une catastrophe, a la justice rendue au nom d'un accuse, a la magistrature marquee des lettres L. N. B., a 89 vise par l'empire, au 14 Juillet complete par le 2 Decembre, a la loyaute juree par le faux serment, au progres decrete par la retrogradation, a la solidite promise par la ruine, a la lumiere octroyee par les tenebres, a l'escopette qui est derriere le mendiant, au visage qui est derriere le masque, au spectre qui est derriere le sourire, nous disons Non.
Du reste, si l'auteur du coup d'etat tient absolument a nous adresser une question a nous, peuple, nous ne lui reconnaissons que le droit de nous faire celle-ci:
"Dois-je quitter les Tuileries pour la Conciergerie et me mettre a la disposition de la justice?
"NAPOLEON."
Oui.
VICTOR HUGO.
Hauteville-House, 27 avril 1870.
X
LA GUERRE EN EUROPE
En juillet 1870, la guerre eclate. Le piege Hohenzollern est tendu par la Prusse a la France, et la France y tombe. Victor Hugo croyait la France armee, et, par consequent, d'avance il la croyait victorieuse. Il deplorait pourtant cette guerre, et il songeait au sang qu'elle allait repandre.
Il ecrivit aux femmes de Guernesey la lettre qu'on va lire et qui fut reproduite par les journaux anglais comme adressee a toutes les femmes d'Angleterre.
Pendant le siege de Paris, des ballots de charpie, expedies d'Angleterre a Victor Hugo, furent partages par lui, comme il s'y etait engage dans sa lettre, en deux parts egales, l'une pour les blesses francais, l'autre pour les blesses allemands. M. de Flavigny, president de la commission internationale, se chargea de transmettre au quartier general de Versailles les ballots de charpie destines par Victor Hugo aux ambulances allemandes.
AUX FEMMES DE GUERNESEY
Hauteville-House, 22 juillet 1870.
Mesdames,
Il a plu a quelques hommes de condamner a mort une partie du genre humain, et une guerre a outrance se prepare. Cette guerre n'est ni une guerre de liberte, ni une guerre de devoir, c'est une guerre de caprice. Deux peuples vont s'entre-tuer pour le plaisir de deux princes. Pendant que les penseurs perfectionnent la civilisation, les rois perfectionnent la guerre. Celle-ci sera affreuse.
On annonce des chefs-d'oeuvre. Un fusil tuera douze hommes, un canon en tuera mille. Ce qui va couler a flots dans le Rhin, ce n'est plus l'eau pure et libre des grandes Alpes, c'est le sang des hommes.
Des meres, des soeurs, des filles, des femmes vont pleurer. Vous allez toutes etre en deuil, celles-ci a cause de leur malheur, celles-la a cause du malheur des autres.
Mesdames, quel carnage! quel choc de tous ces infortunes combattants! Permettez-moi de vous adresser une priere. Puisque ces aveugles oublient qu'ils sont freres, soyez leurs soeurs, venez-leur en aide, faites de la charpie. Tout le vieux linge de nos maisons, qui ici ne sert a rien, peut la-bas sauver la vie a des blesses. Toutes les femmes de ce pays s'employant a cette oeuvre fraternelle, ce sera beau; ce sera un grand exemple et un grand bienfait. Les hommes font le mal, vous femmes, faites le remede; et puisque sur cette terre il y a de mauvais anges, soyez les bons.
Si vous le voulez, et vous le voudrez, en peu de temps on peut avoir une quantite considerable de charpie. Nous en ferons deux parts egales, et nous enverrons l'une a la France et l'autre a la Prusse.
Je mets a vos pieds mon respect.
VICTOR HUGO.
NOTES
1853
CALOMNIES IMPERIALES
LETTRE DE CHARLES HUGO
La lettre qui suit, adressee aux journaux honnetes hors de France, donne une idee des calomnies de la presse bonapartiste contre les proscrits:
"Jersey, 2 juin 1853.
"Monsieur le redacteur,
"Le journal la Patrie a publie l'article suivant, reproduit par les journaux officiels des departements et que je lis dans l'Union de la Sarthe, du 11 mai.
"Il vient de se passer a Jersey un fait qui merite d'etre rapporte a titre d'enseignement. Un francais, interne dans l'ile, etant mort, M. Victor Hugo a prononce sur sa tombe un discours qui a ete imprime dans le journal du pays, et dans lequel il a represente la France comme etant en ce moment couverte d'echafauds politiques. On nous ecrit que ce mensonge grossier, d'apres lequel il n'y a plus a reclamer pour son auteur que le sejour d'une maison d'alienes, a produit une si grande indignation parmi les habitants de Jersey, toujours si calmes, qu'une petition a ete redigee et couverte de signatures pour demander qu'on interdise les manifestations de ce genre que font sans cesse les refugies francais, et qui inspirent a la population entiere le plus profond degout.
"CH. SCHILLER."
"Cet article contient deux allegations, l'une concernant le discours de M. Victor Hugo, l'autre concernant l'effet qu'il aurait produit a Jersey.
"Pour ce qui est du discours, la reponse est simple. Puisque ce discours, – dans lequel M. Victor Hugo, au nom des proscrits de Jersey, qui lui en avaient donne la mission, et avec l'adhesion de la proscription republicaine tout entiere, a declare que les proscrits republicains, fideles au grand precedent de Fevrier, abjuraient a jamais, quel que fut l'avenir, toute idee d'echafauds politiques et de represailles sanglantes, – puisque ce discours a cause, au dire de la Patrie, une si grande indignation a Jersey, il n'excitera certainement pas moins d'indignation en France, et la Patrie ne saurait mieux faire que de le reproduire. Nous l'en defions.
"Je mets a la poste aujourd'hui meme, a l'adresse du redacteur de la Patrie, un exemplaire du discours.
"Quant a l'effet produit a Jersey, pour toute reponse, je me borne aux faits. Il y a quatre journaux a Jersey ecrits en francais. Ces journaux sont: la Chronique de Jersey, l'Impartial de Jersey, le Constitutionnel (de Jersey), la Patrie (de Jersey). Ces quatre journaux ont tous publie textuellement le discours de mon pere et ont constate le jour meme l'effet produit par ce discours. Je les cite:
"La Chronique dit:
"Un puissant interet s'attachait a la ceremonie. On savait que M. Victor Hugo devait prendre la parole en cette occasion, et chacun voulait entendre cette grande et puissante voix. Aussi, longtemps avant l'arrivee du convoi funebre, un grand concours de personnes, venues de la ville a pied et en voitures, se pressait deja autour de la tombe. La procession, en entrant dans le cimetiere, a fait le tour de la fosse creusee pour recevoir la depouille du defunt, et le corps ayant ete depose dans sa derniere demeure, tout le monde s'est decouvert, et c'est au milieu du silence le plus solennel que M. Hugo a prononce, d'une voix fortement accentuee, l'admirable discours que nous reproduisons ici:"
(Suit le discours.)
"Tous les proscrits ont repete ce cri; puis chacun d'eux est venu, morne et silencieux, deposer une poignee de terre sur la biere de leur defunt frere. Le discours prononce dans cette occasion fera epoque dans les annales du petit cimetiere des Independants de la paroisse de Saint-Jean. Le jour viendra ou l'on montrera aux etrangers l'endroit ou Victor Hugo, le grand orateur, le grand poete, adressa a ses freres exiles les nobles et touchantes paroles qui vont avoir un retentissement universel et seront soigneusement recueillies par l'histoire."
"Le Constitutionnel (de Jersey), apres avoir reproduit le discours, dit:
"Un grand nombre de jersiais, venus au cimetiere de Saint-Jean, ont ete heureux d'entendre un pareil langage dans la bouche de notre hote illustre."
"La Patrie (de Jersey) fait preceder le discours des lignes que voici:
"Le convoi s'est achemine vers Saint-Jean, dans le plus grand ordre et dans un silence religieux.
"La, en presence d'une foule nombreuse venue pour entendre sa parole, M. Victor Hugo a prononce le beau discours que nous reproduisons."
"Enfin l'Impartial:
"Le cadavre, retire du corbillard, fut porte a bras sur le bord de la fosse, et quand il y eut ete descendu et avant qu'on le couvrit de terre, Victor Hugo, que chacun etait si impatient d'entendre, prononca, au milieu du plus religieux silence et de plus de quatre cents auditeurs, de cette voix male avec laquelle il defendait la republique, avec cet accent irresistible qui est le resultat de la conviction, de la foi dans ses opinions, Victor Hugo, disons-nous, prononca le discours suivant, dont la gravite s'augmentait encore du lieu ou il etait prononce et des circonstances. Aussi fut-il ecoute avec une avidite que nous ne saurions depeindre et qui ne peut etre comparee qu'a la vive impression qu'il produisit."
"Ce dernier journal, l'Impartial de Jersey, se faisait du reste une idee assez juste de la bonne foi d'une certaine espece de journaux en France; seulement, dans cette occasion, il attribuait a tort au Constitutionnel une idee qui ne devait venir qu'a la Patrie. Voici ce que disait, en publiant le discours de mon pere et en rendant compte de l'effet produit, l'Impartial:
"Le veridique Constitutionnel de Paris nous dira sans doute, dans quelques jours, combien il aura fallu employer de sergents de ville et de gendarmes pour maintenir le bon ordre, durant les funerailles de Jean Bousquet, le second proscrit du 2 decembre qui meurt depuis dix jours; il nous racontera, bien certainement, avec sa franchise et sa loyaute habituelles, combien les autorites auront ete obligees d'appeler de bataillons pour reprimer l'emeute excitee par les chaleureuses paroles du grand orateur, par cette voix si puissante et si emouvante."
"Je pourrais, monsieur le redacteur, borner la cette reponse; permettez-moi pourtant d'ajouter encore, non une reflexion, mais un fait. Le journal la Patrie, qui insulte aujourd'hui mon pere proscrit, publia, il y a deux ans, au mois de juillet 1851, un article injurieux contre l'Evenement. Nous fimes demander a la Patrie ou une retractation ou une reparation par les armes; la Patrie prefera une retractation. Elle s'executa en ces termes:
"En presence des explications echangees entre les temoins de M. Charles Hugo et ceux de M. Mayer, M. Mayer declare retirer purement et simplement son article."
"On remarquera que le redacteur de la Patrie, auteur de l'offense et endosseur de la retractation, se nomme M. Mayer; il a fait plus tard un acte de courage; il a publie, a Paris, en decembre 1851, l'ouvrage intitule: HISTOIRE DU 2 DECEMBRE.
"En 1851, la Patrie insultait, puis se retractait; nous etions presents. Aujourd'hui, la Patrie recommence ses insultes; nous sommes absents.
"Vous voudrez sans doute, monsieur le redacteur, aider la proscription a repousser la calomnie et preter votre publicite a cette lettre.
"Recevez, je vous prie, avec tous mes remerciments, l'assurance de ma vive et fraternelle cordialite.
"CHARLES HUGO."