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Kitabı oku: «Actes et Paroles, Volume 2: Pendant l'exil 1852-1870», sayfa 3

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XIII

Resumons-nous.

Ce genre d'existence, l'exil, a, on le voit, une certaine variete d'aspects.

C'est de cette vie, agitee si l'on regarde la destinee, tranquille si l'on regarde l'ame, qu'a vecu, de 1851 a 1870, du Deux-Decembre au Quatre-Septembre, l'absent qui rend aujourd'hui compte a son pays de son absence par la publication de ce livre. Cette absence a dure dix-neuf ans et neuf mois. Qu'a-t-il fait pendant ces longues annees? Il a essaye de ne pas etre inutile. La seule belle chose de cette absence, c'est que lui, miserable, les miseres sont venues le trouver; les naufrages ont demande secours a ce naufrage. Non seulement les individus, mais les peuples; non seulement les peuples, mais les consciences; non seulement les consciences, mais les verites. Il lui a ete donne de tendre la main du haut de son ecueil a l'ideal tombe dans le gouffre; il lui semblait par moments que l'avenir en detresse tachait d'aborder a son rocher. Qu'etait-il pourtant? Peu de chose. Un effort vivant. En presence de toutes les mauvaises forces conjurees et triomphantes, qu'est-ce qu'une volonte?

Rien, si elle represente l'egoisme; tout, si elle represente le droit.

La plus inexpugnable des positions resulte du plus profond des ecroulements; il suffit que l'homme ecroule soit un homme juste; insistons-y, si cet homme a raison, il est bon qu'il soit accable, ruine, spolie, expatrie, bafoue, insulte, renie, calomnie et qu'il resume en lui toutes les formes de la defaite et de la faiblesse; alors il est tout-puissant. Il est indomptable ayant en lui la droiture; il est invincible ayant pour lui la realite. Quelle force que ceci: n'etre rien! N'avoir plus rien a soi, n'avoir plus rien sur soi, c'est la meilleure condition de combat. Cette absence d'armure prouve l'invulnerable. Pas de situation plus haute que celle-la, etre tombe pour la justice. En face de l'empereur se dresse le proscrit. L'empereur damne, le proscrit condamne. L'un dispose des codes et des juges; l'autre dispose des verites. Oui, il est bon d'etre tombe. La chute de ce qui a ete la prosperite fait l'autorite d'un homme; votre pouvoir et votre richesse sont souvent votre obstacle; quand cela vous quitte, vous etes debarrasse, et vous vous sentez libre et maitre; rien ne vous gene desormais; en vous retirant tout on vous a tout donne; tout est permis a qui tout est defendu; vous n'etes plus contraint d'etre academique et parlementaire; vous avez la redoutable aisance du vrai, sauvagement superbe. La puissance du proscrit se compose de deux elements; l'un qui est l'injustice de sa destinee, l'autre qui est la justice de sa cause. Ces deux forces contradictoires s'appuient l'une sur l'autre; situation formidable et qui peut se resumer en deux mots:

Hors la loi, dans le droit.

Le tyran qui vous attaque rencontre pour premier adversaire sa propre iniquite, c'est-a-dire lui-meme, et pour deuxieme adversaire votre conscience, c'est-a-dire Dieu.

Combat, certes, inegal. Defaite certaine du tyran. Allez devant vous, justicier.

Ce sont ces realites que, dans les premieres pages de cette introduction, nous avons essaye d'exprimer en cette ligne:

L'exil, c'est la nudite du droit.

XIV

C'est pourquoi celui qui ecrit ceci a ete pendant ces dix-neuf annees content et triste; content de lui-meme, triste d'autrui; content de se sentir honnete, triste du crime a extension indefinie qui d'ame en ame gagnait la conscience publique et avait fini par s'appeler la satisfaction des interets. Il etait indigne et accable de ce malheur national qu'on appelait la prosperite de l'empire. Les joies d'orgie sont miseres. Une prosperite qui est la dorure d'un forfait ment et couve une calamite. L'oeuf du Deux-Decembre est Sedan.

C'etaient la les douleurs du proscrit, douleurs pleines de devoirs. Il pressentait l'avenir et denoncait dans l'etourdissement des fetes l'approche des catastrophes. Il entendait le pas des evenements auquel sont sourds les heureux. Les catastrophes sont arrivees, ayant en elles la double force d'impulsion qui leur venait de Bonaparte et de Bismarck, d'un guet-apens punissant l'autre. En somme, l'empire est tombe et la France se relevera. Dix milliards et deux provinces, c'est notre rancon. C'est cher, et nous avons droit au remboursement. En attendant, soyons calmes; l'empire de moins, c'est l'honneur de plus. La situation actuelle est bonne. Mieux vaut la France mutilee par une voie de fait qu'amoindrie par un deshonneur. C'est la difference d'une plaie a un virus. On guerit de la plaie, on meurt de la peste. La France eut agonise par l'empire. La honte bue, c'est la France morte. Aujourd'hui la honte est vomie, la France vivra. Le peuple n'a plus rien en lui que de sain et de robuste, a present que le 18 brumaire et le 2 decembre sont recraches.

Dans la solitude ou il meditait l'avenir, les preoccupations de l'exile etaient severes, mais sereines; ses desespoirs etaient meles d'esperances. Il avait, on vient de le voir, la melancolie du malheur public, et en meme temps la joie altiere de se sentir proscrit. L'exil etait pour cet homme une joie, parce qu'il etait une puissance. Une bulle dit de Luther excommunie, mais indompte: Stat coram pontifice sicut Satanas coram Jehovah. La comparaison est juste, et le proscrit qui parle ici le reconnait. Par-dessus le silence fait en France, par-dessus la tribune aplatie, par-dessus la presse baillonnee, le proscrit, libre comme le Satan du vrai devant le Jehovah du faux, pouvait prendre la parole et la prenait. Il defendait le suffrage universel contre le plebiscite, le peuple contre la foule, la gloire contre le reitre, la justice contre le juge, le flambeau contre le bucher, et Dieu contre le pretre. De la ce long cri qui remplit ce livre. De toutes parts, nous venons de le dire et dans ce livre on le verra, les detresses s'adressaient a lui, sachant qu'il ne reculait devant aucun devoir. Les opprimes voyaient en lui l'accusateur public du crime universel. Il suffit, pour accepter cette mission, d'etre une ame, et, pour remplir cette fonction, d'etre une voix. Une ame probe et une voix libre, il a ete cela. Il entendait des appels a l'horizon, et du fond de son isolement il y repondait. C'est la ce qu'on va lire. Toutes les persecutions des maitres se dechainaient sur lui, et il y avait, et il y a encore, sur son nom une inexprimable condensation de haine; mais qu'est-ce que cela fait, et qu'importe? Il n'en a pas moins eu le fier bonheur d'etre proscrit vingt ans, et de tenir tete, lui solitaire a toutes les multitudes, lui desarme a toutes les legions, lui reveur a tous les meurtriers, lui banni a tous les despotes, lui atome a tous les colosses, n'ayant en lui que cette seule force, un rayon de lumiere.

Cette lumiere, c'etait, nous l'avons dit, le droit, l'eternel droit.

Il remercie Dieu. Pendant tout le temps qu'il faut a un front de quarante ans pour devenir un front de soixante ans, il a vecu de cette vie hautaine. Il a ete l'expulse, le traque, le chasse. Il a ete abandonne de tous et n'a abandonne personne. Il a connu l'excellence du desert; c'est au desert qu'est l'echo. La on entend la clameur des peuples. Pendant que les oppresseurs travaillaient au mal sous la fixite de son regard, il a tache de travailler au bien. Il a laisse tous les tyrans manier toutes les foudres au-dessus de sa tete, n'ayant, lui, d'autre souci que la calamite publique. Il a habite un ecueil, il a reve, medite, songe, tranquille sous une nuee de colere et de menaces; et il se declare satisfait; car de quoi peut-on se plaindre quand on a eu vingt ans aupres de soi et avec soi, la justice, la raison, la conscience, la verite, le droit, et la mer aux bruits immenses?

Et dans toute cette ombre il a ete aime. La haine n'a pas ete seule sur lui; un sombre amour rayonnait jusqu'a sa solitude; il a senti la profonde chaleur du peuple doux et triste, l'ouverture des coeurs s'est faite de son cote, il remercie l'immense ame humaine. Il a ete aime de loin et de pres. Il a eu autour de lui d'intrepides compagnons d'epreuve, obstines au devoir, opiniatres au juste et au vrai, combattants indignes et souriants; cet illustre Vacquerie, cet admirable Paul Meurice, ce stoique Schoelcher, et Ribeyrolles, et Dulac, et Kesler, ces vaillants hommes, et toi, mon Charles, et toi, mon Victor… – Je m'arrete. Laissez-moi me souvenir.

XV

Il ne finira pas ces pages, pourtant, sans dire que, durant cette longue nuit faite par l'exil, il n'a pas perdu de vue Paris un seul instant.

Il le constate, et, lui qui a ete si longtemps l'habitant de l'obscurite, il a le droit de le constater, meme dans l'assombrissement de l'Europe, meme dans l'occultation de la France, Paris ne s'eclipse pas. Cela tient a ce que Paris est la frontiere de l'avenir.

Frontiere visible de l'inconnu. Toute la quantite de Demain qui peut etre entrevue dans Aujourd'hui. C'est la Paris.

Qui cherche des yeux le Progres, apercoit Paris.

Il y a des villes noires; Paris est la ville de lumiere.

Le philosophe la distingue au fond de ses songes.

XVI

Voir vivre cette ville, assister a cette grandeur, c'est la pour l'esprit une emotion poignante. Aucun milieu n'est plus vaste; aucune perspective n'est plus inquietante et plus sublime. Ceux qui, par les hasards quelconques de la vie, ont quitte la vision de Paris pour la vision de l'ocean, n'ont eprouve, en changeant de spectacle, aucune hausse d'infini. D'ailleurs, passer de l'horizon des hommes a l'horizon des choses, cela n'efface rien. Ce reve en arriere, auquel s'opiniatre la memoire, est flottant comme le nuage, mais plus tenace. L'espace n'en fait pas ce qu'il veut. Le vent en marche jour et nuit, les quatre ouragans qui alternent a jamais, les bises, les bourrasques, les rafales, n'emportent pas la silhouette des deux tours jumelles, et ne dispersent pas l'arc de triomphe, le gothique beffroi aux tocsins, et la haute colonnade roulee autour du dome souverain; et, derriere les derniers lointains de l'abime, au-dessus du bouleversement des ecumes et des navires, au milieu des rayons, des nuees et des souffles, s'ebauche au fond des brumes l'immense fantome de la cite immobile. Auguste apparition au banni. Paris, etant une idee autant qu'une ville, a l'ubiquite. Les parisiens ont Paris, et le monde l'a. On voudrait en sortir qu'on ne pourrait; Paris est respirable. Quiconque vit, meme sans le connaitre, l'a en soi. A plus forte raison ceux qui l'ont connu. La distraction sauvage de l'ocean se complique de ce souvenir, egal aux tempetes. Quelque orage que fasse la mer, Paris a 93. L'evocation se fait d'elle-meme, les toits semblent surgir parmi les flots, la ville se recomposee dans toute cette onde, et ce tremblement infini s'y ajoute. Dans la cohue des Koules on croit entendre bruire la fourmiliere des rues. Charme farouche. On regarde la mer et on voit Paris. Les grandes paix que comportent ces espaces ne contrarient pas ce songe. Les vastes oublis qui vous environnent n'y font rien; la pensee arrive au calme, mais a un calme qui admet ce trouble; l'epaisse enveloppe des tenebres laisse passer la lueur qui vient de derriere l'horizon, et qui est Paris. On y pense, donc on le possede. Il se mele, indistinct, aux diffusions muettes de la meditation. L'apaisement sublime du ciel constelle ne suffit pas a dissoudre au fond d'un esprit cette grande figure de la cite supreme. Ces monuments, cette histoire, ce peuple en travail, ces femmes qui sont des deesses, ces enfants qui sont des heros, ces revolutions commencant par la colere et finissant par le chef-d'oeuvre, cette toute-puissance sacree d'un tourbillon d'intelligences, ces exemples tumultueux, cette vie, cette jeunesse; tout cela est present a l'absent; et Paris reste inoubliable, et Paris demeure ineffacable et insubmersible, meme pour l'homme abime dans l'ombre qui passe ses nuits en contemplation devant la serenite eternelle, et qui a dans l'ame la stupeur profonde des etoiles.

Novembre 1875.

PENDANT L'EXIL

1852

Commencement de l'exil. Belgique. – Depart de Belgique. – Angleterre. Arrivee a Jersey. Declaration de guerre des proscrits a l'empire. Fraternite des vaincus de France et des vaincus de Pologne.

I
EN QUITTANT LA BELGIQUE

A Anvers, le 1er aout 1852.

En decembre 1851, Victor Hugo fut un des cinq representants du peuple elus par la gauche pour diriger la resistance et combattre le coup d'etat. Ce comite des Cinq lutta depuis le 2 decembre jusqu'au 6, et dut changer vingt-sept fois d'asile. Le massacre des boulevards, le jeudi 4, assura la victoire du crime et ota toute chance de succes aux defenseurs de la loi. Victor Hugo, cache dans Paris, et en communication avec les principaux hommes des faubourgs, voulut rester le plus longtemps possible a la disposition du peuple et epuiser jusqu'a la derniere chance de resistance. Le 11, tout espoir etait evanoui. Victor Hugo ne quitta Paris que ce jour-la. Il alla a Bruxelles. La il ecrivit l'Histoire d'un crime et Napoleon le Petit. Ceci fit faire au gouvernement belge une loi, la loi Faider. Cette loi, faite expres pour Victor Hugo, decretait des penalites contre la pensee libre et declarait sacres et inviolables en Belgique tous les princes, crimes compris. Elle s'appela du nom de son inventeur, un nomme Faider. Ce Faider etait, a ce qu'il parait, magistrat. Victor Hugo dut chercher un autre asile. Le 1er aout, il s'embarqua a Anvers pour l'Angleterre. Les proscrits francais, refugies en Belgique, vinrent l'accompagner jusqu'a l'embarquement. L'elite des liberaux belges se joignit aux proscrits francais. Il y eut une sorte de separation solennelle entre ces hommes, dont plusieurs devaient mourir dans l'exil. On adressa a Victor Hugo des paroles d'adieu, auxquelles il repondit:

Freres proscrits, amis belges,

En repondant a tant de cordiales paroles qui s'adressent a moi, souffrez que je ne parle pas de moi et trouvez bon que je m'oublie. Qu'importe ce qui m'arrive! J'ai ete exile de France pour avoir combattu le guet-apens de decembre et m'etre collete avec la trahison; je suis exile de Belgique pour avoir fait Napoleon le Petit. Eh bien! je suis banni deux fois, voila tout. M. Bonaparte m'a traque a Paris, il me traque a Bruxelles; le crime se defend; c'est tout simple. J'ai fait mon devoir, et je continuerai de faire mon devoir. N'en parlons plus. Certes, je souffre de vous quitter, mais est-ce que nous ne sommes pas faits pour souffrir? Mon coeur saigne; laissons-le saigner. Ne nous appelons-nous pas les sacrifies?

Permettez donc que je laisse de cote, ce qui me touche, pour remercier Madier-Montjau de ses genereuses effusions, Charras de ses grandes et belles paroles, Deschanel de sa noble et charmante eloquence, Dussoubs et Agricol Perdiguier de leur adieu touchant, et vous-memes, nos amis de Belgique, de vos fraternelles sympathies si fermement exprimees; je ne sache rien de mieux, au moment de quitter cette terre hospitaliere, au moment de nous separer peut-etre pour ne plus nous revoir, qu'une derniere malediction a Louis Bonaparte et une derniere acclamation a la republique.

Vive la republique, amis!

(On crie de toutes parts: Vive la republique! L'orateur reprend:)

Il y a des gens qui disent: La republique est morte. Eh bien! si elle est morte, que le monde, absorbe a cette heure dans l'assouvissement joyeux et brutal des interets materiels, detourne un moment la tete, et qu'il regarde l'exil saluer le tombeau!

Proscrits, si la republique est morte, veillons le cadavre! allumons nos ames, et laissons-les se consumer comme des cierges autour du cercueil; restons inclines devant l'idee morte, et, apres avoir ete ses soldats pour la defendre, soyons ses pretres pour l'ensevelir.

Mais non, la republique n'est pas morte!

Citoyens, je le declare, elle n'a jamais ete plus vivante. Elle est dans les catacombes, ce qui est bon. Ceux-la seuls la croient morte qui prennent les catacombes pour le tombeau. Amis, les catacombes ne sont pas le sepulcre, les catacombes sont le berceau. Le christianisme en est sorti la tiare en tete; la republique en sortira l'aureole au front. La republique morte, grand Dieu! mais elle est immortelle! Mais a quel moment dit-on cela! au moment ou elle a, en France seulement, deux mille massacres, douze cents supplicies, dix mille deportes, quarante mille proscrits! La republique morte! mais regardez donc autour de vous. La terre d'exil, les pontons, les bagnes, Bellisle, Mazas, l'Afrique, Cayenne, les fosses du Champ de Mars, le cimetiere Montmartre, sont pleins de sa vie! Citoyens, la democratie, la liberte, la republique est notre religion a nous. Eh bien! passez-moi cette expression, les martyrs sont le combustible des religions. Plus il y en a dans le brasier, plus la flamme monte, plus l'idee grandit, plus, la verite illumine. A cette heure, proscrits, je le repete, la republique est plus vivante et plus eblouissante que jamais, ayant pour splendeur toutes vos miseres.

Et, au besoin, je n'en voudrais pas d'autre preuve que ce reflet d'on ne sait quelle aurore qui eclaire en ce moment tous vos visages, a vous, bannis, qui m'entourez. Qu'y a-t-il en effet dans vos yeux et sur vos fronts? La joie. La sainte joie des victimes. Sans compter la ville natale evanouie, la fortune perdue, le travail brise, le pain qui manque, les habitudes rompues, le foyer detruit, chacun de vous a au coeur un pere, une mere, des freres, des enfants, dont il a fallu se separer, une femme aimee et quittee, quelque amour meurtri et saignant; vous souffrez, vous vous tordez sur ces charbons ardents; mais vous levez la tete, et votre oeil dit: nous sommes contents. C'est que vous savez que la republique, votre foi, votre idee-patrie, puise une vie nouvelle dans vos tortures. Vos douleurs sont une affirmation. Le bucher flamboie; le martyr rayonne.

Vive la republique, citoyens!

(On crie: Vive la republique! Une voix dit: Un mot aux amis belges! Victor Hugo continue:)

Je viens d'entendre une voix me crier: un mot aux amis belges! Est-ce que vous croyez par hasard que je vais les oublier? (Non! non!) Les oublier dans cet adieu! eux qui nous ont suivis jusqu'ici, eux qui nous entourent a cette heure de leur foule intelligente et cordiale, eux qui blament si energiquement les faiblesses de leur gouvernement, les oublier! jamais! Petite nation, ils se sont conduits comme un grand peuple. Ils sont accourus au-devant de nous, – vous vous en souvenez, bannis! – quand nous arrivions a leur frontiere apres le 2 decembre, proscrits, chasses, poursuivis, la sueur au front, l'oreille encore pleine de la rumeur du combat, la glorieuse boue des barricades a nos habits! ils n'ont pas repousse notre adversite; ils n'ont pas eu peur de notre contagion; gloire a eux! ils ont fait, grandement et simplement, asseoir a leur foyer cette espece de pestiferes qu'on appelle les vaincus.

Amis belges, j'arrive donc a vous sans transition. Vous etes nos hotes, c'est-a-dire nos freres. On n'a pas besoin de transition pour tendre la main a des freres.

L'un de vous, tout a l'heure, ce vaillant Louis Labarre, songeant a M. Bonaparte, attestait en termes eloquents votre nationalite, et jurait de mourir pour la defendre. C'est bien; je l'approuve. Nous tous francais qui sommes ici, nous l'approuvons.

Oui, si M. Bonaparte arrive, si M. Bonaparte vous envahit, s'il vient une nuit, – c'est son heure, – heurter vos frontieres, trainant a sa suite, ou, pour mieux dire, poussant devant lui, – marcher en tete n'est pas sa maniere, – poussant devant lui ce qu'il appelle aujourd'hui la France, cette armee maintenant denationalisee, ces regiments dont il a fait des hordes, ces pretoriens qui ont viole l'assemblee nationale, ces janissaires qui ont sabre la constitution, ces soldats du boulevard Montmartre, qui auraient pu etre des heros et dont il a fait des brigands; s'il arrive a vos frontieres, cet homme, declarant la Belgique pachalik, vous apportant la honte a vous qui etes l'honneur, vous apportant l'esclavage a vous qui etes la liberte, vous apportant le vol a vous qui etes la probite, oh! levez-vous, belges, levez-vous tous! recevez Louis Bonaparte comme vos aieux les nerviens ont recu Caligula! courez aux fourches, aux pierres, aux faulx, aux socs de vos charrues; prenez vos couteaux, prenez vos fusils, prenez vos carabines; sautez sur la vieille epee d'Arteveld, sautez sur le vieux baton ferre de Coppenole, remettez, s'il le faut, des boulets de marbre dans la grosse couleuvrine de Gand; vous en trouverez a Notre-Dame de Hal! criez aux armes! ce n'est pas Annibal qui est aux portes, c'est Schinderhannes! Sonnez le tocsin, battez le rappel; faites la guerre des plaines, faites la guerre des murailles, faites la guerre des buissons; luttez pied a pied, defendez-vous, frappez, mourez; souvenez-vous de vos peres qui ont voulu vous leguer la gloire, souvenez-vous de vos enfants auxquels vous devez leguer la liberte! Empruntez a Waterloo son cri funebre: la Belgique meurt et ne se rend pas!

Si le Bonaparte vient, faites cela!

Mais, belges, si, un jour, le front dans la lumiere, agitant au vent joyeux des revolutions un drapeau d'une seule couleur sur lequel, vous lirez: Fraternite des Peuples. Etats-Unis d'Europe, – grande, libre, fiere, tendre, sereine, des epis et des lauriers dans les mains, la France, la vraie France vient a vous, oh! levez-vous encore cette fois, belges, mais pour remplacer le baton ferre par le rameau fleuri! levez-vous, mais pour aller au-devant de la France, et pour lui dire: Salut!

Levez-vous pour lui tendre la main, a notre mere, comme nous, ses fils, nous vous la tendons, et pour lui ouvrir les bras comme nous vous les ouvrons. Car cette France-la, ce ne sera pas la conquerante, ce sera l'initiatrice; ce ne sera pas la France qui subjugue, ce sera la France qui delivre; ce ne sera pas la France des Bonapartes, ce sera la France des nations!

Recevez-la comme une grande amie. Accueillez-la, cette victorieuse, comme, proscrite, vous l'avez accueillie. Car c'est elle que vous acclamez en ce moment; car c'est la France qui est ici. C'est elle qui, a cette heure, quelquefois meurtrie par vos gouvernants, toujours relevee et consolee par vous, pleure a la porte de vos villes sous la blouse de l'ouvrier ou sous le sarrau de toile du laboureur exile.

Amis, la persecution et la douleur, c'est aujourd'hui; les Etats-Unis d'Europe, les Peuples-Freres, c'est demain. Lendemain inevitable pour nos ennemis, infaillible pour nous. Amis, quelles que soient les angoisses et les duretes du moment qui passe, fixons notre pensee sur ce lendemain splendide, deja visible pour elle, sur cette immense echeance de la liberte et de la fraternite. C'est dans cette contemplation que vous puisez votre calme, proscrits de France. Quelquefois, comme je vous le rappelais tout a l'heure, dans la nuit lugubre ou vous etes, on s'etonne de voir dans vos yeux tant de lumiere. Cette lumiere, c'est la clarte de l'avenir dont vous etes pleins.

Citoyens francais et belges, en face des tyrans, levons haut les nationalites; en presence de la democratie, inclinons-les. La democratie, c'est la grande patrie. Republique universelle, c'est patrie universelle. Au jour venu, contre les despotes, les nationalites et les patries devront pousser le cri de guerre; l'oeuvre faite, l'unite, la sainte unite humaine deposera au front de toutes les nations le baiser de paix. Montons d'echelon en echelon, d'initiation en initiation, de douleur en douleur, de misere en misere, aux grandes formules. Que chaque degre franchi elargisse l'horizon. Il y a quelque chose qui est au-dessus de l'allemand, du belge, de l'italien, de l'anglais, du francais, c'est le citoyen; il y a quelque chose qui est au-dessus du citoyen, c'est l'homme. La fin des nations, c'est l'unite, comme la fin des racines, c'est l'arbre, comme la fin des vents, c'est le ciel, comme la fin des fleuves, c'est la mer. Peuples! il n'y a qu'un peuple. Vive la republique universelle!

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Litres'teki yayın tarihi:
27 eylül 2017
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