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Kitabı oku: «Actes et Paroles, Volume 3», sayfa 6

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Que leur presence dans l'Assemblee nationale de France soit la protestation vivante et permanente de la justice contre l'iniquite, du malheur contre la force, du droit vrai de la patrie contre le droit faux de la victoire.

Que les alsaciens et les lorrains, elus par leurs departements, restent dans l'Assemblee francaise et qu'ils y personnifient, non le passe, mais l'avenir.

Le mandat est un depot. C'est au mandant lui-meme que le mandataire est tenu de rapporter son mandat. Aujourd'hui, dans la situation faite a l'Alsace et a la Lorraine, le mandant est prisonnier, mais le mandataire est libre. Le devoir du mandataire est de garder a la fois sa liberte et son mandat.

Et cela jusqu'au jour ou, ayant coopere avec nous a l'oeuvre liberatrice, il pourra rendre a ceux qui l'ont elu le mandat qu'il leur doit et la patrie que nous leur devons.

Les representants alsaciens et lorrains des departements cedes sont aujourd'hui dans une exception qu'il importe de signaler. Tous les representants du reste de la France peuvent etre reelus ou remplaces; eux seuls ne le peuvent pas. Leurs electeurs sont frappes d'interdit.

En ce moment, et sans que le traite puisse l'empecher, l'Alsace et la Lorraine sont representees dans l'Assemblee nationale de France. Il depend de l'Assemblee nationale de continuer cette representation. Cette continuation du mandat, nous devons la declarer. Elle est de droit. Elle est de devoir.

Il ne faut pas que les sieges de la representation alsacienne et lorraine, actuellement occupes, soient vides et restent vides par notre volonte. Pour toutes les populations de France, le droit d'etre representees est un droit absolu; pour la Lorraine et pour l'Alsace c'est un droit sacre.

Puisque la Lorraine et l'Alsace ne peuvent desormais nommer d'autres representants, ceux-ci doivent etre maintenus. Ils doivent etre maintenus indefiniment, dans les assemblees nationales qui se succederont, jusqu'au jour, prochain nous l'esperons, ou la France reprendra possession de la Lorraine et de l'Alsace, et ou cette moitie de notre coeur nous sera rendue.

En resume,

Si nous souffrons que nos honorables collegues alsaciens et lorrains se retirent, nous aggravons le traite.

La France va dans la concession plus loin que la Prusse dans l'extorsion. Nous offrons ce qu'on n'exige pas. Il importe que dans l'execution forcee du traite rien de notre part ne ressemble a un consentement. Subir sans consentir est la dignite du vaincu.

Par tous ces motifs, sans prejuger les resolutions ulterieures que pourra leur commander leur conscience,

Croyant necessaire de reserver les questions qui viennent d'etre indiquees,

Les representants soussignes invitent leurs collegues de l'Alsace et de la Lorraine a reprendre et a garder leurs sieges dans l'Assemblee.

IV

LA QUESTION DE PARIS

Par le traite vote, l'Assemblee avait dispose de la France; il s'agissait maintenant de savoir ce qu'elle allait faire de Paris. La droite ne voulait plus de Paris; il lui fallait autre chose. Elle cherchait une capitale; les uns proposaient Bourges, les autres Fontainebleau, les autres Versailles. Le 6 mars, l'Assemblee discuta la question dans ses bureaux. Rentrerait-elle ou ne rentrerait-elle pas dans Paris?

M. Victor Hugo faisait partie du onzieme bureau. Voici ses paroles, telles qu'elles ont ete reproduites par les journaux:

Nous sommes plusieurs ici qui avons ete enfermes dans Paris et qui avons assiste a toutes les phases de ce siege, le plus extraordinaire qu'il y ait dans l'histoire. Ce peuple a ete admirable. Je l'ai dit deja et je le dirai encore. Chaque jour la souffrance augmentait et l'heroisme croissait. Rien de plus emouvant que cette transformation; la ville de luxe etait devenue ville de misere; la ville de mollesse etait devenue ville de combat; la ville de joie etait devenue ville de terreur et de sepulcre. La nuit, les rues etaient toutes noires, pas un delit. Moi qui parle, toutes les nuits, je traversais, seul, et presque d'un bout a l'autre, Paris tenebreux et desert; il y avait la bien des souffrants et bien des affames, tout manquait, le feu et le pain; eh bien, la securite etait absolue. Paris avait la bravoure au dehors et la vertu au dedans. Deux millions d'hommes donnaient ce memorable exemple. C'etait l'inattendu dans la grandeur. Ceux qui l'ont vu ne l'oublieront pas. Les femmes etaient aussi intrepides devant la famine que les hommes devant la bataille. Jamais plus superbe combat n'a ete livre de toutes parts a toutes les calamites a la fois. Oui, l'on souffrait, mais savez-vous comment? on souffrait avec joie, parce qu'on se disait: Nous souffrons pour la patrie.

Et puis, on se disait: Apres la guerre finie, apres les prussiens partis, ou chasses, – je prefere chasses, – on se disait: comme ce sera beau la recompense! Et l'on s'attendait a ce spectacle sublime, l'immense embrassement de Paris et de la France.

On s'attendait a quelque chose comme ceci: la mere se jetant eperdue dans les bras de sa fille! la grande nation remerciant la grande cite!

On se disait: Nous sommes isoles de la France; la Prusse a eleve une muraille entre la France et nous; mais la Prusse s'en ira, et la muraille tombera.

Eh bien! non, messieurs. Paris debloque reste isole. La Prusse n'y est plus, et la muraille y est encore.

Entre Paris et la France il y avait un obstacle, la Prusse; maintenant il y en a un autre, l'Assemblee.

Reflechissez, messieurs.

Paris esperait votre reconnaissance, et il obtient votre suspicion!

Mais qu'est-ce donc qu'il vous a fait?

Ce qu'il vous a fait, je vais vous le dire:

Dans la defaillance universelle, il a leve la tete; quand il a vu que la France n'avait plus de soldats, Paris s'est transfigure en armee; il a espere, quand tout desesperait; apres Phalsbourg tombee, apres Toul tombee, apres Strasbourg tombee, apres Metz tombee, Paris est reste debout. Un million de vandales ne l'a pas etonne. Paris s'est devoue pour tous; il a ete la ville superbe du sacrifice. Voila ce qu'il vous a fait. Il a plus que sauve la vie a la France, il lui a sauve l'honneur.

Et vous vous defiez de Paris! et vous mettez Paris en suspicion!

Vous mettez en suspicion le courage, l'abnegation, le patriotisme, la magnifique initiative de la resistance dans le desespoir, l'intrepide volonte d'arracher a l'ennemi la France, toute la France! Vous vous defiez de cette cite qui a fait la philosophie universelle, qui envahit le monde a votre profit par son rayonnement et qui vous le conquiert par ses orateurs, par ses ecrivains, par ses penseurs; de cette cite qui a donne l'exemple de toutes les audaces et aussi de toutes les sagesses; de ce Paris qui fera l'univers a son image, et d'ou est sorti l'exemplaire nouveau de la civilisation! Vous avez peur de Paris, de Paris qui est la fraternite, la liberte, l'autorite, la puissance, la vie! Vous mettez en suspicion le progres! Vous mettez en surveillance la lumiere!

Ah! songez-y!

Cette ville vous tend les bras; vous lui dites: Ferme tes portes. Cette ville vient a vous, vous reculez devant elle. Elle vous offre son hospitalite majestueuse ou vous pouvez mettre toute la France a l'abri, son hospitalite, gage de concorde et de paix publique, et vous hesitez, et vous refusez, et vous avez peur du port comme d'un piege!

Oui, je le dis, pour vous, pour nous tous, Paris, c'est le port.

Messieurs, voulez-vous etre sages, soyez confiants. Voulez-vous etre des hommes politiques, soyez des hommes fraternels.

Rentrez dans Paris, et rentrez-y immediatement. Paris vous en saura gre et s'apaisera. Et quand Paris s'apaise, tout s'apaise.

Votre absence de Paris inquietera tous les interets et sera pour le pays une cause de fievre lente.

Vous avez cinq milliards a payer; pour cela il vous faut le credit; pour le credit, il vous faut la tranquillite, il vous faut Paris. Il vous faut Paris rendu a la France, et la France rendue a Paris.

C'est-a-dire l'assemblee nationale siegeant dans la ville nationale.

L'interet public est ici etroitement d'accord avec le devoir public.

Si le sejour de l'Assemblee en province, qui n'est qu'un accident, devenait un systeme, c'est-a-dire la negation du droit supreme de Paris, je le declare, je ne siegerais point hors de Paris. Mais ma resolution particuliere n'est qu'un detail sans importance. Je ferais ce que je crois etre mon devoir. Cela me regarde et je n'y insiste pas.

Vous, c'est autre chose. Votre resolution est grave. Pesez-la.

On vous dit: – N'entrez pas dans Paris; les prussiens sont la. – Qu'importe les prussiens! moi je les dedaigne. Avant peu, ils subiront la domination de ce Paris qu'ils menacent de leurs canons et qui les eclaire de ses idees.

La seule vue de Paris est une propagande. Desormais le sejour des prussiens en France est dangereux surtout pour le roi de Prusse.

Messieurs, en rentrant dans Paris, vous faites de la politique, et de la bonne politique.

Vous etes un produit momentane. Paris est une formation seculaire. Croyez-moi, ajoutez Paris a l'Assemblee, appuyez votre faiblesse sur cette force, asseyez votre fragilite sur cette solidite.

Tout un cote de cette assemblee, cote fort par le nombre et faible autrement, a la pretention de discuter Paris, d'examiner ce que la France doit faire de Paris, en un mot de mettre Paris aux voix. Cela est etrange.

Est-ce qu'on met Paris en question?

Paris s'impose.

Une verite qui peut etre contestee en France, a ce qu'il parait, mais qui ne l'est pas dans le reste du monde, c'est la suprematie de Paris.

Par son initiative, par son cosmopolitisme, par son impartialite, par sa bonne volonte, par ses arts, par sa litterature, par sa langue, par son industrie, par son esprit d'invention, par son instinct de justice et de liberte, par sa lutte de tous les temps, par son heroisme d'hier et de toujours, par ses revolutions, Paris est l'eblouissant et mysterieux moteur du progres universel.

Niez cela, vous rencontrez le sourire du genre humain. Le monde n'est peut-etre pas francais, mais a coup sur il est parisien.

Nous, consentir a discuter Paris? Non. Il est pueril de l'attaquer, il serait pueril de le defendre.

Messieurs, n'attentons pas a Paris.

N'allons pas plus loin que la Prusse.

Les prussiens ont demembre la France, ne la decapitons pas.

Et puis, songez-y.

Hors Paris il peut y avoir une Assemblee provinciale; il n'y a d'Assemblee nationale qu'a Paris.

Pour les legislateurs souverains qui ont le devoir de completer la Revolution francaise, etre hors de Paris, c'est etre hors de France. (Interruption.)

On m'interrompt. Alors j'insiste.

Isoler Paris, refaire apres l'ennemi le blocus de Paris, tenir Paris a l'ecart, succeder dans Versailles, vous assemblee republicaine, au roi de France, et, vous assemblee francaise, au roi de Prusse, creer a cote de Paris on ne sait quelle fausse capitale politique, croyez-vous en avoir le droit? Est-ce comme representants de la France que vous feriez cela? Entendons-nous. Qui est-ce qui represente la France? c'est ce qui contient le plus de lumiere. Au-dessus de vous, au-dessus de moi, au-dessus de nous tous, qui avons un mandat aujourd'hui et qui n'en aurons pas demain, la France a un immense representant, un representant de sa grandeur, de sa puissance, de sa volonte, de son histoire, de son avenir, un representant permanent, un mandataire irrevocable; et ce representant est un heros, et ce mandataire est un geant; et savez-vous son nom? Il s'appelle Paris. Et c'est vous, representants ephemeres, qui voudriez destituer ce representant eternel!

Ne faites pas ce reve et ne faites pas cette faute.

* * * * *

Apres ces paroles, le onzieme bureau, ayant a choisir entre M. Victor

Hugo et M. Lucien Brun un commissaire, a choisi M. Lucien Brun.

V

DEMISSION DE VICTOR HUGO

Le 8 mars, au moment ou le representant Victor Hugo se preparait a prendre la parole pour defendre Paris contre la droite, survint un incident inattendu. Un rapport fut fait a l'Assemblee sur l'election d'Alger. Le general Garibaldi avait ete nomme representant d'Alger par 10,600 voix. Le candidat qui avait apres lui le plus de voix n'avait eu que 4,973 suffrages. On proposa l'annulation de l'election de Garibaldi. Victor Hugo intervint.

SEANCE DU 8 MARS 1871

M. VICTOR HUGO. – Je demande la parole.

M. LE PRESIDENT. – M. Victor Hugo a la parole. (Mouvements divers.)

M. VICTOR HUGO. – Je ne dirai qu'un mot.

La France vient de traverser une epreuve terrible, d'ou elle est sortie sanglante et vaincue. On peut etre vaincu et rester grand; la France le prouve. La France accablee, en presence des nations, a rencontre la lachete de l'Europe. (Mouvement.)

De toutes les puissances europeennes, aucune ne s'est levee pour defendre cette France qui, tant de fois, avait pris en main la cause de l'Europe… (Bravo! a gauche), pas un roi, pas un etat, personne! un seul homme excepte… (Sourires ironiques a droite. – Tres bien! a gauche.)

Ah! les puissances, comme on dit, n'intervenaient pas; eh bien, un homme est intervenu, et cet homme est une puissance. (Exclamations sur plusieurs bancs a droite.)

Cet homme, messieurs, qu'avait-il? son epee. M. LE VICOMTE DE

LORGERIL. – Et Bordone! (On rit.)

M. VICTOR HUGO. – Son epee, et cette epee avait deja delivre un peuple … (exclamations) et cette epee pouvait en sauver un autre. (Nouvelles exclamations.)

Il l'a pense; il est venu, il a combattu.

A droite.– Non! non!

M. LE VICOMTE DE LORGERIL. – Ce sont des reclames qui ont ete faites; il n'a pas combattu.

M. VICTOR HUGO. – Les interruptions ne m'empecheront pas d'achever ma pensee.

Il a combattu… (Nouvelles interruptions.)

Voix nombreuses a droite.– Non! non!

A gauche.– Si! si!

M. LE VICOMTE DE LORGERIL. – Il a fait semblant!

Un membre a droite.– Il n'a pas vaincu en tout cas!

M. VICTOR HUGO. – Je ne veux blesser personne dans cette assemblee, mais je dirai qu'il est le seul des generaux qui ont lutte pour la France, le seul qui n'ait pas ete vaincu. (Bruyantes reclamations a droite. – Applaudissements a gauche.)

Plusieurs membres a droite.– A l'ordre! a l'ordre!

M. DE JOUVENCEL. – Je prie M. le president d'inviter l'orateur a retirer une parole qui est antifrancaise.

M. LE VICOMTE DE LORGERIL. – C'est un comparse de melodrame. (Vives reclamations a gauche.) Il n'a pas ete vaincu parce qu'il ne s'est pas battu.

M. LE PRESIDENT. – Monsieur de Lorgeril, veuillez garder le silence; vous aurez la parole ensuite. Mais respectez la liberte de l'orateur. (Tres bien!)

M. LE GENERAL DUCROT. – Je demande la parole. (Mouvement.)

M. LE PRESIDENT. – General, vous aurez la parole apres M. Victor Hugo.

(Plusieurs membres se levent et interpellent vivement M. Victor Hugo.)

M. LE PRESIDENT aux interrupteurs. La parole est a M. Victor Hugo seul.

M. RICHIER. – Un francais ne peut pas entendre des paroles semblables a celles qui viennent d'etre prononcees. (Agitation generale.)

M. LE VICOMTE DE LORGERIL. – L'Assemblee refuse la parole a M. Victor Hugo, parce qu'il ne parle pas francais. (Oh! oh! – Rumeurs confuses.)

M. LE PRESIDENT. – Vous n'avez pas la parole, monsieur de Lorgeril…

Vous l'aurez a votre tour.

M. LE VICOMTE DE LORGERIL. – J'ai voulu dire que l'Assemblee ne veut pas ecouter parce qu'elle n'entend pas ce francais-la. (Bruit.)

Un membre.– C'est une insulte au pays!

M. LE GENERAL DUCROT. – J'insiste pour demander la parole.

M. LE PRESIDENT. – Vous aurez la parole si M. Victor Hugo y consent.

M. VICTOR HUGO. – Je demande a finir.

Plusieurs membres a M. Victor Hugo.– Expliquez-vous! (Assez! assez!)

M. LE PRESIDENT. – Vous demandez a M. Victor Hugo de s'expliquer; il va le faire. Veuillez l'ecouter et garder le silence… (Non! non! – A l'ordre!)

M. LE GENERAL DUCROT. – On ne peut pas rester la-dessus.

M. VICTOR HUGO. – Vous y resterez pourtant, general.

M. LE PRESIDENT. – Vous aurez la parole apres l'orateur.

M. LE GENERAL DUCROT. – Je proteste contre des paroles qui sont un outrage… (A la tribune! a la tribune!)

M. VICTOR HUGO. – Il est impossible… (Les cris: A l'ordre! continuent.)

Un membre.– Retirez vos paroles. On ne vous les pardonne pas.

(Un autre membre a droite se leve et adresse a l'orateur des interpellations qui se perdent dans le bruit.)

M. LE PRESIDENT. – Veuillez vous asseoir!

Le meme membre.– A l'ordre! Rappelez l'orateur a l'ordre!

M. LE PRESIDENT. – Je vous rappellerai vous-meme a l'ordre, si vous continuez a le troubler. (Tres bien! tres bien!) Je rappellerai a l'ordre ceux qui empecheront le president d'exercer sa fonction. Je suis le juge du rappel a l'ordre.

Sur plusieurs bancs a droite.– Nous le demandons, le rappel a l'ordre!

M. LE PRESIDENT. – Il ne suffit pas que vous le demandiez. (Tres bien! – Interpellations diverses et confuses.)

M. DE CHABAUD-LATOUR. – Paris n'a pas ete vaincu, il a ete affame. (C'est vrai! c'est vrai! – Assentiment general.)

M. LE PRESIDENT. – Je donne la parole a M. Victor Hugo pour s'expliquer, et ceux qui l'interrompront seront rappeles a l'ordre. (Tres bien!)

M. VICTOR HUGO. – Je vais vous satisfaire, messieurs, et aller plus loin que vous. (Profond silence.)

Il y a trois semaines, vous avez refuse d'entendre Garibaldi…

Un membre.– Il avait donne sa demission!

M. VICTOR HUGO. – Aujourd'hui vous refusez de m'entendre. Cela me suffit. Je donne ma demission. (Longues rumeurs. – Non! non! – Applaudissements a gauche.)

Un membre.– L'Assemblee n'accepte pas votre demission!

M. VICTOR HUGO. – Je l'ai donnee et je la maintiens.

(L'honorable membre qui se trouve, en descendant de la tribune, au pied du bureau stenographique situe a l'entree du couloir de gauche, saisit la plume de l'un des stenographes de l'Assemblee et ecrit, debout, sur le rebord exterieur du bureau, sa lettre de demission au president.)

M. LE GENERAL DUCROT. – Messieurs, avant de juger le general Garibaldi, je demande qu'une enquete serieuse soit faite sur les faits qui ont amene le desastre de l'armee de l'est. (Tres bien! tres bien!)

Quand cette enquete sera faite, nous vous produirons des telegrammes emanant de M. Gambetta, et prouvant qu'il reprochait au general Garibaldi son inaction dans un moment ou cette inaction amenait le desastre que vous connaissez. On pourra examiner alors si le general Garibaldi est venu payer une dette de reconnaissance a la France, ou s'il n'est pas venu, plutot, defendre sa republique universelle. (Applaudissements prolonges sur un grand nombre de bancs.)

M. LOCKROY. – Je demande la parole.

M. LE PRESIDENT. – M. Victor Hugo est-il present?

Voix diverses.– Oui! – Non! il est parti!

M. LE PRESIDENT. – Avant de donner lecture a l'Assemblee de la lettre que vient de me remettre M. Victor Hugo, je voulais le prier de se recueillir et de se demander a lui-meme s'il y persiste.

M. VICTOR HUGO, au pied de la tribune. – J'y persiste.

M. LE PRESIDENT. – Voici la lettre de M. Victor Hugo; mais M. Victor

Hugo… (Rumeurs diverses.)

M. VICTOR HUGO. – J'y persiste. Je le declare, je ne paraitrai plus dans cette enceinte.

M. LE PRESIDENT. – Mais M. Victor Hugo ayant ecrit cette lettre dans la vivacite de l'emotion que ce debat a soulevee, j'ai du en quelque sorte l'inviter a se recueillir lui-meme, et je crois avoir exprime l'impression de l'Assemblee. (Oui! oui! Tres bien!)

M. VICTOR HUGO. – Monsieur le president, je vous remercie; mais je declare que je refuse de rester plus longtemps dans cette Assemblee. (Non! non!)

_De toutes parts./i> – A demain! a demain!

M. VICTOR HUGO. – Non! non! j'y persiste. Je ne rentrerai pas dans cette Assemblee!

(M. Victor Hugo sort de la salle.)

M. LE PRESIDENT. – Si l'Assemblee veut me le permettre, je ne lui donnerai connaissance de cette lettre que dans la seance de demain. (Oui! oui! – Assentiment general.)

Cet incident est termine, et je regrette que les elections de l'Algerie y aient donne lieu…

Un membre a gauche.– C'est la violence de la droite qui y a donne lieu.

* * * * *
SEANCE DU 9 MARS

M. LE PRESIDENT. – Messieurs, je regrette profondement que notre illustre collegue, M. Victor Hugo, n'ait pas cru pouvoir se rendre aux instances d'un grand nombre de nos collegues, et, je crois pouvoir le dire, au sentiment general de l'Assemblee. (Oui! oui! – Tres bien!) Il persiste dans la demission qu'il m'a remise hier au soir, et dont il ne me reste, a mon grand regret, qu'a donner connaissance a l'Assemblee:

La voici:

"Il y a trois semaines, l'Assemblee a refuse d'entendre Garibaldi; aujourd'hui elle refuse de m'entendre. Cela me suffit.

"Je donne ma demission.

"VICTOR HUGO."

8 mars 1871.

La demission sera transmise a M. le ministre de l'interieur.

M. LOUIS BLANC. – Je demande la parole.

M. LE PRESIDENT. – M. Louis Blanc a la parole.

M. LOUIS BLANC. – Messieurs, je n'ai qu'un mot a dire.

A ceux d'entre nous qui sont plus particulierement en communion de sentiments et d'idees avec Victor Hugo, il est commande de dire bien haut de quelle douleur leur ame a ete saisie…

Voix a gauche. – Oui! oui! c'est vrai!

M. LOUIS BLANC. – En voyant le grand citoyen, l'homme de genie dont la France est fiere, reduit a donner sa demission de membre d'une Assemblee francaise…

Voix a droite. – C'est qu'il l'a bien voulu.

M. LE DUC DE MARMIER. – C'est par sa volonte!

M. LOUIS BLANC. – C'est un malheur ajoute a tant d'autres malheurs … (mouvements divers) que cette voix puissante ait ete etouffee… (Reclamations sur un grand nombre de bancs.)

M. DE TILLANCOURT. – La voix de M. Victor Hugo a constamment ete etouffee!

Plusieurs membres. – C'est vrai! c'est vrai!

M. LOUIS BLANC. – Au moment ou elle proclamait la reconnaissance de la patrie pour d'eminents services.

Je me borne a ces quelques paroles. Elles expriment des sentiments qui, j'en suis sur, seront partages par tous ceux qui cherissent et reverent le genie combattant pour la liberte. (Vive approbation sur plusieurs bancs a gauche.)

M. SCHOELCHER. – Louis Blanc, vous avez dignement exprime nos sentiments a tous.

A gauche. – Oui! oui! – Tres bien!

* * * * *

Caprera, 11 avril 1870.

"Mon cher Victor Hugo,

"J'aurais du plus tot vous donner un signe de gratitude pour l'honneur immense dont vous m'avez decore a l'Assemblee de Bordeaux.

"Sans manifestation ecrite, nos ames se sont cependant bien entendues, la votre par le bienfait, et la mienne par l'amitie et la reconnaissance que je vous consacre depuis longtemps.

"Le brevet que vous m'avez signe a Bordeaux suffit a toute une existence devouee a la cause sainte de l'humanite, dont vous etes le premier apotre.

"Je suis pour la vie,

"Votre devoue,

"GARIBALDI."
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