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Kitabı oku: «Han d'Islande», sayfa 22

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Le père attendait.

– Quoi! dit-elle enfin d'une voix éteinte, vous me le destiniez pour mari, mon seigneur et père, sans connaître sa naissance, sa famille, son nom?

– Je ne vous le destinais point, ma fille, je vous le destine.

Le ton du vieillard était presque impérieux; Éthel soupira.

– … Je vous le destine, dis-je; et que m'importe sa naissance? je n'ai pas besoin de connaître sa famille, puisque je connais sa personne. Songez-y; c'est la seule ancre de salut qui vous reste. Je crois qu'il n'a heureusement pas pour vous la même répugnance que vous montrez pour lui.

La pauvre jeune fille leva les yeux au ciel.

– Vous m'entendez, Éthel; je le répète, que me fait sa naissance? Il est sans doute d'un rang obscur, car on n'enseigne pas à ceux qui naissent dans les palais à fréquenter les prisons. Oui, et ne manifestez pas d'orgueilleux regrets, ma fille; n'oubliez pas qu'Éthel Schumacker n'est plus princesse de Wollin et comtesse de Tongsberg; vous êtes redescendue plus bas que le point d'où votre père s'est élevé. Soyez donc heureuse si cet homme accepte votre main, quelle que soit sa famille. S'il est d'une humble naissance, tant mieux, ma fille; vos jours du moins seront à l'abri des orages qui ont tourmenté les jours de votre père. Vous coulerez, loin de l'envie et de la haine des hommes, sous quelque nom inconnu, une existence ignorée, bien différente de la mienne, car elle s'achèvera mieux qu'elle n'aura commencé.

Éthel était tombée à genoux devant le prisonnier.

– O mon père! grâce!

Il ouvrit ses bras avec surprise.

– Que voulez-vous dire, ma fille?

– Au nom du ciel, ne me peignez pas ce bonheur, il n'est pas fait pour moi!

– Éthel, reprit sévèrement le vieillard, ne vous jouez pas de toute votre vie. J'ai refusé la main d'une princesse de sang royal, d'une princesse de Holstein-Augustenbourg, entendez-vous cela? Et mon orgueil a été cruellement puni. Vous dédaignez celle d'un homme obscur, mais loyal; tremblez que le vôtre ne soit aussi tristement châtié.

– Plût au ciel, murmura Éthel, que ce fût un homme obscur et loyal!

Le vieillard se leva et fit quelques pas dans l'appartement avec agitation.

– Ma fille, dit-il, c'est votre pauvre père qui vous en prie et qui vous l'ordonne. Ne me laissez pas à ma mort une inquiétude sur votre avenir; promettez-moi d'accepter cet étranger pour époux.

– Je vous obéirai toujours, mon père, mais n'espérez pas son retour.

– J'ai pesé les probabilités, et je pense, d'après l'accent dont cet Ordener prononçait votre nom....

– Qu'il m'aime! interrompit Éthel amèrement; oh! non, ne le croyez pas.

Le père répondit froidement:

– J'ignore si, pour employer votre expression de jeune fille, il vous aime; mais je sais qu'il reviendra.

– Abandonnez cette idée, mon noble père. D'ailleurs, vous ne voudriez peut-être pas qu'il fût votre gendre si vous le connaissiez.

– Éthel, il le sera, quels que soient son nom et son rang.

– Eh bien! reprit-elle, si ce jeune homme, en qui vous avez vu un consolateur, en qui vous voulez voir un soutien pour votre fille, monseigneur et père, si c'était le fils d'un de vos mortels ennemis, du vice-roi de Norvège, du comte de Guldenlew?

Schumacker recula de deux pas.

– Que dites-vous, grand Dieu! Ordener! cet Ordener.– Cela est impossible!....

L'indicible expression de haine qui venait de s'allumer dans les yeux ternes du vieillard glaça le coeur tremblant d'Éthel, qui se repentit vainement de la parole imprudente qu'elle venait de prononcer.

Le coup était porté. Schumacker resta quelques instants immobile et les bras croisés; tout son corps tressaillait comme s'il avait été sur un gril ardent; ses prunelles flamboyantes sortaient de leur orbite, et son regard, fixé sur les dalles de pierre, paraissait vouloir les enfoncer. Enfin quelques paroles sortirent de ses lèvres bleues, prononcées d'une voix aussi faible que celle d'un homme qui rêve.

– Ordener!– Oui, c'est cela, Ordener Guldenlew!

– C'est bien. Allons! Schumacker, vieux insensé, ouvre-lui donc tes bras, ce loyal jeune homme vient pour te poignarder.

Tout à coup il frappa le sol du pied, et sa voix devint tonnante.

– Ils m'ont donc envoyé toute leur infâme race pour m'insulter dans ma chute et dans ma captivité! j'avais déjà vu un d'Ahlefeld; j'ai presque souri à un Guldenlew! Les monstres! Qui eût dit cela de cet Ordener, qu'il portait une pareille âme et un pareil nom! Malheur à moi! malheur à lui! Puis il tomba anéanti sur son fauteuil, et tandis que sa poitrine oppressée se dégonflait par de longs soupirs, la pauvre Éthel, palpitante d'effroi, pleurait à ses pieds.

– Ne pleure pas, ma fille, dit-il d'une voix sinistre, viens, oh! viens sur mon coeur.

Et il la pressa dans ses bras.

Éthel ne savait comment s'expliquer cette caresse dans un moment de rage, lorsqu'il reprit:

– Du moins, jeune fille, tu as été plus clairvoyante que ton vieux père. Tu n'as point été trompée par le serpent aux yeux doux et venimeux. Viens, que je te remercie de la haine que tu m'as fait voir pour cet exécrable Ordener.

Elle frémit de cet éloge, hélas! si peu mérité.

– Mon seigneur et père, dit-elle, calmez-vous!

– Promets-moi, poursuivait Schumacker, de vouer toujours les mêmes sentiments au fils de Guldenlew; jure-le-moi.

– Dieu défend le serment, mon père.

– Jure-le, ma fille, répéta Schumacker avec véhémence. N'est-il pas vrai que tu conserveras toujours le même coeur pour cet Ordener Guldenlew?

Éthel n'eut pas de peine à répondre:

– Toujours.

Le vieillard l'attira sur sa poitrine.

– Bien, ma fille! que je te lègue au moins ma haine pour eux; si je ne puis te léguer les biens et les honneurs qu'ils m'ont ravis. Écoute, ils ont enlevé à ton vieux père son rang et sa gloire, ils l'ont traîné d'un échafaud dans les fers, comme pour le souiller de toutes les infamies en le faisant passer par tous les supplices. Les misérables! Et c'est à moi qu'ils devaient le pouvoir qu'ils ont tourné contre moi! Oh! que le ciel et l'enfer m'entendent, et qu'ils soient tous maudits dans leur existence, et maudits dans leur postérité!

Il se tut un moment; puis, embrassant sa pauvre fille, épouvantée de ses imprécations:

– Mais, mon Éthel, toi qui es ma seule gloire et mon seul bien, dis-moi, comment ton instinct a-t-il été plus habile que le mien? Comment as-tu découvert que ce traître portait l'un des noms abhorrés qui sont écrits au fond de mon coeur avec du fiel? Comment as-tu pénétré ce secret?

Elle rassemblait toutes ses forces pour répondre, quand la porte s'ouvrit.

Un homme vêtu de noir, portant à sa main une verge d'ébène et à son cou une chaîne d'acier bruni, parut sur le seuil, environné de hallebardiers également vêtus de noir.

– Que me veux-tu? demanda le captif avec aigreur et étonnement.

L'homme, sans lui répondre et sans le regarder, déroula un long parchemin, auquel pendait, à des fils de soie, un sceau de cire verte, et lut à haute voix:

– Au nom de sa majesté notre miséricordieux souverain et seigneur, Christiern, roi,

Il est enjoint à Schumacker, prisonnier d'état dans la forteresse royale de Munckholm, et à sa fille, de suivre le porteur dudit ordre.—

Schumacker répéta sa question:

– Que me veux-tu?

L'homme noir, toujours impassible, se mit en devoir de recommencer sa lecture.

– Il suffit, dit le vieillard.

Alors, se levant, il fit signe à Éthel, surprise et épouvantée, de suivre avec lui cette lugubre escorte.

XLI

Un signal lugubre est donné, un ministre abject de la justice vient frapper à sa porte, et l'avertir qu'on a besoin de lui.

JOSEPH DE MAISTRE.

La nuit venait de tomber; un vent froid sifflait autour de la Tour-Maudite, et les portes de la ruine de Vygla tremblaient dans leurs gonds, comme si la même main les eût secouées toutes à la fois.

Les farouches habitants de la tour, le bourreau et sa famille, étaient réunis autour du foyer allumé au milieu de la salle du premier étage, qui jetait des rougeurs vacillantes sur leurs visages sombres et sur leurs vêtements d'écarlate. Il y avait dans les traits des enfants quelque chose de féroce comme le rire de leur père, et de hagard comme le regard de leur mère. Leurs yeux, ainsi que ceux de Bechlie, étaient tournés vers Orugix, qui, assis sur une escabelle de bois, paraissait reprendre haleine, et dont les pieds, couverts de poussière, annonçaient qu'il venait d'arriver de quelque lointaine expédition.

– Femme, écoute; écoutez, enfants. Ce n'est pas pour apporter de mauvaises nouvelles que j'ai été absent deux jours entiers. Si, avant un mois, je ne suis pas exécuteur royal, je veux ne savoir pas serrer un noeud coulant ou manier une hache. Réjouissez-vous, mes petits louveteaux, votre père vous laissera peut-être pour héritage l'échafaud même de Copenhague.

– Nychol, demanda Bechlie, qu'y a-t-il donc?

– Et toi, ma vieille bohémienne, reprit Nychol avec son rire pesant, réjouis-toi aussi! tu peux t'acheter des colliers de verre bleu pour orner ton cou de cigogne étranglée. Notre engagement expire bientôt; mais va, dans un mois, quand tu me verras le premier bourreau des deux royaumes, tu ne refuseras pas de casser une autre cruche avec moi.

– Qu'y a-t-il donc, qu'y a-t-il donc, mon père? demandèrent les enfants, dont l'aîné jouait avec un chevalet tout sanglant, tandis que le plus petit s'amusait à plumer vivant un petit oiseau qu'il avait pris à sa mère dans le nid même.

– Ce qu'il y a, mes enfants?– Tue donc cet oiseau, Haspar, il crie comme une mauvaise scie; et d'ailleurs il ne faut pas être cruel. Tue-le.– Ce qu'il y a? Rien, peu de chose vraiment, sinon, dame Bechlie, qu'avant huit jours d'ici l'ex-chancelier Schumacker, qui est prisonnier à Munckholm, après avoir vu mon visage de si près à Copenhague, et le fameux brigand d'Islande Han de Klipstadur, me passeront peut-être tous deux à la fois par les mains.

L'oeil égaré de la femme rouge prit une expression d'étonnement et de curiosité.

– Schumacker! Han d'Islande! comment cela, Nychol?

– Voilà tout. J'ai rencontré hier matin, sur la route de Skongen, au pont de l'Ordals, tout le régiment des arquebusiers de Munckholm, qui s'en retournait à Drontheim d'un air très victorieux. J'ai questionné un des soldats, qui a daigné me répondre, parce qu'il ignorait sans doute pourquoi ma casaque et ma charrette sont rouges; j'ai appris que les arquebusiers revenaient des gorges du Pilier-Noir, où ils avaient mis en pièces des bandes de brigands, c'est-à-dire de mineurs insurgés. Or, tu sauras, Bechlie la bohémienne, que ces rebelles se révoltaient pour Schumacker, et étaient commandés par Han d'Islande. Tu sauras que cette levée de boucliers constitue pour Han d'Islande un bon crime d'insurrection contre l'autorité royale, et pour Schumacker un bon crime de haute trahison; ce qui amène tout naturellement ces deux honorables seigneurs à la potence ou au billot. Ajoute à ces deux superbes exécutions, qui ne peuvent manquer de me rapporter au moins quinze ducats d'or chacune, et de me faire le plus grand honneur dans les deux royaumes, celles, moins importantes, à la vérité, de quelques autres....

– Mais quoi! interrompit Bechlie, Han d'Islande a donc été pris?

– Pourquoi interrompez-vous votre seigneur et maître, femme de perdition? dit le bourreau. Oui, sans doute, ce fameux, cet imprenable Han d'Islande a été pris, avec quelques autres chefs de brigands, ses lieutenants, qui me rapporteront bien aussi chacun douze écus par tête, sans compter la vente des cadavres. Il a été pris, vous dis-je, et je l'ai vu, puisqu'il faut satisfaire entièrement votre curiosité, passer entre les rangs des soldats.

La femme et les enfants se rapprochèrent vivement d'Orugix.

– Quoi! tu l'as vu, père? demandèrent les enfants.

– Taisez-vous, enfants. Vous criez comme un coquin qui se dit innocent. Je l'ai vu. C'est une espèce de géant; il marchait les bras croisés, enchaînés derrière le dos, et le front bandé. C'est que, sans doute, il a été blessé à la tête. Mais, qu'il soit tranquille, avant peu je l'aurai guéri de cette blessure.

Après avoir mêlé à ces horribles paroles un horrible geste, le bourreau continua:

– Il y avait derrière lui quatre de ses compagnons, également prisonniers, blessés de même, et qu'on menait comme lui à Drontheim, où ils seront jugés, avec l'ex-grand-chancelier Schumacker, par un tribunal où siégera le haut-syndic, et que présidera le grand-chancelier actuel.

– Père, quel visage avaient les autres prisonniers?

– Les deux premiers étaient deux vieillards, dont l'un portait le feutre de mineur, et l'autre le bonnet de montagnard. Tous deux paraissaient désespérés. Des deux autres, l'un était un jeune mineur, qui marchait la tête haute, en sifflant; l'autre....– Te souviens-tu, ma damnée Bechlie, de ces voyageurs qui sont entrés dans cette tour, il y a une dizaine de jours, la nuit de ce violent orage?

– Comme Satan se souvient du jour de sa chute, répondit la femme.

– Avais-tu remarqué parmi ces étrangers un jeune homme qui accompagnait ce vieux docteur fou à grande perruque? un jeune homme, te dis-je, vêtu d'un grand manteau vert et coiffé d'une toque à plume noire?

– En vérité, je crois l'avoir encore devant les yeux, me disant: Femme, nous avons de l'or.

– Eh bien! la vieille, je veux n'avoir jamais étranglé que des coqs de bruyère, si le quatrième prisonnier n'est pas ce jeune homme. Sa figure m'était, à la vérité, entièrement cachée par sa plume, sa toque, ses cheveux et son manteau; d'ailleurs, il baissait la tête. Mais c'est bien le même vêtement, les mêmes bottines, le même air. Je veux avaler d'une bouchée le gibet de pierre de Skongen, si ce n'est pas le même homme! Que dis-tu de cela, Bechlie? Ne serait-il pas plaisant qu'après avoir reçu de moi de quoi soutenir sa vie, cet étranger en reçût également de quoi l'abréger, et qu'il exerçât mon habileté après avoir éprouvé mon hospitalité?

Le bourreau prolongea quelque temps son gros rire sinistre; puis il reprit:

– Allons, réjouissez-vous donc tous, et buvons; oui, Bechlie, donne-moi un verre de cette bière qui râpe le gosier comme si l'on buvait des limes, que je le vide à mon avancement futur.– Allons, honneur et santé au seigneur Nychol Orugix, exécuteur royal en perspective!– Je t'avouerai, vieille pécheresse, que j'ai eu de la peine à me rendre au bourg de Noes pour y pendre obscurément je ne sais quel ignoble voleur de choux et de chicorée. Cependant, en y réfléchissant, j'ai pensé que trente-deux ascalins n'étaient pas encore à dédaigner, et que mes mains ne se dégraderaient en exécutant de simples voleurs et autres canailles de ce genre que lorsqu'elles auraient décapité le noble comte ex-grand-chancelier et le fameux démon d'Islande. Je me suis donc résigné, en attendant mon diplôme de maître royal des hautes-oeuvres, à expédier le pauvre misérable du bourg de Noes; et voici, ajouta-t-il en tirant une bourse de cuir de son havresac, voici les trente-deux ascalins que je t'apporte, la vieille.

En ce moment, le bruit du cor se fit entendre à trois reprises différentes, en dehors de la tour.

– Femme, cria Orugix en se levant, ce sont les archers du haut-syndic.

À ces mots, il descendit en toute hâte.

Un instant après il reparut, portant un grand parchemin, dont il avait rompu le sceau.

– Tiens, dit-il à sa femme, voilà ce que le haut-syndic m'envoie. Déchiffre-moi cela, toi qui lirais le grimoire de Satan. Ce sont peut-être déjà mes lettres de promotion; car, puisque le tribunal aura un grand-chancelier pour président et un grand-chancelier pour accusé, il conviendrait que le bourreau qui exécutera son arrêt fût un bourreau royal.

La femme reçut le parchemin, et, après y avoir quelque temps promené ses yeux, elle lut à haute voix, tandis que les enfants jetaient sur elle un regard hébété et stupide:

– «Au nom du haut-syndic du Drontheimhus!– il est ordonné à Nychol Orugix, bourreau de la province, de se transporter sur-le-champ à Drontheim, et de se munir de la hache d'honneur, du billot et des tentures noires.»

– C'est là tout? demanda le bourreau d'une voix mécontente.

– C'est là tout, répondit Bechlie.

– Bourreau de la province! murmura Orugix entre ses dents.

Il resta un moment jetant sur le parchemin syndical des regards d'humeur.

– Allons, dit-il enfin, il faut obéir et partir. Voici pourtant qu'on me demande la hache d'honneur et les tentures noires.– Tu auras soin, Bechlie, d'enlever les gouttes de rouille qui ont délustré ma hache, et de voir si la draperie n'est pas tachée en plusieurs endroits. En somme, il ne faut pas se décourager, ils ne veulent peut-être m'accorder d'avancement que comme salaire de cette belle exécution. Tant pis pour les condamnés, ils n'auront pas la satisfaction d'être mis à mort par un exécuteur royal.

XLII

ELVINE. Qu'est devenu le pauvre Sanche? Il n'a point paru dans la ville.

NUNO. Sanche aura su se mettre à couvert.

LOPE DE VEGA. Le meilleur alcade est le roi.

Le comte d'Ahlefeld, traînant une ample simarre de satin noir doublée d'hermine, la tête et les épaules cachées par une large perruque magistrale, et la poitrine chargée de plusieurs étoiles et décorations, parmi lesquelles on distinguait les colliers des ordres royaux de l'éléphant et de Dannebrog; revêtu, en un mot, du costume complet de grand-chancelier de Danemark et de Norvège, se promenait d'un air soucieux dans l'appartement de la comtesse d'Ahlefeld, seule avec lui en ce moment.

– Allons, il est neuf heures, le tribunal va entrer en séance; il ne faut pas le faire attendre, car il est nécessaire que l'arrêt soit rendu dans la nuit, afin qu'on l'exécute demain matin au plus tard. Le haut-syndic m'a assuré que le bourreau serait ici avant l'aube.– Elphége! avez-vous ordonné qu'on apprêtât la barque qui doit me transporter à Munckholm?

– Monseigneur, elle vous attend depuis une demi-heure au moins, répondit la comtesse en se soulevant sur son fauteuil.

– Et ma litière est-elle à la porte?

– Oui, monseigneur.

– Allons!....– Vous dites donc, Elphége, ajouta le comte en se frappant le front, qu'il existe une intrigue amoureuse entre Ordener Guldenlew et la fille de Schumacker?

– Très amoureuse, je vous jure! répliqua la comtesse en souriant de colère et de dédain.

– Qui se fût imaginé cela?– Pourtant, je vous assure que je m'en étais déjà douté.

– Et moi aussi, dit la comtesse.– C'est un tour que ce maudit Levin nous a joué.

– Vieux scélérat de mecklembourgeois! murmura le chancelier; va, je te recommanderai à Arensdorf.

– Si je pouvais le faire disgracier!– Eh! mais, écoutez donc, Elphége, voici un trait de lumière.

– Quoi donc?

– Vous savez que les individus que nous allons juger dans le château de Munckholm sont au nombre de six:– Schumacker, que je ne redouterai plus, j'espère, demain à pareille heure; ce montagnard colosse, notre faux Han d'Islande, qui a juré de soutenir le rôle jusqu'à la fin, dans l'espérance que Musdoemon, dont il a déjà reçu de fortes sommes d'argent, le fera évader.– Ce Musdoemon a des idées vraiment diaboliques!– Les quatre autres accusés sont les trois chefs des rebelles, et un quidam qui s'est trouvé, on ne sait comment, au milieu du rassemblement d'Apsyl-Corh, et que les précautions prises par Musdoemon ont fait tomber dans nos mains. Musdoemon pense que cet homme est un espion de Levin de Knud. Et, en effet, en arrivant ici prisonnier, sa première parole a été pour demander le général; et quand il a appris l'absence du mecklembourgeois, il a paru consterné. Du reste, il n'a voulu répondre à aucune des questions que lui a adressées Musdoemon.

– Mon cher seigneur, interrompit la comtesse, pourquoi ne l'avez-vous pas interrogé vous-même?

– En vérité, Elphége, comment l'aurais-je pu au milieu de tous les soins qui m'accablent depuis mon arrivée? Je me suis reposé de cette affaire sur Musdoemon, qu'elle intéresse autant que moi. D'ailleurs, ma chère, cet homme n'est d'aucune importance par lui-même; c'est quelque pauvre vagabond. Nous n'en pourrons tirer parti qu'en le présentant comme un agent de Levin de Knud, et, comme il a été pris dans les rangs des rebelles, cela pourra prouver entre le mecklembourgeois et Schumacker une connivence coupable, qui suffira pour provoquer, sinon la mise en accusation, du moins la disgrâce du maudit Levin.

La comtesse parut méditer un moment.

– Vous avez raison, monseigneur. Mais cette fatale passion du baron Thorvick pour Éthel Schumacker....

Le chancelier se frotta le front de nouveau; puis tout à coup haussant les épaules:

– Écoutez, Elphége, nous ne sommes plus ni l'un ni l'autre jeunes et novices dans la vie, et pourtant nous ne connaissons pas les hommes! Quand Schumacker aura été une seconde fois flétri par un jugement de haute trahison, quand il aura subi sur l'échafaud une condamnation infamante, quand sa fille, retombée au-dessous des derniers rangs de la société, sera souillée à jamais publiquement de tout l'opprobre de son père, pensez-vous, Elphége, qu'alors Ordener Guldenlew se souvienne un seul instant de cette amourette d'enfance, que vous nommez passion, d'après les discours exaltés d'une jeune folle prisonnière, et qu'il balance un seul jour entre la fille déshonorée d'un misérable criminel et la fille illustre d'un glorieux chancelier? Il faut juger les hommes d'après soi, ma chère; où avez-vous vu que le coeur humain fût ainsi fait?

– Je souhaite que vous ayez encore raison.– Vous ne trouverez cependant pas inutile, n'est-il pas vrai, la demande que j'ai faite au syndic pour que la fille de Schumacker assiste au procès de son père, et soit placée dans la même tribune que moi? Je suis curieuse d'étudier cette créature.

– Tout ce qui peut nous éclairer sur cette affaire est précieux, dit le chancelier avec flegme.– Mais, dites-moi, sait-on où cet Ordener est en ce moment?

– Personne au monde ne le sait; c'est le digne élève de ce vieux Levin, un chevalier errant comme lui. Je crois qu'il visite en ce moment Ward-Hus.

– Bien, bien, notre Ulrique le fixera. Allons, j'oublie que le tribunal m'attend.

La comtesse arrêta le grand-chancelier.

– Encore un mot, monseigneur.– Je vous en ai parlé hier, mais votre esprit était occupé, et je n'ai pu obtenir de réponse. Où est mon Frédéric?

– Frédéric! dit le comte avec une expression lugubre, et en portant la main sur son visage.

– Oui; répondez-moi, mon Frédéric! Son régiment est de retour à Drontheim sans lui. Jurez-moi que Frédéric n'était pas dans cette horrible gorge du Pilier-Noir. Pourquoi votre figure a-t-elle changé au nom de Frédéric? Je suis dans une mortelle inquiétude.

Le chancelier reprit sa physionomie impassible.

– Elphége, tranquillisez-vous. Je vous jure qu'il n'était point dans le défilé du Pilier-Noir. D'ailleurs, on a publié la liste des officiers tués ou blessés dans cette rencontre.

– Oui, dit la comtesse calmée, vous me rassurez. Deux officiers seulement ont été tués, le capitaine Lory et le jeune baron Randmer, qui a fait tant de folies avec mon pauvre Frédéric dans les bals de Copenhague! Oh! j'ai lu et relu la liste, je vous assure. Mais dites-moi, monseigneur, mon fils est donc resté à Walhstrom?

– Il y est resté, répondit le comte.

– Eh bien, cher ami, dit la mère avec un sourire qu'elle s'efforçait de rendre tendre, je ne vous demande qu'une grâce, c'est de faire revenir vite mon Frédéric de cet affreux pays.

Le chancelier se dégagea péniblement de ses bras suppliants.

– Madame, dit-il, le tribunal m'attend. Adieu, ce que vous me demandez ne dépend pas de moi.

Et il sortit brusquement.

La comtesse demeura sombre et pensive.

– Cela ne dépend pas de lui! se dit-elle; et il lui suffirait d'un mot pour me rendre mon fils!– Je l'ai toujours pensé, cet homme-là est vraiment méchant.