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Hernani

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SCENE IV

LES CONJURÉS, DON CARLOS: puis DON RICARDO, SEIGNEURS, GARDES; LE

ROI DE BOHÊME, LE DUC DE BAVIÈRE; puis DOÑA SOL.

DON CARLOS.

 
    Messieurs, allez plus loin! l'empereur vous entend.
 

Tous les flambeaux s'éteignent à la fois. – Profond silence. – Il faitun pas dans les ténèbres, si épaisses qu'on y distingue à peine lesconjurés, muets et immobiles.

 
    Silence et nuit! l'essaim en sort et s'y replonge.
    Croyez-vous que ceci va passer comme un songe,
    Et que je vous prendrai, n'ayant plus vos flambeaux,
    Pour des hommes de pierre assis sur leurs tombeaux?
    Vous parliez tout à l'heure assez haut, mes statues!
    Allons! relevez donc vos têtes abattues,
    Car voici Charles-Quint! Frappez, faites un pas!
    Voyons, oserez-vous? – Non, vous n'oserez pas.
    Vos torches flamboyaient sanglantes sous ces voûtes.
    Mon souffle a donc suffi pour les éteindre toutes!
    Mais voyez, et tournez vos yeux irrésolus,
    Si j'en éteins beaucoup, j'en allume encor plus.
 

Il frappe de la clef de fer sur la porte de bronze du tombeau. A ce bruit, toutes les profondeurs du souterrain se remplissent de soldats portant des torches et des pertuisanes. A leur tête, le duc d'Alcala, le marquis d'Almuñan. Accourez, mes faucons! j'ai le nid, j'ai la proie!

Aux conjurés.

 
    J'illumine à mon tour. Le sépulcre flamboie,
    Regardez!
 

Aux soldats.

 
    Venez tous, car le crime est flagrant.
 

HERNANI (regardant les soldats).

 
    A la bonne heure! Seul il me semblait trop grand.
    C'est bien. J'ai cru d'abord que c'était Charlemagne.
    Ce n'est que Charles-Quint.
 

DON CARLOS (au duc d'Alcala).

 
    Connétable d'Espagne[63]!
 

Au marquis d'Almuñan.

 
    Amiral de Castille, ici! – Désarmez-les.
 

On entoure les conjurés et on les désarme.

DON RICARDO (accourant et s'inclinant jusqu'à terre).

 
    Majesté[64]!
 

DON CARLOS.

 
    Je te fais alcade du palais[65].
 

DON RICARDO (s'inclinant de nouveau).

 
    Deux électeurs[66], au nom de la chambre dorée[67],
    Viennent complimenter la majesté sacrée.
 

DON CARLOS.

 
    Qu'ils entrent.
 

Bas à Ricardo.

 
    Doña Sol.
 

Ricardo salue et sort. Entrent, avec flambeaux et fanfares, le roi de Bohême et le duc de Bavière, tout en drap d'or, couronnes en tête. – Nombreux cortège de seigneurs allemands, portant la bannière de l'empire, l'aigle à deux têtes, avec l'écusson d'Espagne au milieu – Les soldats s'écartent, se rangent en haie, et font passage aux deux électeurs, jusqu'à l'empereur, qu'ils saluent profondément, et qui leur rend leur salut en soulevant son chapeau.

LE DUC DE BAVIÈRE.

 
    Charles! roi des Romains[68],
    Majesté très sacrée, empereur! dans vos mains
    Le monde est maintenant, car vous avez l'empire.
    Il est à vous, ce trône où tout monarque aspire!
    Frédéric, duc de Saxe, y fut d'abord élu,
    Mais, vous jugeant plus digne, il n'en a pas voulu.
    Venez donc recevoir la couronne et le globe.
    Le saint-empire, ô roi, vous revêt de la robe,
    Il vous arme du glaive, et vous êtes très grand.
 

DON CARLOS.

 
    J'irai remercier le collège en rentrant.
    Allez, messieurs. Merci, mon frère de Bohême[69],
    Mon cousin de Bavière. Allez. J'irai moi-même.
 

LE ROI DE BOHEME.

 
    Charles, du nom d'amis nos aïeux se nommaient.
    Mon père aimait ton père, et leurs pères s'aimaient.
    Charles, si jeune en butte aux fortunes contraires,
    Dis, veux-tu que je sois ton frère entre tes frères?
    Je t'ai vu tout enfant, et ne puis oublier…
 

DON CARLOS (l'interrompant).

 
    Roi de Bohême! eh bien, vous êtes familier[70]!
 

Il lui présente sa main à baiser, ainsi qu'au duc de Bavière, puis congédie les deux électeurs, qui le saluent profondément. Allez!

Sortent les deux électeurs avec leur cortège.

LA FOULE.

 
    Vivat!
 

DON CARLOS (à part).

 
    J'y suis[71]! et tout m'a fait passage!
    Empereur! – Au refus de Frédéric le Sage!
 

Entre doña Sol, conduite par Ricardo.

DOÑA SOL.

 
    Des soldats! l'empereur! O ciel! coup imprévu.
    Hernani!
 

HERNANI.

 
    Doña Sol!
 

DON RUY GOMEZ (à côté d'Hernani, à part).

 
    Elle ne m'a point vu!
 

Doña Sol court à Hernani. Il la fait reculer d'un regard de défiance.

HERNANI.

 
    Madame!..
 

DOÑA SOL (tirant le poignard de son sein).

 
    J'ai toujours son poignard[72]!
 

HERNANI (lui tendant les bras).

 
    Mon amie!
 

DON CARLOS.

 
    Silence, tous!
 

Aux conjurés.

 
    Votre âme est-elle raffermie?
    Il convient que je donne au monde une leçon.
    Lara le Castillan et Gotha le Saxon,
    Vous tous! que venait-on faire ici? parlez.
 

HERNANI (faisant un pas).

 
    Sire,
    La chose est toute simple, et l'on peut vous la dire.
    Nous gravions la sentence au mur de Balthazar[73].
 

Il tire un poignard et l'agite.

 
    Nous rendions à César ce qu'on doit à César.
 

DON CARLOS.

 
    Paix!
 

A don Ruy Gomez.

 
    Vous traître, Silva!
 

DON RUY GOMEZ.

 
    Lequel de nous deux, sire?
 

HERNANI (se retournant vers les conjurés).

 
    Nos têtes et l'empire! il a ce qu'il désire.
 

A l'empereur.

 
    Le bleu manteau des rois pouvait gêner vos pas.
    La pourpre vous va mieux. Le sang n'y paraît pas.
 

DON CARLOS (à don Ruy Gomez).

 
    Mon cousin de Silva, c'est une félonie
    A faire du blason rayer ta baronnie!
    C'est haute trahison, don Ruy, songez-y bien.
 

DON RUY GOMEZ.

 
    Les rois Rodrigue font les comtes Julien[74].
 

DON CARLOS (au duc d'Alcala).

 
    Ne prenez que ce qui peut être duc ou comte.
    Le reste!..
 

Don Ruy Gomez, le duc de Lutzelbourg, le duc de Gotha, don Juan de Haro, don Guzman de Lara, don Tellez Giron, le baron de Hohenbourg, se séparent du groupe des conjurés, parmi lesquels est resté Hernani. – Le duc d'Alcala les entoure étroitement de gardes.

DOÑA SOL (à part).

 
    Il est sauvé!
 

HERNANI (sortant du groupe des conjurés).

 
    Je prétends qu'on me compte!
 

A don Carlos.

 
    Puisqu'il s'agit de hache ici, que Hernani,
    Pâtre obscur, sous tes pieds passerait impuni,
    Puisque son front n'est plus au niveau de ton glaive,
    Puisqu'il faut être grand pour mourir, je me lève.
    Dieu qui donne le sceptre et qui te le donna
    M'a fait duc de Segorbe[75] et duc de Cardona[76],
    Marquis de Monroy[77], comte Albatera[78], vicomte
    De Gor[79], seigneur de lieux dont j'ignore le compte.
    Je suis Jean d'Aragon, grand maître d'Avis[80], né
    Dans l'exil, fils proscrit d'un père assassiné
    Par sentence du tien, roi Carlos de Castille!
    Le meurtre est entre nous affaire de famille.
    Vous avez l'échafaud, nous avons le poignard.
    Donc, le ciel m'a fait duc, et l'exil montagnard.
    Mais puisque j'ai sans fruit aiguisé mon épée
    Sur les monts et dans l'eau des torrents retrempée,
 

Il met son chapeau. Aux autres conjurés:

 
    Couvrons-nous, grands d'Espagne!
 

Tous les Espagnols se couvrent. A don Carlos:

 
    Oui, nos têtes, ô roi,
    Ont le droit de tomber couvertes devant toi!
 

Aux prisonniers.

 
 
    Silva, Haro, Lara, gens de titre et de race,
    Place à Jean d'Aragon! ducs et comtes, ma place!
 

Aux courtisans et aux gardes.

 
    Je suis Jean d'Aragon, roi, bourreaux et valets!
    Et si vos échafauds sont petits, changez-les!
 

Il vient se joindre au groupe des seigneurs prisonniers.

DOÑA SOL.

 
    Ciel!
 

DON CARLOS.

 
    En effet, j'avais oublié cette histoire.
 

HERNANI.

 
    Celui dont le flanc saigne a meilleure mémoire.
    L'affront que l'offenseur oublie en insensé
    Vit et toujours remue au coeur de l'offensé.
 

DON CARLOS.

 
    Donc je suis, c'est un titre à n'en point vouloir d'autres,
    Fils de pères qui font choir la tête des vôtres!
 

DOÑA SOL (se jetant à genoux devant l'empereur).

 
    Sire, pardon! pitié! Sire, soyez clément!
    Ou frappez-nous tous deux, car il est mon amant,
    Mon époux! En lui seul je respire. Oh! je tremble.
    Sire, ayez la pitié de nous tuer ensemble!
    Majesté! je me traîne à vos sacrés genoux!
    Je l'aime! Il est à moi, comme l'empire à vous!
    Oh! grâce!
 

Don Carlos la regarde immobile.

 
    Quel penser[81] sinistre vous absorbe?
 

DON CARLOS.

 
    Allons! relevez-vous, duchesse de Segorbe,
    Comtesse Albatera, marquise de Monroy…
 

A Hernani.

 
    Tes autres noms, don Juan?
 

HERNANI.

 
    Qui parle ainsi? le roi?
 

DON CARLOS.

 
    Non, l'empereur.
 

DOÑA SOL (se relevant),

 
    Grand Dieu!
 

DON CARLOS (la montrant à Hernani).

 
    Duc, voilà ton épouse.
 

HERNANI (les yeux au ciel, et doña Sol dans ses bras).

 
    Juste Dieu!
 

DON CARLOS (à don Ruy Gomez).

 
    Mon cousin, ta noblesse est jalouse,
    Je sais. Mais Aragon peut épouser Silva.
 

DON RUY GOMEZ (sombre).

 
    Ce n'est pas ma noblesse.
 

HERNANI (regardant doña Sol avec amour et la tenant embrassée).

 
    Oh! ma haine s'en va!
 

Il jette son poignard.

DON RUY GOMEZ (à part, les regardant tous deux).

 
    Éclaterai-je? oh! non! Fol amour! douleur folle!
    Tu leur ferais pitié, vieille tête espagnole!
    Vieillard, brûle sans flamme, aime et souffre en secret.
    Laisse ronger ton coeur. Pas un cri. L'on rirait.
 

DOÑA SOL (dans les bras d'Hernani).

 
    0 mon duc!
 

HERNANI.

 
    Je n'ai plus que de l'amour dans l'âme.
 

DOÑA SOL.

 
    O bonheur!
 

DON CARLOS (à part, la main dans sa poitrine).

 
    Éteins-toi, coeur jeune et plein de flamme!
    Laisse régner l'esprit[82], que longtemps tu troublas.
    Tes amours désormais, tes maîtresses, hélas!
    C'est l'Allemagne, c'est la Flandre, c'est l'Espagne.
 

L'oeil fixé sur sa bannière.

 
    L'empereur est pareil à l'aigle, sa compagne.
    A la place du coeur il n'a qu'un écusson[83].
 

HERNANI.

 
    Ah! vous êtes César!
 

DON CARLOS (à Hernani).

 
    De ta noble maison,
    Don juan, ton coeur est digne.
 

Montrant doña Sol.

 
    Il est digne aussi d'elle.
    – A genoux, duc!
 

Hernani s'agenouille. Don Carlos détache sa toison-d'or et la lui passe au cou. Reçois ce collier.

Don Carlos tire son épée et l'en frappe trois fois sur l'épaule.

 
    Sois fidèle!
    Par saint Etienne[84], duc, je te fais chevalier.
 

Il le relève et l'embrasse.

 
    Mais tu l'as, le plus doux et le plus beau collier,
    Celui que je n'ai pas, qui manque au rang suprême,
    Les deux bras d'une femme aimée et qui vous aime!
    Ah! tu vas être heureux; moi, je suis empereur.
 

Aux conjurés.

 
    Je ne sais plus vos noms, messieurs. Haine et fureur,
    Je veux tout oublier. Allez, je vous pardonne!
    C'est la leçon qu'au monde il convient que je donne,
    Ce n'est pas vainement qu'à Charles premier, roi,
    L'empereur Charles-Quint succède, et qu'une loi
    Change, aux yeux de l'Europe, orpheline éplorée,
    L'altesse catholique en majesté sacrée.
 

Les conjurés tombent à genoux.

LES CONJURÉS.

 
    Gloire à Carlos!
 

DON RUY GOMEZ (à don Carlos).

 
    Moi seul je reste condamné.
 

DON CARLOS.

 
    Et moi!
 

DON RUY GOMEZ (à part).

 
    Mais, comme lui, je n'ai point pardonné!
 

HERNANI.

 
    Qui donc nous change tous ainsi?
 

TOUS (soldats, conjurés, seigneurs).

 
    Vive Allemagne!
    Honneur à Charles-Quint!
 

DON CARLOS (se tournant vers le tombeau).

 
    Honneur à Charlemagne!
    Laissez-nous seuls tous deux.
 

Tous sortent.

SCÈNE V

DON CARLOS (_seul. Il s'incline devant le tombeau).

 
    Es-tu content de moi?
    Ai-je bien dépouillé les misères du roi[85],
    Charlemagne? Empereur, suis-je bien un autre homme?
    Puis-je accoupler mon casque à la mitre de Rome?
    Aux fortunes du monde ai-je droit de toucher?
    Ai-je un pied sûr et ferme, et qui puisse marcher
    Dans ce sentier, semé des ruines vandales,
    Que tu nous as battu de tes larges sandales?
    Ai-je bien à ta flamme allumé mon flambeau?
    Ai-je compris la voix qui parle en ton tombeau?
    – Ah! j'étais seul, perdu, seul devant un empire,
    Tout un monde qui hurle, et menace, et conspire,
    Le Danois à punir[86], le Saint-Père[87] à payer,
    Venise[88], Soliman[89], Luther, François premier,
    Mille poignards jaloux luisant déjà dans l'ombre,
    Des pièges, des écueils, des ennemis sans nombre,
    Vingt peuples dont un seul ferait peur à vingt rois,
    Tout pressé, tout pressant, tout à faire à la fois,
    Je t'ai crié: – Par où faut-il que je commence?
    Et tu m'as répondu: – Mon fils, par la clémence!
 

ACTE CINQUIÈME – LA NOCE

SARAGOSSE

Une terrasse du palais d'Aragon. Au fond, la rampe d'un escalier qui s'enfonce dans le jardin. A droite et à gauche, deux portes donnant sur une terrasse, que ferme une balustrade surmontée de deux rangs d'arcades moresques, au-dessus et au travers desquelles on voit les jardins du palais, les jets d'eau dans l'ombre, les bosquets avec les lumières qui s'y promènent, et au fond les faîtes gothiques et arabes du palais illuminé. Il est nuit. On entend des fanfares éloignées. Des masques, des dominos, épars, isolés, ou groupés, traversent çà et là la terrasse. Sur le devant, un groupe de jeunes seigneurs, les masques à la main, riant et causant à grand bruit.

SCÈNE PREMIÈRE

DON SANCHO SANCHEZ DE ZUNIGA, Comte de MONTEREY, DON MATIAS CENTURION,

MARQUIS D'ALMURAN, DON RICARDO DE ROXAS, Comte de CASAPALMA, DON

FRANCISCO DE SOTOMAYOR, Comte de VELALCAZAR, DON GARCI SUAREZ DE

CARBAJAL, Comte DE PERALVER.

DON GARCI.

 
    Ma foi, vive la joie et vive l'épousée!
 

DON MATIAS (regardant au balcon).

 
    Saragosse ce soir se met à la croisée.
 

DON GARCI.

 
    Et fait bien! on ne vit jamais noce aux flambeaux
    Plus gaie, et nuit plus douce, et mariés plus beaux!
 

DON MATIAS.

 
    Bon empereur!
 

DON SANCHO.

 
    Marquis, certain soir qu'à la brune
    Nous allions avec lui tous deux cherchant fortune[1],
    Qui nous eût dit qu'un jour tout finirait ainsi?
 

DON RICARDO (l'interrompant).

 
    J'en étais.
 

Aux autres.

 
    Écoutez l'histoire que voici:
    Trois galants, un bandit que l'échafaud réclame,
    Puis un duc, puis un roi, d'un même coeur de femme
    Font le siège à la fois. L'assaut donné, qui l'a?
    C'est le bandit.
 

DON FRANCISCO.

 
    Mais rien que de simple en cela.
    L'amour et la fortune, ailleurs comme en Espagne,
    Sont jeux de des pipés. C'est le voleur qui gagne!
 

DON RICARDO

 
    Moi, j'ai fait ma fortune à voir faire l'amour.
    D'abord comte, puis grand, puis alcade de cour,
    J'ai fort bien employé mon temps, sans qu'on s'en doute.
 

DON SANCHO.

 
    Le secret de monsieur, c'est d'être sur la route
    Du roi…
 

DON RICARDO.

 
    Faisant valoir mes droits, mes actions.
 

DON GARCI.

 
    Vous avez profité de ses distractions.
 

DON MATIAS.

 
    Que devient le vieux duc? Fait-il clouer sa bière?
 

DON SANCHO.

 
    Marquis, ne riez pas! car c'est une âme fière.
    Il aimait doña Sol, ce vieillard. Soixante ans
    Ont fait ses cheveux gris, un jour les a fait blancs.
 

DON GARCI.

 
    Il n'a pas reparu, dit-on, à Saragosse?
 

DON SANCHO.

 
    Vouliez-vous pas qu'il mît son cercueil de la noce[2]?
 

DON FRANCISCO.

 
    Et que fait l'empereur?
 

DON SANCHO.

 
    L'empereur aujourd'hui
    Est triste. Le Luther lui donne de l'ennui.
 

DON RICARDO.

 
    Ce Luther, beau sujet de soucis et d'alarmes!
    Que j'en finirais vite avec quatre gendarmes!
 

DON MATIAS.

 
    Le Soliman aussi lui fait ombre[3].
 

DON GARCI.

 
    Ah! Luther,
    Soliman, Neptunus, le diable et Jupiter,
    Que me font ces gens-là? Les femmes sont jolies,
    La mascarade est rare, et j'ai dit cent folies!
 

DON SANCHO.

 
    Voilà l'essentiel.
 

DON RICARDO.

 
 
    Garci n'a point tort. Moi,
    Je ne suis plus le même un jour de fête, et croi
    Qu'un masque que je mets me fait une autre tête,
    En vérité!
 

DON SANCHO (bas à don Matias).

 
    Que n'est-ce alors tous les jours fête?
 

DON FRANCISCO (montrant la porte à droite).

 
    Messeigneurs, n'est-ce pas la chambre des époux?
 

DON GARCI (avec un signe de tête).

 
    Nous les verrons venir dans l'instant.
 

DON FRANCISCO.

 
    Croyez-vous?
 

DON GARCI.

 
    Hé! sans doute!
 

DON FRANCISCO.

 
    Tant mieux. L'épousée est si belle!
 

DON RICARDO.

 
    Que l'empereur est bon! Hernani, ce rebelle
    Avoir la toison d'or! marié! pardonné!
    Loin de là, s'il m'eût cru, l'empereur eût donné
    Lit de pierre au galant, lit de plume à la dame.
 

DON SANCHO (bas à don Matias).

 
    Que je le crèverais volontiers de ma lame,
    Faux seigneur de clinquant recousu de gros fil.
    Pourpoint de comte, empli de conseils d'alguazil[4]!
 

DON RICARDO (s'approchant).

 
    Que dites-vous là?
 

DON MATIAS (bas à don Sancho).

 
    Comte, ici pas de querelle!
 

A don Ricardo.

 
    Il me chante un sonnet de Pétrarque à sa belle.
 

DON GARCI.

 
    Avez-vous remarqué, messieurs, parmi les fleurs,
    Les femmes, les habits de toutes les couleurs,
    Ce spectre, qui, debout contre une balustrade,
    De son domino noir tachait la mascarade?
 

DON RICARDO.

 
    Oui, pardieu!
 

DON GARCI.

 
    Qu'est-ce donc?
 

DON RICARDO.

 
    Mais, sa taille, son air…
    C'est don Prancasio, général de la mer.
 

DON FRANCISCO.

 
    Non.
 

DON GARCI.

 
    Il n'a pas quitté son masque.
 

DON FRANCISCO.

 
    Il n'avait garde[5].
    C'est le duc de Soma qui veut qu'on le regarde.
    Rien de plus.
 

DON RICARDO.

 
    Non. Le duc m'a parlé.
 

DON GARCI.

 
    Qu'est ce alors
    Que ce masque? – Tenez, le voilà.
 

Entre un domino noir qui traverse lentement la terrasse au fond. Tous se retournent et le suivent des yeux, sans qu'il paraisse y prendre garde.

DON SANCHO.

 
    Si les morts
    Marchent, voici leur pas.
 

DON GARCI (courant au domino noir).

 
    Beau masque!..
 

Le domino noir se retourne et s'arrête. Garci recule.

 
    Sur mon âme,
    Messeigneurs, dans ses yeux j'ai vu luire une flamme!
 

DON SANCHO.

 
    Si c'est le diable, il trouve à qui parler[6].
 

Il va au domino noir, toujours immobile.

 
    Mauvais!
    Nous viens-tu de l'enfer?
 

LE MASQUE.

 
   Je n'en viens pas, j'y vais.
 

Il reprend sa marche et disparaít par la rampe de l'escalier[7]. Tous le suivent des yeux avec une sorte d'effroi.

DON MATIAS.

 
    La voix est sépulcrale autant qu'on le peut dire.
 

DON GARCI.

 
    Baste! ce qui fait peur ailleurs, au bal fait rire.
 

DON SANCHO.

 
    Quelque mauvais plaisant[8]!
 

DON GARCI.

 
    Ou si c'est Lucifer
    Qui vient nous voir danser, en attendant l'enfer[9],
    Dansons!
 

DON SANCHO.

 
    C'est à coup sûr quelque bouffonnerie.
 

DON MATIAS.

 
    Nous le saurons demain.
 

DON SANCHO (à don Matias).

 
    Regardez, je vous prie.
    Que devient-il?
 

DON MATIAS (_à la balustrade de la terrasse).

 
    Il a descendu l'escalier.
    Plus rien.
 

DON SANCHO.

 
    C'est un plaisant drôle[10]!
 

Rêvant.

 
    C'est singulier.
 

DON GARCI (à une dame qui passe).

 
    Marquise, dansons-nous celle-ci[11]?
 

Il la salue et lui présente la main.

LA DAME.

 
    Mon cher comte,
    Vous savez, avec vous, que mon mari les compte[12].
 

DON GARCI.

 
    Raison de plus. Cela l'amuse apparemment.
    C'est son plaisir. Il compte[13], et nous dansons.
 

La dame lui donne la main, et ils sortent.

DON SANCHO (pensif).

 
    Vraiment,
    C'est singulier!
 

DON MATIAS.

 
    Voici les mariés. Silence!
 

Entrent Hernani et doña Sol se donnant la main. Doña Sol en magnifique habit de mariée; Hernani tout en velours noir, avec la toison-d'or au cou. Derrière eux, foule de masques, de dames et de seigneurs qui leur font cortège. Deux hallebardiers en riche livrée les suivent, et quatre pages les précèdent. Tout le monde se range et s'incline sur leur passage. Fanfare.

SCENE II

LES MEMES, HERNANI, DOÑA SOL, SUITE.

HERNANI (saluant).

 
    Chers amis!
 

DON RICARDO (allant à lui et s'inclinant).

 
    Ton bonheur fait le nôtre, excellence!
 

DON FRANCISCO (contemplant doña Sol).

 
    Saint Jacques monseigneur[14]! c'est Vénus qu'il conduit!
 

DON MATIAS.

 
    D'honneur, on est heureux un pareil jour la nuit!
 

DON FRANCISCO (montrant à don Matias la chambre nuptiale).

 
    Qu'il va se passer là de gracieuses choses!
    Être fée, et tout voir, feux éteints, portes closes,
    Serait-ce pas charmant!
 

DON SANCHO (à don Matias).

 
    Il est tard. Partons-nous?
 

Tous vont saluer les mariés et sortent, les uns par la porte, les autres par l'escalier du fond.

HERNANI (les reconduisant).

 
    Dieu vous garde!
 

DON SANCHO (resté le dernier, lui serre la main).

 
    Soyez heureux!
 

Il sort. Hernani et doña Sol restent seuls. Bruit de pas et de voix qui s'éloignent, puis cessent tout à fait. Pendant tout le commencement de la scène qui suit, les fanfares et les lumières éloignées s'éteignent par degrés. La nuit et le silence reviennent peu à peu.

SCÈNE III

HERNANI, DOÑA SOL.

DOÑA SOL.

 
    Ils s'en vont tous,
    Enfin!
 

HERNANI (cherchant à l'attirer dans ses bras).

 
    Cher amour!
 

DOÑA SOL (rougissant et reculant).

 
    C'est… qu'il est tard, ce me semble.
 

HERNANI.

 
    Ange! il est toujours tard pour être seuls ensemble.
 

DOÑA SOL.

 
    Ce bruit me fatiguait. N'est-ce pas, cher seigneur,
    Que toute cette joie étourdit le bonheur?
 

HERNANI.

 
    Tu dis vrai. Le bonheur, amie[15], est chose grave.
    Il veut des coeurs de bronze et lentement s'y grave.
    Le plaisir l'effarouche en lui jetant des fleurs.
    Son sourire est moins près du rire que des pleurs.
 

DOÑA SOL.

 
    Dans vos yeux, ce sourire est le jour.
 

Hernani cherche à l'entraîner vers la porte. Elle rougit.

 
    Tout à l'heure.
 

HERNANI.

 
    Oh! je suis ton esclave! Oui, demeure, demeure!
    Fais ce que tu voudras. Je ne demande rien.
    Tu sais ce que tu fais! ce que tu fais est bien!
    Je rirai si tu veux, je chanterai. Mon âme
    Brûle. Eh! dis au volcan qu'il étouffe sa flamme,
    Le volcan fermera ses gouffres entr'ouverts,
    Et n'aura sur ses flancs que fleurs et gazons verts.
    Car le géant est pris, le Vésuve est esclave,
    Et que t'importe à toi son coeur rongé de lave?
    Tu veux des fleurs? c'est bien! Il faut que de son mieux
    Le volcan tout brûlé s'épanouisse aux yeux!
 

DOÑA SOL.

 
    Oh! que vous êtes bon pour une pauvre femme,
    Hernani de mon coeur!
 

HERNANI.

 
    Quel est ce nom, madame?
    Ah! ne me nomme plus de ce nom, par pitié!
    Tu me fais souvenir que j'ai tout oublié!
    Je sais qu'il existait autrefois, dans un rêve,
    Un Hernani, dont l'oeil avait l'éclair du glaive,
    Un homme de la nuit et des monts, un proscrit
    Sur qui le mot vengeance était partout écrit,
    Un malheureux traînant après lui l'anathème!
    Mais je ne connais pas ce Hernani. – Moi, j'aime
    Les prés, les fleurs, les bois, le chant du rossignol.
    Je suis Jean d'Aragon, mari de doña Sol!
    Je suis heureux!
 

DOÑA SOL.

 
    Je suis heureuse!
 

HERNANI.

 
    Que m'importe
    Les haillons qu'en entrant j'ai laissés à la porte!
    Voici que je reviens à mon palais en deuil.
    Un ange du Seigneur m'attendait sur le seuil.
    J'entre, et remets debout les colonnes brisées,
    Je rallume le feu, je rouvre les croisées,
    Je fais arracher l'herbe au pavé de la cour,
    Je ne suis plus que joie, enchantement, amour.
    Qu'on me rende mes tours, mes donjons, mes bastilles,
    Mon panache, mon siège au conseil des Castilles,
    Vienne ma doña Sol[16] rouge et le front baissé,
    Qu'on nous laisse[17] tous deux, et le reste est passé!
    Je n'ai rien vu, rien dit, rien fait. Je recommence
    J'efface tout, j'oublie! Ou sagesse ou démence,
    Je vous ai, je vous aime, et vous êtes mon bien!
 

DOÑA SOL (examinant sa toison-d'or).

 
    Que sur ce velours noir ce collier d'or fait bien!
 

HERNANI.

 
    Vous vîtes avant moi le roi mis de la sorte[18].
 

DOÑA SOL.

 
    Je n'ai pas remarqué. Tout autre, que m'importe!
    Puis, est-ce le velours ou le satin encor?
    Non, mon duc, c'est ton cou qui sied au collier d'or.
    Vous êtes noble et fier, monseigneur.
 

Il veut l'entraîner.

 
    Tout à l'heure!
    Un moment! – Vois-tu bien, c'est la joie et je pleure!
    Viens voir la belle nuit.
 

Elle va à la balustrade.

 
    Mon duc, rien qu'un moment!
    Le temps de respirer et de voir seulement.
    Tout s'est éteint, flambeaux et musique de fête.
    Rien que la nuit et nous. Félicité parfaite!
    Dis, ne le crois-tu pas? sur nous, tout en dormant,
    La nature à demi veille amoureusement.
    Pas un nuage au ciel. Tout, comme nous, repose.
    Viens, respire avec moi l'air embaumé de rose!
    Regarde. Plus de feux, plus de bruit. Tout se tait.
    La lune tout à l'heure à l'horizon montait
    Tandis que tu parlais, sa lumière qui tremble
    Et ta voix, toutes deux m'allaient au coeur ensemble,
    Je me sentais joyeuse et calme, ô mon amant,
    Et j'aurais bien voulu mourir en ce moment!
 

HERNANI.

 
    Ah! qui n'oublierait tout à cette voix céleste!
    Ta parole est un chant où rien d'humain ne reste.
    Et, comme un voyageur, sur un fleuve emporté,
    Qui glisse sur les eaux par un beau soir d'été
    Et voit fuir sous ses yeux mille plaines fleuries,
    Ma pensé entraînée erre en tes rêveries!
 

DOÑA SOL.

 
    Ce silence est trop noir, ce calme est trop profond.
    Dis, ne voudrais-tu pas voir une étoile au fond?
    Ou qu'une voix des nuits, tendre et délicieuse,
    S'élevant tout à coup, chantât?..
 

HERNANI (souriant).

 
    Capricieuse!
    Tout à l'heure on fuyait la lumière et les chants!
 

DOÑA SOL.

 
    Le bal! Mais un oiseau qui chanterait aux champs!
    Un rossignol perdu dans l'ombre et dans la mousse,
    Ou quelque flûte au loin!.. Car la musique est douce,
    Fait l'âme harmonieuse, et, comme un divin choeur,
    Éveille mille voix qui chantent dans le coeur
    Ah! ce serait charmant[19]!
 

On entend le bruit lointain d'un cor dans l'ombre.

 
    Dieu! je suis exaucée!
 

HERNANI (tressaillant, à part).

 
    Ah! malheureuse!
 

DOÑA SOL.

 
    Un ange a compris ma pensée.
    Ton bon ange sans doute?
 

HERNANI (amèrement).

 
    Oui, mon bon ange!
 

Le cor recommence. – A part.

 
    Encor!
 

DOÑA SOL (souriant).

 
    Don Juan, je reconnais le son de votre cor!
 

HERNANI.

 
    N'est-ce pas?
 

DOÑA SOL.

 
    Seriez-vous dans cette sérénade
    De moitié[20]?
 

HERNANI.

 
    De moitié, tu l'as dit.
 

DOÑA SOL.

 
    Bal maussade!
    Oh! que j'aime bien mieux le cor au fond des bois!
    Et puis, c'est votre cor, c'est comme votre voix.
 

Le cor recommence.

HERNANI (à part).

 
    Ah! le tigre est en bas qui hurle, et veut sa proie.
 

DOÑA SOL.

 
    Don Juan, cette harmonie emplit le coeur de joie.
 

HERNANI (se levant terrible).

 
    Nommez-moi Hernani! nommez-moi Hernani!
    Avec ce nom fatal je n'en ai pas fini!
 

DOÑA SOL (tremblante).

 
    Qu'avez-vous?
 

HERNANI.

 
    Le vieillard!
 

DOÑA SOL.

 
    Dieu! quels regards funèbres!
    Qu'avez-vous?
 

HERNANI.

 
    Le vieillard, qui rit dans les ténèbres!
    – Ne le voyez-vous pas?
 

DOÑA SOL.

 
    Où vous égarez-vous?
    Qu'est-ce que ce vieillard?
 

HERNANI.

 
    Le vieillard!
 

DOÑA SOL (tombant à genoux).

 
    A genoux
    Je t'en supplie, oh! dis, quel secret te déchire?
    Qu'as-tu?
 

HERNANI.

 
    Je l'ai juré!
 

DOÑA SOL.

 
    Juré?
 

Elle suit tous ses mouvements avec anxiété. Il s'arrête tout à coup et passe la main sur son front.

HERNANI (à part).

 
    Qu'allais-je dire?
    Épargnons-la.
 

Haut.

 
    Moi, rien. De quoi t'ai-je parlé?
 

DOÑA SOL.

 
    Vous avez dit…
 

HERNANI.

 
    Non. Non. J'avais l'esprit troublé…
    Je souffre un peu, vois-tu. N'en prends pas d'épouvante.
 

DOÑA SOL.

 
    Te faut-il quelque chose? ordonne à ta servante.
 

Le cor recommence.

HERNANI (à part).

 
    Il le veut! il le veut! Il a mon serment!
 

Cherchant à sa ceinture sans épée et sans poignard.

 
    – Rien!
    Ce devrait être fait[21]! – Ah!..
 

DOÑA SOL.

 
    Tu souffres donc bien.
 

HERNANI.

 
    Une blessure ancienne, et qui semblait fermée,
    Se rouvre…
 

A part.

 
    Éloignons-la.
 

Haut.

 
    Doña Sol, bien-aimée,
    Écoute. Ce coffret qu'en des jours – moins heureux
    Je portais avec moi…
 

DOÑA SOL.

 
    Je sais ce que tu veux.
    Eh bien, qu'en veux-tu faire?
 

HERNANI.

 
    Un flacon qu'il renferme
    Contient un élixir, qui pourra mettre un terme
    Au mal que je ressens. – Va!
 

DOÑA SOL.

 
    J'y vais, mon seigneur.
 

_Elle sort par la porte de la chambre nuptiale.