Kitabı oku: «Les contemplations. Autrefois, 1830-1843»
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LES CONTEMPLATIONS
Un jour je vis, debout au bord des flots mouvants,
Passer, gonflant ses voiles,
Un rapide navire enveloppé de vents,
De vagues et d'étoiles;
Et j'entendis, penché sur l'abîme des cieux
Que l'autre abîme touche,
Me parler à l'oreille une voix dont mes yeux
Ne voyaient pas la bouche:
«Poëte, tu fais bien! Poëte au triste front,
Tu rêves près des ondes,
Et tu tires des mers bien des choses qui sont
Sous les vagues profondes!
La mer, c'est le Seigneur, que, misère ou bonheur,
Tout destin montre et nomme;
Le vent, c'est le Seigneur; l'astre, c'est le Seigneur;
Le navire, c'est l'homme.»
Juin 1839.
LIVRE PREMIER
AURORE
I
À MA FILLE
O mon enfant, tu vois, je me soumets.
Fais comme moi: vis du monde éloignée;
Heureuse? non; triomphante? jamais.
-Résignée! -
Sois bonne et douce, et lève un front pieux.
Comme le jour dans les cieux met sa flamme,
Toi, mon enfant, dans l'azur de tes yeux
Mets ton âme!
Nul n'est heureux et nul n'est triomphant.
L'heure est pour tous une chose incomplète;
L'heure est une ombre, et notre vie, enfant,
En est faite.
Oui, de leur sort tous les hommes sont las.
Pour être heureux, à tous, – destin morose! -
Tout a manqué. Tout, c'est-à-dire, hélas!
Peu de chose.
Ce peu de chose est ce que, pour sa part,
Dans l'univers chacun cherche et désire:
Un mot, un nom, un peu d'or, un regard,
Un sourire!
La gaîté manque au grand roi sans amours;
La goutte d'eau manque au désert immense.
L'homme est un puits où le vide toujours
Recommence.
Vois ces penseurs que nous divinisons,
Vois ces héros dont les fronts nous dominent,
Noms dont toujours nos sombres horizons
S'illuminent!
Après avoir, comme fait un flambeau,
Ébloui tout de leurs rayons sans nombre,
Ils sont allés chercher dans le tombeau
Un peu d'ombre.
Le ciel, qui sait nos maux et nos douleurs,
Prend en pitié nos jours vains et sonores.
Chaque matin, il baigne de ses pleurs
Nos aurores.
Dieu nous éclaire, à chacun de nos pas,
Sur ce qu'il est et sur ce que nous sommes;
Une loi sort des choses d'ici-bas,
Et des hommes!
Cette loi sainte, il faut s'y conformer.
Et la voici, toute âme y peut atteindre:
Ne rien haïr, mon enfant; tout aimer,
Ou tout plaindre!
Paris,octobre 1842.
II
Le poëte s'en va dans les champs; il admire,
Il adore, il écoute en lui-même une lyre;
Et, le voyant venir, les fleurs, toutes les fleurs,
Celles qui des rubis font pâlir les couleurs,
Celles qui des paons même éclipseraient les queues,
Les petites fleurs d'or, les petites fleurs bleues,
Prennent, pour l'accueillir agitant leurs bouquets,
De petits airs penchés ou de grands airs coquets,
Et, familièrement, car cela sied aux belles:
«Tiens! c'est notre amoureux qui passe!» disent-elles.
Et, pleins de jour et d'ombre et de confuses voix,
Les grands arbres profonds qui vivent dans les bois,
Tous ces vieillards, les ifs, les tilleuls, les érables,
Les saules tout ridés, les chênes vénérables,
L'orme au branchage noir, de mousse appesanti,
Comme les ulémas quand paraît le muphti,
Lui font de grands saluts et courbent jusqu'à terre
Leurs têtes de feuillée et leurs barbes de lierre,
Contemplent de son front la sereine lueur,
Et murmurent tout bas: C'est lui! c'est le rêveur!
Les Roches, juin 1831.
III
MES DEUX FILLES
Dans le frais clair-obscur du soir charmant qui tombe,
L'une pareille au cygne et l'autre à la colombe,
Belles, et toutes deux joyeuses, ô douceur!
Voyez, la grande soeur et la petite soeur
Sont assises au seuil du jardin, et sur elles
Un bouquet d'oeillets blancs aux longues tiges frêles,
Dans une urne de marbre agité par le vent,
Se penche, et les regarde, immobile et vivant,
Et frissonne dans l'ombre, et semble, au bord du vase,
Un vol de papillons arrêté dans l'extase.
La Terrasse, près Enghien, juin 1842.
IV
Le firmament est plein de la vaste clarté;
Tout est joie, innocence, espoir, bonheur, bonté.
Le beau lac brille au fond du vallon qui le mure;
Le champ sera fécond, la vigne sera mûre;
Tout regorge de sève et de vie et de bruit,
De rameaux verts, d'azur frissonnant, d'eau qui luit,
Et de petits oiseaux qui se cherchent querelle.
Qu'a donc le papillon? qu'a donc la sauterelle?
La sauterelle a l'herbe, et le papillon l'air;
Et tous deux ont avril, qui rit dans le ciel clair.
Un refrain joyeux sort de la nature entière;
Chanson qui doucement monte et devient prière.
Le poussin court, l'enfant joue et danse, l'agneau
aute, et, laissant tomber goutte à goutte son eau,
Le vieux antre, attendri, pleure comme un visage;
Le vent lit à quelqu'un d'invisible un passage
Du poëme inouï de la création;
L'oiseau parle au parfum; la fleur parle au rayon;
Les pins sur les étangs dressent leur verte ombelle;
Les nids ont chaud; l'azur trouve la terre belle,
Onde et sphère, à la fois tous les climats flottants;
Ici l'automne, ici l'été; là le printemps.
O coteaux! ô sillons! souffles, soupirs, haleines!
L'hosanna des forêts, des fleuves et des plaines,
S'élève gravement vers Dieu, père du jour;
Et toutes les blancheurs sont des strophes d'amour;
Le cygne dit: Lumière! et le lys dit: Clémence!
Le ciel s'ouvre à ce chant comme une oreille immense.
Le soir vient; et le globe à son tour s'éblouit,
Devient un oeil énorme et regarde la nuit;
Il savoure, éperdu, l'immensité sacrée,
La contemplation du splendide empyrée,
Les nuages de crêpe et d'argent, le zénith,
Qui, formidable, brille et flambloie et bénit,
Les constellations, ces hydres étoilées,
Les effluves du sombre et du profond, mêlées
À vos effusions, astres de diamant,
Et toute l'ombre avec tout le rayonnement!
L'infini tout entier d'extase se soulève.
Et, pendant ce temps-là, Satan, l'envieux, rêve.
La Terrasse, avril 1840.
V
À ANDRÉ CHÉNIER
Oui, mon vers croit pouvoir, sans se mésallier,
Prendre à la prose un peu de son air familier.
André, c'est vrai, je ris quelquefois sur la lyre.
Voici pourquoi. Tout jeune encor, tâchant de lire
Dans le livre effrayant des forêts et des eaux,
J'habitais un parc sombre où jasaient des oiseaux,
Où des pleurs souriaient dans l'oeil bleu des pervenches;
Un jour que je songeais seul au milieu des branches,
Un bouvreuil qui faisait le feuilleton du bois
M'a dit: «Il faut marcher à terre quelquefois.
«La nature est un peu moqueuse autour des hommes;
O poëte, tes chants, ou ce qu'ainsi tu nommes,
Lui ressembleraient mieux si tu les dégonflais.
Les bois ont des soupirs, mais ils ont des sifflets.
L'azur luit, quand parfois la gaîté le déchire;
L'Olympe reste grand en éclatant de rire;
Ne crois pas que l'esprit du poëte descend
Lorsque entre deux grands vers un mot passe en dansant.
Ce n'est pas un pleureur que le vent en démence;
Le flot profond n'est pas un chanteur de romance;
Et la nature, au fond des siècles et des nuits,
Accouplant Rabelais à Dante plein d'ennuis,
Et l'Ugolin sinistre au Grandgousier difforme,
Près de l'immense deuil montre le rire énorme.»
Les Roches, juillet 1830.
VI
LA VIE AUX CHAMPS
Le soir, à la campagne, on sort, on se promène,
Le pauvre dans son champ, le riche en son domaine;
Moi, je vais devant moi; le poëte en tout lieu
Se sent chez lui, sentant qu'il est partout chez Dieu.
Je vais volontiers seul. Je médite ou j'écoute.
Pourtant, si quelqu'un veut m'accompagner en route,
J'accepte. Chacun a quelque chose en l'esprit;
Et tout homme est un livre où Dieu lui-même écrit.
Chaque fois qu'en mes mains un de ces livres tombe,
Volume où vit une âme et que scelle la tombe,
J'y lis.
Chaque soir donc, je m'en vais, j'ai congé,
Je sors. J'entre en passant chez des amis que j'ai.
On prend le frais, au fond du jardin, en famille.
Le serein mouille un peu les bancs sous la charmille;
N'importe: je m'assieds, et je ne sais pourquoi
Tous les petits enfants viennent autour de moi.
Dès que je suis assis, les voilà tous qui viennent.
C'est qu'ils savent que j'ai leurs goûts; ils se souviennent
Que j'aime comme eux l'air, les fleurs, les papillons
Et les bêtes qu'on voit courir dans les sillons.
Ils savent que je suis un homme qui les aime,
Un être auprès duquel on peut jouer, et même
Crier, faire du bruit, parler à haute voix;
Que je riais comme eux et plus qu'eux autrefois,
Et qu'aujourd'hui, sitôt qu'à leurs ébats j'assiste,
Je leur souris encor, bien que je sois plus triste;
Ils disent, doux amis, que je ne sais jamais
Me fâcher; qu'on s'amuse avec moi; que je fais
Des choses en carton, des dessins à la plume;
Que je raconte, à l'heure où la lampe s'allume,
Oh! des contes charmants qui vous font peur la nuit;
Et qu'enfin je suis doux, pas fier et fort instruit.
Aussi, dès qu'on m'a vu: «Le voilà!» tous accourent.
Ils quittent jeux, cerceaux et balles; ils m'entourent
Avec leurs beaux grands yeux d'enfants, sans peur, sans fiel,
Qui semblent toujours bleus, tant on y voit le ciel!
Les petits-quand on est petit, on est très-brave-
Grimpent sur mes genoux; les grands ont un air grave;
Ils m'apportent des nids de merles qu'ils ont pris,
Des albums, des crayons qui viennent de Paris;
On me consulte, on a cent choses à me dire,
On parle, on cause, on rit surtout; – j'aime le rire,
Non le rire ironique aux sarcasmes moqueurs,
Mais le doux rire honnête ouvrant bouches et coeurs,
Qui montre en même temps des âmes et des perles. -
J'admire les crayons, l'album, les nids de merles;
Et quelquefois on dit quand j'ai bien admiré:
«Il est du même avis que monsieur le curé.»
Puis, lorsqu'ils ont jasé tous ensemble à leur aise,
Ils font soudain, les grands s'appuyant à ma chaise,
Et les petits toujours groupés sur mes genoux,
Un silence, et cela veut dire: «Parle-nous.»
Je leur parle de tout. Mes discours en eux sèment
Ou l'idée ou le fait. Comme ils m'aiment, ils aiment
Tout ce que je leur dis. Je leur montre du doigt
Le ciel, Dieu qui s'y cache, et l'astre qu'on y voit.
Tout, jusqu'à leur regard, m'écoute. Je dis comme
Il faut penser, rêver, chercher. Dieu bénit l'homme,
Non pour avoir trouvé, mais pour avoir cherché.
Je dis: Donnez l'aumône au pauvre humble et penché;
Recevez doucement la leçon ou le blâme.
Donner et recevoir, c'est faire vivre l'âme!
Je leur conte la vie, et que, dans nos douleurs,
Il faut que la bonté soit au fond de nos pleurs,
Et que, dans nos bonheurs, et que, dans nos délires,
Il faut que la bonté soit au fond de nos rires;
Qu'être bon, c'est bien vivre, et que l'adversité
Peut tout chasser d'une âme, excepté la bonté;
Et qu'ainsi les méchants, dans leur haine profonde,
Ont tort d'accuser Dieu. Grand Dieu! nul homme au monde
N'a droit, en choisissant sa route, en y marchant,
De dire que c'est toi qui l'as rendu méchant;
Car le méchant, Seigneur, ne t'est pas nécessaire!
Je leur raconte aussi l'histoire; la misère
Du peuple juif, maudit qu'il faut enfin bénir;
La Grèce, rayonnant jusque dans l'avenir;
Rome; l'antique Égypte et ses plaines sans ombre,
Et tout ce qu'on y voit de sinistre et de sombre.
Lieux effrayants! tout meurt; le bruit humain finit.
Tous ces démons taillés dans des blocs de granit,
Olympe monstrueux des époques obscures,
Les Sphinx, les Anubis, les Ammons, les Mercures,
Sont assis au désert depuis quatre mille ans;
Autour d'eux le vent souffle, et les sables brûlants
Montent comme une mer d'où sort leur tête énorme;
La pierre mutilée a gardé quelque forme
De statue ou de spectre, et rappelle d'abord
Les plis que fait un drap sur la face d'un mort;
On y distingue encor le front, le nez, la bouche,
Les yeux, je ne sais quoi d'horrible et de farouche
Qui regarde et qui vit, masque vague et hideux.
Le voyageur de nuit, qui passe à côté d'eux,
S'épouvante, et croit voir, aux lueurs des étoiles,
Des géants enchaînés et muets sous des voiles.
La Terrasse, août 1840.
VII
RÉPONSE À UN ACTE D'ACCUSATION
Donc, c'est moi qui suis l'ogre et le bouc émissaire.
Dans ce chaos du siècle où votre coeur se serre,
J'ai foulé le bon goût et l'ancien vers françois
Sous mes pieds, et, hideux, j'ai dit à l'ombre: «Sois!»
Et l'ombre fut. – Voilà votre réquisitoire.
Langue, tragédie, art, dogmes, conservatoire,
Toute cette clarté s'est éteinte, et je suis
Le responsable, et j'ai vidé l'urne des nuits.
De la chute de tout je suis la pioche inepte;
C'est votre point de vue. Eh bien, soit, je l'accepte;
C'est moi que votre prose en colère a choisi;
Vous me criez: Racca; moi, je vous dis: Merci!
Cette marche du temps, qui ne sort d'une église
Que pour entrer dans l'autre, et qui se civilise;
Ces grandes questions d'art et de liberté,
Voyons-les, j'y consens, par le moindre côté,
Et par le petit bout de la lorgnette. En somme,
J'en conviens, oui, je suis cet abominable homme;
Et, quoique, en vérité, je pense avoir commis,
D'autres crimes encor que vous avez omis,
Avoir un peu touché les questions obscures,
Avoir sondé les maux, avoir cherché les cures,
De la vieille ânerie insulté les vieux bâts,
Secoué le passé du haut jusques en bas,
Et saccagé le fond tout autant que la forme,
Je me borne à ceci: je suis ce monstre énorme,
Je suis le démagogue horrible et débordé.
Et le dévastateur du vieil A B C D;
Causons.
Quand je sortis du collège, du thème,
Des vers latins, farouche, espèce d'enfant blême
Et grave, au front penchant, aux membres appauvris;
Quand, tâchant de comprendre et dé juger, j'ouvris
Les yeux sur la nature et sur l'art, l'idiome,
Peuple et noblesse, était l'image du royaume;
La poésie était la monarchie; un mot
Était un duc et pair, ou n'était qu'un grimaud;
Les syllabes, pas plus que Paris et que Londre,
Ne se mêlaient; ainsi marchent sans se confondre
Piétons et cavaliers traversant le pont Neuf;
La langue était l'État avant quatre-vingt-neuf;
Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes;
Les uns, nobles, hantant les Phèdres, les Jocastes,
Les Méropes, ayant le décorum pour loi,
Et montant à Versailles aux carrosses du roi;
Les autres, tas de gueux, drôles patibulaires,
Habitant les patois; quelques-uns aux galères
Dans l'argot; dévoués à tous les genres bas,
Déchirés en haillons dans les halles; sans bas,
Sans perruque; créés pour la prose et la farce;
Populace du style au fond de l'ombre éparse;
Vilains, rustres, croquants, que Vaugelas leur chef
Dans le bagne Lexique avait marqués d'une F;
N'exprimant que la vie abjecte et familière,
Vils, dégradés, flétris, bourgeois, bons pour Molière.
Racine regardait ces marauds de travers;
Si Corneille en trouvait un blotti dans son vers,
Il le gardait, trop grand pour dire: Qu'il s'en aille;
Et Voltaire criait: Corneille s'encanaille!
Le bonhomme Corneille, humble, se tenait coi.
Alors, brigand, je vins; je m'écriai: Pourquoi
Ceux-ci toujours devant, ceux-là toujours derrière?
Et sur l'Académie, aïeule et douairière,
Cachant sous ses jupons les tropes effarés,
Et sur les bataillons d'alexandrins carrés,
Je fis souffler un vent révolutionnaire.
Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire.
Plus de mot sénateur! plus de mot roturier!
Je fis une tempête au fond de l'encrier,
Et je mêlai, parmi les ombres débordées,
Au peuple noir des mots l'essaim blanc des idées;
Et je dis: Pas de mot où l'idée au vol pur
Ne puisse se poser, tout humide d'azur!
Discours affreux! – Syllepse, hypallage, litote,
Frémirent; je montai sur la borne Aristote,
Et déclarai les mots égaux, libres, majeurs.
Tous les envahisseurs et tous les ravageurs,
Tous ces tigres, les Huns, les Scythes et les Daces,
N'étaient que des toutous auprès de mes audaces;
Je bondis hors du cercle et brisai le compas.
Je nommai le cochon par son nom; pourquoi pas?
Guichardin a nommé le Borgia! Tacite
Le Vitellius! Fauve, implacable, explicite,
J'ôtai du cou du chien stupéfait son collier
D'épithètes; dans l'herbe, à l'ombre du hallier,
Je fis fraterniser la vache et la génisse,
L'une étant Margoton et l'autre Bérénice.
Alors, l'ode, embrassant Rabelais, s'enivra;
Sur le sommet du Pinde on dansait Ça ira;
Les neuf muses, seins nus, chantaient la Carmagnole;
L'emphase frissonna dans sa fraise espagnole;
Jean, l'ânier, épousa la bergère Myrtil.
On entendit un roi dire: «Quelle heure est-il?»
Je massacrai l'albâtre, et la neige, et l'ivoire,
Je retirai le jais de la prunelle noire,
Et j'osai dire au bras: Sois blanc, tout simplement.
Je violai du vers le cadavre fumant;
J'y fis entrer le chiffre; ô terreur! Mithridate
Du siége de Cyzique eût pu citer la date.
Jours d'effroi! les Laïs devinrent des catins.
Force mots, par Restaut peignés tous les matins,
Et de Louis-Quatorze ayant gardé l'allure,
Portaient encor perruque; à cette chevelure
La Révolution, du haut de son beffroi,
Cria: «Transforme-toi! c'est l'heure. Remplis-toi
De l'âme de ces mots que tu tiens prisonnière!»
Et la perruque alors rugit, et fut crinière.
Liberté! c'est ainsi qu'en nos rébellions,
Avec des épagneuls nous fîmes des lions,
Et que, sous l'ouragan maudit que nous soufflâmes,
Toutes sortes de mots se couvrirent de flammes.
J'affichai sur Lhomond des proclamations.
On y lisait: «Il faut que nous en finissions!
Au panier les Bouhours, les Batteux, les Brossettes
À la pensée humaine ils ont mis les poucettes.
Aux armes, prose et vers! formez vos bataillons!
Voyez où l'on en est: la strophe a des bâillons!
«L'ode a les fers aux pieds, le drame est en cellule.
Sur le Racine mort le Campistron pullule!»
Boileau grinça des dents; je lui dis: Ci-devant,
Silence! et je criai dans la foudre et le vent:
Guerre à la rhétorique et paix à la syntaxe!
Et tout quatre-vingt-treize éclata. Sur leur axe,
On vit trembler l'athos, l'ithos et le pathos.
Les matassins, lâchant Pourceaugnac et Cathos,
Poursuivant Dumarsais dans leur hideux bastringue,
Des ondes du Permesse emplirent leur seringue.
La syllabe, enjambant la loi qui la tria,
Le substantif manant, le verbe paria,
Accoururent. On but l'horreur jusqu'à la lie.
On les vit déterrer le songe d'Athalie;
Ils jetèrent au vent les cendres du récit
De Théramène; et l'astre Institut s'obscurcit.
Oui, de l'ancien régime ils ont fait tables rases,
Et j'ai battu des mains, buveur du sang des phrases,
Quand j'ai vu par la strophe écumante et disant
Les choses dans un style énorme et rugissant,
L'Art poétique pris au collet dans la rue,
Et quand j'ai vu, parmi la foule qui se rue,
Pendre, par tous les mots que le bon goût proscrit,
La lettre aristocrate à la lanterne esprit.
Oui, je suis ce Danton! je suis ce Robespierre!
J'ai, contre le mot noble à la longue rapière,
Insurgé le vocable ignoble, son valet,
Et j'ai, sur Dangeau mort, égorgé Richelet.
Oui, c'est vrai, ce sont là quelques-uns de mes crimes.
J'ai pris et démoli la bastille des rimes.
J'ai fait plus: j'ai brisé tous les carcans de fer
Qui liaient le mot peuple, et tiré de l'enfer
Tous les vieux mots damnés, légions sépulcrales;
J'ai de la périphrase écrasé les spirales,
Et mêlé, confondu, nivelé sous le ciel
L'alphabet, sombre tour qui naquit de Babel;
Et je n'ignorais pas que la main courroucée
Qui délivre le mot, délivre la pensée.
L'unité, des efforts de l'homme est l'attribut.
Tout est la même flèche et frappe au même but.
Donc, j'en conviens, voilà, déduits en style honnête,
Plusieurs de mes forfaits, et j'apporte ma tête.
Vous devez être vieux, par conséquent, papa,
Pour la dixième fois j'en fais meâ culpâ.
Oui, si Beauzée est dieu, c'est vrai, je suis athée.
La langue était en ordre, auguste, époussetée,
Fleur-de-lys d'or, Tristan et Boileau, plafond bleu,
Les quarante fauteuils et le trône au milieu;
Je l'ai troublée, et j'ai, dans ce salon illustre,
Même un peu cassé tout; le mot propre, ce rustre,
N'était que caporal: je l'ai fait colonel;
J'ai fait un jacobin du pronom personnel;
Du participe, esclave à la tête blanchie,
Une hyène, et du verbe une hydre d'anarchie.
Vous tenez le reum consitentem. Tonnez!
J'ai dit à la narine: Eh mais! tu n'es qu'un nez!
J'ai dit au long fruit d'or: Mais tu n'es qu'une poire!
J'ai dit à Vaugelas: Tu n'es qu'une mâchoire!
J'ai dit aux mots: Soyez république! soyez
La fourmilière immense, et travaillez! Croyez,
Aimez, vivez! – J'ai mis tout en branle, et, morose,
J'ai jeté le vers noble aux chiens noirs de la prose.
Et, ce que je faisais, d'autres l'ont fait aussi;
Mieux que moi. Calliope, Euterpe au ton transi,
Polymnie, ont perdu leur gravité postiche.
Nous faisons basculer la balance hémistiche.
C'est vrai, maudissez-nous. Le vers, qui, sur son front
Jadis portait toujours douze plumes en rond,
Et sans cesse sautait sur la double raquette
Qu'on nomme prosodie et qu'on nomme étiquette,
Rompt désormais la règle et trompe le ciseau,
Et s'échappe, volant qui se change en oiseau,
De la cage césure, et fuit vers la ravine,
Et vole dans les cieux, alouette divine.
Tous les mots à présent planent dans la clarté.
Les écrivains ont mis la langue en liberté.
Et, grâce à ces bandits, grâce à ces terroristes,
Le vrai, chassant l'essaim des pédagogues tristes,
L'imagination, tapageuse aux cent voix,
Qui casse des carreaux dans l'esprit des bourgeois;
La poésie au front triple, qui rit, soupire
Et chante, raille et croit; que Plaute et que Shakspeare
Semaient, l'un sur la plebs, et l'autre sur le mob;
Qui verse aux nations la sagesse de Job
Et la raison d'Horace à travers sa démence;
Qu'enivre de l'azur la frénésie immense,
Et qui, folle sacrée aux regards éclatants,
Monte à l'éternité par les degrés du temps,
La muse reparaît, nous reprend, nous ramène,
Se remet à pleurer sur la misère humaine,
Frappe et console, va du zénith au nadir,
Et fait sur tous les fronts reluire et resplendir
Son vol, tourbillon, lyre, ouragan d'étincelles,
Et ses millions d'yeux sur ses millions d'ailes.
Le mouvement complète ainsi son action.
Grâce à toi, progrès saint, la Révolution
Vibre aujourd'hui dans l'air, dans la voix, dans le livre;
Dans le mot palpitant le lecteur la sent vivre;
Elle crie, elle chante, elle enseigne, elle rit,
Sa langue est déliée ainsi que son esprit.
Elle est dans le roman, parlant tout bas aux femmes.
Elle ouvre maintenant deux yeux où sont deux flammes,
L'un sur le citoyen, l'autre sur le penseur.
Elle prend par la main la Liberté, sa soeur,
Et la fait dans tout homme entrer par tous les pores.
Les préjugés, formés, comme les madrépores,
Du sombre entassement des abus sous les temps,
Se dissolvent au choc de tous les mots flottants,
Pleins de sa volonté, de son but, de son âme.
Elle est la prose, elle est le vers, elle est le drame;
Elle est l'expression, elle est le sentiment,
Lanterne dans la rue, étoile au firmament.
Elle entre aux profondeurs du langage insondable;
Elle souffle dans l'art, porte-voix formidable;
Et, c'est Dieu qui le veut, après avoir rempli
De ses fiertés le peuple, effacé le vieux pli
Des fronts, et relevé la foule dégradée,
Et s'être faite droit, elle se fait idée!
Paris, janvier 1834.
Türler ve etiketler
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