Kitabı oku: «Les contemplations. Autrefois, 1830-1843», sayfa 3
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XIV
A GRANVILLE, EN 1836
Voie juin. Le moineau raille
Dans les champs les amoureux;
Le rossignol de muraille
Chante dans son nid pierreux.
Les herbes et les branchages,
Pleins de soupirs et d'abois,
Font de charmants rabâchages
Dans la profondeur des bois.
La grive et la tourterelle
Prolongent, dans les nids sourds,
La ravissante querelle
Des baisers et des amours.
Sous les treilles de la plaine,
Dans l'antre où verdit l'osier,
Virgile enivre Silène,
Et Rabelais Grandgousier.
O Virgile, verse à boire!
Verse à boire, ô Rabelais!
La forêt est une gloire;
La caverne est un palais!
Il n'est pas de lac ni d'île
Qui ne nous prenne au gluau,
Qui n'improvise une idylle,
Ou qui ne chante un duo.
Car l'amour chasse aux bocages,
Et l'amour pêche aux ruisseaux,
Car les belles sont les cages
Dont nos coeurs sont les oiseaux.
De la source, sa cuvette,
La fleur, faisant son miroir,
Dit: «Bonjour,» à la fauvette,
Et dit au hibou: «Bonsoir.»
Le toit espère la gerbe,
Pain d'abord et chaume après;
La croupe du boeuf dans l'herbe
Semble un mont dans les forêts.
L'étang rit à la macreuse,
Le pré rit au loriot,
Pendant que l'ornière creuse
Gronde le lourd chariot.
L'or fleurit en giroflée;
L'ancien zéphir fabuleux
Souffle avec sa joue enflée
Au fond des nuages bleus.
Jersey, sur l'onde docile,
Se drape d'un beau ciel pur,
Et prend des airs de Sicile
Dans un grand haillon d'azur
Partout l'églogue est écrite:
Même en la froide Albion,
L'air est plein de Théocrite,
Le vent sait par coeur Bion,
Et redit, mélancolique,
La chanson que fredonna
Moschus, grillon bucolique
De la cheminée Etna.
L'hiver tousse, vieux phthisique,
Et s'en va; la brume fond;
Les vagues font la musique
Des vers que les arbres font.
Toute la nature sombre
Verse un mystérieux jour;
L'âme qui rêve a plus d'ombre
Et la fleur a plus d'amour.
L'herbe éclate en pâquerettes;
Les parfums, qu'on croit muets,
Content les peines secrètes
Des liserons aux bleuets.
Les petites ailes blanches
Sur les eaux et les sillons
S'abattent en avalanches;
Il neige des papillons.
Et sur la mer, qui reflète
L'aube au sourire d'émail,
La bruyère violette
Met au vieux mont un camail;
Afin qu'il puisse, à l'abîme
Qu'il contient et qu'il bénit,
Dire sa messe sublime
Sous sa mitre de granit.
Granville, juin 1836.
XV
LA COCCINELLE
Elle me dit: «Quelque chose
Me tourmente.» Et j'aperçus
Son cou de neige, et, dessus,
Un petit insecte rose.
J'aurais dû, – mais, sage ou fou,
A seize ans, on est farouche, -
Voir le baiser sur sa bouche
Plus que l'insecte à son cou.
On eût dit un coquillage;
Dos rose et taché de noir.
Les fauvettes pour nous voir
Se penchaient dans le feuillage.
Sa bouche fraîche était là;
Je me courbai sur la belle,
Et je pris la coccinelle;
Mais le baiser s'envola.
«Fils, apprends comme on me nomme,»
Dit l'insecte du ciel bleu;
«Les bêtes sont au bon Dieu,
Mais la bêtise est à l'homme.»
Paris, mai 1830.
XVI
VERS 1820
Denise, ton mari, notre vieux pédagogue,
Se promène; il s'en va troubler la fraîche églogue
Du bel adolescent Avril dans la forêt;
Tout tremble et tout devient pédant, dès qu'il paraît:
L'âne bougonne un thème au boeuf son camarade;
Le vent fait sa tartine, et l'arbre sa tirade;
L'églantier verdissant, doux garçon qui grandit,
Déclame le récit de Théramène, et dit:
Son front large est armé de cornes menaçantes.
Denise, cependant, tu rêves et tu chantes,
A l'âge où l'innocence ouvre sa vague fleur;
Et, d'un oeil ignorant, sans joie et sans douleur,
Sans crainte et sans désir, tu vois, à l'heure où rentre
L'étudiant en classe et le docteur dans l'antre,
Venir à toi, montant ensemble l'escalier,
L'ennui, maître d'école, et l'amour, écolier.
XVII
A M. FROMENT MEURICE
Nous sommes frères: la fleur
Par deux arts peut être faite.
Le poëte est ciseleur;
Le ciseleur est poëte.
Poëtes ou ciseleurs,
Par nous l'esprit se révèle.
Nous rendons les bons meilleurs,
Tu rends la beauté plus belle.
Sur son bras ou sur son cou,
Tu fais de tes rêveries,
Statuaire du bijou,
Des palais de pierreries!
Ne dis pas: «Mon art n'est rien…»
Sors de la route tracée,
Ouvrier magicien,
Et mêle à l'or la pensée!
Tous les penseurs, sans chercher
Qui finit ou qui commence,
Sculptent le même rocher:
Ce rocher, c'est l'art immense.
Michel-Ange, grand vieillard,
En larges blocs qu'il nous jette,
Le fait jaillir au hasard;
Benvenuto nous l'émiette.
Et, devant l'art infini,
Dont jamais la loi ne change,
La miette de Cellini
Vaut le bloc de Michel-Ange.
Tout est grand; sombre ou vermeil,
Tout feu qui brille est une âme.
L'étoile vaut le soleil;
L'étincelle vaut la flamme.
Paris, octobre 1841.
XVIII
LES OISEAUX
Je rêvais dans un grand cimetière désert;
De mon âme et des morts j'écoutais le concert,
Parmi les fleurs de l'herbe et les croix de la tombe.
Dieu veut que ce qui naît sorte de ce qui tombe.
Et l'ombre m'emplissait.
Autour de moi, nombreux,
Gais, sans avoir souci de mon front ténébreux,
Dans ce champ, lit fatal de la sieste dernière,
Des moineaux francs faisaient l'école buissonnière.
C'était l'éternité que taquine l'instant.
Ils allaient et venaient, chantant, volant, sautant,
Égratignant la mort de leurs griffes pointues,
Lissant leur bec au nez lugubre des statues,
Becquetant les tombeaux, ces grains mystérieux.
Je pris ces tapageurs ailés au sérieux;
Je criai: – Paix aux morts! vous êtes des harpies.
-Nous sommes des moineaux, me dirent ces impies.
-Silence! allez-vous-en! repris-je, peu clément.
Ils s'enfuirent; j'étais le plus fort. Seulement,
Un d'eux resta derrière, et, pour toute musique,
Dressa la queue, et dit: – Quel est ce vieux classique?
Comme ils s'en allaient tous, furieux, maugréant,
Criant, et regardant de travers le géant,
Un houx noir qui songeait près d'une tombe, un sage,
M'arrêta brusquement par la manche au passage,
Et me dit: – Ces oiseaux sont dans leur fonction.
Laisse-les. Nous avons besoin de ce rayon.
Dieu les envoie. Ils font vivre le cimetière.
Homme, ils sont la gaîté de la nature entière;
Ils prennent son murmure au ruisseau, sa clarté
A l'astre, son sourire au matin enchanté;
Partout où rit un sage, ils lui prennent sa joie,
Et nous l'apportent; l'ombre en les voyant flamboie;
Ils emplissent leurs becs des cris des écoliers;
A travers l'homme et l'herbe, et l'onde, et les halliers,
Ils vont pillant la joie en l'univers immense.
Ils ont cette raison qui te semble démence.
Ils ont pitié de nous qui loin d'eux languissons;
Et, lorsqu'ils sont bien pleins de jeux et de chansons,
D'églogues, de baisers, de tous les commérages
Que les nids en avril font sous les verts ombrages,
Ils accourent, joyeux, charmants, légers, bruyants,
Nous jeter tout cela dans nos trous effrayants;
Et viennent, des palais, des bois, de la chaumière,
Vider dans notre nuit toute cette lumière!
Quand mai nous les ramène, ô songeur, nous disons:
«Les voilà!» tout s'émeut, pierres, tertres, gazons;
Le moindre arbrisseau parle, et l'herbe est en extase;
Le saule pleureur chante en achevant sa phrase;
Ils confessent les ifs, devenus babillards;
Ils jasent de la vie avec les corbillards;
Des linceuls trop pompeux ils décrochent l'agrafe;
Ils se moquent du marbre; ils savent l'orthographe;
Et, moi qui suis ici le vieux chardon boudeur,
Devant qui le mensonge étale sa laideur,
Et ne se gêne pas, me traitant comme un hôte,
Je trouve juste, ami, qu'en lisant à voix haute
L'épitaphe où le mort est toujours bon et beau,
Ils fassent éclater de rire le tombeau.
Paris, mai 1835.
XIX
VIEILLE CHANSON DU JEUNE TEMPS
Je ne songeais pas à Rose;
Rose au bois vint avec moi;
Nous parlions de quelque chose,
Mais je ne sais plus de quoi.
J'étais froid comme les marbres;
Je marchais à pas distraits;
Je parlais des fleurs, des arbres;
Son oeil semblait dire: «Après?»
La rosée offrait ses perles,
Les taillis ses parasols;
J'allais; j'écoutais les merles,
Et Rose les rossignols.
Moi, seize ans, et l'air morose;
Elle vingt; ses yeux brillaient.
Les rossignols chantaient Rose
Et les merles me sifflaient.
Rose, droite sur ses hanches,
Leva son beau bras tremblant
Pour prendre une mûre aux branches;
Je ne vis pas son bras blanc.
Une eau courait, fraîche et creuse
Sur les mousses de velours;
Et la nature amoureuse
Dormait dans les grands bois sourds.
Rose défit sa chaussure,
Et mit, d'un air ingénu,
Son petit pied dans l'eau pure;
Je ne vis pas son pied nu.
Je ne savais que lui dire;
Je la suivais dans le bois,
La voyant parfois sourire
Et soupirer quelquefois.
Je ne vis qu'elle était belle
Qu'en sortant des grands bois sourds.
«Soit; n'y pensons plus!» dit-elle.
Depuis, j'y pense toujours.
Paris, juin 1831.
XX
A UN POËTE AVEUGLE
Merci, poëte! – au seuil de mes lares pieux,
Comme un hôte divin, tu viens et te dévoiles;
Et l'auréole d'or de tes vers radieux
Brille autour de mon nom comme un cercle d'étoiles.
Chante! Milton chantait; chante! Homère a chanté.
Le poëte des sens perce la triste brume;
L'aveugle voit dans l'ombre un monde de clarté.
Quand l'oeil du corps s'éteint, l'oeil de l'esprit s'allume.
Paris, mai 1842
XXI
Elle était déchaussée, elle était décoiffée,
Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants;
Moi qui passais par là, je crus voir une fée,
Et je lui dis: Veux-tu t'en venir dans les champs?
Elle me regarda de ce regard suprême
Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,
Et je lui dis: Veux-tu, c'est le mois où l'on aime,
Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds?
Elle essuya ses pieds à l'herbe de la rive;
Elle me regarda pour la seconde fois,
Et la belle folâtre alors devint pensive.
Oh! comme les oiseaux chantaient au fond des bois!
Comme l'eau caressait doucement le rivage!
Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,
La belle fille heureuse, effarée et sauvage,
Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.
Mont. – l'Am., juin 183…
XXII
LA FÊTE CHEZ THÉRÈSE
La chose fut exquise et fort bien ordonnée.
C'était au mois d'avril, et dans une journée
Si douce, qu'on eût dit qu'amour l'eût faite exprès.
Thérèse la duchesse à qui je donnerais,
Si j'étais roi, Paris, si j'étais Dieu, le monde,
Quand elle ne serait que Thérèse la blonde;
Cette belle Thérèse, aux yeux de diamant,
Nous avait conviés dans son jardin charmant.
On était peu nombreux. Le choix faisait la fête.
Nous étions tous ensemble et chacun tête à tête.
Des couples pas à pas erraient de tous côtés.
C'étaient les fiers seigneurs et les rares beautés,
Les Amyntas rêvant auprès des Léonores,
Les marquises riant avec les monsignores;
Et l'on voyait rôder dans les grands escaliers
Un nain qui dérobait leur bourse aux cavaliers.
A midi, le spectacle avec la mélodie.
Pourquoi jouer Plautus la nuit? La comédie
Est une belle fille, et rit mieux au grand jour.
Or, on avait bâti, comme un temple d'amour,
Près d'un bassin dans l'ombre habité par un cygne,
Un théâtre en treillage où grimpait une vigne.
Un cintre à claire-voie en anse de panier,
Cage verte où sifflait un bouvreuil prisonnier,
Couvrait toute la scène, et, sur leurs gorges blanches,
Les actrices sentaient errer l'ombre des branches.
On entendait au loin de magiques accords;
Et, tout en haut, sortant de la frise à mi-corps,
Pour attirer la foule aux lazzis qu'il répète,
Le blanc Pulcinella sonnait de la trompette.
Deux faunes soutenaient le manteau d'Arlequin;
Trivelin leur riait au nez comme un faquin.
Parmi les ornements sculptés dans le treillage,
Colombine dormait dans un gros coquillage,
Et, quand elle montrait son sein et ses bras nus,
On eût cru voir la conque, et l'on eût dit Vénus.
Le seigneur Pantalon, dans une niche, à droite,
Vendait des limons doux sur une table étroite,
Et criait par instants: «Seigneurs, l'homme est divin.
Dieu n'avait fait que l'eau, mais l'homme a fait le vin.»
Scaramouche en un coin harcelait de sa batte
Le tragique Alcantor, suivi du triste Arbate;
Crispin, vêtu de noir, jouait de l'éventail;
Perché, jambe pendante, au sommet du portail,
Carlino se penchait, écoutant les aubades,
Et son pied ébauchait de rêveuses gambades.
Le soleil tenait lieu de lustre; la saison
Avait brodé de fleurs un immense gazon,
Vert tapis déroulé sous maint groupe folâtre.
Rangés des deux côtés de l'agreste théâtre,
Les vrais arbres du parc, les sorbiers, les lilas,
Les ébéniers qu'avril charge de falbalas,
De leur sève embaumée exhalant les délices,
Semblaient se divertir à faire les coulisses,
Et, pour nous voir, ouvrant leurs fleurs comme des yeux.
Joignaient aux violons leur murmure joyeux;
Si bien qu'à ce concert gracieux et classique,
La nature mêlait un peu de sa musique.
Tout nous charmait, les bois, le jour serein, l'air pur,
Les femmes tout amour, et le ciel tout azur.
Pour la pièce, elle était fort bonne, quoique ancienne,
C'était, nonchalamment assis sur l'avant-scène,
Pierrot qui haranguait, dans un grave entretien,
Un singe timbalier à cheval sur un chien.
Rien de plus. C'était simple et beau. – Par intervalles,
Le singe faisait rage et cognait ses timbales;
Puis Pierrot répliquait. – Écoutait qui voulait.
L'un faisait apporter des glaces au valet;
L'autre, galant drapé d'une cape fantasque,
Parlait bas à sa dame en lui nouant son masque;
Trois marquis attablés chantaient une chanson;
Thérèse était assise à l'ombre d'un buisson:
Les roses pâlissaient à côté de sa joue,
Et, la voyant si belle, un paon faisait la roue.
Moi, j'écoutais, pensif, un profane couplet
Que fredonnait dans l'ombre un abbé violet.
La nuit vint, tout se tut; les flambeaux s'éteignirent;
Dans les bois assombris les sources se plaignirent.
Le rossignol, caché dans son nid ténébreux,
Chanta comme un poëte et comme un amoureux.
Chacun se dispersa sous les profonds feuillages;
Les folles en riant entraînèrent les sages;
L'amante s'en alla dans l'ombre avec l'amant;
Et, troublés comme on l'est en songe, vaguement,
Il sentaient par degrés se mêler à leur âme,
A leurs discours secrets, à leurs regards de flamme,
A leur coeur, à leurs sens, à leur molle raison,
Le clair de lune bleu qui baignait l'horizon.
Avril 18…
XXIII
L'ENFANCE
L'enfant chantait; la mère au lit exténuée,
Agonisait, beau front dans l'ombre se penchant;
La mort au-dessus d'elle errait dans la nuée;
Et j'écoutais ce râle, et j'entendais ce chant.
L'enfant avait cinq ans, et, près de la fenêtre,
Ses rires et ses jeux faisaient un charmant bruit;
Et la mère, à côté de ce pauvre doux être
Qui chantait tout le jour, toussait toute la nuit.
La mère alla dormir sous les dalles du cloître;
Et le petit enfant se remit à chanter… -
La douleur est un fruit: Dieu ne le fait pas croître
Sur la branche trop faible encor pour le porter.
Paris, janvier 1835.
XXIV
Heureux l'homme, occupé de l'éternel destin,
Qui, tel qu'un voyageur qui part de grand matin,
Se réveille, l'esprit rempli de rêverie,
Et, dès l'aube du jour, se met à lire et prie!
A mesure qu'il lit, le jour vient lentement
Et se fait dans son âme ainsi qu'au firmament.
Il voit distinctement, à cette clarté blême,
Des choses dans sa chambre et d'autres en lui-même;
Tout dort dans la maison; il est seul, il le croit;
Et, cependant, fermant leur bouche de leur doigt,
Derrière lui, tandis que l'extase l'enivre,
Les anges souriants se penchent sur son livre.
Paris, septembre 1842.
XXV
UNITÉ
Par-dessus l'horizon aux collines brunies.
Le soleil, cette fleur des splendeurs infinies,
Se penchait sur la terre à l'heure du couchant;
Une humble marguerite, éclose au bord d'un champ,
Sur un mur gris, croulant parmi l'avoine folle,
Blanche épanouissait sa candide auréole;
Et la petite fleur, par-dessus le vieux mur,
Regardait fixement, dans l'éternel azur,
Le grand astre épanchant sa lumière immortelle.
«Et, moi, j'ai des rayons aussi!» lui disait-elle.
Granville, juillet 1836.
XXVI
QUELQUES MOTS A UN AUTRE
On y revient; il faut y revenir moi-même.
Ce qu'on attaque en moi, c'est mon temps, et je l'aime.
Certes, on me laisserait en paix, passant obscur,
Si je ne contenais, atome de l'azur,
Un peu du grand rayon dont notre époque est faite.
Hier le citoyen, aujourd'hui le poëte;
Le «romantique» après le «libéral». – Allons,
Soit; dans mes deux sentiers mordez mes deux talons.
Je suis le ténébreux par qui tout dégénère.
Sur mon autre côté lancez l'autre tonnerre.
Vous aussi, vous m'avez vu tout jeune, et voici
Que vous me dénoncez, bonhomme, vous aussi;
Me déchirant le plus allègrement du monde,
Par attendrissement pour mon enfance blonde.
Vous me criez: «Comment, Monsieur! qu'est-ce que c'est?
La stance va nu-pieds! le drame est sans corset!
La muse jette au vent sa robe d'innocence!
Et l'art crève la règle et dit: «C'est la croissance!»
Géronte littéraire aux aboiements plaintifs,
Vous vous ébahissez, en vers rétrospectifs,
Que ma voix trouble l'ordre, et que ce romantique
Vive, et que ce petit, à qui l'Art Poétique
Avec tant de bonté donna le pain et l'eau,
Devienne si pesant aux genoux de Boileau!
Vous regardez mes vers, pourvus d'ongles et d'ailes,
Refusant de marcher derrière les modèles,
Comme après les doyens marchent les petits clercs;
Vous en voyez sortir de sinistres éclairs;
Horreur! et vous voilà poussant des cris d'hyène
A travers les barreaux de la Quotidienne.
Vous épuisez sur moi tout votre calepin,
Et le père Bouhours et le père Rapin;
Et m'écrasant avec tous les noms qu'on vénère,
Vous lâchez le grand mot: Révolutionnaire.
Et, sur ce, les pédants en choeur disent: Amen!
On m'empoigne; on me fait passer mon examen;
La Sorbonne bredouille et l'école griffonne;
De vingt plumes jaillit la colère bouffonne:
«Que veulent ces affreux novateurs? ça, des vers?
Devant leurs livres noirs, la nuit, dans l'ombre ouverts,
Les lectrices ont peur au fond de leurs alcôves.
Le Pinde entend rugir leurs rimes bêtes fauves,
Et frémit. Par leur faute aujourd'hui tout est mort;
L'alexandrin saisit la césure, et la mord;
Comme le sanglier dans l'herbe et dans la sauge,
Au beau milieu du vers l'enjambement patauge;
Que va-t-on devenir? Richelet s'obscurcit.
Il faut à toute chose un magister dixit.
Revenons à la règle, et sortons de l'opprobre;
L'hippocrène est de l'eau; donc, le beau, c'est le sobre.
Les vrais sages ayant la raison pour lien,
Ont toujours consulté, sur l'art, Quintilien;
Sur l'algèbre, Leibnitz; sur la guerre, Végèce.»
Quand l'impuissance écrit, elle signe: Sagesse.
Je ne vois pas pourquoi je ne vous dirais point
Ce qu'à d'autres j'ai dit sans leur montrer le poing.
Eh bien, démasquons-nous! c'est vrai, notre âme est noire;
Sortons du domino nommé forme oratoire.
On nous a vus, poussant vers un autre horizon
La langue, avec la rime entraînant la raison,
Lancer au pas de charge, en batailles rangées,
Sur Laharpe éperdu, toutes ces insurgées.
Nous avons au vieux style attaché ce brûlot:
Liberté! Nous avons, dans le même complot,
Mis l'esprit, pauvre diable, et le mot, pauvre hère;
Nous avons déchiré le capuchon, la haire,
Le froc, dont on couvrait l'Idée aux yeux divins.
Tous ont fait rage en foule. Orateurs, écrivains,
Poëtes, nous avons, du doigt avançant l'heure,
Dit à la rhétorique: – Allons, fille majeure,
Lève les yeux! – et j'ai, chantant, luttant, bravant,
Tordu plus d'une grille au parloir du couvent;
J'ai, torche en main, ouvert les deux battants du drame;
Pirates, nous avons, à la voile, à la rame,
De la triple unité pris l'aride archipel;
Sur l'Hélicon tremblant j'ai battu le rappel.
Tout est perdu! le vers vague sans muselière!
A Racine effaré nous préférons Molière;
O pédants! à Ducis nous préférons Rotrou.
Lucrèce Borgia sort brusquement d'un trou,
Et mêle des poisons hideux à vos guimauves;
Le drame échevelé fait peur à vos fronts chauves;
C'est horrible! oui, brigand, jacobin, malandrin,
J'ai disloqué ce grand niais d'alexandrin;
Les mots de qualité, les syllabes marquises,
Vivaient ensemble au fond de leurs grottes exquises,
Faisant la bouche en coeur et ne parlant qu'entre eux,
J'ai dit aux mots d'en bas: Manchots, boiteux, goîtreux,
Redressez-vous! planez, et mêlez-vous, sans règles,
Dans la caverne immense et farouche des aigles!
J'ai déjà confessé ce tas de crimes-là;
Oui, je suis Papavoine, Érostrate, Attila:
Après?
Emportez-vous, et criez à la garde,
Brave homme! tempêtez! tonnez! je vous regarde.
Nos progrès prétendus vous semblent outrageants;
Vous détestez ce siècle où, quand il parle aux gens,
Le vers des trois saluts d'usage se dispense;
Temps sombre où, sans pudeur, on écrit comme on pense,
Où l'on est philosophe et poëte crûment,
Où de ton vin sincère, adorable, écumant,
O sévère idéal, tous les songeurs sont ivres.
Vous couvrez d'abat-jour, quand vous ouvrez nos livres,
Vos yeux, par la clarté du mot propre brûlés;
Vous exécrez nos vers francs et vrais, vous hurlez
De fureur en voyant nos strophes toutes nues.
Mais où donc est le temps des nymphes ingénues,
Qui couraient dans les bois, et dont la nudité
Dansait dans la lueur des vagues soirs d'été?
Sur l'aube nue et blanche, entr'ouvrant sa fenêtre,
Faut-il plisser la brume honnête et prude, et mettre
Une feuille de vigne à l'astre dans l'azur?
Le flot, conque d'amour, est-il d'un goût peu sûr?
O Virgile, Pindare, Orphée! est-ce qu'on gaze,
Comme une obscénité, les ailes de Pégase,
Qui semble, les ouvrant au haut du mont béni,
L'immense papillon du baiser infini?
Est-ce que le soleil splendide est un cynique?
La fleur a-t-elle tort d'écarter sa tunique?
Calliope, planant derrière un pan des cieux,
Fait donc mal de montrer à Dante soucieux
Ses seins éblouissants à travers les étoiles?
Vous êtes un ancien d'hier. Libre et sans voiles,
Le grand Olympe nu vous ferait dire: Fi!
Vous mettez une jupe au Cupidon bouffi;
Au clinquant, aux neuf soeurs en atours, au Parnasse
De Titon du Tillet, votre goût est tenace;
Les Ménades pour vous danseraient le cancan;
Apollon vous ferait l'effet d'un Mohican;
Vous prendriez Vénus pour une sauvagesse.
L'âge-c'est là souvent toute notre sagesse-
A beau vous bougonner tout bas: «Vous avez tort,
Vous vous ferez tousser si vous criez si fort;
Pour quelques nouveautés sauvages et fortuites,
Monsieur, ne troublez pas la paix de vos pituites.
Ces gens-ci vont leur train; qu'est-ce que ça vous fait?
Ils ne trouvent que cendre au feu qui vous chauffait.
Pourquoi déclarez-vous la guerre à leur tapage?
Ce siècle est libéral comme vous fûtes page.
Fermez bien vos volets, tirez bien vos rideaux,
Soufflez votre chandelle, et tournez-lui le dos!
Qu'est l'âme du vrai sage? Une sourde-muette.
Que vous importe, à vous, que tel ou tel poëte,
Comme l'oiseau des cieux, veuille avoir sa chanson;
Et que tel garnement du Pinde, nourrisson
Des Muses, au milieu d'un bruit de corybante,
Marmot sombre, ait mordu leur gorge un peu tombante?»
Vous n'en tenez nul compte, et vous n'écoutez rien.
Voltaire, en vain, grand homme et peu voltairien,
Vous murmure à l'oreille: «Ami, tu nous assommes!»
-Vous écumez! – partant de ceci: que nous, hommes
De ce temps d'anarchie et d'enfer, nous donnons
L'assaut au grand Louis juché sur vingt grands noms;
Vous dites qu'après tout nous perdons notre peine,
Que haute est l'escalade et courte notre haleine;
Que c'est dit, que jamais nous ne réussirons;
Que Batteux nous regarde avec ses gros yeux ronds,
Que Tancrède est de bronze et qu'Hamlet est de sable.
Vous déclarez Boileau perruque indéfrisable;
Et, coiffé de lauriers, d'un coup d'oeil de travers,
Vous indiquez le tas d'ordures de nos vers,
Fumier où la laideur de ce siècle se guinde
Au pauvre vieux bon goût, ce balayeur du Pinde;
Et même, allant plus loin, vaillant, vous nous criez:
«Je vais vous balayer moi-même!»
Balayez.Paris, novembre 1834.
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