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Kitabı oku: «Les contemplations. Autrefois, 1830-1843», sayfa 7

Yazı tipi:

XIV
A LA MÈRE DE L'ENFANT MORT

 
Oh! vous aurez trop dit au pauvre petit ange
Qu'il est d'autres anges là-haut,
Que rien ne souffre au ciel, que jamais rien n'y change,
Qu'il est doux d'y rentrer bientôt;
 
 
Que le ciel est un dôme aux merveilleux pilastres,
Une tente aux riches couleurs,
Un jardin bleu rempli de lys qui sont des astres,
Et d'étoiles qui sont des fleurs;
 
 
Que c'est un lieu joyeux plus qu'on ne saurait dire,
Où toujours, se laissant charmer,
On a les chérubins pour jouer et pour rire,
Et le bon Dieu pour nous aimer;
 
 
Qu'il est doux d'être un coeur qui brûle comme un cierge,
Et de vivre, en toute saison,
Près de l'enfant Jésus et de la sainte Vierge
Dans une si belle maison!
 
 
Et puis vous n'aurez pas assez dit, pauvre mère,
A ce fils si frêle et si doux,
Que vous étiez à lui dans cette vie amère,
Mais aussi qu'il était à vous;
 
 
Que, tant qu'on est petit, la mère sur nous veille,
Mais que plus tard on la défend;
Et qu'elle aura besoin, quand elle sera vieille,
D'un homme qui soit son enfant;
 
 
Vous n'aurez point assez dit à cette jeune âme
Que Dieu veut qu'on reste ici-bas,
La femme guidant l'homme et l'homme aidant la femme,
Pour les douleurs et les combats;
 
 
Si bien qu'un jour, ô deuil! irréparable perte!
Le doux être s'en est allé!.. -
Hélas! vous avez donc laissé la cage ouverte,
Que votre oiseau s'est envolé!
 
Avril 1843.

XV
ÉPITAPHE

 
Il vivait, il jouait, riante créature.
Que te sert d'avoir pris cet enfant, ô nature?
N'as-tu pas les oiseaux peints de mille couleurs,
Les astres, les grands bois, le ciel bleu, l'onde amère?
Que te sert d'avoir pris cet enfant à sa mère,
Et de l'avoir caché sous des touffes de fleurs?
 
 
Pour cet enfant de plus tu n'es pas plus peuplée,
Tu n'es pas plus joyeuse, ô nature étoilée!
Et le coeur de la mère en proie à tant de soins,
Ce coeur où toute joie engendre une torture,
Cet abîme aussi grand que toi-même, ô nature,
Est vide et désolé pour cet enfant de moins!
 
Mai 1843.

XVI
LE MAITRE D'ÉTUDES

 
Ne le tourmentez pas, il souffre. Il est celui
Sur qui, jusqu'à ce jour, pas un rayon n'a lui;
Oh! ne confondez pas l'esclave avec le maître!
Et, quand vous le voyez dans vos rangs apparaître,
Humble et calme, et s'asseoir la tête dans ses mains,
Ayant peut-être en lui l'esprit des vieux Romains
Dont il vous dit les noms, dont il vous lit les livres,
Écoliers, frais enfants de joie et d'aurore ivres,
Ne le tourmentez pas! soyez doux, soyez bons.
Tous nous portons la vie et tous nous nous courbons
Mais, lui, c'est le flambeau qui la nuit se consomme;
L'ombre le tient captif, et ce pâle jeune homme,
Enfermé plus que vous, plus que vous enchaîné,
Votre frère, écoliers, et votre frère aîné,
Destin tronqué, matin noyé dans les ténèbres,
Ayant l'ennui sans fin devant ses yeux funèbres,
Indigent, chancelant, et cependant vainqueur,
Sans oiseaux dans son ciel, sans amours dans son coeur,
A l'heure du plein jour, attend que l'aube naisse.
Enfance, ayez pitié de la sombre jeunesse!
 
 
Apprenez à connaître, enfants qu'attend l'effort,
Les inégalités des âmes et du sort;
Respectez-le deux fois, dans le deuil qui le mine,
Puisque de deux sommets, enfant, il vous domine,
Puisqu'il est le plus pauvre et qu'il est le plus grand.
Songez que, triste, en butte au souci dévorant,
A travers ses douleurs, ce fils de la chaumière
Vous verse la raison, le savoir, la lumière,
Et qu'il vous donne l'or, et qu'il n'a pas de pain.
Oh! dans la longue salle aux tables de sapin,
Enfants, faites silence à la lueur des lampes!
Voyez, la morne angoisse a fait blêmir ses tempes:
Songez qu'il saigne, hélas! sous ses pauvres habits.
L'herbe que mord la dent cruelle des brebis,
C'est lui; vous riez, vous, et vous lui rongez l'âme.
Songez qu'il agonise, amer, sans air, sans flamme;
Que sa colère dit: Plaignez-moi; que ses pleurs
Ne peuvent pas couler devant vos yeux railleurs!
Aux heures du travail votre ennui le dévore,
Aux heures du plaisir vous le rongez encore;
Sa pensée, arrachée et froissée, est à vous,
Et, pareille au papier qu'on distribue à tous,
Page blanche d'abord, devient lentement noire.
Vous feuilletez son coeur, vous videz sa mémoire;
Vos mains, jetant chacune un bruit, un trouble, un mot,
Et raturant l'idée en lui dès qu'elle éclôt,
Toutes en même temps dans son esprit écrivent.
Si des rêves, parfois, jusqu'à son front arrivent,
Vous répandez votre encre à flots sur cet azur;
Vos plumes, tas d'oiseaux hideux au vol obscur,
De leurs mille becs noirs lui fouillent la cervelle.
Le nuage d'ennui passe et se renouvelle.
Dormir, il ne le peut; penser, il ne le peut.
Chaque enfant est un fil dont son coeur sent le noeud.
Oui, s'il veut songer, fuir, oublier, franchir l'ombre,
Laisser voler son âme aux chimères sans nombre,
Ces écoliers joueurs, vifs, légers, doux, aimants,
Pèsent sur lui, de l'aube au soir, à tous moments,
Et le font retomber des voûtes immortelles;
Et tous ces papillons sont le plomb de ses ailes.
Saint et grave martyr changeant de chevalet,
Crucifié par vous, bourreaux charmants, il est
Votre souffre-douleurs et votre souffre-joies;
Ses nuits sont vos hochets et ses jours sont vos proies,
Il porte sur son front votre essaim orageux;
Il a toujours vos bruits, vos rires et vos jeux,
Tourbillonnant sur lui comme une âpre tempête.
Hélas! il est le deuil dont vous êtes la fête;
Hélas! il est le cri dont vous êtes le chant.
 
 
Et, qui sait? sans rien dire, austère, et se cachant
De sa bonne action comme d'une mauvaise,
Ce pauvre être qui rêve accoudé sur sa chaise,
Mal nourri, mal vêtu, qu'un mendiant plaindrait,
Peut-être a des parents qu'il soutient en secret,
Et fait de ses labeurs, de sa faim, de ses veilles,
Des siècles dont sa voix vous traduit les merveilles,
Et de cette sueur qui coule sur sa chair,
Des rubans au printemps, un peu de feu l'hiver,
Pour quelque jeune soeur ou quelque vieille mère;
Changeant en goutte d'eau la sombre larme amère;
De sorte que, vivant à son ombre sans bruit,
Une colombe vient la boire dans la nuit!
Songez que pour cette oeuvre, enfants, il se dévoue,
Brûle ses yeux, meurtrit son coeur, tourne la roue,
Traîne la chaîne! hélas, pour lui, pour son destin,
Pour ses espoirs perdus à l'horizon lointain,
Pour ses voeux, pour son âme aux fers, pour sa prunelle,
Votre cage d'un jour est prison éternelle!
Songez que c'est sur lui que marchent tous vos pas!
Songez qu'il ne rit pas, songez qu'il ne vit pas!
L'avenir, cet avril plein de fleurs, vous convie;
Vous vous envolerez demain en pleine vie;
Vous sortirez de l'ombre, il restera. Pour lui,
Demain sera muet et sourd comme aujourd'hui;
Demain, même en juillet, sera toujours décembre,
Toujours l'étroit préau, toujours la pauvre chambre,
Toujours le ciel glacé, gris, blafard, pluvieux;
Et, quand vous serez grands, enfants, il sera vieux.
Et, si quelque heureux vent ne souffle et ne l'emporte,
Toujours il sera là, seul sous la sombre porte,
Gardant les beaux enfants sous ce mur redouté,
Ayant tout de leur peine et rien de leur gaîté.
Oh! que votre pensée aime, console, encense
Ce sublime forçat du bagne d'innocence!
Pesez ce qu'il prodigue avec ce qu'il reçoit.
Oh! qu'il se transfigure à vos yeux, et qu'il soit
Celui qui vous grandit, celui qui vous élève,
Qui donne à vos raisons les deux tranchants du glaive,
Art et science, afin qu'en marchant au tombeau,
Vous viviez pour le vrai, vous luttiez pour le beau!
Oh! qu'il vous soit sacré dans cette tâche auguste
De conduire à l'utile, au sage, au grand, au juste,
Vos âmes en tumulte à qui le ciel sourit!
Quand les coeurs sont troupeau, le berger est esprit.
 
 
Et, pendant qu'il est là, triste, et que dans la classe
Un chuchotement vague endort son âme lasse,
Oh! des poëtes purs entr'ouverts sur vos bancs,
Qu'il sorte, dans le bruit confus des soirs tombants,
Qu'il sorte de Platon, qu'il sorte d'Euripide,
Et de Virgile, cygne errant du vers limpide,
Et d'Eschyle, lion du drame monstrueux,
Et d'Horace et d'Homère à demi dans les cieux,
Qu'il sorte, pour sa tête aux saints travaux baissée,
Pour l'humble défricheur de la jeune pensée,
Qu'il sorte, pour ce front qui se penche et se fend
Sur ce sillon humain qu'on appelle l'enfant,
De tous ces livres pleins de hautes harmonies,
La bénédiction sereine des génies!
 
Juin 1842.

XVII
CHOSE VUE UN JOUR DE PRINTEMPS

 
Entendant des sanglots, je poussai cette porte.
Les quatre enfants pleuraient et la mère était morte.
Tout dans ce lieu lugubre effrayait le regard.
Sur le grabat gisait le cadavre hagard;
C'était déjà la tombe et déjà le fantôme.
Pas de feu; le plafond laissait passer le chaume.
 
 
Les quatre enfants songeaient comme quatre vieillards.
On voyait, comme une aube à travers des brouillards,
Aux lèvres de la morte un sinistre sourire;
Et l'aîné, qui n'avait que six ans, semblait dire:
«Regardez donc cette ombre où le sort nous a mis!»
 
 
Un crime en cette chambre avait été commis.
Ce crime, le voici: – Sous le ciel qui rayonne,
Une femme est candide, intelligente, bonne;
Dieu, qui la suit d'en haut d'un regard attendri,
La fit pour être heureuse. Humble, elle a pour mari
Un ouvrier; tous deux, sans aigreur, sans envie,
Tirent d'un pas égal le licou de la vie.
Le choléra lui prend son mari; la voilà
Veuve avec la misère et quatre enfants qu'elle a.
Alors, elle se met au labeur comme un homme.
Elle est active, propre, attentive, économe;
Pas de drap à son lit, pas d'âtre à son foyer;
Elle ne se plaint pas, sert qui veut l'employer,
Ravaude de vieux bas, fait des nattes de paille,
Tricote, file, coud, passe les nuits, travaille
Pour nourrir ses enfants; elle est honnête enfin.
 
 
Oui, les buissons étaient remplis de rouges-gorges,
Les lourds marteaux sonnaient dans la lueur des forges,
Les masques abondaient dans les bals, et partout
Les baisers soulevaient la dentelle du loup;
Tout vivait; les marchands comptaient de grosses sommes:
On entendait rouler les chars, rire les hommes;
Les wagons ébranlaient les plaines; le steamer
Secouait son panache au-dessus de la mer;
Et, dans cette rumeur de joie et de lumière,
Cette femme étant seule au fond de sa chaumière,
La faim, goule effarée aux hurlements plaintifs,
Maigre et féroce, était entrée à pas furtifs,
Sans bruit, et l'avait prise à la gorge, et tuée.
 
 
La faim, c'est le regard de la prostituée,
C'est le bâton ferré du bandit, c'est la main
Du pâle enfant volant un pain sur le chemin,
C'est la fièvre du pauvre oublié, c'est le râle
Du grabat naufragé dans l'ombre sépulcrale.
O Dieu! la sève abonde, et, dans ses flancs troublés,
La terre est pleine d'herbe et de fruits et de blés,
Dès que l'arbre a fini, le sillon recommence;
Et, pendant que tout vit, ô Dieu, dans ta clémence,
Que la mouche connaît la feuille du sureau,
Pendant que l'étang donne à boire au passereau,
Pendant que le tombeau nourrit les vautours chauves,
Pendant que la nature, en ses profondeurs fauves,
Fait manger le chacal, l'once et le basilic.
L'homme expire! – Oh! la faim, c'est le crime public;
C'est l'immense assassin qui sort de nos ténèbres.
 
 
Dieu! pourquoi l'orphelin, dans ses langes funèbres,
Dit-il: «J'ai faim!» L'enfant, n'est-ce pas un oiseau?
Pourquoi le nid a-t-il ce qui manque au berceau?
 
Avril 1840.

XVIII
INTÉRIEUR

 
La querelle irritée, amère, à l'oeil ardent,
Vipère dont la haine empoisonne la dent,
Siffle et trouble le toit d'une pauvre demeure.
Les mots heurtent les mots. L'enfant s'effraie et pleure.
La femme et le mari laissent l'enfant crier.
 
 
-D'où viens-tu? – Qu'as-tu fait? – Oh! mauvais ouvrier!
Il vit dans la débauche et mourra sur la paille.
-Femme vaine et sans coeur qui jamais ne travaille!
-Tu sors du cabaret? – Quelque amant est venu?
-L'enfant pleure, l'enfant a faim, l'enfant est nu.
Pas de pain. – Elle a peur de salir ses mains blanches!
-Où cours-tu tous les jours? – Et toi, tous les dimanches?
-Va boire! – Va danser! – Il n'a ni feu ni lieu!
-Ta fille seulement ne sait pas prier Dieu!
-Et ta mère, bandit, c'est toi qui l'as tuée!
-Paix! – Silence, assassin! – Tais-toi, prostituée!
 
 
Un beau soleil couchant, empourprant le taudis,
Embrasait la fenêtre et le plafond, tandis
Que ce couple hideux, que rend deux fois infâme
La misère du coeur et la laideur de l'âme,
Étalait son ulcère et ses difformités
Sans honte, et sans pudeur montrait ses nudités.
Et leur vitre, où pendait un vieux haillon de toile,
Était, grâce au soleil, une éclatante étoile
Qui, dans ce même instant, vive et pure lueur,
Éblouissait au loin quelque passant rêveur!
 
Septembre 1841.

XIX
BARAQUES DE LA FOIRE

 
Lion! j'étais pensif, ô bête prisonnière,
Devant la majesté de ta grave crinière;
Du plafond de ta cage elle faisait un dais.
Nous songions tous les deux, et tu me regardais.
Ton regard était beau, lion. Nous autres hommes,
Le peu que nous faisons et le rien que nous sommes,
Emplit notre pensée, et dans nos regards vains
Brillent nos plans chétifs que nous croyons divins,
Nos voeux, nos passions que notre orgueil encense,
Et notre petitesse, ivre de sa puissance;
Et, bouffis d'ignorance ou gonflés de venin,
Notre prunelle éclate et dit: Je suis ce nain!
Nous avons dans nos yeux notre moi misérable.
Mais la bête qui vit sous le chêne et l'érable,
Qui paît le thym, ou fuit dans les halliers profonds,
Qui dans les champs, où nous, hommes, nous étouffons,
Respire, solitaire, avec l'astre et la rose,
L'être sauvage, obscur et tranquille qui cause
Avec la roche énorme et les petites fleurs,
Qui, parmi les vallons et les sources en pleurs,
Plonge son mufle roux aux herbes non foulées,
La brute qui rugit sous les nuits constellées,
Qui rêve et dont les pas fauves et familiers
De l'antre formidable ébranlent les piliers,
Et qui se sent à peine en ces profondeurs sombres,
A sous son fier sourcil les monts, les vastes ombres,
Les étoiles, les prés, le lac serein, les cieux,
Et le mystère obscur des bois silencieux,
Et porte en son oeil calme, où l'infini commence,
Le regard éternel de la nature immense.
 
Juin 1842.

XX
INSOMNIE

 
Quand une lueur pâle à l'orient se lève,
Quand la porte du jour, vague et pareille au rêve,
Commence à s'entr'ouvrir et blanchit l'horizon,
Comme l'espoir blanchit le seuil d'une prison,
Se réveiller, c'est bien, et travailler, c'est juste.
Quand le matin à Dieu chante son hymne auguste,
Le travail, saint tribut dû par l'homme mortel,
Est la strophe sacrée au pied du sombre autel;
Le soc murmure un psaume; et c'est un chant sublime
Qui, dès l'aurore, au fond des forêts, sur l'abîme,
Au bruit de la cognée, au choc des avirons,
Sort des durs matelots et des noirs bûcherons.
 
 
Mais, au milieu des nuits, s'éveiller! quel mystère!
Songer, sinistre et seul, quand tout dort sur la terre!
Quand pas un oeil vivant ne veille, pas un feu;
Quand les sept chevaux d'or du grand chariot bleu
Rentrent à l'écurie et descendent au pôle,
Se sentir dans son lit soudain toucher l'épaule
Par quelqu'un d'inconnu qui dit: Allons! c'est moi!
Travaillons! – La chair gronde et demande pourquoi.
-Je dors. Je suis très-las de la course dernière;
Ma paupière est encor du somme prisonnière;
Maître mystérieux, grâce! que me veux-tu?
Certes, il faut que tu sois un démon bien têtu
De venir m'éveiller toujours quand tout repose!
Aie un peu de raison. Il est encor nuit close;
Regarde, j'ouvre l'oeil puisque cela te plaît;
Pas la moindre lueur aux fentes du volet;
Va-t'en! je dors, j'ai chaud, je rêve à ma maîtresse.
Elle faisait flotter sur moi sa longue tresse,
D'où pleuvaient sur mon front des astres et des fleurs.
Va-t'en, tu reviendras demain, au jour, ailleurs.
Je te tourne le dos, je ne veux pas! décampe!
Ne pose pas ton doigt de braise sur ma tempe.
La biche illusion me mangeait dans le creux
De la main; tu l'as fait enfuir. J'étais heureux,
Je ronflais comme un boeuf; laisse-moi. C'est stupide.
Ciel! déjà ma pensée, inquiète et rapide,
Fil sans bout, se dévide et tourne à ton fuseau.
Tu m'apportes un vers, étrange et fauve oiseau
Que tu viens de saisir dans les pâles nuées.
Je n'en veux pas. Le vent, de ses tristes huées,
Emplit l'antre des cieux; les souffles, noirs dragons,
Passent en secouant ma porte sur ses gonds.
-Paix là! va-t'en, bourreau! quant au vers, je le lâche.
Je veux toute la nuit dormir comme un vieux lâche;
Voyons, ménage un peu ton pauvre compagnon.
Je suis las, je suis mort, laisse-moi dormir!
 
 
-Non!
Est-ce que je dors, moi? dit l'idée implacable.
Penseur, subis ta loi; forçat, tire ton câble.
Quoi! cette bête a goût au vil foin du sommeil!
L'orient est pour moi toujours clair et vermeil.
Que m'importe le corps! qu'il marche, souffre et meure!
Horrible esclave, allons, travaille! c'est mon heure.
 
 
Et l'ange étreint Jacob, et l'âme tient le corps;
Nul moyen de lutter; et tout revient alors,
Le drame commencé dont l'ébauche frissonne,
Ruy-Blas, Marion, Job, Sylva, son cor qui sonne,
Ou le roman pleurant avec des yeux humains,
Ou l'ode qui s'enfonce en deux profonds chemins,
Dans l'azur près d'Horace, et dans l'ombre avec Dante;
Il faut dans ces labeurs rentrer la tête ardente;
Dans ces grands horizons subitement rouverts,
Il faut de strophe en strophe, il faut de vers en vers,
S'en aller devant soi, pensif, ivre de l'ombre;
Il faut, rêveur nocturne en proie à l'esprit sombre,
Gravir le dur sentier de l'inspiration;
Poursuivre la lointaine et blanche vision,
Traverser, effaré, les clairières désertes,
Le champ plein de tombeaux, les eaux, les herbes vertes,
Et franchir la forêt, le torrent, le hallier,
Noir cheval galopant sous le noir cavalier.
 
1843, nuit.

XXI
ÉCRIT SUR LA PLINTHE D'UN BAS-RELIEF ANTIQUE A MADEMOISELLE LOUISE B

 
La musique est dans tout. Un hymne sort du monde.
Rumeur de la galère aux flancs lavés par l'onde,
Bruits des villes, pitié de la soeur pour la soeur,
Passion des amants jeunes et beaux, douceur
Des vieux époux usés ensemble par la vie,
Fanfare de la plaine émaillée et ravie,
Mots échangés le soir sur les seuils fraternels,
Sombre tressaillement des chênes éternels,
Vous êtes l'harmonie et la musique même!
Vous êtes les soupirs qui font le chant suprême!
Pour notre âme, les jours, la vie et les saisons,
Les songes de nos coeurs, les plis des horizons,
L'aube et ses pleurs, le soir et ses grands incendies,
Flottent dans un réseau de vagues mélodies;
Une voix dans les champs nous parle, une autre voix
Dit à l'homme autre chose et chante dans les bois.
Par moment, un troupeau bêle, une cloche tinte.
Quand par l'ombre, la nuit, la colline est atteinte,
De toutes parts on voit danser et resplendir,
Dans le ciel étoilé du zénith au nadir,
Dans la voix des oiseaux, dans le cri des cigales,
Le groupe éblouissant des notes inégales.
Toujours avec notre âme un doux bruit s'accoupla;
La nature nous dit: Chante! et c'est pour cela
Qu'un statuaire ancien sculpta sur cette pierre
Un pâtre sur sa flûte abaissant sa paupière.
 
Juin 1833.

XXII

 
La clarté du dehors ne distrait pas mon âme.
La plaine chante et rit comme une jeune femme;
Le nid palpite dans les houx;
Partout la gaîté luit dans les bouches ouvertes;
Mai, couché dans la mousse au fond des grottes vertes,
Fait aux amoureux les yeux doux.
 
 
Dans les champs de luzerne et dans les champs de fèves,
Les vagues papillons errent pareils aux rêves;
Le blé vert sort des sillons bruns;
Et les abeilles d'or courent à la pervenche,
Au thym, au liseron, qui tend son urne blanche
A ces buveuses de parfums.
 
 
La nue étale au ciel ses pourpres et ses cuivres;
Les arbres, tout gonflés de printemps, semblent ivres;
Les branches, dans leurs doux ébats,
Se jettent les oiseaux du bout de leurs raquettes;
Le bourdon galonné fait aux roses coquettes
Des propositions tout bas.
 
 
Moi, je laisse voler les senteurs et les baumes,
Je laisse chuchoter les fleurs, ces doux fantômes,
Et l'aube dire: Vous vivrez!
Je regarde en moi-même, et, seul, oubliant l'heure,
L'oeil plein des visions de l'ombre intérieure,
Je songe aux morts, ces délivrés!
 
 
Encore un peu de temps, encore, ô mer superbe,
Quelques reflux; j'aurai ma tombe aussi dans l'herbe,
Blanche au milieu du frais gazon,
A l'ombre de quelque arbre où le lierre s'attache;
On y lira: – Passant, cette pierre te cache
La ruine d'une prison.
 
Ingouville, mai 1843.

XXIII
LE REVENANT

 
Mères en deuil, vos cris là-haut sont entendus.
Dieu, qui tient dans sa main tous les oiseaux perdus,
Parfois au même nid rend la même colombe.
O mères! le berceau communique à la tombe.
L'éternité contient plus d'un divin secret.
 
 
La mère dont je vais vous parler demeurait
A Blois; je l'ai connue en un temps plus prospère;
Et sa maison touchait à celle de mon père.
Elle avait tous les biens que Dieu donne ou permet.
On l'avait mariée à l'homme qu'elle aimait.
Elle eut un fils; ce fut une ineffable joie.
 
 
Ce premier-né couchait dans un berceau de soie;
Sa mère l'allaitait; il faisait un doux bruit
A côté du chevet nuptial; et, la nuit,
La mère ouvrait son âme aux chimères sans nombre,
Pauvre mère, et ses yeux resplendissaient dans l'ombre,
Quand, sans souffle, sans voix, renonçant au sommeil,
Penchée, elle écoutait dormir l'enfant vermeil.
Dès l'aube, elle chantait, ravie et toute fière.
 
 
Elle se renversait sur sa chaise en arrière,
Son fichu laissant voir son sein gonflé de lait,
Et souriait au faible enfant, et l'appelait
Ange, trésor, amour; et mille folles choses.
Oh! comme elle baisait ces beaux petits pieds roses!
Comme elle leur parlait! l'enfant, charmant et nu,
Riait, et, par ses mains sous les bras soutenu,
Joyeux, de ses genoux montait jusqu'à sa bouche.
 
 
Tremblant comme le daim qu'une feuille effarouche,
Il grandit. Pour l'enfant, grandir, c'est chanceler.
Il se mit à marcher, il se mit à parler,
Il eut trois ans; doux âge, où déjà la parole,
Comme le jeune oiseau, bat de l'aile et s'envole.
Et la mère disait: «Mon fils!» et reprenait:
«Voyez comme il est grand! il apprend; il connaît
Ses lettres. C'est un diable! Il veut que je l'habille
En homme; il ne veut plus de ses robes de fille;
C'est déjà très-méchant, ces petits hommes-là!
C'est égal, il lit bien; il ira loin; il a
De l'esprit; je lui fais épeler l'Évangile.» -
Et ses yeux adoraient cette tête fragile,
Et, femme heureuse, et mère au regard triomphant,
Elle sentait son coeur battre dans son enfant.
 
 
Un jour, – nous avons tous de ces dates funèbres! -
Le croup, monstre hideux, épervier des ténèbres,
Sur la blanche maison brusquement s'abattit,
Horrible, et, se ruant sur le pauvre petit,
Le saisit à la gorge; ô noire maladie!
De l'air par qui l'on vit sinistre perfidie!
Qui n'a vu se débattre, hélas! ces doux enfants
Qu'étreint le croup féroce en ses doigts étouffants!
Ils luttent; l'ombre emplit lentement leurs yeux d'ange.
Et de leur bouche froide il sort un râle étrange,
Et si mystérieux, qu'il semble qu'on entend,
Dans leur poitrine, où meurt le souffle haletant,
L'affreux coq du tombeau chanter son aube obscure.
Tel qu'un fruit qui du givre a senti la piqûre,
L'enfant mourut. La mort entra comme un voleur
Et le prit. – Une mère, un père, la douleur,
Le noir cercueil, le front qui se heurte aux murailles,
Les lugubres sanglots qui sortent des entrailles,
Oh! la parole expire où commence le cri;
Silence aux mots humains!
La mère au coeur meurtri,
Pendant qu'à ses côtés pleurait le père sombre,
Resta trois mois sinistre, immobile dans l'ombre,
L'oeil fixe, murmurant on ne sait quoi d'obscur,
Et regardant toujours le même angle du mur.
Elle ne mangeait pas; sa vie était sa fièvre;
Elle ne répondait à personne; sa lèvre
Tremblait; on l'entendait, avec un morne effroi,
Qui disait à voix basse à quelqu'un: – Rends-le-moi!
Et le médecin dit au père: – Il faut distraire
Ce coeur triste, et donner à l'enfant mort un frère. -
Le temps passa; les jours, les semaines, les mois.
 
 
Elle se sentit mère une seconde fois.
 
 
Devant le berceau froid de son ange éphémère,
Se rappelant l'accent dont il disait: – Ma mère, -
Elle songeait, muette, assise sur son lit.
Le jour où, tout à coup, dans son flanc tressaillit
L'être inconnu promis à notre aube mortelle,
Elle pâlit. – Quel est cet étranger? dit-elle.
Puis elle cria, sombre et tombant à genoux:
-Non, non, je ne veux pas! non! tu serais jaloux!
O mon doux endormi, toi que la terre glace,
Tu dirais: «On m'oublie; un autre a pris ma place;
Ma mère l'aime, et rit; elle le trouve beau,
Elle l'embrasse, et, moi, je suis dans mon tombeau!»
Non, non! -
 
 
Ainsi pleurait cette douleur profonde.
 
 
Le jour vint; elle mit un autre enfant au monde,
Et le père joyeux cria: – C'est un garçon.
Mais le père était seul joyeux dans la maison;
La mère restait morne, et la pâle accouchée,
Sur l'ancien souvenir tout entière penchée,
Rêvait; on lui porta l'enfant sur un coussin;
Elle se laissa faire et lui donna le sein;
Et tout à coup, pendant que, farouche, accablée,
Pensant au fils nouveau moins qu'à l'âme envolée,
Hélas! et songeant moins aux langes qu'au linceul,
Elle disait: – Cet ange en son sépulcre est seul!
-O doux miracle! ô mère au bonheur revenue! -
Elle entendit, avec une voix bien connue,
Le nouveau-né parler dans l'ombre entre ses bras,
Et tout bas murmurer: – C'est moi. Ne le dis pas.
 
Août 1843.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
22 ekim 2017
Hacim:
140 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Ses
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