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Kitabı oku: «Les misérables. Tome II: Cosette», sayfa 2

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Chapitre IV
A

Ceux qui veulent se figurer nettement la bataille de Waterloo n'ont qu'à coucher sur le sol par la pensée un A majuscule. Le jambage gauche de l'A est la route de Nivelles, le jambage droit est la route de Genappe, la corde de l'A est le chemin creux d'Ohain à Braine-l'Alleud. Le sommet de l'A est Mont-Saint-Jean, là est Wellington; la pointe gauche inférieure est Hougomont, là est Reille avec Jérôme Bonaparte; la pointe droite inférieure est la Belle-Alliance, là est Napoléon. Un peu au-dessous du point où la corde de l'A rencontre et coupe le jambage droit est la Haie-Sainte. Au milieu de cette corde est le point précis où s'est dit le mot final de la bataille. C'est là qu'on a placé le lion, symbole involontaire du suprême héroïsme de la garde impériale.

Le triangle compris au sommet de l'A, entre les deux jambages et la corde, est le plateau de Mont-Saint-Jean. La dispute de ce plateau fut toute la bataille.

Les ailes des deux armées s'étendent à droite et à gauche des deux routes de Genappe et de Nivelles; d'Erlon faisant face à Picton, Reille faisant face à Hill.

Derrière la pointe de l'A, derrière le plateau de Mont-Saint-Jean, est la forêt de Soignes.

Quant à la plaine en elle-même, qu'on se représente un vaste terrain ondulant; chaque pli domine le pli suivant, et toutes les ondulations montent vers Mont-Saint-Jean, et y aboutissent à la forêt.

Deux troupes ennemies sur un champ de bataille sont deux lutteurs. C'est un bras-le-corps. L'une cherche à faire glisser l'autre. On se cramponne à tout; un buisson est un point d'appui; un angle de mur est un épaulement; faute d'une bicoque où s'adosser, un régiment lâche pied; un ravalement de la plaine, un mouvement de terrain, un sentier transversal à propos, un bois, un ravin, peuvent arrêter le talon de ce colosse qu'on appelle une armée et l'empêcher de reculer. Qui sort du champ est battu. De là, pour le chef responsable, la nécessité d'examiner la moindre touffe d'arbres, et d'approfondir le moindre relief.

Les deux généraux avaient attentivement étudié la plaine de Mont-Saint-Jean, dite aujourd'hui plaine de Waterloo. Dès l'année précédente, Wellington, avec une sagacité prévoyante, l'avait examinée comme un en-cas de grande bataille. Sur ce terrain et pour ce duel, le 18 juin, Wellington avait le bon côté, Napoléon le mauvais. L'armée anglaise était en haut, l'armée française en bas.

Esquisser ici l'aspect de Napoléon, à cheval, sa lunette à la main, sur la hauteur de Rossomme, à l'aube du 18 juin 1815, cela est presque de trop. Avant qu'on le montre, tout le monde l'a vu. Ce profil calme sous le petit chapeau de l'école de Brienne, cet uniforme vert, le revers blanc cachant la plaque, la redingote grise cachant les épaulettes, l'angle du cordon rouge sous le gilet, la culotte de peau, le cheval blanc avec sa housse de velours pourpre ayant aux coins des N couronnées et des aigles, les bottes à l'écuyère sur des bas de soie, les éperons d'argent, l'épée de Marengo, toute cette figure du dernier césar est debout dans les imaginations, acclamée des uns, sévèrement regardée par les autres.

Cette figure a été longtemps toute dans la lumière; cela tenait à un certain obscurcissement légendaire que la plupart des héros dégagent et qui voile toujours plus ou moins longtemps la vérité; mais aujourd'hui l'histoire et le jour se font.

Cette clarté, l'histoire, est impitoyable; elle a cela d'étrange et de divin que, toute lumière qu'elle est, et précisément parce qu'elle est lumière, elle met souvent de l'ombre là où l'on voyait des rayons; du même homme elle fait deux fantômes différents, et l'un attaque l'autre, et en fait justice, et les ténèbres du despote luttent avec l'éblouissement du capitaine. De là une mesure plus vraie dans l'appréciation définitive des peuples. Babylone violée diminue Alexandre; Rome enchaînée diminue César; Jérusalem tuée diminue Titus. La tyrannie suit le tyran. C'est un malheur pour un homme de laisser derrière lui de la nuit qui a sa forme.

Chapitre V
Le quid obscurum des batailles

Tout le monde connaît la première phase de cette bataille; début trouble, incertain, hésitant, menaçant pour les deux armées, mais pour les Anglais plus encore que pour les Français.

Il avait plu toute la nuit; la terre était défoncée par l'averse; l'eau s'était çà et là amassée dans les creux de la plaine comme dans des cuvettes; sur de certains points les équipages du train en avaient jusqu'à l'essieu; les sous-ventrières des attelages dégouttaient de boue liquide; si les blés et les seigles couchés par cette cohue de charrois en masse n'eussent comblé les ornières et fait litière sous les roues, tout mouvement, particulièrement dans les vallons du côté de Papelotte, eût été impossible.

L'affaire commença tard; Napoléon, nous l'avons expliqué, avait l'habitude de tenir toute l'artillerie dans sa main comme un pistolet, visant tantôt tel point, tantôt tel autre de la bataille, et il avait voulu attendre que les batteries attelées pussent rouler et galoper librement; il fallait pour cela que le soleil parût et séchât le sol. Mais le soleil ne parut pas. Ce n'était plus le rendez-vous d'Austerlitz. Quand le premier coup de canon fut tiré, le général anglais Colville regarda à sa montre et constata qu'il était onze heures trente-cinq minutes.

L'action s'engagea avec furie, plus de furie peut-être que l'empereur n'eût voulu, par l'aile gauche française sur Hougomont. En même temps Napoléon attaqua le centre en précipitant la brigade Quiot sur la Haie-Sainte, et Ney poussa l'aile droite française contre l'aile gauche anglaise qui s'appuyait sur Papelotte.

L'attaque sur Hougomont avait quelque simulation: attirer là Wellington, le faire pencher à gauche, tel était le plan. Ce plan eût réussi, si les quatre compagnies des gardes anglaises et les braves Belges de la division Perponcher n'eussent solidement gardé la position, et Wellington, au lieu de s'y masser, put se borner à y envoyer pour tout renfort quatre autres compagnies de gardes et un bataillon de Brunswick.

L'attaque de l'aile droite française sur Papelotte était à fond; culbuter la gauche anglaise, couper la route de Bruxelles, barrer le passage aux Prussiens possibles, forcer Mont-Saint-Jean, refouler Wellington sur Hougomont, de là sur Braine-l'Alleud, de là sur Hal, rien de plus net. À part quelques incidents, cette attaque réussit. Papelotte fut pris; la Haie-Sainte fut enlevée.

Détail à noter. Il y avait dans l'infanterie anglaise, particulièrement dans la brigade de Kempt, force recrues. Ces jeunes soldats, devant nos redoutables fantassins, furent vaillants; leur inexpérience se tira intrépidement d'affaire; ils firent surtout un excellent service de tirailleurs; le soldat en tirailleur, un peu livré à lui-même, devient pour ainsi dire son propre général; ces recrues montrèrent quelque chose de l'invention et de la furie françaises. Cette infanterie novice eut de la verve. Ceci déplut à Wellington.

Après la prise de la Haie-Sainte, la bataille vacilla.

Il y a dans cette journée, de midi à quatre heures, un intervalle obscur; le milieu de cette bataille est presque indistinct et participe du sombre de la mêlée. Le crépuscule s'y fait. On aperçoit de vastes fluctuations dans cette brume, un mirage vertigineux, l'attirail de guerre d'alors presque inconnu aujourd'hui, les colbacks à flamme, les sabretaches flottantes, les buffleteries croisées, les gibernes à grenade, les dolmans des hussards, les bottes rouges à mille plis, les lourds shakos enguirlandés de torsades, l'infanterie presque noire de Brunswick mêlée à l'infanterie écarlate d'Angleterre, les soldats anglais ayant aux entournures pour épaulettes de gros bourrelets blancs circulaires, les chevau-légers hanovriens avec leur casque de cuir oblong à bandes de cuivre et à crinières de crins rouges, les Écossais aux genoux nus et aux plaids quadrillés, les grandes guêtres blanches de nos grenadiers, des tableaux, non des lignes stratégiques, ce qu'il faut à Salvator Rosa, non ce qu'il faut à Gribeauval.

Une certaine quantité de tempête se mêle toujours à une bataille. Quid obscurum, quid divinum. Chaque historien trace un peu le linéament qui lui plaît dans ces pêle-mêle. Quelle que soit la combinaison des généraux, le choc des masses armées a d'incalculables reflux; dans l'action, les deux plans des deux chefs entrent l'un dans l'autre et se déforment l'un par l'autre. Tel point du champ de bataille dévore plus de combattants que tel autre, comme ces sols plus ou moins spongieux qui boivent plus ou moins vite l'eau qu'on y jette. On est obligé de reverser là plus de soldats qu'on ne voudrait. Dépenses qui sont l'imprévu. La ligne de bataille flotte et serpente comme un fil, les traînées de sang ruissellent illogiquement, les fronts des armées ondoient, les régiments entrant ou sortant font des caps ou des golfes, tous ces écueils remuent continuellement les uns devant les autres; où était l'infanterie, l'artillerie arrive; où était l'artillerie, accourt la cavalerie; les bataillons sont des fumées. Il y avait là quelque chose, cherchez, c'est disparu; les éclaircies se déplacent; les plis sombres avancent et reculent; une sorte de vent du sépulcre pousse, refoule, enfle et disperse ces multitudes tragiques. Qu'est-ce qu'une mêlée? une oscillation. L'immobilité d'un plan mathématique exprime une minute et non une journée. Pour peindre une bataille, il faut de ces puissants peintres qui aient du chaos dans le pinceau; Rembrandt vaut mieux que Van Der Meulen. Van der Meulen, exact à midi, ment à trois heures. La géométrie trompe; l'ouragan seul est vrai. C'est ce qui donne à Folard le droit de contredire Polybe. Ajoutons qu'il y a toujours un certain instant où la bataille dégénère en combat, se particularise, et s'éparpille en d'innombrables faits de détails qui, pour emprunter l'expression de Napoléon lui-même, «appartiennent plutôt à la biographie des régiments qu'à l'histoire de l'armée». L'historien, en ce cas, a le droit évident de résumé. Il ne peut que saisir les contours principaux de la lutte, et il n'est donné à aucun narra-teur, si consciencieux qu'il soit, de fixer absolument la forme de ce nuage horrible, qu'on appelle une bataille.

Ceci, qui est vrai de tous les grands chocs armés, est particulièrement applicable à Waterloo.

Toutefois, dans l'après-midi, à un certain moment, la bataille se précisa.

Chapitre VI
Quatre heures de l'après-midi

Vers quatre heures, la situation de l'armée anglaise était grave. Le prince d'Orange commandait le centre, Hill l'aile droite, Picton l'aile gauche. Le prince d'Orange, éperdu et intrépide, criait aux Hollando-Belges: Nassau! Brunswick! jamais en arrière! Hill, affaibli, venait s'adosser à Wellington, Picton était mort. Dans la même minute où les Anglais avaient enlevé aux Français le drapeau du 105ème de ligne, les Français avaient tué aux Anglais le général Picton, d'une balle à travers la tête. La bataille, pour Wellington, avait deux points d'appui, Hougomont et la Hale-Sainte; Hougomont tenait encore, mais brûlait; la Haie-Sainte était prise. Du bataillon allemand qui la défendait, quarante-deux hommes seulement survivaient; tous les officiers, moins cinq, étaient morts ou pris. Trois mille combattants s'étaient massacrés dans cette grange. Un sergent des gardes anglaises, le premier boxeur de l'Angleterre, réputé par ses compagnons invulnérable, y avait été tué par un petit tambour français. Baring était délogé. Alten était sabré. Plusieurs drapeaux étaient perdus, dont un de la division Alten, et un du bataillon de Lunebourg porté par un prince de la famille de Deux-Ponts. Les Écossais gris n'existaient plus; les gros dragons de Ponsonby étaient hachés. Cette vaillante cavalerie avait plié sous les lanciers de Bro et sous les cuirassiers de Travers; de douze cents chevaux il en restait six cents; des trois lieutenants-colonels, deux étaient à terre, Hamilton blessé, Mater tué. Ponsonby était tombé, troué de sept coups de lance. Gordon était mort, Marsh était mort. Deux divisions, la cinquième et la sixième, étaient détruites.

Hougomont entamé, la Haie-Sainte prise, il n'y avait plus qu'un nœud, le centre. Ce nœud-là tenait toujours. Wellington le renforça. Il y appela Hill qui était à Merbe-Braine, il y appela Chassé qui était à Braine-l'Alleud.

Le centre de l'armée anglaise, un peu concave, très dense et très compact, était fortement situé. Il occupait le plateau de Mont-Saint-Jean, ayant derrière lui le village et devant lui la pente, assez âpre alors. Il s'adossait à cette forte maison de pierre, qui était à cette époque un bien domanial de Nivelles et qui marque l'intersection des routes, masse du seizième siècle si robuste que les boulets y ricochaient sans l'entamer. Tout autour du plateau, les Anglais avaient taillé çà et là les haies, fait des embrasures dans les aubépines, mis une gueule de canon entre deux branches, crénelé les buissons. Leur artillerie était en embuscade sous les broussailles. Ce travail punique, incontestablement autorisé par la guerre qui admet le piège, était si bien fait que Haxo, envoyé par l'empereur à neuf heures du matin pour reconnaître les batteries ennemies, n'en avait rien vu, et était revenu dire à Napoléon qu'il n'y avait pas d'obstacle, hors les deux barricades barrant les routes de Nivelles et de Genappe. C'était le moment où la moisson est haute; sur la lisière du plateau, un bataillon de la brigade de Kempt, le 951, armé de carabines, était couché dans les grands blés.

Ainsi assuré et contre-buté, le centre de l'armée anglo-hollandaise était en bonne posture.

Le péril de cette position était la forêt de Soignes, alors contiguë au champ de bataille et coupée par les étangs de Groe-nendael et de Boitsfort. Une armée n'eût pu y reculer sans se dissoudre; les régiments s'y fussent tout de suite désagrégés. L'artillerie s'y fût perdue dans les marais. La retraite, selon l'opinion de plusieurs hommes du métier, contestée par d'autres, il est vrai, eût été là un sauve-qui-peut.

Wellington ajouta à ce centre une brigade de Chassé, ôtée à l'aile droite, et une brigade de Wincke, ôtée à l'aile gauche, plus la division Clinton. À ses Anglais, aux régiments de Halkett, à la brigade de Mitchell, aux gardes de Maitland, il donna comme épaulements et contreforts l'infanterie de Brunswick, le contingent de Nassau, les Hanovriens de Kielmansegge et les Allemands d'Ompteda. Cela lui mit sous la main vingt-six bataillons. L'aile droite, comme dit Charras, fut rabattue derrière le centre. Une batterie énorme était masquée par des sacs à terre à l'endroit où est aujourd'hui ce qu'on appelle «le musée de Waterloo». Wellington avait en outre dans un pli de terrain les dragons-gardes de Somerset, quatorze cents chevaux. C'était l'autre moitié de cette cavalerie anglaise, si justement célèbre. Ponsonby détruit, restait Somerset.

La batterie, qui, achevée, eût été presque une redoute, était disposée derrière un mur de jardin très bas, revêtu à la hâte d'une chemise de sacs de sable et d'un large talus de terre. Cet ouvrage n'était pas fini; on n'avait pas eu le temps de le palissader.

Wellington, inquiet, mais impassible, était à cheval, et y demeura toute la journée dans la même attitude, un peu en avant du vieux moulin de Mont-Saint-Jean, qui existe encore, sous un orme qu'un Anglais, depuis, vandale enthousiaste, a acheté deux cents francs, scié et emporté. Wellington fut là froidement héroïque. Les boulets pleuvaient. L'aide de camp Gordon venait de tomber à côté de lui. Lord Hill, lui montrant un obus qui éclatait, lui dit: – Mylord, quelles sont vos instructions, et quels ordres nous laissez-vous si vous vous faites tuer? —De faire comme moi, répondit Wellington. À Clinton, il dit laconiquement: —Tenir ici jusqu'au dernier homme. – La journée visiblement tournait mal. Wellington criait à ses anciens compagnons de Talavera, de Vitoria et de Salamanque: —Boys (garçons)! est-ce qu'on peut songer à lâcher pied? pensez à la vieille Angleterre!

Vers quatre heures, la ligne anglaise s'ébranla en arrière. Tout à coup on ne vit plus sur la crête du plateau que l'artillerie et les tirailleurs, le reste disparut; les régiments, chassés par les obus et les boulets français, se replièrent dans le fond que coupe encore aujourd'hui le sentier de service de la ferme de Mont-Saint-Jean, un mouvement rétrograde se fit, le front de bataille anglais se déroba, Wellington recula. – Commencement de retraite! cria Napoléon.

Chapitre VII
Napoléon de belle humeur

L'empereur, quoique malade et gêné à cheval par une souffrance locale, n'avait jamais été de si bonne humeur que ce jour-là. Depuis le matin, son impénétrabilité souriait. Le 18 juin 1815, cette âme profonde, masquée de marbre, rayonnait aveuglément. L'homme qui avait été sombre à Austerlitz fut gai à Waterloo. Les plus grands prédestinés font de ces contre-sens. Nos joies sont de l'ombre. Le suprême sourire est à Dieu.

Ridet Caesar, Pompeius flebit, disaient les légionnaires de la légion Fulminatrix. Pompée cette fois ne devait pas pleurer, mais il est certain que César riait.

Dès la veille, la nuit, à une heure, explorant à cheval, sous l'orage et sous la pluie, avec Bertrand, les collines qui avoisinent Rossomme, satisfait de voir la longue ligne des feux anglais illuminant tout l'horizon de Frischemont à Braine-l'Alleud, il lui avait semblé que le destin, assigné par lui à jour fixe sur ce champ de Waterloo, était exact; il avait arrêté son cheval, et était demeuré quelque temps immobile, regardant les éclairs, écoutant le tonnerre, et on avait entendu ce fataliste jeter dans l'ombre cette parole mystérieuse: «Nous sommes d'accord.» Napoléon se trompait. Ils n'étaient plus d'accord.

Il n'avait pas pris une minute de sommeil, tous les instants de cette nuit-là avaient été marqués pour lui par une joie. Il avait parcouru toute la ligne des grand'gardes, en s'arrêtent çà et là pour parler aux vedettes. À deux heures et demie, près du bois d'Hougomont, il avait entendu le pas d'une colonne en marche; il avait cru un moment à la reculade de Wellington. Il avait dit à Bertrand: C'est l'arrière-garde anglaise qui s'ébranle pour décamper. Je ferai prisonniers les six mille Anglais qui viennent d'arriver à Ostende. Il causait avec expansion; il avait retrouvé cette verve du débarquement du 1er mars, quand il montrait au grand-maréchal le paysan enthousiaste du golfe Juan, en s'écriant: —Eh bien, Bertrand, voilà déjà du renfort! La nuit du 17 au 18 juin, il raillait Wellington. —Ce petit Anglais a besoin d'une leçon, disait Napoléon. La pluie redoublait, il tonnait pendant que l'empereur parlait.

À trois heures et demie du matin, il avait perdu une illusion; des officiers envoyés en reconnaissance lui avaient annoncé que l'ennemi ne faisait aucun mouvement. Rien ne bougeait; pas un feu de bivouac n'était éteint. L'armée anglaise dormait. Le silence était profond sur la terre; il n'y avait de bruit que dans le ciel. À quatre heures, un paysan lui avait été amené par les coureurs; ce paysan avait servi de guide à une brigade de cavalerie anglaise, probablement la brigade Vivian, qui allait prendre position au village d'Ohain, à l'extrême gauche. À cinq heures, deux déserteurs belges lui avaient rapporté qu'ils venaient de quitter leur régiment, et que l'armée anglaise attendait la bataille. Tant mieux! s'était écrié Napoléon. J'aime encore mieux les culbuter que les refouler.

Le matin, sur la berge qui fait l'angle du chemin de Plancenoit, il avait mis pied à terre dans la boue, s'était fait apporter de la ferme de Rossomme une table de cuisine et une chaise de paysan, s'était assis, avec une botte de paille pour tapis, et avait déployé sur la table la carte du champ de bataille, en disant à Soult: Joli échiquier!

Par suite des pluies de la nuit, les convois de vivres, empêtrés dans des routes défoncées, n'avaient pu arriver le matin, le soldat n'avait pas dormi, était mouillé, et était à jeun; cela n'avait pas empêché Napoléon de crier allégrement à Ney: Nous avons quatre-vingt-dix chances sur cent. À huit heures, on avait apporté le déjeuner de l'empereur. Il y avait invité plusieurs généraux. Tout en déjeunant, on avait raconté que Wellington était l'avant-veille au bal à Bruxelles, chez la duchesse de Richmond, et Soult, rude homme de guerre avec une figure d'archevêque, avait dit: Le bal, c'est aujourd'hui. L'empereur avait plaisanté Ney qui disait: Wellington ne sera pas assez simple pour attendre Votre Majesté. C'était là d'ailleurs sa manière. Il badinait volontiers, dit Fleury de Chaboulon. Le fond de son caractère était une humeur enjouée, dit Gourgaud. Il abondait en plaisanteries, plutôt bizarres que spirituelles, dit Benjamin Constant. Ces gaîtés de géant valent la peine qu'on y insiste. C'est lui qui avait appelé ses grenadiers «les grognards»; il leur pinçait l'oreille, il leur tirait la moustache. L'empereur ne faisait que nous faire des niches; ceci est un mot de l'un d'eux. Pendant le mystérieux trajet de l'île d'Elbe en France, le 27 février, en pleine mer, le brick de guerre français le Zéphir ayant rencontré le brick l'Inconstant où Napoléon était caché et ayant demandé à l'Inconstant des nouvelles de Napoléon, l'empereur, qui avait encore en ce moment-là à son chapeau la cocarde blanche et amarante semée d'abeilles, adoptée par lui à l'île d'Elbe, avait pris en riant le porte-voix et avait répondu lui-même: L'empereur se porte bien. Qui rit de la sorte est en familiarité avec les événements. Napoléon avait eu plusieurs accès de ce rire pendant le déjeuner de Waterloo. Après le déjeuner il s'était recueilli un quart d'heure, puis deux généraux s'étaient assis sur la botte de paille, une plume à la main, une feuille de papier sur le genou, et l'empereur leur avait dicté l'ordre de bataille.

À neuf heures, à l'instant où l'armée française, échelonnée et mise en mouvement sur cinq colonnes, s'était déployée, les divisions sur deux lignes, l'artillerie entre les brigades, musique en tête, battant aux champs, avec les roulements des tambours et les sonneries des trompettes, puissante, vaste, joyeuse, mer de casques, de sabres et de bayonnettes sur l'ho-rizon, l'empereur, ému, s'était écrié à deux reprises: Magnifique! magnifique!

De neuf heures à dix heures et demie, toute l'armée, ce qui semble incroyable, avait pris position et s'était rangée sur six lignes, formant, pour répéter l'expression de l'empereur, «la figure de six V». Quelques instants après la formation du front de bataille, au milieu de ce profond silence de commencement d'orage qui précède les mêlées, voyant défiler les trois batteries de douze, détachées sur son ordre des trois corps de d'Erlon, de Reille et de Lobau, et destinées à commencer l'action en battant Mont-Saint-Jean où est l'intersection des routes de Nivelles et de Genappe, l'empereur avait frappé sur l'épaule de Haxo en lui disant: Voilà vingt-quatre belles filles, général.

Sûr de l'issue, il avait encouragé d'un sourire, à son passage devant lui, la compagnie de sapeurs du premier corps, désignée par lui pour se barricader dans Mont-Saint-Jean, sitôt le village enlevé. Toute cette sérénité n'avait été traversée que par un mot de pitié hautaine; en voyant à sa gauche, à un endroit où il y a aujourd'hui une grande tombe, se masser avec leurs chevaux superbes ces admirables Écossais gris, il avait dit: C'est dommage.

Puis il était monté à cheval, s'était porté en avant de Rossomme, et avait choisi pour observatoire une étroite croupe de gazon à droite de la route de Genappe à Bruxelles, qui fut sa seconde station pendant la bataille. La troisième station, celle de sept heures du soir, entre la Belle-Alliance et la Haie-Sainte, est redoutable; c'est un tertre assez élevé qui existe encore et derrière lequel la garde était massée dans une déclivité de la plaine. Autour de ce tertre, les boulets ricochaient sur le pavé de la chaussée jusqu'à Napoléon. Comme à Brienne, il avait sur sa tête le sifflement des balles et des biscayens. On a ramassé, presque à l'endroit où étaient les pieds de son cheval, des boulets vermoulus, de vieilles lames de sabre et des projectiles informes, mangés de rouille. Scabra rubigine. Il y a quelques années, on y a déterré un obus de soixante, encore chargé, dont la fusée s'était brisée au ras de la bombe. C'est à cette dernière station que l'empereur disait à son guide Lacoste, paysan hostile, effaré, attaché à la selle d'un hussard, se retournant à chaque paquet de mitraille, et tâchant de se cacher derrière lui: —Imbécile! c'est honteux, tu vas te faire tuer dans le dos. Celui qui écrit ces lignes, a trouvé lui-même dans le talus friable de ce tertre, en creusant le sable, les restes du col d'une bombe désagrégés par l'oxyde de quarante-six années, et de vieux tronçons de fer qui cassaient comme des bâtons de sureau entre ses doigts.

Les ondulations des plaines diversement inclinées où eut lieu la rencontre de Napoléon et de Wellington ne sont plus, personne ne l'ignore, ce qu'elles étaient le 18 juin 1815. En prenant à ce champ funèbre de quoi lui faire un monument, on lui a ôté son relief réel, et l'histoire, déconcertée, ne s'y reconnaît plus. Pour le glorifier, on l'a défiguré. Wellington, deux ans après, revoyant Waterloo, s'est écrié: On m'a changé mon champ de bataille. Là où est aujourd'hui la grosse pyramide de terre surmontée du lion, il y avait une crête qui, vers la route de Nivelles, s'abaissait en rampe praticable, mais qui, du côté de la chaussée de Genappe, était presque un escarpement. L'élévation de cet escarpement peut encore être mesurée aujourd'hui par la hauteur des deux tertres des deux grandes sépultures qui encaissent la route de Genappe à Bruxelles; l'une, le tombeau anglais, à gauche; l'autre, le tombeau allemand, à droite. Il n'y a point de tombeau français. Pour la France, toute cette plaine est sépulcre. Grâce aux mille et mille charretées de terre employées à la butte de cent cinquante pieds de haut et d'un demi-mille de circuit, le plateau de Mont-Saint-Jean est aujourd'hui accessible en pente douce; le jour de la bataille, surtout du côté de la Haie-Sainte, il était d'un abord âpre et abrupt. Le versant là était si incliné que les canons anglais ne voyaient pas au-dessous d'eux la ferme située au fond du vallon, centre du combat. Le 18 juin 1815, les pluies avaient encore raviné cette roideur, la fange compliquait la montée, et non seulement on gravissait, mais on s'embourbait. Le long de la crête du plateau courait une sorte de fossé impossible à deviner pour un observateur lointain.

Qu'était-ce que ce fossé? Disons-le. Braine-l'Alleud est un village de Belgique, Ohain en est un autre. Ces villages, cachés tous les deux dans des courbes de terrain, sont joints par un chemin d'une lieue et demie environ qui traverse une plaine à niveau ondulant, et souvent entre et s'enfonce dans des collines comme un sillon, ce qui fait que sur divers points cette route est un ravin. En 1815, comme aujourd'hui, cette route coupait la crête du plateau de Mont-Saint-Jean entre les deux chaussées de Genappe et de Nivelles; seulement, elle est aujourd'hui de plain-pied avec la plaine; elle était alors chemin creux. On lui a pris ses deux talus pour la butte-monument. Cette route était et est encore une tranchée dans la plus grande partie de son parcours; tranchée creuse quelquefois d'une douzaine de pieds et dont les talus trop escarpés s'écroulaient çà et là, surtout en hiver, sous les averses. Des accidents y arrivaient. La route était si étroite à l'entrée de Braine-l'Alleud qu'un passant y avait été broyé par un chariot, comme le constate une croix de pierre debout près du cimetière qui donne le nom du mort, Monsieur Bernard Debrye, marchand à Bruxelles, et la date de l'accident, février 1637. Elle était si profonde sur le plateau du Mont-Saint-Jean qu'un paysan, Mathieu Nicaise, y avait été écrasé en 1783 par un éboulement du talus, comme le constatait une autre croix de pierre dont le faîte a disparu dans les défrichements, mais dont le piédestal renversé est encore visible aujourd'hui sur la pente du gazon à gauche de la chaussée entre la Haie-Sainte et la ferme de Mont-Saint-Jean.

Un jour de bataille, ce chemin creux dont rien n'avertissait, bordant la crête de Mont-Saint-Jean, fossé au sommet de l'es-carpement, ornière cachée dans les terres, était invisible, c'est-à-dire terrible.

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12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
370 s. 1 illüstrasyon
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Public Domain
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