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Kitabı oku: «Napoléon Le Petit», sayfa 13

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LIVRE SEPTIÈME
L'ABSOLUTION

DEUXIÈME FORME. LE SERMENT.
LE SERMENT

I

À SERMENT, SERMENT ET DEMI

Qu'est-ce que c'est que Louis Bonaparte? c'est le parjure vivant, c'est la restriction mentale incarnée, c'est la félonie en chair et en os, c'est le faux serment coiffé d'un chapeau de général et se faisant appeler monseigneur.

Eh bien! qu'est-ce qu'il demande à la France, cet homme guet-apens? Un serment.

Un serment!

Certes, après la journée du 20 décembre 1848 et la journée du 2 décembre 1851, après les représentants inviolables arrêtés et traqués, après la république confisquée, après le coup d'état, on devait s'attendre de la part de ce malfaiteur à un éclat de rire cynique et honnête à l'endroit du serment, et que ce Sbrigani dirait à la France: Tiens! c'est vrai! j'avais donné ma parole d'honneur. C'est très drôle. Ne parlons plus de ces bêtises-là.

Non pas, il veut un serment.

Ainsi, maires, gendarmes, juges, espions, préfets, généraux, sergents de ville, gardes champêtres, commissaires de police, magistrats, fonctionnaires, sénateurs, conseillers d'état, législateurs, commis, troupeau, c'est dit, il le veut, cette idée lui a passé par la tête, il l'entend ainsi, c'est son plaisir; venez, hâtez-vous, défilez, vous dans un greffe, vous dans un prétoire, vous sous l'oeil de votre brigadier, vous chez le ministre; vous, sénateurs, aux Tuileries, dans le salon des maréchaux; vous, mouchards à la préfecture de police; vous, premiers présidents et procureurs généraux, dans son antichambre; accourez en carrosse, à pied, à cheval, en robe, en écharpe, en costume, en uniforme, drapés, dorés, pailletés, brodés, emplumés, l'épée au côté, la toque au front, le rabat au cou, la ceinture au ventre; arrivez, les uns devant le buste de plâtre, les autres devant l'homme même; c'est bien, vous voilà, vous y êtes tous, personne ne manque, regardez-le bien en face, recueillez-vous, fouillez dans votre conscience, dans votre loyauté, dans votre pudeur, dans votre religion; ôtez votre gant, levez la main, et prêtez serment à son parjure, et jurez fidélité à sa trahison.

Est-ce fait? Oui. Ah! quelle farce infâme! Donc Louis Bonaparte prend le serment au sérieux. Vrai, il croit à ma parole, à la tienne, à la vôtre, à la nôtre, à la leur; il croit à la parole de tout le monde, excepté à la sienne. Il exige qu'autour de lui on jure et il ordonne qu'on soit loyal. Il plaît à Messaline de s'entourer de pucelles. À merveille!

Il veut qu'on ait de l'honneur; vous l'aurez pour entendu, Saint-Arnaud, et vous vous le tiendrez pour dit, Maupas.

Allons au fond des choses pourtant; il y a serment et serment. Le serment que librement, solennellement, à la face de Dieu et des hommes, après avoir reçu un mandat de confiance de six millions de citoyens, on prête, en pleine assemblée nationale, à la constitution de son pays, à la loi, au droit, à la nation, au peuple, à la France, ce n'est rien, cela n'engage pas, on peut s'en jouer et en rire et le déchirer un beau matin du talon de sa botte; mais le serment qu'on prête sous le canon, sous le sabre, sous l'oeil de la police, pour garder l'emploi qui vous fait vivre, pour conserver le grade qui est votre propriété, le serment que pour sauver son pain et le pain de ses enfants on prête à un fourbe, à un rebelle, au violateur des lois, au meurtrier de la république, à un relaps de toutes les justices, à l'homme qui lui-même a brisé son serment, oh! ce serment-là est sacré! ne plaisantons pas.

Le serment qu'on prête au deux décembre, neveu du dix-huit brumaire, est sacro-saint!

Ce que j'en admire, c'est l'ineptie. Recevoir comme argent comptant et espèces sonnantes tous ces juro de la plèbe officielle; ne pas même songer qu'on a défait tous les scrupules et qu'il ne saurait y avoir là une seule parole de bon aloi! On est prince et on est traître. Donner l'exemple au sommet de l'état et s'imaginer qu'il ne sera pas suivi! Semer le plomb et se figurer qu'on récoltera de l'or! Ne pas même s'apercevoir que toutes les consciences se modèlent en pareil cas sur la conscience d'en haut, et que le faux serment du prince fait tous les serments fausse monnaie!

II

DIFFÉRENCE DES PRIX

Et puis, à qui demande-t-on des serments? À ce préfet? il a trahi l'état. À ce général? il a trahi le drapeau. À ce magistrat? il a trahi la loi. À tous ces fonctionnaires? ils ont trahi la république. Chose curieuse et qui fait rêver le philosophe, que ce tas de traîtres d'où sort ce tas de serments!

Donc, insistons sur cette beauté du 2 décembre:

M. Bonaparte Louis croit aux serments des gens! il croit aux serments qu'on lui prête à lui! Quand M. Rouher ôte son gant et dit: je le jure; quand M. Suin ôte son gant et dit: je le jure; quand M. Troplong met la main sur la poitrine a l'endroit où est le troisième bouton des sénateurs et le coeur des autres hommes, et dit: je le jure; M. Bonaparte se sent les larmes aux yeux, additionne, ému, toutes ces loyautés et contemple ces êtres avec attendrissement. Il se confie! il croit! Ô abîme de candeur! En vérité, l'innocence des coquins cause parfois des éblouissements à l'honnête homme.

Une chose toutefois étonne l'observateur bienveillant et le fâche un peu, c'est la façon capricieuse et disproportionnée dont les serments sont payés, c'est l'inégalité des prix que M. Bonaparte met à cette marchandise. Par exemple M. Vidocq, s'il était encore chef du service de sûreté, aurait six mille francs de gages par an, M. Baroche en a quatre vingt mille. Il suit de là que le serment de M. Vidocq ne lui rapporterait par jour que seize francs soixante-six centimes, tandis que le serment de M. Baroche rapporte par jour à M. Baroche deux cent vingt-deux francs vingt-deux centimes. Ceci est évidemment injuste. Pourquoi cette différence? Un serment est un serment; un serment se compose d'un gant ôté et de huit lettres. Qu'est-ce que le serment de M. Baroche a de plus que le serment de M. Vidocq?

Vous me direz que cela tient à la diversité des fonctions; que M. Baroche préside le conseil d'état et que M. Vidocq ne serait que chef du service de sûreté. Je réponds que ce sont là des hasards que M. Baroche excellerait probablement à diriger le service de sûreté, et que M. Vidocq pourrait fort bien être président du conseil d'état. Ce n'est pas là une raison.

Y a-t-il donc des qualités diverses de serment? Est-ce comme pour les messes? Y a-t-il, là aussi, les messes à quarante sous et les messes à dix sous, lesquelles, comme disait ce curé, ne sont que «de la gnognotte»? A-t-on du serment pour son argent? Y a-t-il, dans cette denrée du serment, du superfin, de l'extra-fin, du fin et du demi-fin? Les uns sont-ils mieux conditionnés que les autres? Sont-ils plus solides, moins mêlés d'étoupe et de coton, meilleur teint? Y a-t-il les serments tout neufs et qui n'ont pas servi, les serments usés aux genoux, les serments rapiécés, les serments éculés? Y a-t-il du choix enfin? qu'on nous le dise. La chose en vaut la peine. C'est nous qui payons. Cette observation faite dans l'intérêt des contribuables, je demande pardon à M. Vidocq de m'être servi de son nom. Je reconnais que je n'en avais pas le droit. Au fait, M. Vidocq eût peut-être refusé le serment.

III

SERMENT DES LETTRÉS ET DES SAVANTS

Détail précieux, M. Bonaparte voulait qu'Arago jurât. Sachez cela, l'astronomie doit prêter serment. Dans un état bien réglé, comme la France ou la Chine, tout est fonction, même la science. Le mandarin de l'institut relève du mandarin de la police. La grande lunette à pied parallactique doit hommage lige à M. Bonaparte. Un astronome est une espèce de sergent de ville du ciel. L'observatoire est une guérite comme une autre. Il faut surveiller le bon Dieu qui est là-haut et qui semble parfois ne pas se soumettre complètement à la constitution du 14 janvier. Le ciel est plein d'allusions désagréables et a besoin d'être bien tenu. La découverte d'une nouvelle tache au soleil constitue évidemment un cas de censure. La prédiction d'une haute marée peut être séditieuse. L'annonce d'une éclipse de lune peut être une trahison. Nous sommes un peu lune à l'Élysée. L'astronomie libre est presque aussi dangereuse que la presse libre. Sait-on ce qui se passe dans ces tête-à-tête nocturnes entre Arago et Jupiter? Si c'était M. Leverrier, bien! mais un membre du gouvernement provisoire! Prenez garde, monsieur de Maupas! il faut que le bureau des longitudes jure de ne pas conspirer avec les astres, et surtout avec ces folles faiseuses de coups d'état célestes qu'on appelle les comètes.

Et puis, nous l'avons dit déjà, on est fataliste quand on est Bonaparte. Le grand Napoléon avait une étoile, le petit doit bien avoir une nébuleuse; les astronomes sont certainement un peu astrologues. Prêtez serment, messieurs.

Il va sans dire qu'Arago a refusé.

Une des vertus du serment à Louis Bonaparte, c'est que, selon qu'on le refuse ou qu'on l'accorde, ce serment vous ôte ou vous rend les talents, les mérites, les aptitudes. Vous êtes professeur de grec et de latin, prêtez serment, sinon on vous chasse de votre chaire, vous ne savez plus le latin ni le grec. Vous êtes professeur de rhétorique, prêtez serment, autrement, tremblez! le récit de Théramène et le songe d'Athalie vous sont interdits; vous errerez alentour le reste de vos jours sans pouvoir y rentrer jamais. Vous êtes professeur de philosophie, prêtez serment à M. Bonaparte, sinon vous devenez incapable de comprendre les mystères de la conscience humaine et de les expliquer aux jeunes gens. Vous êtes professeur de médecine, prêtez serment, sans quoi, vous ne savez plus tâter le pouls à un fiévreux. – Mais si les bons professeurs s'en vont, il n'y aura plus de bons élèves? En médecine particulièrement, ceci est grave. Que deviendront les malades? Qui, les malades? il s'agit bien des malades! L'important est que la médecine prête serment à M. Bonaparte. D'ailleurs, ou les sept millions cinq cent mille voix n'ont aucun sens, ou il est évident qu'il vaut mieux avoir la cuisse coupée par un âne assermenté que par Dupuytren réfractaire.

Ah! on veut en rire, mais tout ceci serre le coeur. Êtes-vous un jeune et rare et généreux esprit comme Deschanel, une ferme et droite intelligence comme Despois, une raison sérieuse et énergique comme Jacques, un éminent écrivain, un historien populaire comme Michelet, prêtez serment ou mourez de faim.

Ils refusent. Le silence et l'ombre où ils rentrent stoïquement savent le reste.

IV

CURIOSITÉS DE LA CHOSE

Toute morale est niée par un tel serment, toute honte bue, toute pudeur affrontée. Aucune raison pour qu'on ne voie pas des choses inouïes, on les voit. Dans telle ville, à Évreux42, par exemple, les juges qui ont prêté le serment jugent les juges qui l'ont refusé; l'ignominie assise sur le tribunal fait asseoir l'honneur sur la sellette; la conscience vendue «blâme» la conscience honnête; la fille publique fouette la vierge.

Avec ce serment-là on marche de surprise en surprise. Nicolet n'est qu'un maroufle près de M. Bonaparte. Quand M. Bonaparte a eu fait le tour de ses valets, de ses complices et de ses victimes, et empoché le serment de chacun, il s'est tourné avec bonhomie vers les vaillants chefs de l'armée d'Afrique et leur a «tenu à peu près ce langage»: – À propos, vous savez, je vous ai fait arrêter la nuit dans vos lits par mes gens; mes mouchards sont entrés chez vous l'épée haute; je les ai même décorés depuis pour ce fait d'armes; je vous ai fait menacer du bâillon, si vous jetiez un cri; je vous ai fait prendre au collet par mes argousins; je vous ai fait mettre à Mazas dans la cellule des voleurs et à Ham dans ma cellule à moi; vous avez encore aux poignets les marques de la corde dont je vous ai liés; bonjour, messieurs, Dieu vous ait en sa sainte garde, jurez-moi fidélité. – Changarnier l'a regardé fixement et lui a répondu: Non, traître! Bedeau lui a répondu: Non, faussaire! Lamoricière lui a répondu: Non, parjure! Leflo lui a répondu: Non, bandit! Charras lui a donné un soufflet.

À l'heure qu'il est, la face de M. Bonaparte est rouge, non de la honte, mais du soufflet.

Autre variété du serment. Dans les casemates, dans les bastilles, dans les pontons, dans les présides d'Afrique, il y a des prisonniers par milliers. Qui sont ces prisonniers? Nous l'avons dit, des républicains, des patriotes, des soldats de la loi, des innocents, des martyrs. Ce qu'ils souffrent, des voix généreuses l'ont déjà dénoncé, on l'entrevoit; nous-même, dans le livre spécial sur le 2 décembre, nous achèverons de déchirer ce voile. Eh bien, veut-on savoir ce qui arrive? – Quelquefois, à bout de souffrances, épuisés de forces, ployant sous tant de misères, sans chaussures, sans pain, sans vêtements, sans chemise, brûlés de fièvre, rongés de vermine, pauvres ouvriers arrachés à leurs ateliers, pauvres paysans arrachés à leur charrue, pleurant une femme, une mère, des enfants, une famille veuve ou orpheline sans pain de son côté et peut-être sans asile, accablés, malades, mourants, désespérés, quelques-uns de ces malheureux faiblissent et consentent à «demander grâce». Alors on leur apporte à signer une lettre toute faite et adressée à «monseigneur le prince-président». Cette lettre, nous la publions telle que le sieur Quentin-Bauchart l'avoue:

«Je, soussigné, déclare sur l'honneur accepter avec reconnaissance la grâce qui: m'est faite par le prince Louis-Napoléon, et m'engage à ne plus faire partie des sociétés secrètes, à respecter les lois, et à être fidèle au gouvernement que le pays s'est donné parle vote des 20 et 21 décembre 1851.»

Qu'on ne se méprenne pas sur le sens de ce fait grave. Ceci n'est pas de la clémence octroyée, c'est de la clémence implorée. Cette formule: demandez-nous votre grâce, signifie: accordez-nous notre grâce. L'assassin, penché sur l'assassiné et le couteau levé, lui crie: Je t'ai arrêté, saisi, terrassé, dépouillé, volé, percé de coups, te voilà sous mes pieds; ton sang coule par vingt plaies; dis-moi que tu TE REPENS, et je n'achèverai pas de te tuer. – Ce repentir des innocents, exigé par le criminel, n'est autre chose que la forme que prend au dehors son remords intérieur. Il s'imagine être de cette façon rassuré contre son propre crime. À quelques expédients qu'il ait recours pour s'étourdir, quoiqu'il fasse sonner perpétuellement à ses oreilles les sept millions cinq cent mille grelots de son «plébiscite», l'homme du coup d'état songe par instants; il entrevoit vaguement un lendemain et se débat contre l'avenir inévitable. Il lui faut purge légale, décharge, mainlevée, quittance. Il la demande aux vaincus et au besoin il les met à la torture pour l'obtenir. Au fond de la conscience de chaque prisonnier, de chaque déporté, de chaque proscrit, Louis Bonaparte sent qu'il y a un tribunal et que ce tribunal instruit son procès; il tremble, le bourreau a une secrète peur de la victime, et, sous figure d'une grâce accordée par lui à cette victime, il fait signer par ce juge son acquittement.

Il espère ainsi donner le change à la France qui, elle aussi, est une conscience vivante et un tribunal attentif, et que, le jour de la sentence venu, le voyant absous par ses victimes, elle lui fera grâce. Il se trompe. Qu'il perce le mur d'un autre côté, ce n'est pas par là qu'il échappera.

V

LE 5 AVRIL 1852

Le 5 avril 1852, voici ce qu'on a vu aux Tuileries. Vers huit heures du soir l'antichambre s'est remplie d'hommes en robes rouges, graves, majestueux, parlant bas, tenant à la main des toques de velours noir à galons d'or, la plupart en cheveux blancs. C'étaient les présidents et conseillers de la cour de cassation, les premiers présidents des cours d'appel et les procureurs généraux; toute la haute magistrature de France. Ces hommes restèrent dans cette antichambre. Un aide de camp les introduisit et les laissa là. Un quart d'heure passa, puis une demi-heure, puis une heure; ils allaient et venaient de long en large, causant entre eux, tirant leurs montres, attendant un coup de sonnette. Au bout d'une heure ils s'aperçurent qu'ils n'avaient pas même de fauteuils pour s'asseoir. L'un d'eux, M. Troplong, alla dans une autre antichambre où étaient les valets et se plaignit. On lui apporta une chaise. Enfin une porte à deux battants s'ouvrit; ils entrèrent pêle-mêle dans un salon. Là un homme en frac noir se tenait debout adossé à une cheminée. Que venaient faire ces hommes en robes rouges chez cet homme en habit noir? Ils venaient lui prêter serment. C'était M. Bonaparte. Il leur fit un signe de tête, eux se courbèrent jusqu'à terre, comme il convient. En avant de M. Bonaparte, à quelques pas, se tenait son chancelier, M. Abbattucci, ancien député libéral, ministre de la justice du coup d'état. On commença. M. Abbattucci fit un discours et M. Bonaparte un speech. Le prince prononça, en regardant le tapis, quelques mots traînants et dédaigneux; il parla de sa «légitimité»; après quoi les magistrats jurèrent. Chacun leva la main à son tour. Pendant qu'ils juraient, M. Bonaparte, le dos à demi tourné, causait avec des aides de camp groupés derrière lui. Quand ce fut fini, il tourna le dos tout à fait, et eux s'en allèrent, branlant la tête, honteux et humiliés, non d'avoir fait une bassesse, mais de n'avoir pas eu de chaises dans l'antichambre.

Comme ils sortaient, ce dialogue fut entendu: – Voilà, disait l'un d'eux, un serment qu'il a fallu prêter. – Et qu'il faudra tenir, reprit un second. – Comme le maître de la maison, ajouta un troisième.

Tout ceci est de l'abjection, passons. Parmi ces premiers présidents qui juraient fidélité à Louis Bonaparte, il y avait un certain nombre d'anciens pairs de France qui, comme pairs, avaient condamné Louis Bonaparte à la prison perpétuelle. Mais pourquoi regarder si loin en arrière? Passons encore; voici qui est mieux. Parmi ces magistrats, il y avait sept hommes ainsi nommés: Hardouin, Moreau, Pataille, Cauchy, Delapalme, Grandet, Quesnault. Ces sept hommes composaient avant le 2 décembre la haute cour de justice; le premier, Hardouin, président; les deux derniers, suppléants; les quatre autres, juges. Ces hommes avaient reçu et accepté de la constitution de 1848 un mandat conçu en ces termes:

«ART. 68. Toute mesure par laquelle le président de la république dissout l'assemblée nationale, la proroge ou met obstacle à l'exercice de son mandat, est un crime de haute trahison.

«Les juges de la haute cour se réunissent immédiatement à peine de forfaiture; ils convoquent les jurés dans le lieu qu'ils désignent pour procéder au jugement du président et de ses complices; ils nomment eux-mêmes les magistrats chargés de remplir les fonctions de ministère public.»

Le 2 décembre, en présence de l'attentat flagrant, ils avaient commencé le procès et nommé un procureur général, M. Renouard, qui avait accepté, pour suivre contre Louis Bonaparte sur le fait du crime de haute trahison. Joignons ce nom, Renouard, aux sept autres. Le 5 avril ils étaient tous les huit dans l'antichambre de Louis Bonaparte. Ce qu'ils y firent, on vient de le voir.

Ici il est impossible de ne pas s'arrêter.

Il y a des idées tristes sur lesquelles il faut avoir la force d'insister; il y a des cloaques d'ignominie qu'il faut avoir le courage de sonder.

Voyez cet homme; il est né par hasard, par malheur, dans un taudis, dans un bouge, dans un antre, on ne sait où, on ne sait de qui. Il est sorti de la poussière pour tomber dans la boue. Il n'a eu de père et de mère que juste ce qu'il en faut pour naître. Après quoi tout s'est retiré de lui. Il a rampé comme il a pu. Il a grandi pieds nus, tête nue, en haillons, sans savoir pour quoi faire il vivait; il ne sait pas lire. Il ne sait pas qu'il y a des lois au-dessus de sa tête; à peine sait-il qu'il y a un ciel. Il n'a pas de foyer, pas de toit, pas de famille, pas de croyance, pas de livre. C'est une âme aveugle. Son intelligence ne s'est jamais ouverte, car l'intelligence ne s'ouvre qu'à la lumière comme les fleurs ne s'ouvrent qu'au jour, et il est dans la nuit. Cependant il faut qu'il mange. La société en a fait une bête brute, la faim en fait une bête fauve. Il attend les passants au coin d'un bois et leur arrache leur bourse. On le prend et on l'envoie au bagne. C'est bien.

Maintenant voyez cet autre homme; ce n'est plus la casaque rouge, c'est la robe rouge. Celui-ci croit en Dieu, lit Nicole, est janséniste et dévot, va à confesse, rend le pain bénit. Il est bien né, comme on dit; rien ne lui manque, rien ne lui a jamais manqué; sa famille a tout prodigué à son enfance, les soins, les leçons, les conseils, les lettres grecques et latines, les maîtres. C'est un personnage grave et scrupuleux. Aussi en a-t-on fait un magistrat. Voyant cet homme passer ses jours dans la méditation de tous les grands textes, sacrés et profanes, dans l'étude du droit, dans la pratique de la religion, clans la contemplation du juste et de l'injuste, la société a remis à sa garde ce qu'elle a de plus auguste et de plus vénérable, le livre de la loi. Elle l'a fait juge et punisseur de la trahison. Elle lui a dit: – Un jour peut venir, une heure peut sonner où le chef de la force matérielle foulera aux pieds la loi et le droit; alors, toi, homme de la justice, tu te lèveras, et tu frapperas de ta verge l'homme du pouvoir. – Pour cela, et dans l'attente de ce jour périlleux et suprême, elle le comble de biens, et l'habille de pourpre et d'hermine. Ce jour vient en effet, cette heure unique, sévère, solennelle, cette grande heure du devoir; l'homme à la robe rouge commence à bégayer les paroles de la loi; tout à coup il s'aperçoit que ce n'est pas la justice qui prévaut, que c'est la trahison qui l'emporte; et alors, lui, cet homme qui a passé sa vie à se pénétrer de la pure et sainte lumière du droit, cet homme qui n'est rien s'il n'est pas le contempteur du succès injuste, cet homme lettré, cet homme scrupuleux, cet homme religieux, ce juge auquel on a confié la garde de la loi et en quelque sorte de la conscience universelle, il se tourne vers le parjure triomphant, et de la même bouche, de la même voix dont, si le traître eût été vaincu, il eût dit: criminel, je vous condamne aux galères, il dit: monseigneur, je vous jure fidélité!

Prenez une balance, mettez dans un plateau ce juge et dans l'autre ce forçat, et dites-moi de quel côté cela penche.

42.Le président du tribunal de commerce, à Évreux refuse le serment. Laissons parler le Moniteur:
  «M. Verney, ancien président du tribunal de commerce d'Évreux, était cité à comparaître jeudi dernier devant MM. les juges correctionnels d'Évreux, en raison des faits qui ont dû se passer, le 29 avril dernier, dans l'enceinte de l'audience consulaire.
  «M. Verney est prévenu du délit d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement.»
  Les juges de première instance renvoient M. Verney et le blâment par jugement. Appel a minima. du procureur de la république». Arrêt de la cour d'appel de Rouen.
  La cour,
  «Attendu que les poursuites ont pour unique objet la répression du délit d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement;
  «Attendu que ce délit résulterait, d'après la prévention, du dernier paragraphe de la lettre écrite par Verney au procureur de la république à Évreux, le 26 avril dernier, et qui est ainsi conçue: «Mais il serait trop grave de revendiquer plus longtemps ce que nous croyons être le droit. La magistrature elle-même nous saura gré de ne pas exposer la robe du juge à succomber sous la force que nous annonce votre dépêche.»
  «Attendu que, quelque blâmable qu'ait été la conduite de Verney dans cette affaire, la cour ne peut voir dans les termes de cette partie de sa lettre le délit d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement, puisque l'ordre en vertu duquel la force devait être employée pour empêcher de siéger les juges qui avaient refusé de prêter serment n'émanait pas du gouvernement;
  «Qu'il n'y a pas lieu dès lors de lui faire l'application de la loi pénale;
  «Par ces motifs,
  «Confirme le jugement dont est appel, sans dépens.»
  La cour d'appel de Rouen a pour premier président M. Franck-Carré, ancien procureur général près la cour des pairs dans le procès de Boulogne, le même qui adressait à M. Louis Bonaparte ces paroles: «Vous avez fait pratiquer l'embauchage et distribuer l'argent pour acheter la trahison.»
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 kasım 2017
Hacim:
270 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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